Rechercher un rapport, une publication, un expert...
La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne
Imprimer
PARTAGER

Service militaire : l’Europe en ordre de marche

Service militaire : l’Europe en ordre de marche
 Sossi Tatikyan
Auteur
Analyste en relations et sécurité internationales - doctorante à la Sorbonne nouvelle

​Menace russe toujours plus pressante et publication de la nouvelle Stratégie de sécurité nationale américaine qui confirme l'éloignement de l'allié transatlantique : en Europe, l'évidence se fait jour, il n'est plus temps de toucher les dividendes de la paix, et l’on s'en inquiète. Plus des deux tiers des Européens estiment que leur pays ne pourrait pas résister à une attaque militaire russe. Dans ce contexte, la France, où le président Macron a annoncé l’instauration d’un nouveau service militaire volontaire, ne fait pas exception. Partout sur le continent, on cherche à diffuser l'esprit de défense au sein des sociétés civiles et à renforcer les capacités militaires. Quelles conséquences sur les régimes de conscription ? État des lieux.

Emmanuel Macron a annoncé le 27 novembre 2025, à l’occasion d’une visite de la 27e Brigade d'infanterie de Montagne à Varces, l’instauration d’un nouveau régime de service militaire volontaire : un changement de posture de défense substantiel qui constitue la modification la plus significative que le système de recrutement français ait connu depuis la suspension de la conscription en 1997. Nonobstant le débat que cela génère, cette réforme s’inscrit dans une tendance européenne plus large de recalibrage des politiques de défense. Planification, mobilisation, approfondissement quantitatif et qualitatif des réserves, diffusion de l’esprit de défense parmi la société : autant d'enjeux qui reviennent au centre des débats dans l’UE.

L'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie, ses menaces directes récentes contre les États membres de l'UE et l'intensification des activités hybrides sur leur territoire, combinées au changement d'orientation des États-Unis, qui privilégient des engagements conditionnels et fondés sur leurs intérêts, ont remodelé l'environnement de sécurité européen. Pour de nombreux gouvernements, les besoins de mobilisation rapide ont remis en question l'hypothèse selon laquelle des armées petites, professionnelles et basées sur le volontariat suffisent à répondre aux besoins contemporains.

Facteurs stratégiques de changement

L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a été le changement le plus déterminant pour contraindre les États membres de l'UE à réévaluer les fondements de leur planification de défense. La guerre moderne de haute intensité a montré qu'un équipement de pointe est impuissant sans profondeur substantielle d'effectifs, des réserves robustes et une préparation sociétale. Partout en Europe, les armées professionnelles sont confrontées à des pénuries de recrutement, à des réserves vieillissantesou insuffisantes et à une capacité limitée de mobilisation évolutive. Par conséquent, plusieurs États membres de l'UE réexaminent la conscription, adoptent des modèles de service hybrides ou sélectifs, élargissent les cadres de réserve ou introduisent de nouveaux programmes de formation volontaire. Malgré leurs différences, ces réformes partagent un objectif commun : reconstruire la profondeur stratégique, renforcer la capacité de mobilisation et restaurer la résilience sociale dans un environnement de sécurité qui se détériore rapidement.

Ce sens des priorités s’est vu conforté par une série d'opérations hybrides russes qui ont directement touché les États membres de l'UE cette année. En novembre 2025, une vague d'incursions de drones, de violations de l'espace aérien, de tentatives de sabotage et de pressions hybrides a été enregistrée à travers l'Europe, mettant à rude épreuve les défenses aériennes nationales et de l'OTAN - incursion de plus de vingt drones dans l'espace aérien polonais en une seule journée, parallèlement à la première violation de l'espace aérien estonien par un avion de chasse russe depuis 2022. Les tactiques hybrides de la Russie menacent également de saper la sécurité énergétique et les infrastructures critiques de l'Europe, en pleine saison hivernale. Tous ces incidents démontrent que même les pays géographiquement éloignés du champ de bataille sont exposés à la coercition et aux intimidations russes.

