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25/11/2025
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COP30 - Faut-il préserver le multilatéralisme climatique quoi qu’il en coûte ?

COP30 - Faut-il préserver le multilatéralisme climatique quoi qu’il en coûte ?
 Joseph Dellatte
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Responsable de projets et Expert Résident - Climat et énergie
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Quels sont les enseignements de la COP30 de Belem, pour le climat et pour la gouvernance globale ? Que retenir du texte signé par 194 parties ? Pour Joseph Dellatte, qui était au Brésil, la bataille qui se joue n'est pas morale mais industrielle, pas idéologique mais économique : si la décarbonation sert à la Chine pour assurer sa domination, les Européens ont les moyens de se défendre en inventant un minilatéralisme efficace. Ils en ont déjà donné la preuve avec le CBAM.

Faut-il préserver le multilatéralisme climatique quoi qu’il en coûte ? Oui, même si le multilatéralisme ne résoudra pas la question climatique. Il s’agit ici de la principale leçon de la COP brésilienne.

La COP30 à Belém est passée, et l’impression qui domine est celle d’un décalage grandissant entre l’ampleur de la crise climatique et la capacité du processus multilatéral à y répondre. Le "Global Mutirão" - un terme issu des langues tupi-guarani qui désigne une collectivité s’attelant à une tâche commune - adopté en fin de conférence, a "sauvé l’essentiel" : la trajectoire 1,5 °C reste dans le texte, l’importance de la science est réaffirmée, l’équité - y compris les droits des communautés autochtones - progresse un peu, et la coopération demeure un impératif partagé. Dans un contexte géopolitique fracturé, cela n’a rien d’anodin.

Il faut néanmoins avoir l'honnêteté de dire les choses telles qu’elles sont : le résultat est faible et décevant. La COP30 stabilise à peine le cadre existant - elle a géré la stagnation ce qui, vu l’ampleur du défis, relève de la tragédie. Les avancées sont marginales, les désaccords structurants, et les grands dossiers (finance, marchés carbone, discussions commerciales) ne progressent qu’à la marge. La COP confirme qu’elle est une plateforme de discussion, indispensable mais insuffisante.

Cette conférence est néanmoins la preuve flagrante que la gouvernance climatique ne dépend plus uniquement du multilatéralisme.

Cette conférence est néanmoins la preuve flagrante que la gouvernance climatique ne dépend plus uniquement du multilatéralisme. L’exemple le plus instructif de ces dernières années est le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (CBAM) de l’Union Européenne : il a démontré la capacité de certains États à agir plus vite et à entraîner les autres par la force de l’action, non par la persuasion.

Un mandarinisme multilatéral climatique

À Belém, la diplomatie climatique n’a pas pu cacher son visage actuel : celui d’un système procédural raffiné, s’épuisant à préserver l’existence du processus de l’Accord de Paris à défaut d’avoir la capacité d’organiser la transformation du réel.

Sur place, quasi personne n’a remis en cause la charpente politique de l’action climatique. Le simple fait que 194 parties aient adopté un texte commun, alors que les États-Unis quittent à nouveau l’Accord de Paris et que les tensions commerciales s’intensifient, constitue un signal fort. Le multilatéralisme tient.

Mais ce multilatéralisme qui cherchait, hier encore, à créer un espace normatif opérant a réduit son ambition : il s’agit désormais de gérer la stagnation, de se féliciter parce qu’on ne recule pas et de renoncer à accélérer.

On parle beaucoup, mais on ne concède plus grand-chose. Sur les fossiles, sur la finance, sur l’intégrité des marchés carbone, sur les chaînes de valeur des technologies propres, le système ne sait accoucher que du plus petit dénominateur commun - loin de l’efficacité. À l’image de ce diplomate russe qui, lors de la plénière finale, a sèchement répondu à la représentante colombienne - qui exprimait son désaccord face au manque d’ambition du texte - "cessez de faire l’enfant". Un instant suspendu, tétanisant, où le cynisme et l’infantilisation méprisante se sont donnés en spectacle devant la communauté internationale.

Jusqu’à quand un tel exercice d’équilibrisme peut-il tenir ?

Certains misent sur la fin du mandat Trump, avec l’espoir qu’un retour à de meilleures dispositions à Washington redonne de l’élan à l’action climatique. Mais cela revient à parier sur plusieurs années supplémentaires de conférences de la stagnation, jalonnées de compromis improbables : une COP31 finalement co-organisée par la Turquie d’Erdogan et l’Australie - arrangement presque surréaliste -, une COP32 en Éthiopie "pour parler d’adaptation", et peut-être une COP33 en Inde…

Les COP préservent le terrain, mais ne fabriquent pas la transformation. La question n’est donc pas d’y renoncer - ce serait une erreur - mais de reconnaître qu’il faut désormais compléter le multilatéralisme, pas s’y limiter.

La conclusion est claire : les COP préservent le terrain, mais ne fabriquent pas la transformation. La question n’est donc pas d’y renoncer - ce serait une erreur - mais de reconnaître qu’il faut désormais compléter le multilatéralisme, pas s’y limiter.

