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Trump contre le Venezuela : scénarios de la guerre à venir ?

Trump contre le Venezuela : scénarios de la guerre à venir ?
 Jonathan Guiffard
Auteur
Expert Associé - Défense et Afrique

​Depuis août 2025, les États-Unis désignent le Venezuela comme un adversaire prioritaire et pulvérisent des navires accusés de trafic de drogue en pleine mer caribéenne, renouant avec la politique de la canonnière et contredisant une réputation d'isolationnisme d’ailleurs mal comprise. Ces frappes s'inscrivent dans un contexte idéologique et stratégique plus large qui laisse présager une intervention militaire d'ampleur contre le régime de Nicolas Maduro. Interrogations sur la légalité de l'opération, contraintes et débats intérieurs : cela ne va pas sans poser d'importants défis aux États-Unis, quelle que soit leur supériorité militaire. Le scénario d'une nouvelle guerre mondialisée ? Par Jonathan Guiffard.

Le 24 octobre 2025, Stephen Miller, le directeur de cabinet adjoint et conseiller à la Sécurité intérieure de Donald Trump, a indiqué à la presse américaine que le Venezuela accueillait "l’État Islamique de l’hémisphère occidentale [nota : Les Amériques] et serait géré de la même manière que nous avons géré l’État Islamique". Ainsi, l’un des conseillers les plus proches et les plus influents du président américain a mis des mots sur plusieurs semaines de relocalisation de moyens militaires dans les Caraïbes : l’administration américaine se prépare, sans le dire, à une guerre contre Nicolas Maduro, le président vénézuelien, qu’elle accuse d’être à la tête d’un cartel de drogue dénommé Tren de Aragua ("train d’Aragua").

Comme nous l’avions anticipé dans un article de mars 2025, la chute du président Maduro est un objectif prioritaire de la nouvelle administration américaine et il a fallu moins d’un an pour construire le prétexte juridique, déployer des discours de légitimation et entamer des opérations militaires de faible intensité contre des navires liés aux cartels de drogue pour construire les fondations d’une opération militaire présentée comme légitime. Le parallèle avec l’État Islamique est, à ce titre, révélateur : une campagne militaire devrait donc démarrer dans les prochaines semaines pour renverser ce régime.

La chute du président Maduro est un objectif prioritaire de la nouvelle administration américaine.

Dans ce contexte, que peut-il se passer sur le plan militaire ? Pourquoi une telle intervention ? Nous essaierons de répondre à ces questions afin de clarifier la nouvelle stratégie américaine qui se met progressivement en place dans la région, de ses ferments idéologiques aux réalités opérationnelles qu’on peut attendre.

Les incompris du référentiel idéologique de D.Trump

En géopolitique, il est primordial de s’intéresser aux représentations (idées, référentiels, etc.) que les acteurs étudiés mobilisent ou qui influencent leurs pensées, car elles sont à la source des stratégies mises en œuvre par ces derniers. Dans le cas vénézuélien, il y a naturellement plusieurs représentations qui s’entremêlent chez les responsables américains : depuis la révolution bolivarienne portée par Hugo Chavez, en 1999, le régime vénézuélien a une posture radicalement anti-américaine, nourrie d’anti-impérialisme et de références marxistes, et assure de cette manière une part de sa légitimité intérieure. En outre, ce régime nourrit des relations soutenues avec des adversaires stratégiques des États-Unis comme la Russie, l’Iran ou la Chine. De ce point de vue, le Venezuela est donc perçu comme un adversaire stratégique par les responsables politiques et sécuritaires américains.

Toutefois, à la racine idéologique, il y a plusieurs représentations proprement américaines qui animent D.Trump et son entourage. Partiellement évoquées dans un précédent article, elles sont ici rappelées et précisées.