Plus récemment, le président Vladimir Poutine a encore intensifié sa rhétorique : il a averti que la Russie est prête à une confrontation directe avec l'Europe si les "lignes rouges" sont franchies - une déclaration largement interprétée comme une menace de guerre contre les États membres de l'UE. Dans le même temps, plus des deux tiers des Européens estiment que leur pays ne pourrait pas résister à une attaque militaire russe. Il y a une reconnaissance croissante en Europe, y compris au Royaume-Uni, que l'Europe doit se préparer à la guerre avec la Russie. Pour les planificateurs de la défense, cela a renforcé la nécessité de défenses aériennes plus solides, de réserves plus importantes et de capacités de résilience intérieure améliorées. Cela a également renouvelé l'importance des effectifs - longtemps négligée à l'ère de la professionnalisation - en tant que priorité stratégique.

La stratégie fait systématiquement référence à "l'Europe" plutôt qu'à l'Union européenne, un choix rhétorique délibéré qui signale une attitude critique à l'égard des institutions supranationales : le continent est avant tout considéré à travers le prisme de la souveraineté et de l'action des États-nations individuels.

Un autre facteur clé, pour expliquer la transformation de la défense européenne, est l'incertitude accrue qui prévaut quant à l'engagement à long terme de Washington sur la sécurité euro-atlantique. Avec son approche conditionnelle de l'Article 5 du Traité de l'Atlantique Nord et son insistance sur le fait que les alliés européens devaient contribuer à hauteur d'au moins 5 % du PIB à la défense, le Président Trump a amplifié les inquiétudes sur la crédibilité du parapluie de sécurité transatlantique. 

Il n’a eu de cesse de faire comprendre que ceux d’entre ses partenaires qui ne respecteraient pas ce seuil pourraient ne pas être protégés. Ce faisant, il a contraint les dirigeants européens à reconsidérer leur dépendance structurelle au parapluie de sécurité américain, à revoir la confiance qu’ils plaçaient dans l’alliance transatlantique et à accélérer les efforts pour renforcer les capacités de défense nationales et collectives. La nouvelle Stratégie de Sécurité Nationale des États-Unis (SSN) prend acte de ce revirement en fixant des limites claires à la portée et aux conditions des engagements de l'alliance américaine. Elle donne la priorité à la résilience intérieure et à la compétition entre grandes puissances. Pour l'Europe, la SSN indique que l'engagement futur des États-Unis dans l'OTAN pourrait être plus sélectif et subordonné au "partage du fardeau", ce qui rend nécessaire pour les États européens d'assumer une part de responsabilité nettement plus grande dans leur propre défense. La stratégie fait systématiquement référence à "l'Europe" plutôt qu'à l'Union européenne, un choix rhétorique délibéré qui signale une attitude critique à l'égard des institutions supranationales : le continent est avant tout considéré à travers le prisme de la souveraineté et de l'action des États-nations individuels.

L'autonomie stratégique de l'UE et la perspective française

La notion d'autonomie stratégique européenne ne date pas d’hier : dès avant les récents débats déclenchés par l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie et depuis plus d'une décennie, elle faisait partie de la réflexion au niveau de l'UE. Le concept apparaît déjà dans des documents de politique générale, notamment les conclusions du Conseil de 2013 sur la politique de sécurité et de défense commune, et est articulé dans la Stratégie Globale de l'UE de 2016, qui appelle à une Europe plus forte et mieux capable d'agir dans son voisinage et au-delà. La Boussole Stratégique pour la Sécurité et la Défense de 2022 a fixé des objectifs concrets pour la capacité de déploiement rapide, la résilience et le renforcement de la production industrielle ; elle a ancré davantage le concept dans l'élaboration des politiques de l'UE et a renforcé l'idée que l'Europe devait renforcer à la fois ses capacités humaines et la résilience de ses sociétés civiles.

Institutionnellement, l'UE a commencé à construire les piliers d'une posture de défense plus cohérente bien avant 2022. Le Fonds Européen de la Défense - officiellement établi en 2017 - finance des projets conjoints de recherche, de développement et d'acquisition dans le domaine de la défense, et fonctionne maintenant dans le cadre de son cycle pluriannuel complet 2021-2027 pour renforcer la base industrielle et technologique de l'Europe. L'Examen Annuel Coordonné sur la Défense, qui a achevé son premier cycle complet en 2020, sert de mécanisme d'évaluation structuré qui identifie les lacunes en matière de capacités, surveille les plans nationaux et encourage les États membres à aligner les investissements et la planification de la défense. Ces outils fonctionnent parallèlement à la Coopération Structurée Permanente, lancée en 2017 afin de permettre aux États membres de développer conjointement des capacités, d'améliorer leur interopérabilité et de s'engager dans des projets de coopération plus ambitieux en matière de défense. En parallèle, les missions et opérations de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) de l'UE - qui vont de la formation militaire aux missions de conseil et de stabilité - fournissent le cadre opérationnel à travers lequel l'Union déploie des forces à l'étranger et teste ses ambitions en matière de gestion de crise. Pour compléter cette architecture, la Facilité Européenne pour la Paix - établie en 2021 en tant qu'instrument hors budget - permet à l'UE de financer l'assistance militaire, de fournir des équipements et de soutenir les forces armées des pays partenaires, dont l'Ukraine est devenue le plus grand bénéficiaire. Ces programmes ont jeté les bases institutionnelles d'un effort de défense européen plus structuré, coordonné et crédible sur le plan opérationnel.

Ainsi, le plaidoyer du président Macron en faveur de la souveraineté européenne et d'un pilier de défense européen plus fort doit être analysé au travers le prisme d'une trajectoire européenne à plus long terme. Dans son discours de la Sorbonne de 2017, il a appelé à une "Europe souveraine, unie et démocratique" et a remis implicitement en question la dépendance excessive et ancienne du continent à des garanties de sécurité extérieures. Il a réaffirmé cette vision lors du Sommet GlobSec de 2023 à Bratislava, soulignant l'importance de l'autonomie et de la souveraineté stratégiques européennes, et appelant à l'adoption d'une doctrine de défense européenne pour consolider cette approche.

Au moment du discours de la Sorbonne, cependant, les idées de Macron n'avaient trouvé qu'une acceptation limitée parmi plusieurs États membres de l'UE, dont beaucoup considéraient l'autonomie stratégique comme irréaliste, prématurée ou politiquement sensible. Les appels français à une autonomie stratégique ont finalement réuni un consensus européen élargi, après l’invasion de l’Ukraine. Les récentes menaces de la Russie contre les États européens, combinées aux nouvelles priorités américaines telles que définies dans la SSN des États-Unis, ont donné du poids à la vision selon laquelle l'Europe devait renforcer sa propre capacité de dissuasion et de défense.

Alors que le terme "autonomie stratégique" est toujours contesté, plusieurs pays européens privilégiant tantôt la dimension industrielle, tantôt l’opérationnelle, la politique ou la civile - son principe sur lequel elle repose a gagné une résonance plus large : l'Europe doit disposer de la capacité industrielle, politique et, surtout, humaine pour se défendre, en particulier si l'engagement américain est amené à devenir hypothétique

Le plaidoyer du président Macron en faveur de la souveraineté européenne et d'un pilier de défense européen plus fort doit être analysé au travers le prisme d'une trajectoire européenne à plus long terme.

Dans ce contexte, les discussions sur les effectifs militaires, les réserves, la capacité de mobilisation et la résilience de la société civile sont devenues aussi vitales que les débats sur le matériel ou l'industrie. La réforme des modèles de service militaire n'est plus un simple débat national, mais fait partie d'un ajustement stratégique plus large, qui exige de réévaluer la définition d’une dissuasion crédible dans une période d'incertitude stratégique élevée.

En termes numériques, la plupart des États membres de l'UE comptent moins de 50 000 personnels actifs. En revanche, la France (200 000), l'Allemagne (182 000), la Pologne (202 000) et l'Italie (165 500) possèdent les plus grandes forces armées actives de l'Union. Certains experts affirment que l'Europe doit reconsidérer l’hypothèse d’une armée européenne unie.

Le service militaire dans l'UE : quatre grands modèles

L'Europe fonctionne aujourd'hui à travers quatre grands modèles de service militaire, qui reflètent chacun des cultures stratégiques, des géographies et des perceptions de la menace différentes. Malgré leurs différences, ces modèles ont tous été soumis à une pression renouvelée depuis 2022, qui les a poussés progressivement à approfondir leurs réserves, élargir leurs cadres de mobilisation et intensifier l’engagement de leur société civile.

Systèmes de conscription complète

Un certain nombre d'États membres de l'UE ont toujours une conscription complète. Le service militaire est obligatoire et constitue le cœur de la défense nationale. Ailleurs, la conscription réapparaît dans les débats d'experts en défense comme un élément qui pourrait renforcer la préparation globale et la capacité de mobilisation de l'UE.

En Grèce, la conscription existe depuis 1949, justifiée par les tensions persistantes avec la Turquie en mer Égée et en Méditerranée orientale, et par le besoin de forces terrestres et aériennes importantes et rapidement mobilisables. Chypre a conservé la conscription depuis 1964 ; après l'intervention turque de 1974 et la division de l'île, le service militaire obligatoire est devenu essentiel pour contrer l'asymétrie structurelle créée par la présence des forces turques dans le nord. L'Autriche a conservé la conscription après la restauration de sa souveraineté par le Traité d'État de 1955, à la condition d'une neutralité permanente. Elle l’utilise comme un moyen rentable de maintenir la défense territoriale et les capacités de protection civile en dehors de l'OTAN. En Finlande, la conscription masculine universelle s'est poursuivie sans interruption depuis la Seconde Guerre mondiale ; elle est conçue pour compenser les avantages numériques et géographiques de la Russie en générant l'une des plus grandes réserves formées d'Europe. L'Estonie a rétabli la conscription en 1991 après avoir retrouvé son indépendance, au motif qu’une réserve de masse était essentielle pour dissuader la pression continue de la Russie. La Lituanie a réintroduit la conscription en 2015, annulant sa suspension de 2008 après l'annexion de la Crimée par la Russie, qui avait rappelé la vulnérabilité d'une force purement professionnelle. La Lettonie, qui a mis fin à la conscription en 2007, a rétabli un service militaire sélectif en 2023 en réponse à l'invasion à grande échelle de l'Ukraine et à la nécessité de reconstruire la capacité de mobilisation.

Dans ces pays, la conscription complète reste viable là où l'expérience historique, l'asymétrie structurelle de la menace ou l'exposition géographique directe exigent une capacité de mobilisation rapide et un large engagement de la société civile dans la défense.

Conscription sélective et systèmes hybrides

Le deuxième groupe utilise la conscription sélective ou limitée combinée à un noyau d’armée professionnelle, qui offre une profondeur de mobilisation sans rétablir le service militaire universel.

Le Danemark maintient depuis longtemps la conscription dans la loi mais l'applique sélectivement par tirage au sort. En 2024, Copenhague a étendu la conscription aux femmes et prolongé le service à 11 mois, mesure qui entrera en vigueur en 2025 et qui est explicitement destinée à répondre à la détérioration de la situation sécuritaire dans la Baltique et l'Arctique. La Suède, qui a aboli la conscription en 2010, l'a rétablie en 2017 de façon sélective (indifféremment pour les hommes et les femmes). Depuis 2022, le nombre de places a augmenté à mesure que Stockholm renforçait son modèle de "défense totale" et élargissait la capacité de réserve parallèlement à l'adhésion à l'OTAN. Les Pays-Bas conservent une loi de conscription dormante - "suspendue" mais non abolie. Depuis 2018, tous les jeunes citoyens reçoivent des lettres de conscription, bien que personne ne soit appelé. Un tel cadre est destiné à permettre une activation rapide en cas de crise, tandis que les forces armées demeurent entièrement professionnelles en temps de paix. La Croatie, après avoir suspendu la conscription en 2008, a voté fin 2025 pour réintroduire une formation de base obligatoire, qui entrera en vigueur à partir de 2026. Le nouveau modèle consiste en une formation courte et intensive pour les hommes, avec un accès volontaire pour les femmes. Elle est justifiée par l'insécurité régionale accrue et la guerre en Ukraine.

Les systèmes hybrides sont les plus courants dans les États présentant des risques de sécurité de niveau moyen.

Les systèmes hybrides sont les plus courants dans les États présentant des risques de sécurité de niveau moyen : ils maintiennent une flexibilité de mobilisation sans les coûts politiques et financiers de la conscription universelle.

Programmes améliorés de service national volontaire et de réserve

Le troisième groupe élargit le service national volontaire, renforce les réserves ou prépare des mécanismes de mobilisation rapide - reflétant les défis de recrutement, les pénuries de réserves et la réticence sociétale à revenir au service obligatoire.

L'Allemagne a connu une transformation significative de son service militaire depuis 2024. Après la suspension de la conscription en 2011, Berlin a introduit une réforme globale qui fait évoluer le pays vers un modèle de mobilisation conditionnel et évolutif. À partir de 2026, tous les jeunes de 18 ans recevront des questionnaires évaluant leurs compétences et leur volonté à s’engager, et un service volontaire élargi d'un an sera proposé pour les recrues volontaires. L'Allemagne a légalement la possibilité de réactiver le service obligatoire si les conditions de sécurité s'aggravent. En novembre 2025, le chancelier allemand Friedrich Merz s'est engagé à bâtir "l'armée la plus forte d'Europe", qui comprendra 260 000 militaires actifs et 200 000 réservistes d'ici 2035 - un changement majeur après des années de sous-investissement militaire. Le programme comprend l'expansion d’une cyber-réserve, le renforcement des commandements de mobilisation régionaux et des changements législatifs pour une activation plus rapide des réservistes.

La Belgique a créé une année de service volontaire à partir de 2026, qui concernera d’abord plusieurs centaines de participants et devrait s’étendre progressivement. Les volontaires termineront une année de formation militaire avant de rejoindre la réserve pendant dix ans - au sein d’un effort à long terme pour augmenter les effectifs de défense belges. La Pologne a créé un programme de service militaire volontaire en 2022 et va l'étendre à 100 000 stagiaires volontaires par an d'ici 2027, pour compléter la grande Force de Défense Territoriale de la Pologne, qui a l'ambition de développer l'un des systèmes de réserve les plus étendus de l'UE. La Roumanie développe un service volontaire rémunéré de quatre mois pour les citoyens âgés de 18 à 35 ans afin de rajeunir les réserves vieillissantes et de renforcer la capacité de mobilisation. Le gouvernement a approuvé le projet de loi en 2025. En Slovaquie, l’armée reste officiellement professionnelle, mais depuis 2023, les programmes de formation militaire volontaire ont été élargis, avec la création du concept de réserve des Forces de Défense Nationale. Les discussions politiques se poursuivent sur l'introduction d'une courte formation obligatoire, mais aucune décision n'a été prise. La Bulgarie maintient une armée professionnelle mais prépare une législation sur la formation militaire obligatoire pour certaines professions civiles si l'admission volontaire s'avère insuffisante, témoignant ainsi des préoccupations quant au déficit de réservistes. En Hongrie, le service militaire volontaire cible particulièrement les jeunes et offre une formation de courte durée en vue d’un enrôlement accéléré ou à des rôles de réserve. En Slovénie, le service militaire est volontaire et dure 13 semaines ; la conscription est suspendue mais pourrait être réactivée en cas d'urgence.

Ces réformes montrent comment les systèmes volontaires sont de plus en plus utilisés pour assurer la mobilisation, dans un contexte où la conscription obligatoire est politiquement difficile à défendre.

Forces entièrement professionnelles avec des réserves limitées

Un dernier groupe continue de s'appuyer sur des forces entièrement professionnelles, soutenues par des réserves relativement petites, malgré une pression croissante pour élargir les effectifs.

L'Italie, l'Espagne et le Portugal ont aboli la conscription entre 1999 et 2004, dans un contexte post-Guerre Froide où l’on estimait que les armées européennes se concentreraient sur les opérations de paix internationales. Depuis l'invasion de la Russie en Ukraine, les débats politiques sur une forme de service national ou civico-militaire ont refait surface - en particulier en Italie et en Espagne - bien qu'aucune réforme concrète n'ait été adoptée. La Tchéquie maintient une armée professionnelle parallèlement à une réserve active en expansion ; bien que la conscription reste constitutionnellement possible dans des circonstances exceptionnelles, aucun gouvernement n'a pris de mesure pour la réintroduire. L'Irlande, Malte et le Luxembourg se sont toujours appuyés sur des forces professionnelles compactes adaptées à des capacités de niche. Leurs débats se concentrent sur l'augmentation du recrutement, le renforcement des réserves et les contributions à l'UE et à l'OTAN plutôt que sur la mobilisation de masse.