Le piège du CBDR se referme

Le principe des responsabilités communes mais différenciées [Common But Differentiated Responsibilities - CBDR] a eu - et garde - sa légitimité. Mais son interprétation opérationnelle actuelle (plus d’ambition climatique dans le Sud en échange de transferts financiers massifs du Nord, le fameux Article 9.1 de l’Accord de Paris) maintient le système dans une impasse.

Ce contrat théorique ne se matérialisera pas, pour plusieurs raisons :

  • L’ampleur des besoins financiers dépasse ce que les budgets publics du Nord peuvent absorber.
  • La géographie des émissions et de la richesse a profondément changé. La Chine a désormais émis davantage de CO₂ historiquement que l’UE et reste pourtant en dehors des "donateurs" officiels.
  • Le fait que les pétro-monarchies du Golfe, qui une fois de plus à Belém ont compté parmi les adversaires les plus déterminés de l’ambition climatique, soient toujours rangées dans la catégorie des "pays en développement" résume à lui seul l’absurdité d’un système figé.
  • Le narratif devient un instrument de blocage. Tant que la finance ne progresse pas, d’autres sujets - ambition, commerce, marchés carbone - sont systématiquement freinés.


La conséquence est lourde : les pays les plus ambitieux se retrouvent enfermés dans un dilemme impossible - payer beaucoup plus, ou ne pas pouvoir avancer collectivement.

Pendant que la COP parle, la bataille se joue ailleurs

La transition climatique n’est pas qu’une bataille morale - c’est une bataille industrielle. Décarboner, c’est savoir produire - en masse - des panneaux solaires, des électrolyseurs, des câbles HVDC, des batteries, de l’acier bas-carbone, des matériaux recyclés.

Napoléon conseillait de ne jamais interrompre un adversaire lorsqu’il fait une erreur. La Chine applique le principe à la lettre dans l’arène climatique. Son mot d’ordre : "Battez-vous sur les mots pendant que je deviens incontournable sur les technologies dont vous aurez besoin pour vous décarboner."

La transition climatique n’est pas qu’une bataille morale - c’est une bataille industrielle.

À Belém, Pékin a incontestablement remporté la bataille du soft power. Le pavillon chinois ne ressemblait pas à un espace diplomatique, mais à un showroom : BYD, CATL, Geely et l’essentiel des champions de l’électrification propre étaient présents, multipliant les side-events parfaitement rodés, sans question du public, où l’on ne discutait pas d’ambition climatique mais de capacité industrielle, de coûts et de volumes.

Le message était limpide, la Chine est déjà en train de produire à grande échelle les technologies de la transition - batteries, véhicules électriques, recyclage de modules solaires, électrification industrielle - et elle se vend comme le fournisseur du monde.

À chaque intervention ou presque, Pékin invoquait la "coopération climatique". Mais l’implicite est transparent, sa définition de coopération est claire : la Chine fabrique, le reste du monde achète.

Autrement dit, si la transition dessine la nouvelle économie mondiale, la Chine compte en être la grande puissance.

Le multilatéralisme ne traite pas cette réalité. Il en parle à travers les idées - solidarité, ambition, équité - mais il ne dit rien de l’asymétrie industrielle croissante qui conditionne la capacité réelle des États à se décarboner. Ce n’est pas le texte des décisions qui déterminera l’issue de la transition, mais le contrôle des chaînes de valeur, des coûts, de l’innovation et du recyclage.

Une Chine qui refuse de prendre le leadership de l’Ambition

La faiblesse européenne à Belém n’a pas été l’absence d’ambition - contrairement à ce qui a été écrit - mais son incapacité à embarquer le reste du monde derrière cette ambition. Dans un contexte où les États-Unis sont de nouveau hors-jeu, l’Europe se retrouve isolée, affaiblie symboliquement, et beaucoup plus discrète qu’aux précédentes COP. Elle n’a pas perdu son leadership climatique ; elle a perdu sa capacité de traction.

Est-ce que la Chine en a profité pour endosser le flambeau de l’ambition ? La réponse est non. Pékin refuse explicitement ce rôle. Sa posture à Belém a été cohérente, calculée et totalement dépourvue d’idéalisme : diriger le narratif du Sud global, oui ; diriger l’ambition climatique, surtout pas. Car comment prétendre conduire l’ambition mondiale sans être ambitieux soi-même ?

La faiblesse européenne à Belém n’a pas été l’absence d’ambition - contrairement à ce qui a été écrit - mais son incapacité à embarquer le reste du monde derrière cette ambition.

La Chine ne cherché pas à freiner l’action climatique - elle a cherché à ne pas s’y lier les mains. L’absence chinoise d’ambition sérieuse n’est pas idéologique, elle est économique. Avec une croissance avoisinant les 5 % - dont près de la moitié provient désormais des énergies renouvelables - la Chine n’est pas prête à compromettre le reste de son modèle industriel, toujours adossé au charbon, de peur de perdre de précieux points de croissance indispensable à son modèle économique. 

Un objectif de décarbonation trop rapide viendrait heurter son appareil productif, et donc sa stabilité économique.