La doctrine Monroe

Si nombreux sont les commentateurs qui mobilisent cette doctrine comme pierre angulaire de la politique étrangère américaine dans les Amériques, celle-ci est souvent mal comprise ou déformée dans ses intentions. En effet, en 1823, le président James Monroe (1817-1825) a déclaré que l’hémisphère occidentale ne serait plus ouvert à de nouvelles colonisations par les puissances européennes. Cette doctrine ne signifiait pas que les États-Unis seraient les seuls maîtres du destin des Amériques, mais plutôt que les États-Unis s’opposeraient à toute nouvelle aventure coloniale européenne en échange de sa non-ingérence dans les affaires européennes. Il s’agissait surtout, à l’époque, de soutenir les pays d’Amérique latine qui avaient gagné leurs indépendances face à l’empire d’Espagne, notamment le Mexique, la Colombie, le Pérou, le Chili et l’Argentine, contre un risque de recolonisation par la France ou la Russie. Cette doctrine était coordonnée avec le Royaume-Uni qui assurait une partie de la sécurité maritime américaine afin de fragiliser les empires de ses rivaux par leur éviction de l’Amérique Latine.

Ce moment est aussi fondateur dans la pensée trumpienne car il s’inscrit dans la période où a gouverné l’un de ses trois présidents préférés, Andrew Jackson (1829-1837), qui a conquis la Floride et le Texas contre l’Espagne. À la demande de James Monroe, Andrew Jackson, officier avant de devenir président, a mené ces conquêtes, ainsi que le nettoyage ethnique des natifs américains qui en a résulté. Cette figure populiste, à la personnalité agressive, défenseuse des droits de douanes et de la ségrégation raciale, promoteur de l’expansion territoriale américaine et ayant survécu à une tentative d’assassinat, est une influence majeure de D.Trump.

 
La parenthèse impérialiste

La doctrine Monroe a ensuite été détournée de son sens en étant instrumentalisée par deux présidents américains, à la fin du XIXe siècle : William McKinley (1897-1901) et Théodore Roosevelt (1901-1909). Relativement inconnu, le premier a été le seul président explicitement mentionné par Trump, lors de son discours d’investiture du 20 janvier 2025, et fait l’objet d’une revalorisation symbolique par un décret présidentiel, le même jour, visant à renommer le plus haut sommet des États-Unis en "Mont McKinley". Dans ce décret, ce dernier est décrit comme celui qui a "héroïquement mené la nation à la victoire durant la guerre hispano-américaine [de 1898]. Sous son autorité, les États-Unis ont bénéficié d’une croissance économique rapide, connu la prospérité et profité d’une expansion de leur territoire. C’est le Président McKinley qui a mis en place les droits de douane nécessaires à la protection du secteur manufacturier américain, encouragé la production intérieure et conduit l’industrie américaine à de nouveaux sommets." ["heroically led our Nation to victory in the Spanish-American War. Under his leadership, the United States enjoyed rapid economic growth and prosperity, including an expansion of territorial gains for the Nation. President McKinley championed tariffs to protect U.S. manufacturing, boost domestic production, and drive U.S. industrialization and global reach to new heights"]. Son influence pour D.Trump est donc très claire. Le second est un des présidents américains les plus connus, avec lequel D.Trump s’est souvent comparé en raison de la personnalité virile, sans filtres, médiatique et new-yorkaise de Théodore Roosevelt - bien que de nombreux historiens contestent un tel parallèle, estimant que l’intéressé aurait été largement opposé à de nombreuses prises de position de D.Trump.

Roosevelt a travaillé dans le gouvernement McKinley et McKinley a fait la promotion de Roosevelt dans les cercles politiques, afin de mener à bien leur projet principal : une expansion impérialiste des États-Unis.

Or, ces deux présidents ont travaillé en tandem pour conquérir le pouvoir. Roosevelt a travaillé dans le gouvernement McKinley et McKinley a fait la promotion de Roosevelt dans les cercles politiques, afin de mener à bien leur projet principal : une expansion impérialiste des États-Unis (Le mot "impérialiste" est le leur).