Dans ces pays, le modèle professionnel reste dominant, mais l'environnement stratégique suscite des discussions sur un service militaire national, l’accroissement des forces de réserve ou l’amélioration de la formation volontaire.

L'introduction par la France d'un nouveau service militaire volontaire

La France a aboli le service militaire obligatoire en 1997, passant à une force professionnelle entièrement volontaire. Elle est actuellement composée d'environ 200 000 militaires professionnels et de 47 000 réservistes, selon un modèle qui repose sur des officiers de métier, des sous-officiers et un grand nombre de soldats contractuels servant dans des engagements à court ou moyen terme. La professionnalisation visait à produire une force plus agile et technologiquement avancée - capable d'opérations à l'étranger mais la contrepartie en était certaines vulnérabilités : pénuries de recrutement chroniques, en particulier dans des domaines spécialisés tels que la cyberdéfense, le renseignement, l'ingénierie et certains corps de combat, déclin démographique, concurrence accrue avec les marchés du travail civils … La capacité à maintenir un niveau d'effectifs satisfaisant est mise à rude épreuve.

L’instauration d’un nouveau régime de service civico-militaire de 10 mois annoncée le 25 novembre 2025 cherche à y répondre. Ce nouveau service militaire concernera les jeunes volontaires de 18 à 19 ans, auxquels il sera proposé 4 semaines d'instruction militaire de base, suivies d'une formation à la résilience civique et d'une familiarisation avec les missions de défense et de protection civile. Il ne s’agit pas de recréer la conscription universelle, mais de reconstruire l'engagement de la société civile afin de diffuser l’esprit de défense, de renforcer la cohésion nationale et d'élargir le bassin de citoyens familiers avec des compétences militaires de base.

Les 3 000 volontaires de la première année doivent s’étendre progressivement jusqu'à 10 000 par an d'ici 2030, avec un objectif de 50 000 d'ici 2035. Le service volontaire sera limité à des fonctions sur le territoire national, tandis que les déploiements extérieurs ou en première ligne resteront la responsabilité des forces armées professionnelles. Le changement sera inscrit dans la prochaine Loi de Programmation Militaire pluriannuelle, qui lui donnera une base juridique et financière stable dans le cadre de l'effort de modernisation de la défense française. Les jeunes recevront environ 800 à 950€ par mois, et logement, repas, transport et équipement seront pris en charge.

La réforme a été lancée dans un climat politique sensible, après les remarques du général Fabien Mandon, chef d'état-major des Armées, qui a déclaré que la France devrait "accepter de perdre [ses] enfants" face à la menace russe, ce que certains ont interprété, à tort, comme un premier pas en direction d’un déploiement de jeunes volontaires en Ukraine. D'autres ont soutenu la position du général, arguant que l'Europe dans son ensemble - et la France en particulier - ne pouvait plus ignorer la menace imminente posée par Moscou. Le gouvernement a rapidement clarifié que les participants au service volontaire ne seraient pas déployés à l'étranger et que le programme était dédié exclusivement à la préparation et à la résilience nationales.

Elle acte l’idée que les armées exclusivement professionnelles ne sont plus en phase avec un paysage sécuritaire plus contesté et imprévisible.

Emmanuel Macron a lié cette initiative à la détérioration de la sécurité européenne et a rappelé son plaidoyer en faveur de l'autonomie stratégique de l'UE, arguant que des structures d'effectifs plus solides étaient essentielles à la résilience nationale et européenne. Elle acte l’idée que les armées exclusivement professionnelles ne sont plus en phase avec un paysage sécuritaire plus contesté et imprévisible.

Alors que les États membres de l'UE renforcent leurs réserves, reconsidèrent la conscription ou introduisent de nouveaux programmes volontaires, un changement collectif est en cours vers des modèles d'effectifs plus robustes. L'Europe entre dans une phase où la résilience de ses sociétés civiles et la diffusion de l’esprit de défense seront aussi décisives que la sophistication de ses équipements.

Copyright image: Lionel BONAVENTURE / AFP
Le 3e régiment de parachutistes de l'infanterie de marine après un saut depuis un avion militaire français Airbus A400M, alors qu'il participe à l'exercice militaire "Cathare 25", réunissant plus de 800 militaires d'active et de réserve, près de Pamiers, le 26 juin 2025.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne