AccueilExpressions par Montaigne[Sondage] - Élections européennes : à trois mois du scrutin, tout n’est pas joué d’avanceL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.11/03/2024[Sondage] - Élections européennes : à trois mois du scrutin, tout n’est pas joué d’avance Union EuropéenneImprimerPARTAGERAuteur Blanche Leridon Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions Auteur Lisa Thomas-Darbois Directrice des Études France et Experte Résidente Auteur Georgina Wright Directrice adjointe des Études Internationales et Expert Résident L’avance considérable prise par le Rassemblement national dans les sondages nourrit une petite musique, celle d’une élection jouée d’avance, que l’on assortit volontiers d’une autre rengaine, celle d’un désintérêt présumé - ou d’une hostilité - des Français à l’égard de Bruxelles. L’échéance du 9 juin ne serait qu’une formalité de mi-mandat, un vote sanction infligé au gouvernement, au bénéfice d’un RN qui n’aurait que 2027 en ligne de mire. L’enquête électorale conduite avec IPSOS, pour l’Institut Montaigne, Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof, permet de nuancer ces idées reçues. Souvenons-nous qu’en 2019, en dépit de la crise des gilets jaunes qui s’était retrouvée au cœur de la campagne nationale (nous testions même à l’époque des hypothèses de liste "gilets jaunes"), Renaissance talonnait le RN, à quelques centièmes près. À trois mois du scrutin, les sondages prévoyaient un score de 23 % pour LREM et de 21 % pour le RN, le score final devait s’inverser, et être plus serré encore, avec 23,3 % pour la liste de Marine Le Pen, et 22,4 % pour celle de Nathalie Loiseau. Le parti présidentiel, quoiqu’affaibli sur la scène domestique, bénéficiait encore de l’élan de 2017 - raffermi par le discours de la Sorbonne et les initiatives pro-européennes du Président. Il bénéficiait aussi, dans une certaine mesure, des inquiétudes liées à un Brexit toujours en cours, dont les atermoiements et l’issue incertaine refroidissaient quelques-uns des pourfendeurs de l’UE, et aussi d’une Amérique antagoniste incarnée par Donald Trump. Aujourd’hui, l’infime écart s’est transformé en gouffre béant, avec 31 % d’intention de vote pour la liste de Jordan Bardella, et 18 % pour celle menée par Valérie Hayer. Le reste du paysage politique national poursuit son éclatement : 11 % pour le PS, 8 % pour EELV, 7 % pour LR et FI.Un attachement au projet européen qui se maintientÀ trois mois de l'élection, rien n'est joué pour autant. N’alimentons pas cette dangereuse idée selon laquelle l'échéance du 9 juin ne serait qu'une formalité de mi-mandat, un vote sanction infligé au gouvernement, au bénéfice d'un RN qui n'aurait que 2027 en ligne de mire. Ce qui ressort de notre enquête, c'est qu’en dépit de la progression historique du RN et de la succession de crises ces dernières années, l'attachement au projet européen n’a pas régressé : 73 % des Français s'y disent favorables.Chez les 18-24 ans, ce score monte à 80 %, et à 86 % chez les agriculteurs qui sont, parmi l’ensemble des catégories socio-professionnelles interrogées, les plus attachés au projet communautaire. Certes, une majorité de Français (54 %) marque un désaccord avec la façon dont ce projet est mis en place aujourd’hui, mais ils ne remettent pas en cause son existence. On observe même une progression de 4 points par rapport au dernier scrutin chez ses défenseurs les plus farouches. Cet attachement est souvent lié à la capacité des Français de jouir des bénéfices de l’UE à travers leurs modes de vie ou leurs revenus. 66 % des ménages aux revenus les plus faibles sont favorables au projet européen, ils sont plus de 85 % à l’être chez les plus aisés. De même, les Français qui se rendent très souvent dans d’autres pays européens ont une propension plus importante à adhérer au projet (82 %) que ceux qui y voyagent peu (56 %). Notons également que les électeurs de Marine Le Pen en 2022 sont désormais 48 % à se déclarer favorables au projet européen, même si l’immense majorité est en désaccord avec la façon dont il est mis en place aujourd’hui (42 %). Et si 22 % des interrogés reconnaissent qu’ils éprouveraient un "vif soulagement" si l’on annonçait l’abandon de l’UE, 47 % exprimeraient, quant à eux, "de grands regrets". Enfin, 48 % des interrogés se sentent "Français et Européens", 10 % "Européens et Français" et 1 % "Européens seulement", soit une large majorité de 59 % déclarant se sentir européens.Ces chiffres, comme les intentions de se rendre aux urnes - 44 % sont certains d’aller voter - pourraient entraîner un taux de participation élevé en juin prochain. Pour rappel, en 2019, des records historiques avaient été observés, en France (50 %) et presque partout ailleurs en Europe. La campagne démarre à peine, et rien n’est encore joué sur le débat d’idées. Parmi les électeurs certains d’aller voter, 37 % peuvent encore changer d’avis.2019-2024 : le monde a changé, la France et l’Europe aussiSouvenons-nous qu’entre 2019 et 2024, le monde a changé. L’Europe a connu le Covid, la guerre en Ukraine, les crises économiques et énergétiques, l’inflation. Elle est marquée aujourd’hui par une très forte instabilité internationale, avec un niveau de conflictualité dans le monde qui atteint son niveau le plus élevé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Qu’il s’agisse du Covid ou de l’Ukraine, une partie de la population a bien compris que l’échelon européen était indispensable pour répondre à ces défis. Reconnaître cela ne signifie pas que l’on adhère mécaniquement aux politiques européennes mises en place, c’est bien ce que montre notre enquête. Et c’est là que nous assistons à un changement de paradigme intéressant. Les débats portent désormais moins sur le débat binaire et réducteur "pour ou contre l’Europe", mais "Quelle Europe ?", quelles modalités d’action, quelles évolutions et perspectives.Le Rassemblement national ou l’ambivalence de l’avanceAutre changement majeur depuis 2019, l’évolution du RN dans le paysage national, et le développement de ses alliés ailleurs en Europe. En 2019, Le Rassemblement national n’avait que 8 députés à l’Assemblée nationale, aucun élu au Sénat. En 2024, ils sont 89 députés à siéger à l’Assemblée, 3 au Sénat. Le parti peut aussi se targuer d’importants ralliements, qui pourraient parachever sa quête de légitimité / notabilité, notamment dans la sphère de la haute fonction publique. Le RN est à la fois plus puissant mais aussi beaucoup plus prudent. En tête des sondages et voulant y rester, il doit policer son discours, ne peut tolérer aucun écart, ce qui donne lieu à un programme européen en réalité beaucoup plus flou, à des prises de position moins tranchées, comme on a pu le constater lors du meeting de lancement de Jordan Bardella à Marseille le 3 mars dernier.Le RN a également un bilan au Parlement européen, et il en est comptable devant les Français. Mais son influence reste limitée : le groupement politique dont il fait partie, Identité et Démocratie, reste profondément divisé, que ce soit sur la question de soutien à l’Ukraine ou encore la condamnation de la Russie. Les eurodéputés RN participent peu au travail de commissions - étape pourtant importante qui permet aux eurodéputés de proposer des amendements aux textes législatifs proposés par la Commission européenne - préférant limiter leur présence aux plénières, une fois par mois. Ils ne cherchent pas à forger des coalitions d’influence, et encore moins de blocage. Comment, dans ce contexte, le parti peut-il encore progresser d’ici au mois de juin ? La campagne, qui a désormais commencé, nous donnera des éléments de réponses sur ces sujets.Démontrer ce que l’UE fait au quotidien, sans angélisme ni défaitismeDurant les trois mois qu’il nous reste, c’est donc un effort de pédagogie qu’il faut poursuivre autour du scrutin et de ses enjeux. Seuls 24 % des Français estiment être bien informés sur l’UE. La méconnaissance de son fonctionnement explique l’abstention potentielle de 26 % d’entre eux. Mais ça n’est pas son premier moteur. Parmi ceux qui ne comptent pas voter, 44 % évoquent l’absence de représentativité des listes politiques et 46 % estiment que l’élection n’aura pas d’impact sur leur quotidien. Sur ce point, notre enquête révèle un grand flou autour de l’articulation entre prérogatives européennes et nationales, c’est le cas par exemple sur les finances publiques ou la fiscalité. Les résultats révèlent également que même là où l’UE a un rôle à jouer, les Français peinent à déceler son influence positive, ou son influence tout court (sur le réchauffement climatique, ils sont 62 % à ne voir ni influence positive, ni négative ; de même sur la paix en Europe, un peu moins de 60 % y voient une contribution positive).L’Europe est cependant plus présente dans les moteurs de vote qu’elle ne l’était en 2019, où 58 % déclaraient voter en fonction des propositions nationales (contre 53 % aujourd’hui). Si un intérêt croissant pour les enjeux européens semble se matérialiser dans l’esprit des Français, ils sont une majorité (57 %) à penser qu’à l’avenir, l’UE sera plus faible, et 66 % qu’elle sera plus divisée. C’est donc de la pédagogie et, n’ayons pas peur des mots, un peu d’espoir, qu’il faut insuffler dans sa campagne.Le débat binaire entre anti et pro-Européens, qui a structuré les campagnes passées, ne semble plus d’actualité. Les Français perçoivent l’importance de l’UE pour répondre aux défis et aux crises, mais ils demeurent pessimistes quant à sa capacité à les surmonter efficacement. Le grand gagnant des élections sera le parti qui, sans angélisme et avec lucidité, sera en mesure de démontrer comment l’Europe impacte la vie des citoyens au quotidien, il devra aussi avoir le courage de reconnaître ses manquements actuels, et de proposer des voies de réforme pour que tous les Français puissent en bénéficier. Copyright : MYCHELE DANIAU / AFP Sondage "Enquête électorale française Elections européennes" (mars 2024) (50 pages)TéléchargerImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneMars 2024Élections européennes 2024427 millions d’électeurs seront appelés aux urnes pour les 10e élections européennes qui se tiennent du 6 au 9 juin 2024. L’Institut Montaigne contribue au débat à travers son opération spéciale, mêlant analyses d’opinions, décryptages et scénarios.Consultez l'Opération spéciale 11/03/2024 Élections européennes : de quoi parle-t-on ? Georgina Wright Lola Carbonell