Le message a d’ailleurs été assumé implicitement, à Belem. Lorsque Li Gao, chef de la délégation chinoise, a répondu aux critiques européennes sur la faiblesse de la NDC [Contribution déterminée au niveau national de son pays], il l’a fait avec une franchise déconcertante :
Aucun pays n’a, après son pic d’émissions, basculé instantanément sur une courbe descendante rapide. La Chine prendra son temps.

Un réalisme économique implacable (il a essentiellement raison) - et un constat glaçant pour l’action climatique. Car la NDC chinoise assume de factoune forme de plateau jusqu’en 2035 : autrement dit, quinze ans avant la supposée neutralité carbone mondiale, la Chine prévoit encore d’émettre autant qu’en 2020, soit une quantité vertigineuse d’émission proche des 10Gt de CO2.

À Belém, la Chine a donc été triomphante sur le plan narratif, mais absente de l’ambition concrète. Elle ne freine pas la transition ; elle la laisse venir à elle, à son rythme, surtout que l’économie mondiale devient dépendante de ses technologies. Et l’univers climatique découvre progressivement que diriger le Sud global et diriger l’ambition climatique mondiale sont deux fonctions distinctes - et que Pékin n’a jamais prétendu assumer la seconde.

CBAM : la preuve empirique qu’un "soft constraint" peut faire bouger le monde

Le seul instrument climatique global qui a effectivement déplacé les lignes ces dernières années ne provient pas de la COP, c’est le CBAM [Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontière, Carbon Border Adjustment Mechanism] européen.

Sans sanctionner de manière injuste, le CBAM crée une contrainte d’action : pour exporter vers l’Europe, qui s’impose un prix du carbone de plus en plus important, il devient rationnel de tarifer le carbone chez soi plutôt que de payer la différence à l’entrée du marché européen.

Depuis l’annonce du CBAM en 2021, le nombre de systèmes de tarification du carbone a plus que doublé dans le monde. Même dans les États qui s’y opposent publiquement, l’effet est reconnu en privé par les négociateurs à Belém.

C’est fondamentalement la preuve qu’un "minilatéralisme d’action" est possible pour l’ambition climatique. Un groupe de pays avance avec des mesures contraignantes qui impactent le commerce, les autres s’adaptent, non par alignement idéologique, mais par nécessité économique.

Rien de cela ne contredit le multilatéralisme. Mais rien de cela ne découle de lui non plus.

Le seul instrument climatique global qui a effectivement déplacé les lignes ces dernières années ne provient pas de la COP, c’est le CBAM [Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontière, Carbon Border Adjustment Mechanism] européen.

La meilleure preuve qu’une dynamique minilatérale peut émerger au cœur même du multilatéralisme - et que le CBAM produit déjà des effets - est la signature, à Belém, d’une première coalition de pays consacrée à la coopération sur les marchés du carbone de conformité (ETS). Une tâche immense: construction des capacités administratives, partage du savoir-faire en matière de gestion des ETS, convergence des pratiques de reporting (MRV), réflexion sur l’interopérabilité des systèmes.

Rien ne sera simple. La confiance manque entre acteurs, les données énergétiques restent un sujet stratégique, et la compatibilité technique des systèmes est loin d’être acquise. Mais le signal politique est important. Que l’Union européenne, le Canada - et même la Chine - aient accepté de participer à cette plateforme indique que l’enjeu est désormais trop important pour être ignoré.

Faire évoluer la gouvernance climatique

Ce qui manque aujourd’hui n’est pas un grand soir multilatéral - il n’arrivera pas. Ce qui manque, c’est le chaînon qui relie l’ambition à l’action.
Au lieu de se concentrer exclusivement sur la sortie des énergies fossiles - indispensable mais politiquement congestionnée - le processus devrait intégrer explicitement :

  • les plateformes industrielles de production de technologies propres
  • les coalitions d’achat de biens bas-carbone
  • les accords commerciaux climatiques
  • la coopération sur la tarification du carbone


L’architecture climatique doit accepter que certains États agissent plus vite. Le multilatéralisme a un rôle : fixer un plancher. Mais le plafond - l’accélération - viendra de coalitions capables de lier climat, industrie, commerce et finance.

L’action peut précéder la négociation

La COP30 a évité la rupture, mais elle a consacré une réalité : le multilatéralisme climatique n’avance pas au rythme scientifique, industriel ou géopolitique de la transition.

Il faut le préserver, sans lui demander ce qu’il ne peut plus offrir. L’action climatique ne se joue pas dans les négociations onusiennes, mais dans la capacité des États à mettre en place des instruments qui convertissent l’ambition en transformation économique.

Le CBAM nous apprend que quand l’action précède la négociation, la coopération suit.

Le défi des prochaines années sera donc d’assumer un modèle hybride où le multilatéralisme incarne un cadre politique minimal, et les minilatéralismes d’action s’affirment pour créer les incitations économiques manquantes.

Copyright image : Pablo PORCIUNCULA / AFP
Le président du Brésil Luiz Inacio Lula da Silva à la COP30, à Belem.

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