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Administration Trump vs Justice : la guerre est déclarée

Administration Trump vs Justice : la guerre est déclarée
 Alexandre Marc
Auteur
Expert Associé - Amériques et développement

​Faire revivre de vieilles lois oubliées, saturer la justice ou prendre de vitesse le système par la multiplication des décrets... ​L'administration MAGA grippe le système des checks and balances de la démocratie américaine. Quelles sont les étapes de cette stratégie systématique ? Si le duel entre Hamiltoniens et Jeffersoniens (faut-il plus ou moins renforcer l'exécutif) qui opposa les pères fondateurs semble se rejouer, les conséquences en sont poussées à l'extrême : les élections de mi-mandats seront-elles le moment d'un basculement autocratique ? Par Alexandre Marc.

Le système judiciaire peut-il, ou ne peut-il pas, freiner la montée de l'autoritarisme dans une démocratie libérale ? Les États-Unis sont un formidable cas d’école de cette question qui se pose avec acuité dans plusieurs pays, et illustrent éloquemment combien la capacité des juges à s’opposer à l’exécutif est limitée.

Face à la paralysie d’un système parlementaire américain, apparemment incapable d’empêcher les pires excès du Président, la justice se retrouve en effet en première ligne : à elle de protéger le système des "checks and balances" ("freins et contrepoids") inscrit dans la constitution américaine et pour lequel le président semble avoir bien peu de considération. Depuis le début du deuxième mandat de Donald Trump, la justice s’est saisie des décisions présidentielles avec une fréquence inégalée dans l’histoire des États-Unis - 384 fois à l’heure où nous écrivons ces lignes - et la plupart des litiges sont encore pendants devant les diverses instances juridiques américaines. Le système judiciaire se trouve ainsi submergé par les cas, qui lui arrivent accompagnés d’injonctions d’un Département de la justice totalement aligné avec l'administration, et des intimidations ou menaces des membres du gouvernement et des partisans de Donald Trump.

Contourner les lois et les décisions de justice : tout un système

Le président n’admet pas d’être contredit : la stratégie de la Maison Blanche pour imposer sa volonté à travers le système judiciaire n’est guère différente de celle adoptée dans toutes les autres occurrences des décisions présidentielles, aussi bien nationales qu’internationales.

C’est toujours le même schéma qui est suivi. D’abord, prendre le maximum de décisions possible, le plus vite possible, pour semer de vitesse les processus judiciaires de contestation.

C’est toujours le même schéma qui est suivi. D’abord, prendre le maximum de décisions possible, le plus vite possible, pour semer de vitesse les processus judiciaires de contestation. Le but de la présidence : mettre la justice devant le fait accompli. Quand la justice bloque une décision, la Maison-Blanche conteste le jugement et revient immédiatement à la charge avec de nouvelles justifications juridiques afin de passer outre.

Dans un second temps, la Maison-Blanche cherche les inconsistances juridiques dans le système américain ou se réfère à des lois obscures très peu documentées par la jurisprudence. Afin d’expulser des émigrants sans jugement, la Maison-Blanche s’est par exemple appuyée sur une obscure loi de 1798, passée durant la guerre d’indépendance américaine, afin de permettre au gouvernement de détenir en captivité et d’expulser les citoyens d’un pays considéré comme ennemi de la nation.

La Présidence conteste également autant que possible les décisions de justice, fait systématiquement appel, et dans un certain nombre de cas ne les respecte pas, qu’elles concernent les coupes budgétaires ou l’expulsion des migrants. Ainsi du cas emblématique du Venezuelien Kilmar Abrego Garcia, qui a été renvoyé par erreur des États-Unis et mis dans un convoi vers une prison de haute sécurité du Salvador en mars. L'administration ayant reconnu une erreur, il a été ramené aux États-Unis en juin, avant d’être arrêté une nouvelle fois au motif d’"aide au séjour illégal de migrants", motif probablement largement inventé : impossible, pour la Maison-Blanche, de perdre la face sans réagir. Ainsi encore du cas de la Cour d'appel fédérale de Washington qui a annulé, le 13 août, le jugement d’un tribunal déclarant illégale la suppression des coupes dans l’aide au développement. 

La Maison Blanche essaie aussi de faire remonter toute décision de justice vers la Cour suprême, à majorité conservatrice et dont les membres, souvent favorables à un exécutif puissant, cherchent par tous les moyens à éviter une confrontation directe avec la Maison Blanche.

Dernière étape : politiser au maximum les décisions de justice. C’est ainsi que l’exécutif accuse les juges d'être partisans, les menace de les faire destituer par le Sénat (impeachment) ou mobilise les partisans de Donald Trump contre eux. 

Le président n’hésite pas non plus à prodiguer toutes sortes d’injures à l’encontre des juges dissidents, taxés de "socialistes fous" ou "extrémistes". Toute la blogosphère du courant MAGA s’en fait des gorges chaudes, au point que certains juges ont dû demander une protection policière. Une juge, qui s’opposait à la saisie d’un immigré dans l’enceinte même de son tribunal pour une affaire qui ne concernait pas son statut sur le territoire, a même été arrêtée par la police.

