Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
30/07/2024

[Afrique : les rivalités stratégiques] - Contester l’ordre libéral et démocratique

Imprimer
PARTAGER
[Afrique : les rivalités stratégiques] - Contester l’ordre libéral et démocratique
 Jonathan Guiffard
Auteur
Expert Associé - Défense et Afrique

Dans cette nouvelle série, notre expert Jonathan Guiffard propose de mettre en lumière les stratégies de différents acteurs internationaux sur le continent africain. Entre rivalités politiques, compétitions stratégiques et choc des modèles de valeur, les changements rapides qui ont lieu en Afrique Centrale et en Afrique de l’Ouest imposent de renouveler la compréhension des enjeux.

Si l’expansion chinoise sur le continent africain date du début des années 2000 et a pour motivation principale des visées économiques (conquête de marchés d’infrastructure ; construction de débouchés pour les produits chinois ; coopération & développement) et que le retour de la Russie sur le continent est motivé par une recherche de profondeur stratégique et de mannes financières, l’accélération actuelle de la confrontation avec les puissances démocratiques les amènent aussi à instrumentaliser les partenaires africains dans ce but.

Le regain d’influence des puissances autoritaires en Afrique n’est pas seulement contextuel ou économique. Il est la conséquence de mutations en cours dans les pratiques politiques de nouvelles autorités ayant choisi de renouer avec la tradition autocratique et dictatoriale de certains responsables politiques africains de notre histoire récente. La mise à jour, version XXIe siècle, de ces méthodes liberticides et violentes, est le terreau d’un alignement idéologique progressif entre la Russie, la Chine ou l’Iran, et leurs nouveaux alliés africains.

Il y a une convergence claire et un agenda idéologique commun entre des forces politiques africaines prédatrices et désinhibées, d’une part, et les grandes puissances autoritaires et révisionnistes.

Il n’y a pas d’un côté les grandes puissances qui prennent le contrôle et manipulent de faibles États africains contre la France et l’Europe : il y a une convergence claire et un agenda idéologique commun entre des forces politiques africaines prédatrices et désinhibées, d’une part, et les grandes puissances autoritaires et révisionnistes, d’autre part. Ces deux forces se rejoignent sur le discours, sur les valeurs, sur le modèle politique et sur l’objectif stratégique de mettre le plus à distance possible les partisans d’un ordre international libéral, démocratique et juridiquement stabilisé.

Le récit contre le colonialisme et l’Occident est un artefact simple à utiliser, dès lors que les puissances démocratiques n’ont pas liquidé cet héritage maudit (par des gestes politiques forts et des réparations). Le récit contre l’ordre unipolaire américain est aussi un artefact simple à mobiliser, au regard des pratiques internationales américaines du début du siècle (Afghanistan, Irak, Libye…). Pour autant, à l’image des pratiques russes et chinoises, ce récit idéologique vise simplement à détourner l’attention de leurs propres turpitudes et à accroître leurs propres marges de manœuvre et prédation sur leurs populations : c’est pour cette raison que le président Touadéra (République Centrafricaine) ou les nouvelles juntes de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont adopté ce logiciel idéologique souverainiste, viriliste, faussement panafricain et pleinement conservateur.

Alliance des États du Sahel : la lumière s’éteint

Depuis l’avènement des juntes militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la situation de la société civile est catastrophique. Les transitions politiques promises ont déjà déraillé, sans surprise. En effet, le 26 mars 2024, il s’agissait du dernier jour officiel de la supposée transition au Mali et pourtant le club des 5 colonels (Assimi Goïta, Abdoulaye Diop, Sadio Camara, Ismaël Wagué, Modibo Koné) sont toujours au pouvoir. Les tensions se reportent au sommet du pouvoir confisqué, entre les colonels et le premier ministre Choguel Maïga. Aucun observateur sérieux n’était dupe, mais c’est une étape symbolique qui permet de lever les ambiguïtés dont se nourrissent ces régimes pour se maintenir au pouvoir. Celui-ci est avant tout personnel. Le 25 mai 2024, c’est la transition burkinabè qui a voté une rallonge de 5 ans pour la capitaine Ibrahim Traoré. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la RCA où le président Touadéra, allié proche de Moscou, a modifié la constitution pour lui permettre de conserver le pouvoir, avec l’aide politique précieuse des conseillers de Wagner, aujourd’hui devenu African Initiative.