Durant leur mandat, les États-Unis ont expulsé l’Espagne de l’hémisphère occidental, libéré Cuba en prenant un contrôle indirect du nouveau régime, annexé Hawaï, pris le contrôle de Porto-Rico, des Philippines et de nombreuses îles du Pacifique (comme Guam), tout en construisant le canal du Panama. Ils ont aussi participé à la politique de la porte ouverte, en contraignant militairement la Chine au commerce avec les États-Unis. Cette expansion impériale a été justifiée par la nécessité de se sécuriser dans l’hémisphère occidentale, à l’Est contre les puissances européennes, à l’Ouest en prenant le contrôle stratégique du Pacifique, tout en trouvant des débouchés coloniaux à une industrie américaine ayant déjà saturé le marché intérieur américain. Cette période nourrit fortement l’imaginaire de D.Trump, et c’est surtout à elle qu’il se réfère dans sa volonté d’expansion américaine (Panama, Canada, Groënland, etc.). En plus, McKinley a été un président très favorable aux droits de douanes, ce que ne manque pas de relever D.Trump.

C’est cette lecture très située historiquement de la doctrine Monroe qui est mobilisée par D.Trump depuis 2018, mais aussi dans le contexte actuel où des documents du Pentagone y font par exemple explicitement référence : il s’agit de sa réinterprétation impérialiste.

Cette parenthèse a duré seulement quelques années, avec des conséquences significatives, car le projet impérial a été fortement rejeté, à la fois par une classe politique américaine fondée sur l’anticolonialisme et par ses propres instigateurs, Roosevelt en tête, refroidis par le coût financier et militaire de la guerre de contre-insurrection qu’il fallait mener dans les Philippines. La posture impériale a donc été abandonnée, au profit d’une doctrine d’ingérence ponctuelle mais récurrente en Amérique Latine au cours de l’ensemble du XXe siècle, basée sur les fondements de la doctrine Monroe ainsi que sur la gestion des menaces régionales (anti-communisme, lutte contre la drogue, etc.).

La menace régionale

La doctrine Monroe, la parenthèse impérialiste et les velléités guerrières actuelles ne peuvent pas se comprendre, sans prendre en compte les représentations d’une menace régionale. D.Trump est fortement influencé par un problème ressenti par tous les Américains depuis la création des États-Unis : les menaces externes qui visent leur projet politique et leur prospérité économique. Ce sentiment est omniprésent et, sans que l’on puisse revenir sur ses origines, il est impératif de comprendre que le premier cercle de menaces perçues par les responsables américains vient de son espace régional. Les moments historiques décrits ci-dessus cherchaient à sécuriser les États-Unis dans cet espace proche : or, après trois décennies d’opérations militaires loin des frontières au XXIe siècle (opérations pour la paix, lutte contre le terrorisme, etc.), un consensus a émergé au sein de la classe politique américaine : l’hémisphère occidental est redevenu un espace de menaces pour les États-Unis, en raison de l’explosion de l’activité des cartels de la drogue (et de la mortalité par overdose aux États-Unis), de l’activisme renforcé des compétiteurs stratégiques russes, chinois et iraniens dans la région, des menaces terroristes émanant de l’infiltration des filières d’immigration clandestine... 

Après trois décennies d’opérations militaires loin des frontières au XXIe siècle, un consensus a émergé au sein de la classe politique américaine : l’hémisphère occidental est redevenu un espace de menaces pour les États-Unis.

Ainsi, Trump a pu aisément bâtir une stratégie politique sur ce consensus, en désignant de nouveau l’hémisphère occidental comme prioritaire pour la sécurité américaine, espace ayant été oublié lors des "forever wars" au Moyen-Orient ou en Asie.

Porter le glaive contre le Venezuela

Dans ce contexte, le régime de Nicolas Maduro incarne la convergence de toutes ces menaces : régime marxiste ouvertement anti-américain dans un contexte post-guerre froide ; étroitement soutenu par la Russie, l’Iran et la Chine ; source de flux d’immigrations massifs vers les États-Unis ; liens de l’armée avec des cartels de drogue, etc. Dès lors, un courant historique important au sein du parti Républicain, nourri d’un anti-communisme ontologique et mêlant des intérêts d’affaires, cherche à renverser les responsables révolutionnaires américains, tels que Maduro ou Castro : ce courant est notamment porté aujourd’hui par des responsables "cubano-américains" comme le secrétaire d’État et conseiller à la sécurité nationale, Marco Rubio, et plusieurs responsables de Floride. D.Trump est entouré de ces figures et il semble que Rubio soit à la manœuvre sur cette campagne contre le Vénézuela.

Ainsi, en 2019, durant son premier mandat, Trump avait déjà donné l’ordre secretde faire tomber le régime de Maduro, mais seulement par des moyens clandestins et des pressions économiques. Cette première tentative a échoué, mais il a conservé cet objectif pour son second mandat, réinitiant l’entreprise : l’objectif reste le même mais la stratégie change et monte d’un cran. Depuis sa prise de pouvoir, dès ses premières décisions, il a mis en place les jalons de cette stratégie pour construire un cadre politique et juridique susceptible de légitimer une intervention militaire auprès du public et des responsables politiques américains : désignation des cartels de drogue comme groupe terroriste ; désignation publique de Nicolas Maduro comme directement lié à Tren de Aragua et Cartel de Soles, après avoir été mis en examen pour trafic de drogue en 2020 par la justice américaine ; gonflement de la menace, malgré des avis divergents de ses services de renseignement ; ordre de préparer des opérations clandestines pour déstabiliser le régime ; accroissement des sanctions économiques ; prépositionnement de forces militaires dans les Caraïbes ; lancement d’opérations ciblées, de basse intensité, contre des navires liées à des cartels de drogue, malgré une absence de preuve et de justification de leur nature menaçante, hors du cadre légal de la guerre…

L’équation stratégique de D.Trump est simple et limpide depuis son retour au pouvoir : il ne souhaite pas engager des troupes américaines au sol dans des opérations militaires importantes, comme en Irak et en Afghanistan, mais il souhaite utiliser la force et la contrainte pour renverser Maduro. Dans ce contexte, les seules solutions militaires qui s’offrent à lui sont des campagnes de frappes aériennes ou maritimes, et des stratégies opaques (opérations spéciales, opérations clandestines, cyberattaques, opérations informationnelles, etc.). Celles-ci seront couplées avec les pressions économiques déjà en place pour parvenir à un changement de régime basé sur un renversement de l’intérieur et la bascule des militaires vers une figure politique alternative, comme Juan Guaido, président par interim entre 2019 et 2023 en parallèle de Maduro, ou plus probablement Maria Corina Machado, la récipiendaire du prix Nobel de la paix en 2025, déjà en lien étroit avec l’administration américaine pour préparer ce renversement.

Des opérations préliminaires contre la drogue

Depuis fin août 2025, 10 frappes de drones, dont 8 dans les Caraïbes, ont été menées contre des navires suspectés d’appartenir à des cartels de drogue, faisant plus de 40 morts et deux prisonniers. Des citoyens colombiens, équatoriens, trinidadiens ou vénézuéliens ont été tués, sans que leur lien avec le trafic de drogue soit confirmé. D.Trump a justifié ces opérations en indiquant détenir des renseignements très précis, notamment d’origine électro-magnétique (interceptions téléphoniques ou radios), sur la présence de cargaisons de drogues destinées aux États-Unis.

S’il est impossible, pour l’heure, d’affirmer que les individus ciblés sont des trafiquants de drogue, il est important de comprendre que les services de renseignement américains et les forces armées américaines ont réalloué des ressources significatives sur l’Amérique Latine, en général, et sur la lutte contre les cartels de drogue, en particulier, depuis le premier mandat de Trump (Joe Biden poursuivant cet effort). Ainsi, la cartographie des cartels est probablement plus précise et plus avancée qu'il y a une décennie.

Le problème qui émerge est de deux ordres :

(i) Un usage disproportionné de la force létale et la crainte du déclenchement d’une guerre sans autorisation du Congrès. En effet, sur le plan légal, le déclenchement d’opérations militaires ciblées contre des "combattants ennemis terroristes" est possible pour le président américain et ne requiert pas d’autorisations particulières. En revanche, tuer des individus, plutôt que les arrêter, pour des personnes suspectées d’être des trafiquants de drogue est une évolution éthique et légale significative. Les bavures sont probables et la classe politique américaine, même républicaine, demande des comptes pour ce qui s’apparente à des assassinats extra-judiciaires en zone internationale. En outre, les responsables politiques, notamment démocrates, perçoivent la montée progressive des tensions pour aller vers une guerre au Venezuela, et cherchent à la prévenir cela par un retour au cadre légal et constitutionnel qui impose que la guerre soit déclarée à un État tiers par autorisation du Congrès.

(ii) L’absence de preuve produite par l’administration, dans un contexte de défiance de la parole présidentielle. Seules des images ou vidéos prises par les drones des frappes aériennes sont diffusées publiquement, à des fins de communication politique, mais l’administration n’a toujours pas produit de preuves que ces opérations visaient bien des trafiquants de drogue. D.Trump a confirmé que ces opérations sont effectuées sur la base de renseignements nombreux et fiables, mais les divergences qui sont apparues avec la communauté du renseignement depuis son retour au pouvoir,sur le Venezuela ou sur l’Iran, tendent à décrédibiliser sa parole. Rien ne dit que ces opérations ne sont pas menées sur la base de renseignements peu ou pas fiables : cela semble peu probable, l’armée américaine ayant des processus de fiabilisation robustes, mais toujours possible, considérant la pression politique émanant de la Maison Blanche et les biais importants pouvant conduire à des opérations militaires ratées. Le départ soudain et inexpliqué de l’amiral Alvin Hosley, le commandant de SOUTHCOM, le commandement militaire américain chargé de ces opérations, augmente le doute sur la légalité et la légitimité de ces opérations. 

Les options militaires

Dans ce contexte, alors que ces opérations "anti-drogues" servent à bâtir le prétexte à une imminente campagne américaine contre le Venezuela, comment pouvons-nous anticiper ou comprendre ce qui pourrait arriver ?

Ces opérations "anti-drogues" servent à bâtir le prétexte à une imminente campagne américaine contre le Venezuela.

Depuis fin août 2025, les forces armées américaines se prépositionnent dans les Caraïbes, de manière inédite, avec plus de 10 000 soldats déployés.

Environ la moitié de ces forces, incluant 2200 marines, se trouvent sur au moins 9 navires, parmi lesquels trois frégates (destroyers), trois navires du groupe amphibie Iwo Jima et deux croiseurs des forces spéciales (dont le MV Ocean Trader, un bateau état-major des Navy Seals servant aux missions secrètes de renseignement et de projection). L’autre moitié de ces forces est déployée sur des aéroports, à Porto Rico, aux côtés de nombreux avions (P8 Orion) et drones de surveillance (MQ-9 Reaper). Des survols de l’espace aérien et des côtes vénézuéliennes ont été détectés, notamment des vols de bombardiers B-52 effectués depuis les États-Unis. Porto Rico constitue la base avancée de ces opérations, avec un déploiement significatif des forces et la mise en œuvre, par exemple, de nouveaux radars dans les Virgin Island. Le 24 octobre 2025, le Pentagone a annoncé le déploiement du Ford Carrier Strike Group dans les Caraïbes dans les 10 jours à venir. Ce groupement est constitué du porte-avions U.S.S. Gerald R. Ford et de cinq frégates destroyers. Il inclut 5500 marins et plus de 75 aéronefs, dont des hélicoptères et des avions de combat.

Pour l’heure, ce déploiement est en phase de planification, ce que les militaires américains appellent le "shaping" (i.e. façonnage du champ de bataille). Les opérations seront lancées lorsque cette phase de shaping sera terminée, que des options viables seront présentées à D.Trump et que ce dernier estimera la fenêtre favorable. Ce déploiement nous informe toutefois sur la stratégie militaire qui pourrait être mise en œuvre, à la lumière des doctrines américaines habituelles et des objectifs recherchés.

(i) La stratégie militaire s’appuiera essentiellement sur des campagnes de frappes, réalisées depuis la mer (missiles depuis les frégates) et depuis les airs (bombardements B-52 pour les objectifs militaires importants et avions de combat pour des frappes secondaires). Ces frappes viseront des objectifs militaires importants : dans un premier temps, radars et batteries antiaériennes, notamment sur la base aérienne Capitan Manuel Rios abritant de redoutables batteries S-300, ainsi que leurs chasseurs Sukhoi Su-30, pour prendre le contrôle de l’espace aérien ; dans un second temps, bases aériennes (au moins 16 recensées) et navales, pour prévenir des représailles sur les navires américains ; dans un troisième temps, les bases de l’armée de terre, notamment Fort Tiuna à Caracas.

(ii) Ces campagnes de frappe seront articulées avec des raids des forces spéciales, en amont pour guider ces frappes (insertion discrète de capacités JTAC), puis, lorsque l’espace aérien est ouvert, pour capturer ou neutraliser des objectifs à haute-valeur ajoutée (dignitaires du régime). Au regard de l’absence de tabou de D.Trump, il est probable qu’il cherche à neutraliser Nicolas Maduro, par exemple par une frappe de drone. Ces opérations "in and out" de forces spéciales seront opérés depuis les bateaux au large, en parallèle de raids menés par des hélicoptères de combat pour éventuellement détruire des objectifs secondaires et mobiles (chars, troupes au sol) : la destruction des armées vénézuéliennes ne devrait pas être nécessairement un objectif de la campagne, étant donné qu’une partie de la stratégie est d’amener l’armée à lâcher Maduro.

(iii) Un déploiement de marines (équivalent des troupes de marine françaises), notamment via des moyens amphibies, pourrait ensuite s’opérer pour prendre le contrôle de bases sur les côtes vénézuéliennes et éventuellement aider à sécuriser une prise de Caracas par une figure politique vénézuélienne. Même si la capitale se trouve à 10 kilomètres à peine de la côte, cette étape reste néanmoins la plus hasardeuse, car c’est celle qui présente le plus de risques pour les troupes américaines au sol.

(iv) Ces opérations seront soutenues par des stratégies opaques visant à fragiliser l’édifice politico-militaire vénézuélien et soutenir les opérations militaires. L’US Cyber Command et les état-majors opérationnels cyber (notamment MARFORCYBER pour le SOCOM et FLTCYBER pour le SOUTHCOM) seront chargés de neutraliser par cyberattaques les défenses (radars) et les infrastructures critiques (réseau électrique). SOCOM sera aussi chargé de réaliser des opérations informationnelles pour saturer l’espace numérique et médiatique vénézuélien, vraisemblablement en appelant au soulèvement populaire ou en déployant des rumeurs sur l’effondrement du régime ou sur la fuite des dignitaires. Surtout, dans le domaine opaque, la CIA a déjà été missionnée pour mener des opérations clandestines : ce terme assez large pourrait englober, pour le cas présent, des opérations visant à utiliser la menace militaire grandissante pour obtenir un retournement des dignitaires et militaires du régime, mais aussi des opérations visant à préparer des individus (responsables politiques) ou des forces paramilitaires pour soutenir une insurrection et une prise du pouvoir. Ces opérations joueront aussi vraisemblablement un rôle pour déstabiliser l’économie vénézuélienne.

(v) Sur le plan du renseignement, les États-Unis disposent d’un avantage considérable sur le Venezuela. La planification militaire, notamment la phase de ciblage, est réalisée majoritairement par des prises de photo satellites et de la reconnaissance aérienne (IMINT), complétée par de l’interception et localisation des communications radios et téléphoniques des forces armées vénézuéliennes (SIGINT). Le défi principal est de localiser les batteries S-300, mobiles, discrètes et seules à même de détruire des aéronefs américains. Cette pratique du renseignement militaire est classique pour les armées américaines. En outre, la quasi intégralité des flux de données internationaux en provenance de l’Amérique Latine transite par Miami et le territoire américain, permettant à la NSA de réaliser une collecte massive de renseignement sur Internet et un piégeage plus régulier des téléphones et ordinateurs utilisés par les responsables du régime. L’inconnue réside dans la collecte de renseignements par sources humaines (HUMINT), le pays étant à la fois un adversaire depuis des décennies mais aussi un objectif peu prioritaire pour la CIA ces 20 dernières années. En tout état de cause, pour réaliser la stratégie décrite ci-dessus, les Américains disposent de moyens largement suffisants.

Au regard de l’absence de tabou de D.Trump, il est probable qu’il cherche à neutraliser Nicolas Maduro, par exemple par une frappe de drone.

