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[Afrique : les rivalités stratégiques] - Guerre au Soudan : le Darfour, un problème tchadien

[Afrique : les rivalités stratégiques] - Guerre au Soudan : le Darfour, un problème tchadien
 Jonathan Guiffard
Auteur
Expert Associé - Défense et Afrique

Au Soudan, le massacre d'El Fasher par les Forces de Soutien rapide du général Hemedti en octobre, à l'issue du siège de la ville, a redonné de la visibilité au conflit. Jonathan Guiffard, dans le 3e épisode de sa série, revient sur l'histoire longue de cette guerre et notamment sur le rôle joué par le Tchad, dans une région où même si l'on rejette le concept d'ethnie, qui reste aveugle à à la complexité des contextes et aux métissages, les identités sont instrumentalisées. La paix au Soudan ne sera possible qu'à condition de prendre en compte le jeu des ingérences régionales, qu'elles soient anciennes ou récentes.

Fin novembre 2025, la ville soudanaise d’El Fasher a été conquise par les Forces de Soutien Rapide (FSR, Rapid Support Forces) du général Mohamed Hamdan Dogolo dit Hemedti, à la suite de laquelle ses forces ont massacré plusieurs milliers de civils. Située dans la région soudanaise du Darfour, cette ville est une prise importante dans la guerre qui oppose le général Hemedti et le général Abdel Fattah Al Burhan, chef des Forces Armées Soudanaises (FAS). Dans ce contexte, la responsabilité des Émirats arabes unis a été particulièrement relevée et dénoncée, en raison de leur soutien en armement aux FSR, tout comme l’incapacité des Occidentaux à peser sur la résolution du conflit.

À raison, l’opinion publique a été choquée par ces massacres bien peu couverts par les médias et la communauté internationale cherche toujours une solution pour mettre fin à deux ans de combats et un bilan humanitaire désastreux. Pourtant, trois facteurs semblent échapper aux commentateurs et observateurs ponctuels à l’indignation sélective et passagère :

(a) Si cette guerre dure depuis 2 ans entre les FAS et les FSR, certains acteurs des combats au Darfour sont impliqués dans ce conflit depuis 15 voire 20 ans. Dans cette région du Soudan, il ne s’agit pas d’une crise, mais de rivalités anciennes, profondes et régulièrement violentes ;

(b) Les deux camps (FAS et alliés, FSR et alliés) sont responsables de violations massives des droits humains. Le massacre des populations civiles comme mode de guerre est courant chez l’ensemble des groupes armés, ce qui renforce le tragique de la situation et la nécessité de tenir responsables l’ensemble des belligérants et de leurs soutiens ;

(c) Les massacres d’El Fasher constituent le dernier chapitre de rivalités politico-militaires très fortes entre certains groupes armés du Soudan et du Tchad, le Darfour constituant le territoire privilégié de ces rivalités.

Ainsi, on ne peut pas comprendre ce qui se joue actuellement au Darfour, si on ne lit pas de nouveau ce conflit à l’aune des facteurs politiques et sociaux du Tchad, ce voisin impliqué depuis les années 1970 dans le destin tragique de cette région soudanaise. En complément des nombreuses analyses de grande qualité sur la dimension soudanaise du conflit, nous nous proposons d’éclairer la situation actuelle et ses périls à la lumière tchadienne.

Propos liminaires : des identités et de leurs instrumentalisations

En sciences sociales, les identités constituent des constructions qu’il convient d’étudier et de mobiliser à travers ce qu’en disent les acteurs. Elles ne sont pas figées et les populations tchadiennes et soudanaises, comme les trajectoires individuelles, sont issues de brassages qui rendent ces catégories mouvantes. Les peuples, communautés, tribus, clans ou familles existent, avec une homogénéité plus ou moins grande, mais aussi des métissages importants. Ainsi, le concept d’ethnie sera d’emblée refusé, car il est trop limitant et renvoie à l’organisation administrative coloniale qui a figé des groupes sociaux pour administrer et imposer un pouvoir, renforçant au passage les violences intercommunautaires.

Le concept d’ethnie sera d’emblée refusé, car il est trop limitant et renvoie à l’organisation administrative coloniale qui a figé des groupes sociaux pour administrer et imposer un pouvoir, renforçant au passage les violences intercommunautaires. 

Aujourd’hui, les identités figées sont utilisées par des acteurs pour soutenir certaines stratégies : ce sont donc d’abord des représentations mobilisées à des fins politiques. Comme le rappelle Cécile Petitdemange : "Si la gouvernance au Tchad est bien plus complexe qu’un jeu ethnoconfessionnel bipolarisé, l’appareil politique n’hésite pas à se saisir de ces préjugés spontanés et de ces conflits latents afin de conserver ses intérêts, participant à la légitimation de nombreuses violences, symboliques comme réel."

Cela ne signifie pas que les individus et groupes ne se représentent pas eux-mêmes selon des grilles ethniques ou communautaires, mais il est important de distinguer dans l’analyse trois éléments : les représentations, les identités vécues et les catégories sociales, afin d’être précis tout en évitant de renforcer le rôle politique de ces grilles identitaires. Le discours des acteurs est un objet d’étude, pas une réalité sociopolitique. La prudence est donc toujours de mise.

À l’origine était une tension communautaire

Le Darfour (ou Dar-Fur, le pays des Fur) est une région périphérique et isolée du sud-ouest du Soudan qui accueille depuis plusieurs siècles une multitude de peuples et de groupes sociaux différents qui partagent cet espace : les Fur, les Masalit, les Zaghawas, la confédération arabe des Baqqaras, les Arabes Mahamids, Rzigat, etc. Cette mosaïque communautaire est historiquement constituée d’agriculteurs, d’éleveurs et de commerçants. Or, ces communautés et ces identités ont été instrumentalisées par les pouvoirs coloniaux français et britanniques, respectivement dans les nouveaux pays créés que sont le Tchad et le Soudan, puis par les pouvoirs post-coloniaux respectifs, notamment sous Hissène Habré au Tchad et sous Omar El Béchir au Soudan. La coexistence, les interdépendances sociales et le métissage intercommunautaire courant ont été combattus au profit d’identités socialement segmentées et politiquement instrumentalisées, augmentant sensiblement les tensions et violences intercommunautaires.

Ces tensions ont notamment touché la communauté des Béris, appelés Zaghawa en arabe, communauté évoluant entre le Tchad et le Soudan, qui a intégré les cercles de pouvoir soudanais et tchadiens, avant d’être entraînée dans plusieurs décennies de rivalités politiques, tensions et rébellion entre le Soudan et le Tchad. En effet, à l’issue de la décolonisation, l’ascension politique d’une partie de cette communauté a démarré au Soudan. Elle était restée dans les marges du pouvoir jusqu’à l’accession des mouvements islamistes à la sphère politique, entre les années 1960 et 1990, et notamment de leur grand idéologue, Hassan Al Tourabi, père des Frères Musulmans soudanais. Ce dernier était fortement soutenu par la minorité zaghawa soudanaise en raison de l’investissement significatif d’un responsable charismatique de cette communauté, Suleiman Mustafa Abaker, à l’origine du ralliement massif de la jeunesse étudiante et des classes populaires zaghawas soudanaises. Leur influence avait alors considérablement grandi à Khartoum, notamment dans le domaine économique et politique, favorisant ensuite l’accueil et le soutien du général tchadien Idriss Deby Itno, membre de cette communauté, entré en rébellion contre le président Hissène Habré en 1979. Grâce à ce soutien, Idriss Deby Itno a pu prendre le pouvoir au Tchad en 1990 et installer sa famille et sa communautés dans les enceintes du pouvoir tchadien jusqu’à aujourd’hui.

Toutefois, cette communauté s’est vue repoussée dans les marges au Soudan par certaines franges islamistes arabo-nationalistes du régime d’Omar El Béchir, qui s’opposaient à Hassan Al Tourabi. Promoteur d’une idéologie islamiste arabo-nationaliste, ceux-ci faisaient la promotion d’une non-appartenance de populations définies comme noires et africaines à la communauté nationale. Dans ce contexte, sur fond de tensions socio-économiques et communautaires locales, une répression importante s’est abattue contre les populations Four (1987-1989) puis Masalit (1996-1998), permise par une instrumentalisation de leur identité noire, jugée inférieure par les responsables arabes au pouvoir. Hassan Al Tourabi, qui s’opposait à cette vision, a ensuite été évincé en 1999 et ce sont ces mêmes responsables qui ont instrumentalisé de nouveau au Darfour, à partir de 2003, "l’arabité" contre les peuples "noir africain" au sein desquels ils ont "rangés" les Zaghawas. Alors que leur influence a été combattue, les élites et les classes populaires Zaghawas soudanaises se sont rapprochées et se sont soudées dans un renforcement ethno-nationaliste clair, les faisant entrer en rébellion contre le pouvoir pour lutter contre ces discriminations et violences naissantes.

Ces tensions ont notamment touché la communauté des Béris, appelés Zaghawa en arabe, communauté évoluant entre le Tchad et le Soudan, qui a intégré les cercles de pouvoir soudanais et tchadiens, avant d’être entraînée dans plusieurs décennies de rivalités politiques, tensions et rébellion entre le Soudan et le Tchad.

Pour comprendre ce choc, il convient de revenir à certaines représentations qui traversent les responsables de cette communauté. Comme le montre l’anthropologue américai Patrick James Christian, l’identité du peuple Zaghawa entremêle sentiment de rejet, construction d’une insularité et réaffirmation identitaire car il est rejeté dans son identité bédouine et musulmane. En effet, tout comme les peuples arabes voisins, notamment la tribu Rzeigat (dont est issu le généralHemedti), les Zaghawas se considèrent comme les descendants des tribus d’éleveurs bédouins qui ont migré, des siècles auparavant, depuis l’Afrique du Nord vers le Sud, pour s’installer dans la région du Dar-Four

Seulement, les premiers mobilisent leur arabité pour refuser cet héritage aux seconds. Ils considèrent que l’islam est d’abord arabe et que la communauté des croyants (Oumma) est salie par l’intégration de ces Africains noirs, descendants des esclaves que ces mêmes tribus capturaient par le passé. Dans ce contexte, l’identité "universelle" musulmane promue par les prêcheurs islamistes a été particulièrement combattue par l’arabo-nationalisme défendu par le régime islamo-nationaliste d’Omar El Béchir. Cette logique explique, en partie, les fortes rivalités et l’amertume qui traversent aujourd’hui les relations entre les Zaghawas, soudanais et tchadiens, avec les peuples arabes.

Un conflit ancien et central pour la communauté Zaghawa

Le conflit au Darfour joue donc un rôle central dans les représentations de la communauté Zaghawa tchado-soudanaise, car en plus de faire écho à la logique génocidaire de Khartoum contre les communautés "africaines" à l’œuvre depuis les années 1990, il a aussi été réapproprié par des intellectuels Zaghawas qui voyaient dans ce conflit l’opportunité de rétablir un État unique pour le peuple Zaghawa (le Dar Zaghawa).

Au début des années 2000, lorsque les premiers rebelles Zaghawas soudanais ont pris les armes contre Khartoum (Sudan Liberation Army et Justice and Equality Movement), le président tchadien a dû donner des gages et les aider, pour les remercier du service rendu lors de sa propre prise de pouvoir dix avant. En outre, à partir de la même époque, plusieurs responsables de la communauté Zaghawa tchadienne se sont retournés contre Idriss Deby Itno et ont rejoint le Darfour pour aider leurs confrères soudanais tout en travaillant au renversement militaire d’Idriss Deby, dans plusieurs groupes armés (Rassemblement des Forces Démocratiques ; Socle pour le Changement, l’Unité, la Démocratie ; Forces Unies pour le Changement, etc.).

En parallèle, parfaitement conscient de la faiblesse politique, économique et militaire du Tchad face à Khartoum, Idriss Deby Itno a sans cesse cherché une position de neutralité, pourtant difficile à tenir. Durant deux décennies, il a ainsi alterné entre soutien et trahisons des différents groupes rebelles soudanais, ayant besoin d’eux pour lutter contre la menace posée par les groupes rebelles tchadiens présents au Darfour tout en se protégeant de la colère d’Omar El Béchir.

Cette première guerre du Darfour a eu plusieurs phases, alternant exactions et répressions des populations "noires africaines" par le pouvoir et leurs alliés, les milices arabes janjawids, mais aussi des phases de négociation. À la suite des accords d’Abuja de 2006, un volte-face s’est opéré : certains groupes rebelles Zaghawas soudanais ont finalement été ralliés par Khartoum pour désarmer les milices arabes janjawids, amenant ses dernières à se retourner contre le pouvoir. Le général Hemedti a émergé à cette période et dans ce contexte. Si les combats se sont arrêtés ensuite, la présence de groupes rebelles tchadiens et soudanais dans cette région a largement desservi les populations devenues la cible de prédation, d’exactions ou de recrutement forcé par des responsables devenus seigneurs de guerre.

En 2018 et 2019, une révolution populaire éclate au Soudan et entraîne le renversement d’Omar El Béchir, puis la mise en place d’un Conseil de Transition, dont Hemedti devient le numéro 2. Dans ce contexte, Idriss Deby Itno a pris directement attache avec ce dernier pour proposer une alliance : le soutien du régime tchadien en échange d’une intégration de responsables Zaghawas dans le nouveau pouvoir, ce qu’il a accepté. Hemedti a ainsi agi pour convaincre les responsables nordistes soudanais de l’intégration de ces nouveaux alliés Zaghawas dans le nouveau pouvoir. En parallèle, à mesure que les tensions grandissent entre Hemedti et son rival au sein du Conseil de Transition, le général Burhan, Idriss Deby Itno négocie la neutralité des groupes soudanais Zaghawas afin de soutenir Hemedti dans son bras-de-fer.

À la mort d’Idriss Deby Itno, en avril 2021, Hemedti est venu présenter ses condoléances à son fils, Mahamat Deby devenu responsable de la transition et aujourd’hui président du Tchad. Ce dernier en a profité pour renouveler cette alliance. Mahamat Deby a fait le calcul suivant : il a observé que des anciens rebelles tchadiens venant de Libye ou de République Centrafricaine se trouvaient aux côtés de Hemedti et que des Arabes du Tchad étaient aussi venus grossir ses rangs. Ces forces étaient susceptibles de menacer son pouvoir. En outre, il a reconnu que Hemedti était l’allié privilégié des Émirats arabes unis, partenariat qu’il a souhaité nourrir pour renforcer son pouvoir, mais aussi du maréchal Khalifa Haftar, avec qui Mahamat Deby a construit un partenariat pour se protéger au Nord contre d’autres groupes rebelles tchadiens (FACT et CCMSR). Ainsi, s’allier avec Hemedti était une garantie d’être protégé par des forces militaires importantes contre de futures menaces venant du Darfour ou de Libye, tout en s’alignant avec de puissants alliés.

Durant deux décennies, Idriss Deby a alterné entre soutien et trahisons des différents groupes rebelles soudanais, ayant besoin d’eux pour lutter contre la menace posée par les groupes rebelles tchadiens présents au Darfour tout en se protégeant de la colère d’Omar El Béchir.

Le bras-de-fer institutionnel entre Hemedti et Burhan a conduit à l’éclatement d’une guerre civile entre les FSR et les FAS, guerre qui fait rage aujourd’hui. Le 15 avril 2023, les forces de Burhan ont indiqué qu’elles allaient détruire les FSR "en 4 jours", car elles avaient localisé Hemedti et ses proches. Ce dernier l’a appris et a fui. Lorsque les combats ont commencé entre Burhan et Hemedti, ce dernier a permis à un responsable Zaghawa soudanais important et rebelle historique du Darfour, Mini Arkoï Minawi, de retourner au Darfour sans encombres et de gouverner sans s’interposer entre les deux camps, comme convenu dans l’alliance négociée en 2019.

Seulement, après 6-7 mois d’attente, Mini Arkoï Minawi, observant que des forces arabes se battaient entre elles et cherchant à regagner une assise territoriale au Darfour, a décidé de trahir Hemedti en négociant l’aide de Burhan pour prendre le contrôle d’El Fasher.

Dans le prolongement de l’alliance entre le régime de N'djamena et le général Hemedti, cette décision de Minawi a entraîné plus encore le Tchad dans la crise soudanaise et déclenché un fort engouement de leurs soutiens respectifs : des combattants arabes de Libye et du Tchad, tout comme d’autres communautés en colère contre les Zaghawas, sont allés grossir les rangs des FSR et, en retour, des combattants zaghawas du Tchad sont allés grossir les forces de Mini Arkoï Minawi dans des combats qui durent depuis deux ans.

Aujourd’hui, en soutenant Hemedti, le pouvoir tchadien joue ainsi au funambule : d’un côté, il fragilise ses rivaux Zaghawas pour renforcer son emprise sur le pouvoir au Tchad, tout en recevant une aide financière significative des EAU. D’un autre côté, il prend en même temps le risque de consolider une menace interne des Zaghawas contre lui, échaudés face à ce soutien à un Arabe Rzigat responsable de crimes de masse contre les Zaghawas. Ainsi, cette tension explique que, depuis la prise d’El Fasher par les FSR, en novembre 2025, certaines forces Zaghawas présentes au Tchad soient en train de se coaliser pour aller aider leurs cousins soudanais à reprendre la ville. Des violences pourraient bien éclater, au Tchad dans les prochaines semaines, entre les communautés zaghawas et arabes, ces dernières ayant par exemple célébré la prise d’El Fasher par les FSR. Le potentiel de débordement du conflit du côté tchadien est ainsi jugé très élevé par plusieurs acteurs.

Le carburant régional qui enflamme ce conflit

Sur ce terrain tchado-soudanien, la lutte d’influence entre le Qatar et les EAU se poursuit et instrumentalise les pouvoirs soudanais et tchadien. En effet, l’armée nationale soudanaise est aujourd’hui alliée avec les islamistes de l’ancien régime liés à Hassan Al Tourabi, lien qui renforce l’engagement des Zaghawas soudanais à leurs côtés. Or, ce camp est politiquement, financièrement et militairement soutenu par l’Égypte et le Qatar.

De son côté, le pouvoir tchadien et les EAU soutiennent les FSR. Cette alliance avec Mohammed Ben Zayed n’est pas récente : en effet, en raison du soutien apportée à d’anciens rebelles tchadiens (Tom et Timan Erdimi) durant leurs années de rébellion, le Tchad était fortement opposé au Qatar, l’accusant même d’organiser une déstabilisation de Ndjamena depuis la Libye. En 2017, le Tchad avait donc fait le choix de soutenir les EAU dans la crise entre le Qatar et ses voisins (EAU, Arabie Saoudite). Ce partenariat permet ainsi aux EAU de convoyer clandestinement des armes et du soutien logistique depuis l’Est du Tchad vers le Darfour, notamment depuis les aéroports tchadiens d’Abéché et d’Amdjarass. Ceux-ci pourraient aussi héberger des drones de surveillance, utilisés au Soudan, ce qui reste à confirmer. Enfin, ce partenariat avec Mohammed Ben Zayed pourrait aussi faciliter l’éventuelle venue de mercenaires russes dans le futur pour consolider le régime tchadien en cas de nouvelle menace rebelle venant du Soudan (cf. raids rebelles de 2008, 2019, 2021…).

Malgré cet alignement assumé avec Abou Dhabi, le régime doit toutefois jouer une partition subtile pour ne pas s’aliéner complètement le Qatar. Pour des raisons financières ou de partenariat, par exemple avec la Turquie, un allié proche de Doha, tout comme pour donner des gages aux responsables de la communauté Zaghawas, le pouvoir tchadien doit donc tenter, là encore, une politique d’équilibre.

Le massacre d’El Fasher, comme les autres combats et exactions au Darfour, n’est malheureusement qu’un nouveau chapitre de ces rivalités entre acteurs politiques et militaires tchadiens et soudanais, étatiques et rebelles

Ainsi, le massacre d’El Fasher, comme les autres combats et exactions au Darfour, n’est malheureusement qu’un nouveau chapitre de ces rivalités entre acteurs politiques et militaires tchadiens et soudanais, étatiques et rebelles. Celles-ci durent depuis plus de 20 ans et sont aujourd’hui instrumentalisées par des puissances régionales qui mènent une féroce compétition d’influence. 

À l’image d’autres conflits anciens, comme dans l’Est de la RDC, l’absence d’espoir visible a largement entamé l’optimisme de la communauté internationale pour parvenir à une paix durable qui ne passerait pas par les armes. Le Quad qui incite actuellement les FSR et les FAS à négocier n’inclut ni le Tchad, ni les représentants Zaghawas soudanais comme Mini Minawi pourtant acteurs du conflit. Dans ce contexte, le règlement (lointain ?) des différends entre Hemedti et Burhan ne saurait faire l’impasse sur les rivalités anciennes entre les groupes Zaghawas, du Tchad et du Soudan, et leurs voisins des tribus arabes tchado-soudanaises. Les ressentiments sont profondément enracinés, tout comme les désirs de vengeance.

Espérer la paix au Soudan sans aborder les questions politiques et sécuritaires au Tchad, en Libye et en RCA, sans évoquer le sort des groupes rebelles tchadiens, sans soulever ce jeu des ingérences régionales, anciennes ou récentes, est une illusion.

Copyright image : Joris Bolomey / AFP
Un drapeau du Tchad, près du camp d’Ouré Cassoni, le 12 novembre 2025, dans la région du Darfour, au Soudan.

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