La Maison Blanche cherche les inconsistances juridiques dans le système américain ou se réfère à des lois obscures très peu documentées par la jurisprudence.

Pour le moment, l'administration semble vouloir éviter une confrontation ouverte, et elle ne s’engage pas dans une guerre globale avec les juges fédéraux : une telle opération risquerait d’être impopulaire, d’autant que la cote de popularité du président est en baisse constante (50 % le 28 janvier, 43 % le 18 août).

Elle préfère contourner les décisions de justice, voire prétendre que ces derniers n’ont pas compris la volonté présidentielle et revenir à la charge avec de nouveaux arguments : ce fut le cas pour Kilmar Abrego Garcia. 

La question de la nature et de l’étendue du pouvoir présidentiel au centre de la bataille judiciaire

Un tel chaos fait surnager un certain nombre de questions liées à l’interprétation de la Constitution, jusqu’alors jamais tranchées de façon définitive. Cela n’est pas le propre des États-Unis, les constitutions et les lois d’application laissent toujours une large marge d’interprétation des règles. La justice fait appliquer la loi, mais son rôle est avant tout de l’interpréter. 

Depuis le début de l’histoire des États-Unis, une question est l’objet des plus intenses débats : celle de l’étendue des pouvoirs présidentiels. Elle a hanté les pères fondateurs de la République américaine, opposant notamment le constitutionnaliste Alexandre Hamilton (1757-1804), partisan d’un exécutif suffisamment fort pour contrer les excès populaires, au gouverneur de Virginie Patrick Henry (1736-1799) et à Thomas Jefferson (1743-1826), pour qui un exécutif fort était synonyme du retour de la monarchie. 

Le pouvoir présidentiel n’a eu de cesse de se renforcer dans l’histoire des États-Unis, au fur et à mesure des grandes crises qui ont jalonné leur histoire - guerre de Sécession, crise de 1929 ou Seconde Guerre mondiale. Depuis la fin du siècle dernier, la polarisation de la politique américaine et la difficulté qu’ont eue les deux grands partis à s’entendre ont poussé les présidents à renforcer leur autorité. Trump pousse toutefois cette tendance à des niveaux extrêmes, que l’on peut qualifier sans exagération de despotiques.

Trump est en train de forcer des jurisprudences qui lui donneraient beaucoup plus de pouvoir, si ce n'est tout le pouvoir sans restriction. Ses proches, dont J.D. Vance, considèrent - ils se font fort de le répéter - que le pouvoir judiciaire n’a pas à se prononcer sur les décisions du Président dès lors que celui-ci a été élu au suffrage universel. Une vision pour le moins extrême du pouvoir présidentiel. Selon lui, les organismes indépendants qui jouent un rôle dans la mise en place de politiques nationales comme le FED (la Banque centrale) devraient être tous placés sous l’autorité directe du Président. 

Cette position qui avait été discutée dans les premières années de l’existence de l’État Américain est bien entendu fortement critiquée par les tenants de la démocratie libérale, d’autant que cette question semblait avoir été très clairement réglée par la décision de la Cour suprême de 1803 Marbury vs Madison, qui établit que les tribunaux fédéraux sont les arbitres ultimes dans toute question qui toucherait à l’application de la loi, et non le Président. 

La Cour suprême cherche à éviter une confrontation directe avec l’exécutif

La Cour suprême, présidée par John Roberts, et à majorité conservatrice, semble prête à renforcer les pouvoirs du Président, mais pas à n’importe quel prix. En avril 2025 déjà, elle a légiféré que le président ne pouvait être poursuivi dans le cadre de ses fonctions et qu’il possède une immunité totale pour tous les actes qu’il conduit en tant que Président de la République. Il s'agissait de faire pièce aux efforts de l’administration Biden, qui voulait poursuivre Trump en justice après l’assaut du Capitole. Une telle immunité laissée à un chef d’État en démocratie est rare. La Cour, quant à elle, a réduit les pouvoirs des juges de district. Désormais, leurs injonctions ne font plus jurisprudence pour l’ensemble du pays mais concernent uniquement les personnes qui ont directement porté plainte - il s’agissait de la décision d’un juge de district visant à remettre en cause la décision présidentielle visant à contester le droit du sol. Un tel jugement avait de quoi surprendre les juristes tant il dépare toute logique légale : une provision constitutionnelle en viendrait à être appliquée d’une certaine façon dans un district fédéral et d’une façon différente dans un autre.

La Cour suprême, présidée par John Roberts, et à majorité conservatrice, semble prête à renforcer les pouvoirs du Président, mais pas à n’importe quel prix.

La Cour suprême, depuis que Trump est arrivé au pouvoir, s’attache à rendre des jugements qui soient en faveur de l’exécutif, ou qui lui permettent de ne pas se prononcer sur le fond mais essentiellement sur la forme.

Elle a bien bloqué, à une courte majorité, le gel de deux milliards de dollars de financement à l’aide internationale d’ONG, qui devaient rétribuer des services déjà été fournis, et a également refusé que l’État déporte sans jugement Kilmar Abrego Garcia, mais l’évidente inconstitutionnalité de ces cas était telle qu’il était difficile de voter autrement. 

John Roberts, toutefois, est un conservateur qui n’a rien d’un extrémiste. Juge à la Cour suprême depuis maintenant 20 ans, il craint les conséquences d’une confrontation sur l’institution dans son ensemble et fait tout pour la retarder. Elle finira toutefois nécessairement par advenir. 

En effet, les cas affluent. Ils sont tous absolument cruciaux pour l’avenir des politiques de Trump, à commencer par le récent cas de Lisa Cook, la gouverneure de la Réserve fédérale que le Président veut renvoyer, alors qu"il essaie depuis six mois d’influencer de tout son poids la FED pour qu’elle baisse les taux d’intérêt, et a menacé à de nombreuses reprises de renvoyer son président Jerome Powell, un républicain qu’il avait nommé durant son premier mandat. Le FED a pourtant un statut indépendant et la nomination des gouverneurs passe par le Sénat. Une cour d’appel vient également de décréter que le président n'avait pas l’autorité pour changer la politique tarifaire de façon globale et universelle. Un autre juge a demandé le démantèlement de la nouvelle prison pour les migrants illégaux en attente d’éloignement, Alligator Alcatraz, construite dans les Everglades en Floride, au motif qu’elle ne respecte pas la législation environnementale. Tout dernièrement, un juge a bloqué le déploiement de la garde nationale en Californie. Enfin, une cour d’appel fédérale a considéré que les déportations de masse sous la loi de 1798, évoqués plus haut, étaient illégales. Il faudra que la Cour suprême finisse par se prononcer sur le fond, quitte à être directement en prise avec l’exécutif. 

Chasse aux sorcières au sein du ministère de la Justice

C’est en réalité à une véritable purge du ministère de la Justice que l’on assiste, sans que les Américains n’en mesurent pleinement les conséquences. Donald Trump l’avait promis : il reprendrait la main sur l’État profond. Un des meilleurs exemples de cela concerne l’équipe de l’ancien conseiller spécial Jack Smith, républicain nommé par Joe Biden pour diriger l’enquête sur le rôle de Donald Trump dans l’insurrection du 6 janvier. Non seulement Jack Smith a été renvoyé mais il fait l’objet de poursuites judiciaires. Au moins six de ses collaborateurs ont également été révoqués.

À cela s'ajoutent les départs volontaires qui semblent constituer une véritable hémorragie. Selon l’agence Reuter, les deux tiers du département chargé de défendre le Président contre les procès en justice qui lui sont intentés ont démissionné ou cherchent à changer de département. 

Il y a tout à craindre que ces personnalités soient remplacées par des juristes moins compétents et totalement à la solde du Président, au prix d’une perte de compétences considérable pour le ministère de la Justice, qui passerait sans réserve sous la coupe directe du Président. 

Avant les mid-terms : la bataille de la dernière chance 

La guerre engagée avec le système judiciaire porte sur les politiques phares du président : l’immigration, les coupes budgétaires, la fermeture d’institutions publiques et les droits de douane. Elle touche de plus en plus l’indépendance de la Banque Centrale. L’épreuve du réel se jouera dans la préparation et le déroulement des élections de mi-mandat. Trump, dont la popularité s’effrite, s’intéresse avec une certaine nervosité à la manipulation des élections et n'a pas caché son intention de faire tout ce qu’il pourrait pour assurer la victoire aux républicains, quoi qu’il en coûte.

La guerre engagée avec le système judiciaire porte sur les politiques phares du président : l’immigration, les coupes budgétaires, la fermeture d’institutions publiques et les droits de douane. Elle touche de plus en plus l’indépendance de la Banque Centrale.

Aux États-Unis, la responsabilité de l’organisation des élections est entièrement aux mains des États. Le Président a déjà poussé l’État du Texas à mener une opération de gerrymandering [charcutage électoral, mot-valise en forme d’antonomase, composé du nom de Gerry, gouverneur du Massachusetts, accusé en 1811 de ce type de manipulation, et de "salamandre", amphibie en forme duquel un caricaturiste avait représenté la nouvelle carte électorale à l’époque) pour créer cinq nouvelles circonscriptions acquises aux républicains, faisant fi du principe qui veut que l’on ne modifie les circonscriptions qu’après un recensement.

Il a également commencé à attaquer le vote par correspondance. 

Ces entreprises vont finir par être portées en justice : si, sur un sujet aussi crucial que des élections à mi-mandat, la Maison Blanche passait outre, cela reviendrait, pour le président Trump, à se dire prêt à une véritable dictature.

Le président de la Cour suprême des États-Unis, John Roberts, face à Donald et Melania Trump au moment de la prestation de serment au Capitol, à Washington, le 20 janvier. 
Copyright image : POOL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

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