AccueilExpressions par Montaigne[25 ans] - Le temps et la vitesse : au rythme des ruptures technologiquesLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Technologies25/09/2025ImprimerPARTAGER[25 ans] - Le temps et la vitesse : au rythme des ruptures technologiquesAuteur Paul Hermelin Président du conseil d’administration, Capgemini Auteur Charleyne Biondi Experte Associée - Numérique Découvreznotre série [25 ans] - Conversations pour demainVingt-cinq ans avant, vingt-cinq ans après : dans leur conversation, Paul Hermelin, membre du Comité directeur de l’Institut Montaigne et président du conseil d'administration de Capgemini et Charleyne Biondi, experte associée à l’Institut Montaigne et vice-présidente en charge de la recherche sur les technologies émergentes chez Moody’s, évoquent les grandes ruptures technologiques qui dessinent notre époque. Ils rappellent combien, dans la compétition mondiale, l’Europe doit faire de son industrie et de l’éducation des jeunes les grandes priorités. Pour Paul Hermelin, nous avons changé de monde. La globalisation et la vitesse caractérisent notre nouvelle ère : un million d’utilisateurs en 5 jours pour CHatGPT, onze mois pour un vaccin par ARN messager contre le Covid-19. Cette accélération va de pair avec une césure entre les générations, dont nous n’avons pas pris la mesure. Cet anniversaire est l’occasion de revenir sur les bouleversements qui ont jalonné une période après tout récente : de l’éclatement de la bulle des "dot com" en 2000 à l’avènement de la 4G, dans les années 2010. Au début des années 2000, sur les dix plus grandes capitalisations boursières mondiales, il y avait cinq pétroliers. On trouve aujourd’hui sept acteurs du monde d’Internet, les fameux Magnificent Seven - "Sept Magnifiques", Microsoft, Nvidia, Tesla, Meta, Apple, Alphabet et Amazon. L’entité régalienne centralisatrice est prise de court quand il s’agit d’être à la manœuvre en matière de biens de consommation. Ce monde qui accélère impose une reconfiguration majeure qui touche particulièrement la France : nous qui avions l’habitude de nous en remettre à l’État pour piloter les biens d’équipement, le nucléaire, les TGV ou les centraux de téléphonie numérique devons nous rendre à l’évidence : l’entité régalienne centralisatrice est prise de court quand il s’agit d’être à la manœuvre en matière de biens de consommation. Le minitel, la micro-informatique, le Plan informatique pour tous de 1985, la nationalisation de Thomson : autant d’échecs. L’époque appartient aux produits de grande consommation où de grandes sociétés américaines et chinoises (Tik Tok, Ali Baba, Huawei ou d’autres) sont à l'initiative et dessinent un monde différent centré sur les jeunes. Il y a une incapacité française à tirer profit de la technologie, qui conditionne pourtant notre compétitivité. Quels sont les seuls pays qui ont gardé une industrie indépendante ? Ceux qui ont pris le tournant de l’automation : la Chine, l’Allemagne et la Corée du Sud. La France a refusé de mettre des robots dans ses usines ? Elle a dû fermer ses usines. Il ne faut pas que cela se reproduise avec l’IA, facteur considérable de productivité. Pourtant, tandis qu’on s’alarme en Europe des périls de cette disruption technologique, peut-être à cause de cette asymétrie de négativité qui veut que les mauvaises nouvelles recueillent cinq fois plus d’attention que les bonnes, pendant que l’on légifère sur l’accès des jeunes aux réseaux sociaux, les grandes entreprises américaines investissent dans la recherche et développement, et la Chine développe des cours de code dans ses écoles primaires, au risque de nous marginaliser. Vingt-cinq ans en arrière, c’est le rappel qu’il faut songer aux vingt-cinq prochaines années, et qu’il y a une priorité pour cela : l’éducation. Pour Charleyne Biondi, comprendre les bouleversements de ces vingt-cinq dernières années demande aussi d'examiner leur temporalité. Nous pouvons suivre les trois temps de la rupture scientifique que théorise l’épistémologue Alexandre Koyré : le temps de la science, le temps industriel et le temps politique. C’était le cas pour la physique newtonienne : la publication de la Philosophiae naturalis principia mathematica en 1687 a changé notre paradigme scientifique, ce qui s’est traduit par l’arrivée de nouvelles solutions industrielles, qui ont enraciné le libéralisme dans les consciences. La science - l’industrie - le politique. De même pour l’intelligence artificielle : tous les enjeux qui nous occupent aujourd'hui - neurologie, mathématique, cybernétique, psychologie comportementale, sociologie - sont déjà posés lors des conférences de Macy qui se réunissent entre 1942 et 1953 à New York tandis que Marshall McLuhan, dès The Medium is the Massage [sic] en 1967, anticipait l’avènement d’un village global et annonçait que les sciences de l’information seraient un retournement cataclysmique de l’ordre des choses. C’était le temps de la science. Internet a été celui d’une traduction industrielle, la technologie devenant un bien de consommation. L’IA se trouve désormais dans le temps du politique. Or, les espoirs politiques qu’elle suscitait ont fait long feu. Internet devait être le colporteur de la démocratie, faciliter l’égalité, sortir l'Afrique de la pauvreté. Facebook en avait fait un slogan publicitaire, "bring the world closer together". Vingt-cinq ans plus tard, nous en sommes revenus : internet et la politique, c’est une alliance chimiquement instable, qui fait risquer l’explosion à notre démocratie. De plus, l’IA creuse l’écart entre les échelles micro (stratégie des entreprises) et macro (stratégie des États). Voilà le paradoxe : les entreprises doivent adopter l’IA pour ne pas se faire distancer par des concurrents mais, plus elles adoptent l’IA, plus notre économie devient dépendante de ses fournisseurs. D’ici 2050, une part croissante de la valeur sera produite grâce aux IA agentielles, c’est-à-dire grâce aux grandes entreprises étrangères. Notre souveraineté numérique, et plus largement économique, s’en trouve compromise. En face, la Chine développe depuis vingt ans une stratégie coordonnée. Avec des entreprises qui dominent déjà le marché, les États-Unis se payent quant à eux le luxe de ne pas avoir de stratégie - sauf celle de contenir la Chine. À mi-chemin, l’UE se voyait comme le grand maître de la réglementation, sans avoir elle-même d’industrie. L’offensive de J.D. Vance à Munich le 14 février 2025 ou le lancement de l’America’s AI Action Plan en juillet, opportunément sous-titré "winning the race" montrent combien le positionnement européen doit être revu. L’UE ne pourra pas résister si elle demeure incapable de développer sa propre industrie, en veillant alors à créer des modèles qui ne nuisent pas à la démocratie. Propos recueillis par Hortense Miginiac ImprimerPARTAGERcontenus associés 19/02/2025 Europe : prendre acte du sabotage des relations transatlantiques François Godement 25/09/2025 [25 ans] - Ruptures économiques et écologiques : "l'optimisme est de volont... Institut Montaigne 25/09/2025 [25 ans] - Les ruptures d'un quart de siècle Marie-Pierre de Bailliencourt