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21/05/2024

Mort d’Ebrahim Raïssi : l'Iran et le "coup de dés du hasard"

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Mort d’Ebrahim Raïssi : l'Iran et le
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Alors que le président iranien Ebrahim Raïssi et son ministre des Affaires étrangères ont perdu la vie dans un accident d’hélicoptère, le 19 mai, les autorités iraniennes, comme la plupart des commentateurs, s’emploient à souligner la continuité qui prévaudra dans la République Islamique. Pourtant, les conséquences pour la politique intérieure ou la conduite des affaires étrangères à Téhéran ne sauraient être complètement négligées. Quels défis pose l’organisation imprévue d’une élection présidentielle ? Qu’implique cette disparition pour la succession du Guide suprême ? Comment l’Iran réagira-t-elle à ce "stress test" ? Analyse de Michel Duclos.

La mort d’Ebrahim Raïssi est-elle susceptible d'ébranler le régime des mollahs ? Nul ne peut faire à ce stade une telle prévision. Dans la République islamique, ce n’est pas le chef de l'Exécutif, donc le président de la République, qui exerce le pouvoir ultime. Les grandes options, notamment s’agissant de stratégie et de politique étrangère, sont arbitrées par le Guide Suprême.

On sait aussi que le corps des Gardiens de la Révolution exerce désormais une influence majeure sur la politique de Téhéran.

On sait aussi que le corps des Gardiens de la Révolution exerce désormais une influence majeure sur la politique de Téhéran. Pour autant, la personne d’Ebrahim Raïssi représentait une pièce essentielle dans le système iranien tel qu’il fonctionne actuellement. Sa disparition va constituer un défi majeur pour la continuité du régime.

Un défi pour le régime

L’homme était un fidèle de l’Ayatollah Khamenei. Son pedigree garantissait une loyauté absolue à la République islamique, ainsi d’ailleurs qu’une détestation profonde de la majorité de la population. Religieux chiite, d’une famille descendant du prophète ("sayed"), il avait très jeune assumé, dans les années 1980, les fonctions de procureur-adjoint de Téhéran. Il envoie alors à la mort des milliers d’opposants, ce qui lui vaut encore aujourd’hui le surnom de “boucher de Téhéran”. Procureur général, puis directeur d’une fondation importante dans l’économie iranienne, enfin chef du système judiciaire en 2019, il personnifie le pire acharnement dans la répression. Il perd les élections présidentielles de 2017 – remportées par le réformateur sortant Hassan Rohani. De nouveau candidat en 2021, il l’emporte cette fois au premier tour, mais dans des conditions particulières : il s’agit des élections présidentielles les moins suivies de l’histoire de la République islamique (plus de 50 % d’abstentions), au cours desquelles d’autres représentants possibles du camp conservateur ont été écartés (par exemple Ali Larijani, actuellement l’un des 39 membres du Conseil de discernement, sorte de Conseil d’État iranien) et d’éventuels candidats du camp réformateur qui avaient  une chance de l’emporter se sont  vu refuser l’autorisation à concourir.

En faisant en sorte qu’il soit élu en 2021, le Guide suprême et les Gardiens de la révolution visaient sans doute un double but : confier le pouvoir exécutif à un conservateur "dur" d’une part, mettre sur orbite un successeur possible pour le poste de Guide, d’autre part. Ebrahim Raïssi aura bien rempli la première partie de son mandat : il aura maintenu un semblant d’ordre dans le pays en intensifiant la répression face à un profond mouvement de contestation – "femme, vie, liberté" – tandis que son gouvernement se montrait impuissant à enrayer la dégradation de la situation économique du pays.

En faisant en sorte qu’il soit élu en 2021, le Guide suprême et les Gardiens de la révolution visaient sans doute un double but : confier le pouvoir exécutif à un conservateur "dur" d’une part, mettre sur orbite un successeur possible pour le poste de Guide, d’autre part.

C’est aussi sous sa présidence que l’Iran accroît son engagement dans l’axe Moscou-Pékin, à l’occasion de la guerre en Ukraine, et lance sa première attaque de grande ampleur depuis son territoire contre le territoire d’Israël (14 avril 2024). À l’impopularité auprès du peuple, l’homme aura ajouté au fil des mois la réprobation des milieux religieux, qui déplorent à l’usage son inculture et l’inefficacité de son gouvernement.

Si sa disparition représente un défi pour le régime, c’est d’abord que celui-ci va devoir organiser, dans un délai de 50 jours, de nouvelles élections présidentielles, dont la date a été fixée au 28 juin. À ce stade, aucune figure capable de rassembler les conservateurs et les ultras du régime ne se dégage pour remplacer Raïsi. La rumeur évoque le choix possible du ministre de l’Intérieur, Ahmad Vahidi, ancien chef de la Force Al-Qods (unité d’élite des Gardiens de la révolution). Ce dernier présente la particularité d’être recherché par Interpol pour avoir organisé un attentat en Argentine en juillet 1994, contre un centre de la communauté juive. Cet attentat avait fait 85 morts et des centaines de blessés. Notons au passage que dans cette hypothèse, c’est un "laïc" qui serait élu, consacrant ainsi la diminution du poids des religieux au sein du régime, au profit des Gardiens de la Révolution.

Si par ailleurs, l’"affiche" des prochaines élections ne comporte pour l’instant aucun nom connu, il est vraisemblable que le taux d’abstention descendra encore en dessous du score de 2021 (51,2 %), affaiblissant encore la légitimité du régime. Peut-être, pour relancer la participation, les autorités autoriseront-t-elles l’ancien ministre des Affaires étrangères Mohammad Zarif à concourir. Celui-ci a réagi à l’accident ayant coûté la vie à Raïssi en accusant les États-Unis d’avoir causé sa mort par sa politique de sanctions, qui prive l’Iran de pièces détachées.

Deux noms circulaient pour remplacer Khamenei le jour où celui-ci quitterait la scène. Celui de son fils -  Mojtaba Khamenei – et celui de Raïssi.

L’autre défi encore plus profond que comporte pour le régime iranien la disparition d’Ebrahim Raïssi a trait à la succession du Guide. Deux noms circulaient pour remplacer Khamenei le jour où celui-ci quitterait la scène. Celui de son fils -  Mojtaba Khamenei – et celui de Raïssi. Les deux paraissaient acceptables pour les Gardiens de la Révolution. A priori, la disparition de l’un des deux candidats possibles facilite la tâche de celui qui reste dans la course.

En fait, cela n’a rien de certain. Le fils du Guide a beaucoup de faiblesses : le fait de se retrouver seul en piste va concentrer sur lui les critiques des courants du régime qui ne sont pas convaincus. De surcroît, les échecs rencontrés par Raïssi comme président, s’ajoutant à son rang peu élevé dans la hiérarchie religieuse, avaient de toute façon diminué ses chances d’être désigné comme Guide suprême. Bref, le jeu reste très ouvert pour la succession du Guide, atteint semble-t-il depuis plusieurs années d’un cancer.

La continuité de l’État

Tout cela étant dit, il reste que la disparition du président– et de son ministre des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian – ne paraît pas devoir affecter dans l’immédiat la marche des affaires publiques en Iran. C’est d’ailleurs ce qu’a déclaré le Guide lui-même au lendemain de la mort de Raïsi et d’Abdollahian. Le poste de président intérimaire a été confié, conformément à la Constitution, au Vice-Président Mohammad Mokhber – un laïc, notons-le au passage. Sur le plan régional notamment, tout laisse penser que la politique de normalisation avec les États du Golfe comme celle de soutien aux groupes armés affiliés (Hamas, Hezbollah, milices irakiennes) seront maintenues.

Ne soyons pas trop catégoriques cependant. Le fait même que le Guide et ses principaux alliés vont être occupés à gérer l’élection présidentielle peut avoir un impact sur la conduite de la politique, y compris extérieure, du pays. L’exercice ne va pas manquer de faire ressurgir toutes sortes de tensions entre les divers clans qui se partagent le pouvoir. De même, la relance de la compétition pour la succession du Guide. Dans l’immédiat, ce que craignent les autorités, c’est un nouveau soulèvement de certaines parties de l’opinion, comme le démontre le déploiement de forces de l’ordre dans certaines villes. À tous ces facteurs, on doit ajouter qu’une incertitude existe sur les conclusions que les acteurs régionaux – amis ou ennemis – vont tirer du "stress test" que va traverser la République islamique.

Enfin, les personnalités comptent. Si le président Raïssi s’était montré un piètre chef du gouvernement, le ministre Abdollahian, proche des Gardiens, avait fait preuve d’un talent certain pour renouer divers fils dans la région. Sur le plan de la diplomatie, il est vraisemblable qu’au chapitre de la continuité figurera la poursuite d’un dialogue entre l’Iran et les États-Unis à Mascate. Il se trouve que le vice-ministre chargé de l’intérim des Affaires étrangères, Ali Bagheri, était le haut fonctionnaire en charge de ce dialogue auprès de Hossein Amir Abdollahian.

Le fait même que le Guide et ses principaux alliés vont être occupés à gérer l’élection présidentielle peut avoir un impact sur la conduite de la politique, y compris extérieure, du pays.

Copyright image : Ahmad AL-RUBAYE / AFP

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