AccueilExpressions par MontaigneRevue Nationale Stratégique 2025 : progrès, limitesLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Sécurité et défense16/07/2025ImprimerPARTAGERRevue Nationale Stratégique 2025 : progrès, limitesAuteur André Leblanc Expert Résident - Défense et Sécurité nationale Parmi les ouvrages fantômes dont les bibliothèques déplorent la perte figurent les Stratagemata de Rabelais, disparus depuis 1539... Mais il est une autre stratégie que la France a peut-être perdue de vue : celle de sa Revue Nationale Stratégique, dont l'actualisation récente demeure insatisfaisante à plusieurs égards. Mithridatisation de l’alerte, difficultés conceptuelles, spécificité des actions hostiles en temps de paix, définition de la guerre hybride : quels chapitres restent à écrire ? Quelles sont les réponses et les nouveautés de la RNS 2025 ? Comment justifier l'impérieuse nécessité de trouver 64 milliards d’euros pour le budget de la défense dès 2027 ? Une analyse d'André Leblanc.Le Royaume-Uni ouvrait le feu, c’est désormais la France qui rend publique sa Revue nationale stratégique (RSN 2025) mise à jour : ce document se présente explicitement comme l’actualisation de la RNS 2022, actualisation motivée par un "nouvel environnement dégradé".Pour un document d’actualisation, il y a deux manières de réaliser un progrès par rapport à l’état antérieur : soit il ajoute une nouveauté décisive, soit il retire une partie défectueuse au document précédent.Par conséquent, les deux principales questions qui guident la lecture de la RNS 2025 sont : quelles nouveautés sont introduites par rapport à la précédente RNS ? Et quels défauts de la précédente RNS ont été corrigés ?RNS 2025 : quelles nouveautés ?Structurellement, la RNS 2022 :présentait l’environnement stratégique (10 pages)exposait les défis à relever, notamment avec un long exposé théorique sur les fonctions stratégiques (au nombre de six)décrivait les dix objectifs stratégiques fixés par la revue nationale stratégique.Si elle conserve une structuration en trois parties, on observe une répartition interne différente de la RNS 2025 :1/ la présentation de l’environnement stratégique et de son évolution occupe une plus grande place (20 pages). Le nouveau panorama inclut non seulement les acteurs étatiques (Russie, Iran, Chine), la prolifération et les crises régionales, la menace terroriste, la criminalité organisée, le séparatisme, les migrations, mais identifie également comme des risques de premier plan le changement climatique, les atteintes à l’environnement et l’effondrement de la biodiversité, les difficultés d’accès aux matières premières et leurs impacts sur les enjeux énergétiques et économiques.Cette maximisation de la menace [...] participe certes d’une stratégie argumentative pour garantir l’obtention des crédits nécessaires, mais entraîne un risque de mithridatisation de l’alerte.Cette maximisation de la menace ("guerre ouverte russe contre le cœur de l’Europe" d’ici 2030, "risque permanent d’une guerre régionale massive au Moyen-Orient", "multiplication possible des théâtres de crise dans la zone indopacifique", "compétition généralisée entre puissances en Afrique sub-saharienne", "menace existentielle" et "disparition partielle ou totale de certains États suite au changement climatique", "perspectives économiques pessimistes" tracées par le FMI) participe certes d’une stratégie argumentativepour garantir l’obtention des crédits nécessaires, mais entraîne un risque de mithridatisation de l’alerte. 2/ Après avoir décrit l’ambition visée en 2030 (l’"état final recherché"), l’exposé des objectifs stratégiques (qui passent de 10 à 11) occupe lui aussi une plus grande place. Chaque objectif fait désormais l’objet d’une présentation en deux parties distinctes : une évaluation des mesures mises en œuvre depuis la RNS 2022, puis un "plan d’action" pour atteindre l’objectif stratégique.Ce choix explique l’inflation globale du texte (qui passe de 53 à 99 pages alors qu’il n’y a qu’un objectif supplémentaire), puisque chaque objectif fait en réalité l’objet d’un double exposé : d’abord l’exposé des résultats atteints depuis trois ans, puis les mesures à suivre pour les cinq années à venir. Cette structure apologétique est en soi surprenante et même inédite dans un document de cette nature.Le nouvel objectif stratégique concerne "l’excellence académique, scientifique et technologique au service de la souveraineté française et européenne". De manière étonnante pour un objectif qui n’apparaissait pas dans la RNS 2022, plusieurs actions sont comptabilisées dans son évaluation depuis la RNS 2022 (dont la création du centre interdisciplinaire pour la défense et la sécurité en 2021). Pour l’essentiel, il s’agit ici de répondre au défi de la dominance technologique issue de l’innovation, notamment dans les domaines liés à l’IA, au spatial, au quantique, au NRBC (arme nucléaire, radiologique, biologique et chimique) ou aux sciences de la Terre.3/ Une troisième partie présente les "voies et moyens (…) nécessaires pour réaliser les objectifs stratégiques et atteindre l’ambition 2030 actualisée".Les mesures évoquées dans cette dernière partie vont des dispositions législatives (lois de programmations pour les armées, l’intérieur ou la justice, la recherche, loi sur la résilience des infrastructures critiques transposant les directives européennes REC, NIS2, DORA), aux actions réglementaires et administratives (feuilles de route ministérielles, extension du réseau des fonctionnaires de défense). Si la volonté d’opérationnaliser le propos est bienvenu, on peut être surpris parfois du niveau de détail choisi (l’adoption en 2026 d’un référentiel interministériel des stades de défense et de sécurité, la création d’un portail de la cybersécurité du quotidien, la création d’une injonction de se soumettre à une expertise psychiatrique pour les personnes suivies pour radicalisation et présentant des signes de troubles psychiques, ou la création d’une marque nationale de prévention du risque numérique connue du grand public).Impact budgétaireAu-delà de ces différences de structure, la principale nouveauté de cette RNS tient évidemment au soclage d’un investissement budgétaire supplémentaire. Le chiffre précis n’est pas inclus directement dans le document mais a fait l’objet de l’allocution présidentielle du 13 juillet.La publication de la RNS 2025 a en effet été précédée d’une séquence médiatique (CEMA le 11 juillet, Présidence le 13 juillet) particulièrement soutenue : la RNS, par la nouveauté de ses résultats (en tout cas, de ses constats) devait expliquer les annonces majeures de l’Élysée à l’occasion de son discours aux armées du 13 juillet. Cette annonce majeure a été celle d’une accélération budgétaire, puisque l’ambition est de réaliser dès 2027 les objectifs budgétaires initialement fixés à l’horizon 2030 : + 3,5 milliards d’euros en 2026, +3 milliards d’euros en 2027, soit 64 milliards d’euros pour le budget de la défense en 2027. Cette augmentation des moyens est une nouvelle positive pour nos forces armées. De même, l’appel à la réduction de la dette publique pour renforcer la souveraineté financière française est une nouveauté utile.Cette augmentation des moyens, même si elle ne suffit pas à résoudre notre équation stratégique, est une nouvelle positive pour nos forces armées. De même, dans l’objectif stratégique n°3, l’appel à la réduction de la dette publique pour renforcer la souveraineté financière française est une nouveauté utile.RNS 2022 et 2025 : des constantesContrairement à ce que l’on pourrait attendre compte tenu de l’ampleur des bouleversements décrits, la RNS 2025 reprend, pour l’essentiel, les concepts de la RNS précédente.Ainsi, les six fonctions stratégiques "redéfinies et étendues par la RNS 2022" (connaissance-compréhension-anticipation, dissuasion, protection-résilience, prévention, intervention, influence) sont reprises.Il faut toutefois noter que la RNS de 2017 n’a pas redéfini ces fonctions, mais s’est contentée en réalité de reprendre à l’identique les cinq fonctions stratégiques telles qu’elles étaient formulées par le Livre Blanc de 2008 en y ajoutant une sixième fonction nommée "influence".Si cette longévité n’est pas en soi rédhibitoire (même s’il est salutaire de réexaminer périodiquement la pertinence des concepts), les difficultés conceptuelles posées par la première fonction (connaissance-compréhension-anticipation) sont donc reprises dans la RNS 2025. Il en va de même pour les problèmes logiques posés par la sixième fonction (la seule qu’avait introduite réellement la RNS 2017) et qui sont donc maintenues en l’état (pour mémoire, dans un même paragraphe la RNS 2017 définit l’influence comme une "fonction stratégique à part entière" puis comme un "domaine de contestation", alors que ces deux acceptions sont contradictoires. Un peu plus loin, l’influence est définie comme une "politique globale").Les dix objectifs stratégiques sont également repris, la plupart du temps à l’identique, mais parfois avec des formules repensées (pour le 7e objectif, "La France, partenaire de souveraineté fiable et pourvoyeuse de sécurité crédible", devient "La France, partenaire fiable de souveraineté et pourvoyeuse crédible de sécurité" - certes, les qualités de fiabilité et de crédibilité sont attribuées plus nettement encore à notre pays de manière à accentuer le propos !). Excepté pour le 11e objectif, nouveau, les seules variations concernent les objectifs 3 et 10 (les formulations sont plus accentuées : une économie qui se prépare "à la guerre", et la capacité "d’emporter la décision" militaire).Si certaines fonctions stratégiques conservent une certaine confusion, on note la même chose pour le rapport entre les fonctions et les objectifs. La RNS 2025 indique que "l’ambition 2030 est déclinée en onze objectifs stratégiques", mais ajoute que ces objectifs "concourent à la mise en œuvre des six fonctions stratégiques"). On pourrait, en toute logique, s’attendre au contraire : des fonctions doivent permettre d’atteindre des objectifs, à moins que les fonctions ne soient des objectifs en eux-mêmes, ce qui serait absurde. Pour sa part, le rapport entre les fonctions stratégiques et l’ambition n’est pas précisé.De la guerre hybride à la conflictualité du temps de paixUn point particulier mérite d’être mentionné concernant les notions de "guerre hybride" ou de "stratégie hybride", qui désignent initialement des faits précis mais dont l’usage dérivé produit parfois des contresens.Sur ce point, la RNS 2025 à juste titre prend soin de formuler sa propre définition ("Une stratégie hybride désigne pour la France le recours par un acteur étranger à une combinaison intégrée et volontairement ambiguë de modes d’actions militaires et non militaires, directs et indirects, légaux ou illégaux, difficilement attribuables"). Dit simplement, une stratégie (ou une guerre) hybride implique nécessairement une phase militaire. Ainsi la Russie a conduit une guerre hybride en Géorgie (opérations de déstabilisation et coercition suivies d’une invasion militaire) ; elle à utilisé à l’évidence une stratégie hybride en Ukraine (Donbass).Mais d’autres passages de la RNS 2025 réintroduisent un certain flou concernant les actions "hybrides", qui deviennent paradoxalement synonymes d’actions clandestines ou infra-militaires ("hausse massive des attaques hybrides sur notre territoire", actions "hybrides" de nos compétiteurs sur le territoire national, menaces informationnelles).Au-delà de la rigueur conceptuelle attendue d’un document stratégique de ce niveau, la notion de guerre hybride appelle trois remarques :À l’évidence, le concept de guerre hybride ne permet pas de rendre compte de toutes les actions hostiles du temps de paix, si celles-ci ne sont pas combinées à une phase militaire. À titre d’exemple, les opérations de subversion visant la France ("mains rouges", étoiles de David) ou de sabotage ne sont pas liées à des opérations militaires, mais constituent néanmoins des actions offensives en temps de paix.Par conséquent, au concept de guerre hybride qui implique nécessairement l’emploi de moyens militaires, il conviendrait dans ces cas de substituer celui de "conflictualité du temps de paix", pour désigner les actions étatiques hostiles inframilitaires. Ces actions clandestines, intégrées politiquement et combinées en vue d’un effet sur la sécurité adverse, n’ont pas vocation à être couplées à des opérations militaires, mais n’en constituent pas moins des actes hostiles d’États. La prise en compte de ces actions ne relève pas d’une stratégie purement militaire, mais d’une stratégie de sécurité nationale, intégrée et permanente, faisant intervenir, en temps de paix, d’autres moyens (renseignement, cyber, diplomatie, justice, etc.). C’est en ce sens que "l’ensemble des politiques publiques concourt à la sécurité nationale" (article 1111-1 du code de la défense).Au concept de guerre hybride qui implique nécessairement l’emploi de moyens militaires, il conviendrait dans ces cas de substituer celui de "conflictualité du temps de paix", pour désigner les actions étatiques hostiles inframilitaires.Les principales limites de la RNS 2017 étaient bien connues : en énumérant des fonctions stratégiques et des objectifs formulés hors contraintes, une RNS présente un panorama de buts, mais pas une stratégie. Ainsi, au triptyque classique objectifs-obstacles-stratégie (dans lequel la stratégie est une manière de résoudre un problème, un système de choix), la RNS 2017 substituait un trinôme intérêts-menaces-objectifs stratégiques.La RNS 2025, quant à elle, sans parvenir à corriger les limites de l’exercice précédent, décrit les menaces, rappelle les objectifs et établit un "plan d’action" pour les atteindre, à la manière d’un document administratif. Mais elle laisse ouverte la question de la stratégie, en cantonnant sa réponse à une hausse des moyens. Celle-ci, pour essentielle qu’elle soit, ne résout pas la totalité de notre équation stratégique.Copyright image : Abdul Saboor/POOL /AFPImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneJuin 2023Sept dilemmes majeurs de la politique de défense françaiseQuels arbitrages sont aujourd’hui nécessaires face à la multiplication, l’hybridation et la concomitance des menaces ? Analyse des dilemmes majeurs de notre défense et de notre modèle d’armée.Consultez la Note d'enjeux 09/07/2025 Strategic Defense Review britannique : l’objet et la méthode André Leblanc 12/06/2025 Ukraine : Intelligence Dominance, ou les leçons de Spider Web André Leblanc 14/05/2025 Stratégie de sécurité nationale de la Chine : une lecture du nouveau Livre ... Mathieu Duchâtel