AccueilExpressions par MontaigneAutorité, technicité : la réunion de l'Assemblée nationale populaire et la gouvernance de Xi JinpingL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.09/03/2023Autorité, technicité : la réunion de l'Assemblée nationale populaire et la gouvernance de Xi Jinping AsieImprimerPARTAGERAuteur François Godement Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis La réunion cette semaine de l'Assemblée nationale populaire (ANP), qui tient lieu de Parlement à la Chine, était attendue parce qu’elle est aussi le chant du cygne du Premier ministre Li Keqiang, qui doit quitter ses fonctions un peu avant la limite d’âge (il a 67 et non 68 ans). Le futur Premier ministre sera désigné dans quelques jours, et le consensus veut qu'il s'agisse de Li Qiang, secrétaire du Parti de Shanghai et numéro 2 du PCC depuis le XXème Congrès d’octobre 2022. Ce sont donc les signes des orientations futures que l'on guette aujourd'hui, sachant que sous Xi Jinping, le Parti prime plus largement encore sur l'État, pour ne pas parler de l’ANP. Et là, la session de l'ANP est riche d'enseignements. D'abord, par la discrétion et la prudence du rapport de Li Keqiang, plus court qu'à l'accoutumée. 17 mentions de Xi Jinping, 33 de la "stabilité", la "modération" en tête de la politique monétaire, des mentions très limitées de la lutte contre le Covid et un court paragraphe sur la "stabilité sociale" (euphémisme désignant largement la sécurité intérieure) : il s'est agi plutôt d'un fondé de pouvoir économique rendant ses comptes. Les anciens dirigeants étant entièrement muselés, Li n'a pu saisir l'occasion d'incarner une direction plus réformatrice ou moins autoritaire que celle de Xi Jinping.Le second enseignement, c'est bien sûr l’annonce d’une refonte très importante des institutions de l'État. Elle se décline en trois impératifs : une centralisation des pouvoirs, un glissement de ceux-ci vers le Parti, ainsi que plusieurs fonctions plus spécialisées confiées à des organismes compétents, affaiblissant de fait certaines administrations centrales. Une administration financière nationale est créée, reprenant certaines fonctions de la Commission de régulation des banques et de l'assurance (qui est abolie), de la banque centrale et de la Commission de régulation des marchés financiers. Une administration nationale des données digitales apparaît également, concentrant des attributions de l'Administration en charge du cyberespace de la Chine (CAC) et de la Commission nationale du développement et de la réforme (NDRC). Le ministère de la Science et de la Technologie se voit, lui, renforcé. Certaines de ses attributions sont transférées vers des administrations plus spécialisées (agriculture, santé, écologie & environnement, ressources humaines et sécurité sociale), et la conduite des parcs de haute technologie et autres zones expérimentales est transférée au ministère de l'Industrie et des Technologies de l'information, mais il reçoit davantage de pouvoirs directs sur la R&D et l'innovation en général.Le changement le plus lourd de sens [...] serait le rattachement direct des ministères chargés de la sécurité d’État et de la sécurité publique au Parti.Le changement le plus lourd de sens est supputé par des rumeurs parties de Hong Kong voici quelques jours : ce serait le rattachement direct des ministères chargés de la sécurité d’État et de la sécurité publique au Parti, avec une nouvelle commission centrale des affaires intérieures chargée au minimum de les contrôler. Certains veulent voir dans l’absence quasi complète dans le rapport de Li Keqiang de la "stabilité sociale", un euphémisme pour le contrôle de la population, le signe de ce changement à venir. Le système financier et celui du digital voient en tous cas créer deux commissions dépendant directement du Parti. Dans plusieurs domaines - à commencer par la Commission des affaires militaires - des doublons existent entre Parti et État, voilant le rôle dominant du Parti. Un tel changement pour les organes de sécurité en dirait long sur la mainmise directe de Xi Jinping. Comme l’armée, la police et l'espionnage ont connu des purges ces dernières années, et le contrôle de ce domaine serait donc parachevé. Plus généralement, les grands objectifs fixés par Xi Jinping à la veille de la session de l'ANP sont clairs : "renforcer la direction centralisée et unifiée par le Comité central" du PCC et coordonner les différentes institutions, y compris les administrations locales. À ces fins, il faut "un cadre institutionnel plus scientifique, une allocation optimisée des ressources fonctionnelles, des mécanismes administratifs perfectionnés, plus efficaces en termes d’opérations et de gestion". On retrouve ici les deux composantes principales de la gouvernance de Xi Jinping : autorité centralisée exercée par le Parti avant tout ; spécialisation et gestion managériale modernisée dans les applications. Au premier chef, il faut mentionner les pouvoirs locaux, nettement ciblés. Le budget central 2023 ne prévoit qu'un déficit de 3 %, à peine supérieur à celui de 2022 ; on n'y trouve pas de relâchement notable du crédit, ni de mesure soutenant la consommation, alors que de nombreux commentateurs ont cru voir dans les mois précédents un changement de cap majeur dans cette direction. Par contre, la nouvelle loi de stabilité financière en voie d'adoption cite explicitement un meilleur contrôle des autorités locales, mentionnées 15 fois dans le texte : c’est la séparation des établissements financiers locaux par rapport aux administrations, la fin des liens en sous-main avec des entreprises et le contrôle des rémunérations qui semblent ciblés en priorité. On mettra sur le même plan l’accent mis désormais sur la digitalisation de la finance et des entreprises, y compris PME-PMI et micro-entreprises : l’objectif est ici de rendre plus rationnelle l’allocation du crédit, et à terme de contrôler ces entreprises en temps réel. On retrouve ici les deux composantes principales de la gouvernance de Xi Jinping : autorité centralisée exercée par le Parti avant tout ; spécialisation et gestion managériale modernisée dans les applications. La discipline rejoint une préoccupation d’ordre social : depuis le début de la pandémie, les petites entreprises ont eu bien moins accès que les grandes aux crédits de secours. Leur activité, leur niveau de rémunération, ont souffert. Mais le préalable à une politique de soutien semble être une meilleure connaissance de leurs comptes.Ces changements à venir semblent plus importants que les objectifs pour 2023 fixés par Li Keqiang dans son rapport : croissance de 5 %, un objectif ambitieux mais dont on sait qu'il peut être atteint au besoin quantitativement au détriment du contenu de croissance ; un objectif de plein emploi des jeunes (12 millions d’emplois à créer) qui recoupe en filigrane une vraie crainte sécuritaire. Dans la refonte institutionnelle, on voit ce qu'on appelle familièrement le "bureau des plaintes" remonter sous l’autorité directe du Conseil des Affaires de l'État - c'est dans cette session la seule trace de la secousse contestataire qui a atteint la Chine urbaine en 2022. Avec une inflation prévue à 3 % - la Chine bénéficie d’une énergie bon marché et d'une structure de prix agricoles et industriels assez bas -, les dépenses militaires doivent augmenter une fois de plus - à 7,2 %, c'est un saut d'autant plus important que leur niveau officiel (221 milliards de dollars ou 210 milliards d'euros en 2022) laisse dans l’ombre de nombreuses subventions indirectes. La réunion de l'ANP est d’ailleurs l'occasion de nouvelles diatribes contre les États-Unis, et de mises en garde contre les vulnérabilités potentielles de l’économie chinoise. Plus que le langage assez abstrait des rapports officiels à cette occasion, c’est un autre écho de Xi Jinping qui retiendra l’attention : lors d’une réunion avec les représentants de l'industrie et du commerce en marge de la session de l’ANP, ce dernier aurait mis en garde directement le fabricant chinois de batteries CATL (qui détient 39 % du marché mondial) contre une expansion inconsidérée de ses investissements à l’étranger, et aurait demandé des entreprises qu’elles équilibrent leur développement avec la sécurité.Le contrôle de Xi renforcé sur l'appareil du PCC, la mise à la retraite parfois avant l'heure de dirigeants économiques et financiers, l'accent sur les risques de confrontation internationale ont été soulignés à l’occasion du XXème Congrès. La relève de génération est évidemment l’occasion de voir émerger de nouveaux profils : des proches de Xi Jinping depuis sa carrière au Fujian voici 20 ans, des cadres passés par l’armée ou les services de sécurité, de nombreux responsables de secteurs industriels avancés à commencer par l’aérospatial, le numérique et les biotechnologies. Ce seront des nominations à confirmer rapidement. Mais il est clair qu’au-delà de ces aspects, le PCC sous la direction de Xi Jinping s'attaque à une refonte gouvernementale ambitieuse. Ce n’est pas la réforme tant guettée par les milieux économiques. Si Xi Jinping a renoué depuis quelques mois avec des propos aimables en direction de l'entreprise privée, la "disparition" successive de deux dirigeants influents d'entreprises en un mois montre que la main de fer ne se relâche pas : Bao Fan, intermédiaire clef pour les investissements internationaux dans la haute technologie chinoise et Li Hejun, fondateur de Hanergy, le leader mondial des films solaires. Et pourtant, des changements arrivent, entièrement pilotés d’en haut. Copyright Image : WANG Zhao / AFPVue générale de la deuxième session plénière de l'Assemblée nationale populaire (ANP) au Grand Hall du Peuple à Pékin, le 7 mars 2023.ImprimerPARTAGERcontenus associés 11/01/2023 Xi Jinping - Les habits neufs de l'empereur François Godement 07/02/2023 L'Europe dans le monde nouveau des contrôles à l'exportation Mathieu Duchâtel 22/11/2022 G20 : la ruée vers Pékin François Godement