AccueilExpressions par MontaigneAide publique au développement : polémiques et perspectivesL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.18/03/2025Aide publique au développement : polémiques et perspectives Finances et fiscalitéImprimerPARTAGERAuteur Bruno Cabrillac Directeur général de la Ferdi, économiste La priorité donnée à la réduction du déficit public s’est traduite, entre autres, par la baisse des ressources allouées par la France à l'aide au développement, dans le contexte d’une remise en cause de ces politiques aussi bien en France qu’aux États-Unis. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a publié le 8 février 2025 un décret instituant une commission d'évaluation de l'aide publique au développement, chargée de vérifier les coûts de gestion et la cohérence de la stratégie française en la matière. Pourtant, cinq années durant jusqu’en 2023, l’aide publique au développement dans le monde avait atteint des taux records, notamment du fait de l’accroissement de l’aide à l’Ukraine. Comment comprendre ce retournement ? Faut-il juger l’aide publique au développement à la seule aune du "si c’est utile aux Français" et si oui, à partir de quels critères établir cette utilité ? Un entretien avec Bruno Cabrillac.Combien pèse l’aide publique au développement dans le budget 2025, quelles sont les évolutions par rapport aux dernières années et les perspectives pour les années à venir ?En 2023, l’aide publique au développement française représentait, selon les chiffres du Comité d’aide au développement de l’OCDE, 14 milliards d’euros, soit un taux d’effort de 0,5 % du revenu national brut. Ce chiffre, quoique inférieur au 0,7 % (auquel se sont engagés les pays riches) reste supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE (0,37 %). La France se plaçait en 5e position (en volume) de l’aide publique au développement mondiale. Pour 2025, le budget du programme d’aide au développement français est de 4,3 milliards d’euros, soit 0,7 % des dépenses de l'État, ce qui représente une réduction d’un tiers environ par rapport à l’année passée. Ce chiffre doit être relativisé : le Comité d’aide au développement (CAD, organe de l’OCDE qui coordonne les acteurs de l’aide bilatérale) ne se fonde pas uniquement sur les crédits budgétaires du seul programme d’aide au développement pour estimer le montant total de l’aide budgétaire d'un pays : il intègre également l’équivalent don des prêts concessionnels de l’AFD (en sus des bonifications versées par l’État) ou d’autres crédits budgétaires qui ne figurent pas dans le programme d’aide au développement, comme l’aide aux réfugiés sur le territoire national. Les chiffres préliminaires du CAD pour 2025 ne seront publiés qu’au premier trimestre de 2026, l’ampleur de la décrue de l’aide publique au développement ne sera donc connue qu’à ce moment-là. Les statistiques préliminaires du CAD pour 2024 devraient être publiées dans les prochains jours : elles montreront déjà une évolution claire à la baisse - hors aide à Ukraine - lisible depuis 2022.2025 marque la première fois que la France opère des coupes aussi fortes dans ses crédits d’aide au développement depuis 1994.Des coupes comparables ont été opérées au Royaume-Uni et aux États-Unis, l’US Agency for International Development, USAID, a été démantelée et plus de 90 % de ses financements devraient être annulés. Il n’en reste pas moins que 2025 marque la première fois que la France opère des coupes aussi fortes dans ses crédits d’aide au développement depuis 1994. Le projet de loi de finances les a justifiés au regard d’une perspective de moyen terme. L’aide publique au développement était tendanciellement à la hausse ces dernières années (jusqu’en 2022) mais, quel que soit ce lissage, la France reste en retard sur les objectifs fixés par la loi d'orientation pluriannuelle de 2021.. La remise en cause de la priorité donnée à l’aide au développement est aussi attribuable à l’impression que les objectifs géopolitiques ou diplomatiques, notamment en Afrique, ne sont pas atteints.Quels sont les principaux programmes et opérateurs de l’aide au développement française ?On compte comme aide publique au développement, selon les normes internationales du CAD, tout flux dont le donateur est une institution publique, avec un objectif de développement à destination d’un pays éligible selon le critère du Revenu national brut (RNB) par tête. Pour la France, le programme budgétaire d’aide au développement comprend cinq sous-programmes qui couvrent l’aide bilatérale, l’aide multilatérale (flux à destination d’autres institutions, comme la Banque mondiale, l’UE et les organisations onusiennes), l’aide humanitaire et les annulations de dette. L’AFD est l’opérateur de l’État pour les crédits budgétaires d’aide bilatérale - notamment les dons - mais a aussi une fonction de banque de développement et fait des prêts concessionnels qui contribuent significativement aux flux des aides au développement français.Qui en sont les principaux bénéficiaires ? Comment évoluent les besoins ?Les principaux bénéficiaires ne sont pas toujours les pays les plus pauvres : en effet, une partie importante de l’aide est accordée sous forme de prêts, qui ne sont consentis qu’à condition de certaines garanties. De plus, il est plus aisé, notamment dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, de trouver des projets bien construits dans les pays émergents ou à revenus intermédiaires de la classe inférieure que dans les pays les moins avancés. Enfin, le Covid a aggravé le surendettement de certains pays, ce qui les situe désormais au-delà des normes acceptées par les pays de l’OCDE pour fournir des prêts.À ces raisons traditionnelles s’ajoute un second ensemble de facteurs : depuis une quinzaine d’années ans (Document cadre sur la coopération française de 2011 puis la Conférence de Paris sur le Climat, notamment), l’aide au développement a un second objectif de plus en plus prégnant qui lui est assigné en sus du développement stricto senso : celui de la préservation des biens publics mondiaux, notamment la biodiversité et surtout le climat. Pour louables qu’ils soient, ces nouveaux objectifs conduisent à une distorsion de l’allocation de l’aide publique. En effet, les pays les plus pauvres ou vulnérables sont très peu ou pas industrialisés et émettent donc très peu, le tissu entrepreneurial ou industriel y est quasi inexistant et la gouvernance et les infrastructures y sont insuffisamment développées pour concevoir des projets crédibles d’atténuation du changement climatique, voire même d’adaptation au changement climatique. Les flux d’aide publique au développement dotés d'objectifs climatiques intégraux ou significatifs sont donc essentiellement alloués à des pays à revenu intermédiaire et la concentration géographique des prêts n'est pas superposable à la carte des pays les plus pauvres. Les pays développés se sont pourtant engagés à veiller à l’additionnalité des financements climat ou biodiversité, c’est-à-dire à ne pas soustraire le financement de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique ou de la préservation de la biodiversité dans les pays éligibles à l’aide au financement du développement. Une clarification, isolant les flux dont l’objectif est essentiellement de lutter contre le changement climatique ou de préserver la biodiversité des flux de développement, serait souhaitable pour une évaluation correcte de l’effort d’aide au développement. La Ferdi s’intéresse particulièrement à cette problématique.Enfin, un autre élément important de l’évolution de l’allocation de l’aide bilatérale française est l’évolution géopolitique en Afrique sub-saharienne. La succession de coups d'État militaires au Sahel (Mali-2020, Tchad-2021, Burkina Faso-2022, Niger-2023) et la situation en RCA ainsi que la présence croissante de la Russie ont conduit à des tensions diplomatiques, au retrait des militaires français et à une réduction voire une interruption des flux d’aide.La concentration géographique des prêts n'est pas superposable à la carte des pays les plus pauvres.Or ces pays, tous des PMA, figuraient dans la liste des 19 pays prioritaires, définis conjointement par le ministère des Affaires étrangères et des Finances (liste abandonnée en 2024).Au nom de quels motifs la France participe-t-elle à l’aide au développement ? Dans quelle mesure cela touche-t-il ses intérêts ? Comment mieux légitimer l’aide au développement auprès des opinions publiques et des acteurs politiques ? L'argument humanitaire est-il démonétisé ?Le projet de loi finance parle d'"investissements solidaires et durables" ainsi que de la "lutte contre les inégalités mondiales".Une vocation de l’aide publique française est cependant de favoriser les intérêts directs de la France. Ils sont de trois ordres au moins.Le premier, le plus évident, tient aux intérêts économiques et diplomatiques de la France, c'est-à-dire à son influence, au rayonnement de sa langue, de ses entreprises, à ses approvisionnements, à ses exportations…Le deuxième tient à la préservation des biens publics mondiaux (climat, biodiversité, santé) dont la France dépend. C’est d'ailleurs au titre des objectifs climatiques - plutôt que du développement - que la Chine ou d’autres grands émergents sont placés dans la liste des pays bénéficiaires de l’aide publique selon les critères du CAD. Cela a pu nourrir certaines polémiques récentes mais la France tire le même bénéfice à la réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’elle soit réalisée dans le Massif central, dans le Guangdong ou dans le Gujarat : le seul critère devrait être d’agir là où ce sera le plus efficace ! Il est donc logique de financer les économies émergentes pour qu’elles atténuent les effets du changement climatique, mais il ne faut pas que les financements français se substituent aux efforts locaux. Ils doivent être additionnels et inciter les pays bénéficiaires à en faire plus. Le second profit que la France tire de l’aide publique au développement, au-delà de la seule question de son influence géopolitique, est que ces financements consolident la paix et la sécurité dans le monde, un autre bien public mondial dont la France profite directement, notamment par la réduction des flux de réfugiés et des besoins d’aide humanitaire.Sans effort conséquent en direction de la formation et de l’éducation, l’Afrique ne tirera pas de dividendes de sa transition démographique et la croissance mondiale s’en trouvera réduite.De plus, l’aide publique diminue les inégalités entre pays. C’est évidemment nécessaire, au-delà des considérations éthiques, pour la paix et la sécurité, mais aussi pour réduire les pressions migratoires. C’est un objectif d’autant plus primordial que les flux démographiques divergent. D’ici trente ans, l’essentiel de la croissance mondiale de la population active se situera en Afrique. Sans effort conséquent en direction de la formation et de l’éducation, l’Afrique ne tirera pas de dividendes de sa transition démographique et la croissance mondiale s’en trouvera réduite.Cela aura des conséquences directes sur les exportations et les revenus de la France, mais aussi sur le coût de l’immigration. Il est en effet plus coûteux, pour les pays dont le solde démographique est déficitaire, d’intégrer des flux migratoires non formés. Ces retombées de l’aide au développement, notamment dans le secteur de l’éducation - plus de croissance mondiale, meilleure intégration de l’immigration et limitation de celle-ci du fait du développement des zones de départ - se pensent toutefois dans le très long terme. Il est plus difficile de sensibiliser les opinions publiques et les décideurs politiques à ces réalités pourtant indépassables.Enfin, l’argument humanitaire n’est pas dévalué et bénéficie encore d’un fort soutien dans l’opinion publique. Il reste à convaincre qu’il est toujours plus productif d’agir en prévention qu’en réaction. L’aide publique au développement, dans les pays les moins avancés, est souvent efficace pour prévenir les situations justifiant de l’aide humanitaire d’urgence, plus coûteuse. L’ordre éthique se conjugue ici à la dimension économique. La vocation humanitaire de l’aide publique, avec les valeurs de dignité humaine qu’elle porte, est celle qui se trouve la moins remise en cause. Cela est vrai y compris aux États-Unis, traditionnellement principaux pourvoyeurs d’aide humanitaire (les pays européens et le reste des pays du CAD étant davantage tournés vers l’aide au développement). La suppression de l’USAID porte certes sévèrement atteinte à l’aide américaine mais la large composante évangélique et chrétienne au sein des Républicains pourrait militer en faveur de la préservation des crédits de l’aide humanitaire.L’inquiétude qui se fait jour est que beaucoup pensent que l’efficacité de l’aide au développement dépend de sa force de frappe : si des acteurs majeurs de l'aide se retirent, l’effet désincitatif pourrait être très dommageable et entraîner l’aide publique au développement dans le cercle vicieux du découragement des acteurs.Comment mesurer l’impact de l’aide au développement ? Des études de résultats sont-elles menées ?L’aide publique au développement est une des politiques publiques les plus contrôlées et les évaluations sont surabondantes : chaque projet, chaque politique, chaque programme est évalué, et quand lesdits projets, politiques ou programmes sont soutenus par plusieurs bailleurs de fonds, chaque bailleur de fonds produit souvent son évaluation propre.La difficulté des évaluations provient plutôt du choix des critères pertinents : elles devraient porter sur des objectifs finaux de long terme, parfois difficilement quantifiables.. Or, si l’objectif est de soutenir l'éducation primaire, il sera toujours plus tangible, factuel, et "photogénique" de montrer qu’une école a été construite. On pourra éventuellement tracer une augmentation du taux de scolarisation. Qu’est-ce que cela dit de l'amélioration quantitative et qualitative réelle de la formation de la population ? Peu de choses …Il y a dans ce domaine aussi une tragédie des horizons. La redevabilité des donateurs et des bénéficiaires à l’égard de leurs citoyens, comme des pays bénéficiaires à l’égard des pays donateurs, est, pour des raisons politiques, généralement à court terme. Pour tourner cette difficulté, les pays donateurs ont tendance à privilégier les pays bénéficiaires qui ont le mieux réussi dans le passé. Cette orientation engendre une dérive : la concentration de l’aide sur les pays qui ont le mieux réussi crée des orphelins de l’aide et renforce la trappe à la pauvreté, sujet préoccupant, particulièrement cher à la Ferdi. La redevabilité des donateurs et des bénéficiaires à l’égard de leurs citoyens, comme des pays bénéficiaires à l’égard des pays donateurs, est, pour des raisons politiques, généralement à court terme.Le caractère conditionnel de l’aide au développement est souvent critiqué : il imposerait un modèle unique de développement, ignorant des spécificités économiques, politiques ou sociales des pays. Comment la France prend-elle en compte ce genre de critiques ? Les polémiques suscitées par l’aide publique au développement proviennent-elles aussi des pays bénéficiaires ?Le terme de conditionnalité recoupe trois acceptions distinctes. Le premier type de conditionnalité vise à limiter le risque fiduciaire pour le bailleur et à assurer les opinions publiques et leurs représentants de la redevabilité de leurs prêts et de leurs dons. Cela dépend du niveau de gouvernance du pays bénéficiaire, qui est soumis à toute une batterie de contrôles afin de vérifier que les fonds sont bien affectés à ce à quoi ils doivent l’être, qu’ils ne sont pas détournés au profit d’intérêt privés, que l’investissement public est bien géré (la rentabilité économique et sociale du projet est avérée, les appels d'offres sont compétitifs, les entreprises choisies sont les plus opportunes…) etc. Ce type de conditionnalité est inévitable, mais il doit éviter toute dérive bureaucratique ou dogmatique.Le deuxième type de conditionnalité cherche à changer les comportements en faveur de valeurs collectives : promouvoir l’égalité des genres, favoriser la prise en compte des populations civiles, lutter contre la discrimination des minorités, encourager la démocratie… Cette manière de définir ce qu’est un comportement vertueux en fonction de normes universelles mais qui peuvent être ressenties comme occidentales peut être considéré comme intrusif. Si on fait l’hypothèse que seuls les facteurs internes peuvent pousser au changement, ce type de conditionnalité de l’aide ne produira que des effets cosmétiques ou de courte durée. Il faut donc trouver un juste milieu entre d’une part ne pas déroger sur les valeurs humanistes au nom desquelles on produit l’aide publique au développement et d’autre part accepter avec réalisme la différence des contextes culturels.Il faut donc trouver un juste milieu entre d’une part ne pas déroger sur les valeurs humanistes au nom desquelles on produit l’aide publique au développement et accepter avec réalisme la différence des contextes culturels.Enfin, le troisième type de conditionnalité vise à assurer la soutenabilité du développement économique et notamment des finances publiques et des échanges avec l’extérieur. Ce type de conditionnalité est au centre de l’intervention du FMI et des aides qui y sont liées à cette intervention. Cette conditionnalité est souvent critiquée. Elle est pourtant dans le principe indispensable, car la soutenabilité budgétaire et extérieure est une condition nécessaire du développement économique et donc de l’efficacité de l’aide.Imagine t-on d’aider un pays qui va tomber en cessation de paiements ? Pour autant, cela n’interdit pas de s’interroger sur les moyens de concilier cette soutenabilité avec les impératifs du développement et le financement des Objectifs de Développement Durable.Dans quelle mesure l’aide publique au développement est-elle remboursée ? La dette des pays en développement est-elle soutenable et comment atténuer le risque pour les pays prêteurs ?L’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), prise par le FMI et la Banque Mondiale en 1996 a entraîné l’annulation partielle de la dette de certains pays pauvres. Elle a essentiellement été financée par les pays riches, notamment ceux du G7. Pour éviter un nouvel épisode de surendettement, la règle qui prévaut aujourd'hui pour les pays de l’OCDE est de ne pas prêter aux pays pauvres trop endettés. Mais cette règle n’a pas bien fonctionné car sont apparus de nouveaux créanciers publics (notamment la Chine) ou privés qui ne l'appliquent pas.Or, aujourd’hui après la crise du Covid plus de la moitié des pays à faible revenu (PFR) sont surendettés (en fonction de critères, décidés par le FMI et la Banque Mondiale, qui prennent en compte la dette externe et le potentiel d'exportation). Ces pays se retrouvent donc dans des situations de stress d’endettement, face à la Chine en premier lieu, aux marchés financiers en deuxième lieu, et enfin à de nouveaux types de créanciers privés comme les négociants de matières premières. De nouveaux acteurs moins exigeants, comme les traders pétroliers, profitent de pouvoir collatéraliser leurs prêts sur des exportations de matières premières. Ils ne sont soumis ni à la pression des pouvoirs publics ni à celle des opinions publiques à la différence des grandes banques internationales. Le résultat est que les acteurs traditionnels des restructurations de dette (les bilatéraux publics des pays de l’OCDE au sein du Club de Paris et les grandes banques internationales au sein du Club de Londres, un groupe informel de créanciers privés) ne portent souvent qu’une petite partie des créances. La carte des financements ne ressemble plus à celle du début de notre siècle, majoritairement partagée entre des créanciers bilatéraux de l’OCDE et les Banques internationales et les processus de restructuration de dette sont plus complexes et plus aléatoires.De plus, le choix des pays occidentaux de favoriser le don a eu pour conséquence de libérer le potentiel d’emprunt des PFR et de laisser la porte ouverte à d’autres bailleurs de fonds bilatéraux tels que l’Inde, la Turquie, ou surtout la Chine, peu soucieux de la soutenabilité de la dette qui pratiquent des prêts peu concessionnels, très opaques, qui font mal la part du prêt privé et du prêt public et sont souvent gagées sur les exportations de matières premières. La Chine, par exemple, qui n’a réalisé qu’avec retard le risque de défaut lié au surendettement, l’a amplifié.Le choix des pays occidentaux de favoriser le don a eu pour conséquence de libérer le potentiel d’emprunt des PFR et de laisser la porte ouverte à d’autres bailleurs de fonds bilatéraux tels que l’Inde, la Turquie, ou surtout la Chine.Après avoir été le premier créancier de l’Afrique en termes de flux pendant plus d’une décennie (dont une faible partie de prêts concessionnels, donc d’aide publique au développement), la Chine reçoit désormais plus de remboursements qu’elle ne consent de nouveaux prêts.Notons enfin que l’annulation de la dette est comptabilisée dans l’aide publique au développement. Elle peut être aussi considérée comme un exemple d’allocation adverse à destination de projets ou de programmes qui ont échoué …Quelles sont les réformes de l’aide au développement française qui seraient souhaitables pour accroître l'efficacité des paiements publics ?La tendance actuelle ne va pas dans le bon sens. La perception de l’aide publique au développement est cyclique. On a longtemps considéré que devait primer l’accumulation de capital physique. À ensuite dominé l’idée que l’important était le capital humain (éducation et santé). Depuis quelques années, l’idée que doit prévaloir l’accumulation de capital physique revient en force, avec le risque d’effets pervers que cela implique : autoroutes perdues dans des déserts et autres créations d’éléphants blancs, comme autant d’illustrations de projets dont la rentabilité économique et sociale est insuffisante.Ce retour en force est d’abord la conséquence de comportements politiques classiques. Il est plus facile au regard des citoyens et des entreprises des pays donateurs et bénéficiaires de justifier de réalisations tangibles plutôt que de politiques de long terme, dont les résultats se mesurent dans le long terme. Pourtant, il ne fait plus de doutes que l’accumulation de capital humain et donc les politiques de santé et d’éducation sont au cœur des modèles de développement qui ont réussi.Une autre illustration de ces fourvoiements, c’est la focalisation actuelle sur l’industrialisation, en Afrique comme ailleurs, les dirigeants sont souvent sensibles à l’idée que le développement de l’industrie et du secteur manufacturier est la panacée pour le développement. Or, dans un monde débordé par les surcapacités chinoises, il n’est pas sûr que cette stratégie soit la plus efficace..D’autres directions seraient plus souhaitablesTout d’abord, il conviendrait d’être plus clair dans l’objectif assigné aux différents programmes d’aide, en ne confondant pas ceux qui visent le développement et ceux qui visent la préservation des biens publics mondiaux. Les flux à destination des pays émergents et en développement alloués pour optimiser la réduction des émissions doivent être évalués en tant que tels et, en tant que tels, présentés à l’Assemblée nationale et à l'opinion publique. Cela montrerait que la France consacre encore moins d’argent public à l’aide au développement qu’elle ne l’affiche.Ensuite, dans la continuité de ce qui est déjà initié, il faut se concentrer sur l’effet levier de l’aide publique au développement, afin d’attirer les capitaux privés, notamment dans les pays les moins vulnérables. Que l’aide publique prenne sur elle une partie des risques pour servir de catalyseur pour les financements privés permet de réserver une plus grande part des dons et des prêts très concessionnels aux pays les plus vulnérables C’est en effet dans ces pays que l’aide publique est non seulement indispensable, mais aussi irremplaçable. La littérature économique montre également que c’est là qu’elle est le plus efficace.Il faut se concentrer sur l’effet levier de l’aide publique au développement, afin d’attirer les capitaux privés, notamment dans les pays les moins vulnérables.Certaines innovations intéressantes méritent aussi d’être déployées, comme les clauses de contingence qui pourraient aussi être étendues aux prêts privés avec éventuellement une prise en compte du surcoût par l’aide publique. Ces clauses consistent à faciliter le report ou l’annulation du service de la dette en cas de catastrophes climatiques ou autres aléas.Cela ne peut fonctionner que si une masse suffisante de créanciers les appliquent, pour que les créanciers qui s’y astreignent ne supportent pas seuls les risques au bénéfice des autres créanciers.Enfin, l’aide publique au développement doit se tourner plus vers le secteur privé local. C’est le tissu des entreprises privées qui génère de la croissance. L’État peut être associé en priorité aux objectifs sociaux et environnementaux, mais les investisseurs dont l’objectif principal est la rentabilité participent néanmoins activement à la réduction de la pauvreté.Quelle est la part des financements privés ? Peuvent-ils constituer des relais à la mesure des enjeux ?L’aide privée au développement provient essentiellement de grandes ONG, notamment américaines, telles que les Fondations Mastercard ou Gates. Pour conséquente qu’elle soit, l’aide privée ne saurait se substituer à l'aide publique car leurs ordres de grandeur ne sont pas comparables et leurs objectifs sont distincts.Au-delà de ces flux et bien qu’ils ne soient pas comptabilisés dans l’aide, on doit s’intéresser aux investissements privés en provenance des pays donateurs qui ont des objectifs sociétaux en sus d'objectifs financiers, les investissements dits d’impact. Ces flux auront une importance croissante en raison de la montée de la responsabilité environnementale et sociétale des entreprises. C’est la raison pour laquelle la Ferdi a créé une chaire investissements d’impact pour mieux comprendre cet écosystème.Les financements privés et publics doivent donc être complémentaires. Les aides publiques sont mieux aptes à prendre le risque, pour contrer le biais défavorable lié à la surévaluation des risques qu’on observe pour les pays sous-développés.Propos recueillis par Hortense Miginiac Copyright image : Jay DIRECTO / AFP Des employées de l’Agence américaine USAid surveillent le déchargement de fournitures d’urgence à l’aéroport de Manille en 2009.ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneNovembre 2024Budget 2025Le PLF et le PLFSS pour 2025 seront débattus dans un contexte politique inédit, marqué par un gouvernement sans majorité stable. Les discussions parlementaires seront déterminantes face aux enjeux budgétaires majeurs (crise énergétique, inflation, pouvoir d'achat). Durant toute cette période, l'Institut Montaigne proposera une série d’analyses sur le travail parlementaire et les propositions des différentes nuances politiques.Consultez l'Opération spéciale 05/11/2024 Examen parlementaire du budget 2025 : un choc fiscal, à quel prix ? Lisa Darbois Nicolas Laine 02/10/2024 [Sondage] - Réduire les dépenses publiques : oui, mais comment ? Institut Montaigne Lisa Darbois