Ainsi, sur le plan militaire, la meilleure analogie est sûrement à trouver avec la guerre en Libye de 2011 qui a vu l’OTAN détruire le régime de Mouammar Kadhafi depuis la mer et par les airs. Si celle-ci ne suffisait pas à faire tomber Maduro au profit d’un gouvernement alternatif, la stratégie risquerait de passer à une stratégie plus proche de la guerre du Golfe de 1991, avec un engagement au sol américain.

Même si le régime de Maduro se prépare et déploie, dès à présent, ses milices populaires pour faire face à une éventuelle agression, la supériorité militaire et technologique américaine est écrasante. L’armée vénézuélienne dispose de plus de 100.000 soldats, dont environ 60.000 pour l’armée de terre et 30.000 pour la marine ; ainsi que plusieurs centaines de milliers de miliciens populaires, ayant reçu un entraînement militaire. Ces forces sont globalement mal équipées, mal entraînées et mal entretenues, soumises à une forte corruption et à des sanctions économiques drastiques. S’il est plausible d’anticiper un effondrement du régime, il est beaucoup plus difficile de mesurer le niveau de nationalisme et l’endoctrinement idéologique des soldats et des citoyens qui seraient susceptible de causer une réponse populaire et insurrectionnelle forte en réponse à une agression américaine unilatérale.

Sur le plan stratégique, les États-Unis auront donc au moins quatre défis :

  1. Le Venezuela est un pays très vaste, ce qui est susceptible d’ouvrir la voie à l’établissement d’une insurrection longue en cas d’effondrement du régime ou de prise de Caracas. Si les États-Unis parviennent à installer un nouveau gouvernement, tout en ouvrant la voie à une guerre civile de longue durée, le problème restera entier pour Washington ;
  2. Le Venezuela n’est pas seul. Les grands pays limitrophes ne sont pas tous des alliés privilégiés des états-Unis, l’administration américaine étant fortement opposée aux gouvernements brésiliens et colombiens. Le soutien logistique et politique, à défaut d’être militaire, de ces deux pays est à prendre en compte et pourrait étendre la portée du problème vénézuelien pour les États-Unis. Dans un contexte de guerre, les États-Unis ne pourront compter que sur l’aide logistique et les territoires de Trinidad et Tobago ou du Guyana, tous deux proches de l’administration américaine ;
  3. La réaction de la Russie, de l’Iran et de la Chine pourrait compliquer la donne à Washington. En effet, si ceux-ci ne disposent pas réellement de leviers pour empêcher cette intervention ou jouer sur les équilibres tactiques, ils pourront en revanche profiter de cet engagement militaire américain pour avancer de leurs côtés, favorisant de nouvelles offensives en Ukraine et de nouveaux coups de pression vers Taiwan. Les planificateurs américains devront donc gérer des défis posés par leurs compétiteurs stratégiques, qui ne manqueront pas de rallier politiquement les pays des Suds contre l’intervention, tout en assurant la réussite de leurs opérations ;
  4. Un renversement du régime de Maduro sera vécu, à court-terme, comme une victoire, mais à moyen-terme, la base MAGA pourrait être très critique de ce nouvel aventurisme militaire, d’autant que les flux migratoires augmenteront sensiblement. Les critiques, au sein du camp MAGA, se font déjà fortement entendre et, à l’image de l’unique frappe américaine en Iran, cette opération militaire ne devra pas durer dans le temps si Trump ne souhaite pas perdre le soutien de sa base électorale et de ses idéologues.

Un renversement du régime de Maduro sera vécu, à court-terme, comme une victoire, mais à moyen-terme, la base MAGA pourrait être très critique de ce nouvel aventurisme militaire, d’autant que les flux migratoires augmenteront sensiblement.

Fondée sur une insécurité idéologique américaine et un réflexe militaire impérial et unilatéral, cette nouvelle guerre à venir pourrait bien être néanmoins un nouveau front et un nouvel avatar de ce que nous appelons les guerres mondialisées, ce conflit qui s’étend sur l’ensemble de la planète et qui oppose les États-Unis, les Européens et un axe de puissances autoritaires (Chine, Russie, Iran, Corée du Nord, Venezuela) déterminé à reconfigurer l’ordre international.

Copyright image : Jim WATSON / AFP.
Le secrétaire d’État américain Marco Rubio et Donald Trump à la Maison-Blanche, le 9 octobre 2025.

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