Pendant ce temps, ces régimes ont verrouillé l’espace politique et médiatique. Au Mali, la révolution a commencé à "manger ses petits" : elle s’est retournée contre ses premiers soutiens, à l’image de Ben le Cerveau du mouvement Yerewolo-Debout sur les Remparts, puis vers les autres voix de contestation, interdisant progressivement des partis politiques et des associations majeures. Les médias sont progressivement mis en coupe réglée. L’imam Dicko, figure religieuse très influente sur la scène politique et ayant participé à la chute de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta à l’été 2020, est lui-même visé car il se montre de plus en plus critique du pouvoir à Bamako, tout en cultivant ses soutiens en Algérie. Des voix politiques et médiatiques ont été obligées de s’exiler pour continuer d’informer de manière équilibrée, hors de la censure gouvernementale.

Au Burkina Faso, les critiques se sont tues. Les activistes et journalistes qui ont osé critiquer le tournant autoritaire, les échecs stratégiques et les massacres de l’armée sur le terrain ont soit disparu, soit été enrôlés de force sur le front.  Les opposants politiques se sont réfugiés dans des capitales voisines, à Dakar ou à Abidjan, sujet notamment instrumentalisé par le pouvoir pour mener une confrontation avec la Côte d’Ivoire.

Pendant ce temps, ces régimes ont verrouillé l’espace politique et médiatique. Au Mali, la révolution a commencé à "manger ses petits".

Le plus populaire en ligne, Henry Segbo, est un anonyme. Les journalistes, militaires et personnalités accusées de complots font l’objet d’arrestations arbitraires et parfois seulement de procès. Ainsi, l’exemple du colonel Zoungrana, arrêté par les forces de sécurité, à peine libéré par la justice burkinabè. Ce tournant sécuritaire est largement soutenu par les supporters du régime de Traoré, notamment les Wayiyans, et des influenceurs avec une forte audience, comme Ibrahima Maiga.
 
Au Niger, la junte est dans une logique répressive depuis son arrivée au pouvoir, en juillet 2023. Elle maintient le président Bazoumsans procès, ainsi que plusieurs de ses proches. Elle a aussi dissout, en avril 2024, les conseils municipaux, régionaux et des villes, organes de consultation locale par excellence. À la place, des personnalités ont été nommées par décret par la junte pour diriger ces collectivités, la plupart étant des militaires ou des policiers. Elle procède aussi à la mise au pas de la société civile, interdisant aux médias de couvrir les activités des partis politiques autres que la junte. Les journalistes sont mis sous pression, subissant surveillances et menaces. Des blogueurs ont été arrêtés et déférés en procès. Des enseignants ont été suspendus en raison de critiques contre le pouvoir. Et les soutiens aveugles de la junte sont toujours dans la rue, comme au Mali et au Burkina Faso, pour assurer un socle populaire et mener des opérations de communication politique.

L’objectif, au sein de l'Alliance des États du Sahel, est bien d’éteindre toute contestation publique des juntes pour assurer un contrôle total des sociétés passées sous la coupe de ces nouveaux autocrates. Moscou reste une inspiration, bien que les modèles africains ne manquent pas dans les dernières décennies. La mise en place d’une confédération entre les trois pays, pour gérer ensemble les questions de sécurité et de diplomatie, ne fera que renforcer ce phénomène et risque d’accroître l’isolement géographique de ces sociétés.

L’objectif, au sein de l'Alliance des États du Sahel, est bien d’éteindre toute contestation publique des juntes pour assurer un contrôle total des sociétés passées sous la coupe de ces nouveaux autocrates.

À noter que les lumières s’éteignent aussi sur le terrain, où les violations des droits de l’homme sont aujourd’hui massives, notamment au Mali et au Burkina Faso. Si les jihadistes poursuivent sans relâche et sans pitié leurs attaques contre les forces de sécurité et les populations récalcitrantes, les armées nationales ont désormais aussi sombré dans le tragique. Contestées de longue date pour leurs méthodes violentes, celles-ci ont changé l’échelle de leurs turpitudes. Les massacres se multiplient contre les populations civiles, notamment issues de la communauté peule et soupçonnées de collaboration avec les jihadistes, en toute impunité.

Surenchère dans l’horreur : des vidéos récentes ont montré des cas de cannibalisme par les armées malienne et burkinabè, sous les approbations de leurs soutiens russes, confirmant une milicianisation complète et une perte totale des repères moraux des corps habillés. Qu’on le veuille ou non, la guerre civile est désormais bien établie.

Le brouillard de l’information

Cette casse de la société civile sahélienne est soutenue par le déploiement depuis 2 ans d’un brouillard de l’information très important, ce qui rend difficile le suivi précis de la situation (politique, sécuritaire, économique), l’expression de voix dissidentes et la possibilité de tenir responsable de leurs actes les nouveaux responsables politiques. Cette technique est l’apanage des régimes autoritaires, mais le changement a été si rapide au Sahel qu’il est difficile de ne pas y voir les modes opératoires éprouvés par les Russes et vraisemblablement conseillés à leurs nouveaux alliés.

La presse a été mise au pas, les journalistes réduits au silence ou forcés de s’exiler, les réseaux sociaux inondés de propagande ou de désinformation. Ainsi, depuis 2022, la couche sémantique de l’espace numérique sahélien a particulièrement changé. Les trolls et comptes anonymes ont proliféré, avec une triple logique :

  1. soutenir la propagande et les "succès" des juntes de l’AES ;
  2. attaquer frontalement la France et les Occidentaux sur leurs politiques, en Afrique mais pas seulement, leur politique en Ukraine étant régulièrement dénoncée par des activistes "sahéliens" ;
  3. cibler et s’en prendre aux autres régimes ouest-africains accusés de proximité avec la France.


Ces trolls sont relativement simples à identifier, mais leur lien avec des "fermes à contenus" est par nature opaque, donc difficile à caractériser : il s’agirait autant de comptes animés depuis Moscou que de comptes animés localement, dans des fermes à trolls mises en place à Bamako ou à Ouagadougou, ce qui permet de bénéficier de locuteurs francophones ou en langues sahéliennes, maîtrisant les enjeux et les codes culturels locaux. À l’image de ce qu’on observe en France, le débat en ligne est pourri et rendu impossible par cette stratégie d’obfuscation et de pression, sur Twitter, mais surtout sur Facebook et Whatsapp, des médiums bien plus utilisés dans cette région.

Cette stratégie autoritaire a pour objectif de consolider les nouveaux régimes en place, d’éteindre toute opposition et de masquer les turpitudes actuelles : ainsi, la situation sécuritaire a totalement dérapé mais reste très difficile à documenter (paradoxalement, les sources les plus sûres actuellement viennent des groupes jihadistes…ce qui en dit long).

À l’image de ce qu’on observe en France, le débat en ligne est pourri et rendu impossible par cette stratégie d’obfuscation et de pression, sur Twitter, mais surtout sur Facebook et Whatsapp.

En effet, les attaques jihadistes se multiplient dans un espace très large, ce qui tend à créer une usure informationnelle et une difficulté à suivre la réalité des combats, mais la "nouveauté" tient dans les massacres perpétrés par les armées sahéliennes contre les populations civiles : ces derniers ont explosé et sont difficiles à documenter. Les journalistes qui s’y risquent, à l’image de Wassim Nasr, ne sont pas sahéliens et doivent développer un vaste réseau de contacts sur le terrain susceptibles de transmettre des preuves (photos, vidéos). Ils sont d’ailleurs pris pour cible par les supporters des juntes, car ce travail de documentation bât en brèche les efforts de propagande.

Plusieurs dizaines de massacres ont été recensés depuis 2022, dans une forme d’indifférence due au brouillard de l’information qui s’est installé. À ce titre, le départ de la MINUSMA du Mali a coupé l’ONU de capacités propres de documentation qui accroît la densité de ce brouillard et l’impunité de toutes les parties à la guerre. Enfin, ce procédé est renforcé par toutes les procédures judiciaires et administratives baillons contre les correspondants étrangers, les droits de diffusion des médias ou les organisations internationales, à l’image de Human Right Watch récemment au Burkina Faso.

Instrumentaliser le panafricanisme et la critique du colonialisme

Les puissances autoritaires que sont la Russie, la Chine ou l’Iran, mais aussi d’autres puissances qui souhaitent s’imposer sur le continent, à l’image de la Turquie ou du Qatar, utilisent des leviers d’ingérence et de propagande qui instrumentalisent la contestation des démocraties occidentales. Ayant bien compris que les populations de nombreux pays africains cherchaient actuellement des réponses à leurs propres défis dans les turpitudes et erreurs des Occidentaux, ils produisent des récits simples et tentent de façonner à leur profit les récits idéologiques du moment.

Pour cette raison, le panafricanisme et la critique du colonialisme sont largement instrumentalisés dans ce but. L’échec relatif de cinq décennies d’aide au développement provenant de l’Occident, l’injustice ressentie dans la gestion du réchauffement climatique, l’impression que le jihadisme est un phénomène exogène des sociétés africaines (ce qu’il n’est pas), la perversion des normes démocratiques par les potentats locaux, les relations économiques déséquilibrées avec l’Europe, la faible solidarité internationale (cf. crise Covid) et la crainte d’une imposition de valeurs sociales "exogènes" sont autant de facteurs qui ont construit à un ressentiment, une recherche de dignité et un repli identitaire dans certains pans des sociétés africaines actuelles. Dans ce contexte, le panafricanisme, la religion et le souverainisme offrent le creuset pour des idéologies de réaffirmation identitaire, plus ou moins radicales (comme le kémitisme), plus ou moins souverainistes (Mali Kura, Sénégal), plus ou moins religieuses ou culturelles (projet Manssah).

Le panafricanisme, la religion et le souverainisme offrent le creuset pour des idéologies de réaffirmation identitaire, plus ou moins radicales (comme le kémitisme), plus ou moins souverainistes (Mali Kura, Sénégal), plus ou moins religieuses ou culturelles (projet Manssah).

Cette réaffirmation s’accompagne d’un retour de la critique du colonialisme européen, parfaitement légitime mais là encore dévoyée par les puissances autoritaires. Ce processus de critique historique du colonialisme et de ses conséquences, au cœur des recherches décoloniales actuelles aux États-Unis et en Europe, est soutenu dans un cadre scientifique, avec sa dimension émancipatrice (bourses de recherches pour chercheurs et intellectuels africains ; études des réflexes persistants, politiques ou économiques, de nature néo-coloniale), mais instrumentalisé par les populistes du continent et les puissances autoritaires.

Cette manipulation vise à dénoncer, par principe et par essence, les relations politiques, économiques ou culturelles entre les pays africains et occidentaux, en pervertissant au passage l’idée de démocratie et en justifiant des formes africaines qui ne sont souvent que des ersatz de dictature. Il s’agit d’une stratégie d’expulsion et de déni d’accès des Occidentaux par une propagande savamment orchestrée et exploitant les vulnérabilités politiques européennes, sous couvert de légitimité scientifique. La critique ne s’attarde nullement sur les politiques coloniales et autoritaires de la Russie, au sein et autour de sa fédération ; de la Chine, au sein et autour de son "empire" ; ou de l’Iran, par exemple vis-à-vis des populations kurdes, baloutches, afghanes, irakiennes ou syriennes.

Ce travestissement des réflexions panafricaines ou sur le colonialisme délégitime leurs auteurs, mais tend aussi à désarmer les intellectuels et scientifiques africains qui travaillent légitimement sur ces enjeux.

Consolider un axe pour soutenir "l’ordre multipolaire"

Comme la République centrafricaine avant elle, l’Alliance des États du Sahel est un laboratoire d’étude des ingérences de la Russie mais pas seulement. La Chine, l’Iran, la Turquie, le Qatar ou les EAU sont autant de nations qui travaillent à leur propre influence sur le continent, en exploitant le filon de la critique anti-occidentale, anti-démocratique et anti-européenne. Il s’agit là de la nature des relations internationales.

La Russie, la Chine et l'Iran cherchent désormais à consolider un axe antidémocratique sur le continent et d’exploiter le sentiment de défiance à l’égard des pays occidentaux pour gagner "des parts de marché" de la coopération, mais pour bénéficier aussi des changements politiques et sociaux profonds sur le continent qui font la promotion d’une gouvernance autocratique. Alors que plus de la moitié des populations ouest-africaines souhaitent une gouvernance plus démocratique de leur pays, les promoteurs de l’autocratie, des "hommes forts" et d’un retour aux "valeurs traditionnelles" se font de plus en plus vocaux.

Le contexte de compétition et de confrontation actuelle entre les démocraties occidentales et les puissances autoritaires entraînent en effet des alignements progressifs, une inévitable logique de "camps". La guerre russe en Ukraine est largement soutenue par l’Iran, et désormais par la Chine, sur les plans militaire et économique. La politique d’expansion révolutionnaire de l’Iran au Moyen-Orient, soumise à des sanctions et des pressions de la communauté internationale, a été favorisée par le soutien de la Russie et de la Chine à l’économie iranienne. Bien que ces nations se distinguent par des intérêts propres et distincts, des convergences structurelles s’observent et un axe se consolide contre l’OTAN, contre un ordre international juridique et démocratique, en faveur d’un ordre mondial multipolaire.

Les nouveaux régimes politiques en Afrique Centrale et de l’Ouest doivent aussi se comprendre dans ce cadre. L’Alliance des États du Sahel a fait le choix stratégique d’une alliance avec la Russie, mais a aussi ouvert sa porte à la Chine et à l’Iran. Bien que distincte de ce système d’alliance, la Turquie profite aussi de ces nouveaux choix stratégiques en AES. La mise à distance de ses alliés otaniens et la relation de proximité-rivalité avec la Russie et l’Iran font de la Turquie un acteur bienvenu, notamment en raison de sa diplomatie du drone ou du mercenariat.

 

Le contexte de compétition et de confrontation actuelle entre les démocraties occidentales et les puissances autoritaires entraînent en effet des alignements progressifs, une inévitable logique de "camps".

Cette nouvelle géographie sur le continent africain redessine des jeux d’alliance qui modifie structurellement la profondeur stratégique des grandes puissances. En deux décennies, le jihadisme et le recul autoritaire ont fortement contraint les marges de manœuvre des démocraties occidentales sur le continent africain : l’influence s’est réduite ou transformée, les espaces de présence se sont réduits, les risques pour les ressortissants et les entreprises se sont accrus. Le sujet de la pertinence ou de la légitimé des bases militaires permanentes françaises revient régulièrement, dans le débat français comme dans le débat ouest-africain. À l’inverse, les implantations stratégiques des puissances autoritaires se multiplient (base militaire chinoise à Djibouti ; projet de base militaire russe en RCA ; projet d’accès maritime russe au Soudan) sans grandes questions. Le soutien diplomatique des alliés africains de la Russie, de la Chine et de l’Iran s’est bien intensifié.

Ce changement politique est source de tensions, de violences et de rivalités. Il est instrumentalisé et se joue de la compétition des grandes puissances, mais à rebours de l’idéal panafricain, il participe d’une désagrégation des solidarités politiques et diplomatiques timides qui existaient sur le continent. La CEDEAO a reculé de plusieurs décennies et l’UA semble paralysée par les développements récents. Les tensions sont vives entre nations africaines dans toutes les régions du continent et, comme toujours, ce sont les populations qui en sont les premières victimes.

Cette dynamique est bien le résultat d’une rivalité idéologique et stratégique entre deux modèles politiques et de valeurs, portés par des acteurs qui ont saisi le pouvoir contre une partie de leurs populations. Il ne s’agit pas d’essentialiser les populations africaines : au contraire, l’inclusion politique et économique de leurs diversités était un défi, c’est aujourd’hui un enjeu structurel pour le maintien de l’unité de ces pays, les minorités et identités réprimées étant plus susceptible de prendre les armes ; c’est aussi une dynamique fondamentale des tensions qui apparaissent entre les pays africains eux-mêmes, certains choisissant de se maintenir dans un cadre libéral et "démocratique".

Cette nouvelle guerre froide est la conjonction de tous ces facteurs : elle génère des alignements par frontières idéologiques, dangereux à moyen-terme, et positionne les sociétés africaines en première ligne de multiples échelles de confrontation.

Cette nouvelle guerre froide n’est pas une compétition entre les grandes puissances ; n’est pas une confrontation entre des idéologies et des modèles de normes ; n’est pas une instrumentalisation des populations africaines par leurs dirigeants en mal de légitimité ; n’est pas l’instrumentalisation par des forces politiques africaines de la compétition entre grandes puissances ; n’est pas une réponse aux multiples crises sécuritaires et économiques qui traversent le continent. Cette nouvelle guerre froide est la conjonction de tous ces facteurs : elle génère des alignements par frontières idéologiques, dangereux à moyen-terme, et positionne les sociétés africaines en première ligne de multiples échelles de confrontation.

Il est impératif de le comprendre, car ces dynamiques seront le moteur d’une violence accrue dans les prochaines décennies.

Le Colonel Assimi Goïta et le président par intérim de Guinée, Mamady Doumbouya, à Bamako, au Mali, le 22 September 2022
Copyright image : Ousmane MAKAVELI / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne