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Accord UE-États-Unis : un armistice opportun si l’on s’en donne les moyens

Accord UE-États-Unis : un armistice opportun si l’on s’en donne les moyens
 François Chimits
Auteur
Responsable de projets - Europe

​Les négociations menées par Bruxelles et Washington se sont closes dimanche 27 juin : à défaut d'un accord en bonne et due forme, un chiffre : 15 %. Ce sont les droits de douane qui seront appliqués entre l'Union européenne et les États-Unis - à quelques exceptions près. Le couperet semble rude, certes, mais alors que certains s'empressent de pousser les hauts cris et d'accuser la Commission, ne faudrait-il pas plutôt trouver l'approche constructive capable de transformer cette rupture en avantage commercial compétitif et en aiguillon pour notre souveraineté stratégique ? Une tribune de François Chimits, à retrouver également dans Le Monde

Nos derniers atermoiements politico-budgétaires passés, l’annonce d’un accord entre l’Union européenne et les États-Unis dimanche 27 juillet est venue secouer la torpeur d’un été qui semblait enfin décidé à se profiler. La perspective d’Européens acceptant docilement une charge douanière de 15 % sur leurs exportations vers les États-Unis devenait officielle. Le fait, sans nul doute, est extraordinaire et en matière de chocs extérieurs sciemment infligés, il n’a d’égal, depuis 1945, que les chocs pétroliers des années 70. Pourtant, au-delà des passions d’un débat français qui n’est connu ni pour sa subtilité ni pour sa bienveillance à l’égard de l’UE ou des États-Unis, tout jugement définitif paraît hâtif. La litanie des indignations qui se sont succédé cette semaine de la part de nos personnalités politiques et, plus grave, de nombre de personnalités publiques dont on aurait pu attendre qu’elles jouent leur rôle didactique, en dit davantage sur nous-même que sur l’accord. Preuve en est, la plupart ont eu la bonne fortune de trouver pour coupable leur cible préférée, des Américains à nos dépendances aux hydrocarbures en passant par la présidente de la Commission ou le président de la République. Un accord aux effets aussi violents, négocié dans des conditions aussi brutales, dans un moment aussi délicat mérite mieux qu’une chorégraphie de sentences préétablies. 

Un accord asymétrique aux détails incertains

Tout d’abord, que savons-nous réellement de cet accord ? Comme pour tous les accords commerciaux d’une administration Trump friande de mettre en scène les annonces fracassantes de son président, nous ne pouvons pour le moment que nous référer aux termes généraux et pas tout à fait convergents de chacune des parties : aucun écrit officiel n’est pour l’instant rendu public. Au regard des passifs respectifs en matière de fiabilité, nous nous reporterons de préférence aux éléments européens. 

Avant de plonger dans la substance, arrêtons-nous sur l’incertitude qui entoure le contenu précis de l’accord, qui n’est pas si anecdotique. Pour obtenir des détails certains, il faudra attendre le texte agréé par chacune des parties, promis par la Commission. Accessoirement, il ne s’agira probablement que d’un accord politique dans un premier temps, c’est-à-dire un engagement non-contraignant sur des actions autonomes de chacun des partenaires. Contrairement à un accord commercial stricto sensu, les obligations de transparence, le processus de validation et les mécanismes d’exécution ne sont pas définis et seraient certainement nettement plus superficiels. Un accord commercial pourrait suivre dans un second temps, sous réserve de négociations fructueuses, nous y reviendrons. On en viendrait presque à regretter les lourdeurs des négociations de nos ambitieux accords multi-dimensionnels.

Au-delà des passions d’un débat français qui n’est connu ni pour sa subtilité ni pour sa bienveillance à l’égard de l’UE ou des États-Unis, tout jugement définitif paraît hâtif.

Principal élément de l’accord en l’état, les Européens accepteraient donc des droits de 15 % sur la majorité de leurs 532 milliards d’euros d’exportations aux États-Unis (chiffres de 2024), présentés par les Européens comme le plafond de la fourchette tarifaire américaine sur leurs biens.

 

Les États membres renoncent donc aux rétorsions que cette entorse grossière au droit international permettait, et qu’ils avaient préparées. Ce niveau de droit s’applique au 1er août, en substitution de la hausse de + 10 % appliquée depuis avril (c’est-à-dire environ 14 % en moyenne compte tenu du niveau initial), et donc de la menace des + 30 % prévus à cette date. Les droits restent inchangés pour les produits faisant l’objet d’un niveau tarifaire excédant ces 15 %.

Contrairement à l’accord avec le Royaume Uni (+ 10 %), les 15 % sont bien le niveau appliqué et non celui de la seule hausse. Si la précision paraît modeste au regard des droits de douane moyens qui étaient appliqués aux biens européens avant l’ère Trump, environ 3,5 %, de nombreux produits sensibles subissent déjà des droits de douane supérieurs à 5 %, notamment dans le secteur agricole ou pour l’automobile, ce qui amenuise l’ampleur des concessions européennes.

Autre dimension qui a son importance pour les Européens : les véhicules. Ils sont sujets à des droits de douane de 27,5 % depuis avril, qui s’appliquent à l’ensemble des pays du monde à quelques exceptions près. Les produits européens bénéficieront donc, en pratique, d’une baisse spécifique avec l’imposition de ces 15 %. Dans l’attente d’éventuels nouveaux accords que les États-Unis passeraient avec d’autres pays, ceci confère aux véhicules produits en Europe un sérieux avantage concurrentiel vis-à-vis de la plupart de leurs concurrents - à l’exception des États-Unis. Même dans ce dernier cas, il faudra que les intrants tels que l’acier et l’aluminium, frappés de droits de 50 %, y soient compétitifs.

Des exemptions complètent ces 15 %. Dans un cadre zéro-pour-zéro annoncé dans les communications européennes, l’aérospatial et les minerais seraient exempts de droits, probablement dès le 1er août. À cela s’ajouteraient "certains" produits chimiques, pharmaceutiques, agricoles et semi-conducteurs. L’effectivité, le périmètre et surtout la date de ces secondes exemptions paraissent plus incertains. Selon un périmètre encore à préciser, l’ensemble de ces exceptions porterait sur 10 à 20 % des exportations de l’UE vers les États-Unis.

Enfin, le reste des semi-conducteurs et de la pharmaceutique verrait maintenus les droits qui prévalaient avant ces tensions, qui étaient proches de zéro, du moins jusqu’à la conclusion des enquêtes au titre de la sécurité nationale lancées par Trump dans ces secteurs. Une fois celles-ci conclues, dans les prochains mois, les éventuels droits seraient soumis au plafond des 15 % pour les biens européens, selon la Commission. Toujours selon les publications officielles de la Commission, des contingents d’acier, d’aluminium et de cuivre à des droits préférentiels seraient aussi prévus (contre 50 % actuellement). Ils semblent opportunément conditionnés à un renforcement de barrières face aux importations subventionnées chinoises, que l’UE avait déjà formellement à son agenda depuis quelques mois.

Les concessions européennes ne se bornent toutefois pas à l’acceptation de ces nouvelles barrières. Nous aurions renoncé à nos droits sur les majorités de biens industriels américains, droit en moyenne autour de 1 %. Ceci dit, la mise en œuvre - dont la date n’est pas précisée - paraît incertaine. Le cadre légal de l’UE pour opérer ces modifications est contraignant. Il faudrait certainement passer un accord commercial en bonne et due forme avec les États-Unis, probablement en lien avec certaines des exemptions évoquées précédemment. Les déclarations des deux parties qualifiant l’accord d’"étape" et insistant sur la poursuite des négociations, notamment des autorités françaises à propos de certains secteurs sensibles (vin, spiritueux, pharmaceutique), confortent cette lecture.

Aux considérations tarifaires s’ajoutent des engagements d’achat et d’investissement aux États-Unis, de 750 milliards de dollars en matière énergétique pour les premiers et de 600 milliards de dollars pour les seconds, dont se gargarise la Maison Blanche.

Aux considérations tarifaires s’ajoutent des engagements d’achat et d’investissement aux États-Unis, de 750 milliards de dollars en matière énergétique pour les premiers et de 600 milliards de dollars pour les seconds, dont se gargarise la Maison Blanche. Ces engagements ne correspondent à aucune compétence juridique ou marchande des pouvoirs publics dans l’UE. Le prédécesseur d’Ursula von der Leyen, M. Juncker, avait fait de même il y a sept ans, sans qu’aucun effet ne s’en suive. Le langage officiel de la Commission renforce l’idée d’annonces sans valeur effective. Si un tel décalage entre annonces et faits peut surprendre, il s’agit d’une pratique fréquente sous l’administration Trump.

Enfin, il faut considérer ce que l’accord ne semble pas aborder. Parmi les multitudes de demandes initiales de l’administration Trump, nombre de Républicains semblaient décidés à obtenir un alignement stratégique total des Européens sur un éventuel agenda chinois de Washington, ou encore une non-mise en œuvre de nos réglementations fiscales, numériques ou agricoles. Les termes vagues utilisés par les deux partenaires sur ces sujets, quand ceux-ci ne sont pas tout bonnement absents, viennent confirmer les informations de presse sur l’absence d’engagement dans ces domaines. Ces compromissions de notre souveraineté ont été évitées, au moins pour le moment. L’accent mis dans les communications américaines quant aux futures législations européennes sur les télécoms trahissent cependant des risques sur des réglementations en cours de rédaction.

Dans son ensemble, l’accord consiste donc à un armistice entérinant un état de fait scandaleusement déséquilibré en vigueur depuis le tournant protectionniste de la nouvelle administration américaine début avril. Au jeu de la petite comparaison avec les autres bénéficiaires d’un "deal", l’UE semble avoir reçu un traitement très légèrement plus favorable que les meilleurs élèves en la matière que sont le Royaume-Uni ou le Japon. Le Canada et le Mexique qui disposent d’un accord de libre-échange avec les États-Unis devraient maintenir une situation plus favorable, mais font l’objet d’intenses négociations largement dissociées de celles du reste du monde. L’Inde ou le Brésil, qui n’ont pas su trouver d’accord, se sont vus eux frappés de droits s’élevant à respectivement 25 et 50 %.

Si les tendances à l’œuvre se poursuivent, les productions européennes pourraient donc ressortir légèrement gagnantes vis-à-vis de leurs concurrentes étrangères sur le marché américain. Maigre consolation au vu de l’asymétrie, mais consolation tout de même, en premier lieu pour les secteurs où la concurrence locale est faible. 

Un accommodement dilatoire

Cette approche conciliante, certes frustrante et humiliante, n’est pas dénuée de justifications.

Il est important de rappeler que les hausses de droits de douane affectent en premier lieu le pays qui les impose, renchérissant ses consommations et ses intrants, a fortiori quand celles-ci s’appliquent à tous les partenaires. Les stocks massifs constitués par les entreprises en amont du virage protectionniste annoncé en ont assurément retardé l’incidence. D’ailleurs, les derniers chiffres des prix à la consommation indiquent une reprise de l’inflation sur les biens. La croissance annuelle de l’indice des prix à la consommation a bondi de 2,4 % en mai à 2,7 % en juin, la croissance mensuelle la plus importante en quatre ans si l’on exclut les voitures. En outre, l’état de grâce du début de mandat, particulièrement fort aux États-Unis, semble commencer à s’étioler. Aux sondages d’opinion s’ajoutent des premières fissures dans l’unité des votes des Républicains, notamment sur les enjeux commerciaux.

Juridiquement, compte tenu des outils mobilisés, des procédures en cours et des premières décisions rendues, l’exécutif américain devrait prochainement être moins libre dans la conduite de ses guerres commerciales. À minima, le Congrès, plutôt divisé sur ces sujets, devrait récupérer sa prérogative de contrôle de ces mesures tarifaires, contrôle traditionnellement étroit aux États-Unis. Enfin, les perspectives d’élections de mi-mandat dans 15 mois vont aussi conduire à affaiblir la position de négociation de Washington. Soucieux de maximiser leurs chances de maintien de leurs étroites majorités, les Républicains seront moins disposés aux turbulences commerciales face à des partenaires qui ne se priveront pas de cibler les productions des États sensibles dans leurs rétorsions

Repousser à plus tard la confrontation avec le pouvoir américain pourrait bien s’avérer tactiquement judicieux.

Repousser à plus tard la confrontation avec le pouvoir américain pourrait bien s’avérer tactiquement judicieux.


Surtout, pire qu’un armistice dilatoire peu glorieux, il y a la déroute. La Chine, son économie dirigée et sa société illibérale fortement nationaliste, a dû subir un mois d’embargo commercial avec les États-Unis pour obtenir un accord plus asymétrique encore. Les Européens sont-ils capables d’un tel bras de fer sans voir leur unité, leurs opinions publiques ou leurs économies flancher 

Sans compter, et aussi déplorable cela fût-il, que les États-Unis fournissent au vieux continent sa dissuasion nucléaire, la majorité de ses munitions, et la quasi-totalité de ses outils numériques, tout en étant nécessaires à notre sécurité énergétique. En tout cas, une France aux déficits extérieurs et publics quasi-structurels, avec pour principales exportations son luxe et son tourisme, paraît mal positionnée pour prétendre le contraire. 

L’urgence de la puissance

Ce tableau plus nuancé n’interdit pas de reconnaître le défi considérable que pose une approche européenne si conciliante. La crédibilité des Européens à défendre leurs intérêts, déjà peu fameuse, est sérieusement remise en cause. Face au retour des rapports de force brutaux dans les relations internationales, les conséquences à moyen terme pourraient être dramatiques. 

Notre situation délicate mérite mieux que de s’en prendre à un accord qui n’est que le reflet de nos faiblesses, ou à une Commission étroitement mandatée par les États membres. Défense, énergie, budget, finance, digital, technologie, compétitivité… Ce sont ces vulnérabilités qui sont à blâmer, et que cet accord ne fait que mettre en lumière.

Les immenses efforts à fournir pour sortir de cette impuissance géopolitique méritent mieux que des anathèmes réconfortants. Nous ne nous doterons pas à court terme de tous les attirails de la puissance dont l’esprit français aime à se réclamer. Le travail sera long. Et, aussi décevante et frustrante que puisse être la discussion européenne, c’est à cet échelon-là que nous serons en mesure d’atteindre dans les faits une puissance à même de faire face à un monde de prédation et d’empires. L’armistice commercial transatlantique devra donc plus être jugé à l’aune des forces qu’il nous permettra de (re)constituer qu’au regard du triste équilibre qu’il fige. 

Copyright image : Brendan SMIALOWSKI / AFP
Donald Trump et Ursula von der Leyen à Turnberry, en Irlande, le 27 juillet 2025

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