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21/02/2025

Retraites, de la logique comptable à la responsabilité politique

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Retraites, de la logique comptable à la responsabilité politique
 Bertrand Martinot
Auteur
Expert Associé - Apprentissage, Emploi, Formation Professionnelle

La Cour des comptes, mandatée par François Bayrou, a rendu public jeudi 20 février un Rapport sur le régime des retraites, qui estime le déficit des retraites pour 2035 à 14 ou 15 milliards d'euros au lieu des 55 milliards avancés par le Premier ministre. Bonne nouvelle ? Il s'agit plutôt, explique Bertrand Martinot, d'un tour de passe-passe comptable. Or, le rapport est destiné à nourrir les débats des partenaires sociaux sur la réforme des retraites de 2023. Ces discussions pourraient, si elles conduisaient à un accord, mener au dépôt d'un nouveau projet de loi. L'enjeu est donc politique. Quelles sont les perspectives qu'ouvre ou néglige ce rapport ? Alors, compte rendu ou contes rendus ? Pour passer de la logique comptable à la responsabilité politique et à la réalité démographique, la transition semble tout aussi difficile qu'elle est nécessaire. 

Quelles sont les conclusions de ce nouveau Rapport sur les retraites et quel était son objectif ? 

La vocation du Rapport Situation financière et perspectives du système de retraitesétait de faire la lumière sur le déficit des retraites, aujourd’hui et en projection. Or, sur ce sujet, les scénarios économiques sont relativement consensuels et les chiffres étaient déjà connus. La question posée était plutôt d'ordre comptable : quel est le "vrai" déficit des retraites tous régimes confondus ? Or, ainsi posée, cette question est très largement conventionnelle : le déficit calculé dépend d’une part de la façon dont on considère comptablement les transferts en provenance de l'État au bénéfice des régimes de retraite et d'autre part comment on comptabilise les régimes publics qui sont à l’équilibre par construction (puisqu’il n’y a pas de caisse de retraite dédiée aux fonctionnaires de l'État). En effet, le système de retraites est financé aux 2/3 par les cotisations et à un tiers par les transferts de taxes (CSG, TVA…) et les subventions de l'État, grâce auxquels les régimes de retraites sont comptablement maintenus proches de l'équilibre, au prix d’un déficit de l’État accru. 

Toute la question est de savoir où on localise les déficits au sein des administrations publiques, sachant que le déficit global, qui lui n'est contesté par personne, s’élève à près de 180 milliards d'euros en 2024. 

Finalement, toute la question est de savoir où on localise les déficits au sein des administrations publiques, sachant que le déficit global, qui lui n'est contesté par personne, s'élève à près de 180 milliards d'euros en 2024. Ce sujet, au-delà de sa traduction technique, recouvre des enjeux politiques : le déficit du régime des retraites à 6,6 milliards, si l'on retient la méthode de l'État et de la Cour des comptes, ou à 80 milliards, si on s'en réfère aux travaux de Jean-Pascal Beaufret

Tout est une affaire de convention comptable : par exemple, si une caisse de retraite à un déficit de 10 milliards une année donnée et que l'année suivante l'État lui affecte 10 milliards de recettes de TVA, le déficit de ce régime disparaît comme par magie. Mais comme, justement, nous ne sommes pas dans le monde de la magie, et l’État supporte alors bien un déficit de 10 milliards supplémentaires.  

Quel bilan peut-on dresser de la situation du régime français des retraites ? 

La convention comptable utilisée depuis toujours par l’État, qui est reprise par la cour des comptes, a une certaine logique institutionnelle, mais elle laisse entendre qu’un système de retraite qui représente le quart des dépenses publiques ne contribuerait en fait au déficit qu’à hauteur de 6 milliards d’euros sur 180 milliards, soit 3,6 % du problème à résoudre. C'est évidemment problématique. Du point de vue économique, on pourrait à bon droit considérer que les pensions représentant un quart des dépenses publiques, leur contribution au déficit public total devrait être d'un quart du déficit global, soit 45 milliards d'euros. L'impact de la réforme des retraites a été faible, mais au niveau prévu initialement. On sait depuis le début que cette réforme ne serait pas la dernière et que la question des retraites reste pour l'essentiel devant nous. Cela non plus n'est pas une surprise. 

L'impact de la réforme des retraites a été faible, mais au niveau prévu initialement. On sait depuis le début que cette réforme ne serait pas la dernière et que la question des retraites reste pour l'essentiel devant nous. Cela non plus n'est pas une surprise.

Pour le reste, la Cour des comptes évoquent les quatre leviers à notre disposition dans le système actuel : 

  • La hausse des cotisations. Mais la France a déjà les plus élevées au monde et les difficultés de pouvoir d’achat des Français laissent peu de marge de manœuvre. Que certains syndicalistes évoquent sans barguigner des cotisations sociales supplémentaires ou une taxation accrue de l’intéressement ou de la participation ne laisse pas d’étonner … 
  • Augmenter l'âge légal de départ à la retraite - hypothèse à l’acceptabilité sociale très réduite. Voit-on le gouvernement actuel porter l’âge légal à 65 ou 66 ans ? 
  • Augmenter la durée de cotisation pour ouvrir les droits à une retraite à taux plein - ce qui revient à abaisser de facto les pensions et produirait moins d’économies que le recul de l'âge légal. . 
  • Désindexer les pensions - ce qui revient à les faire baisser en pouvoir d’achat. Solution massive et qui rapporte le plus d’économies. Mais c’est un tabou absolu puisqu’aucune des 6 dernières réformes des retraites n’a utilisé ce levier : on a toujours pénalisé les générations futures sans jamais toucher aux pensions en cours… 

Là encore, rien de nouveau…! 

La Cour des comptes, qui raisonne à système constant, n’évoque pas une cinquième piste possible : introduire une dose de capitalisation dans le système de retraite, comme on le fait dans le cas de la retraite des fonctionnaires. Certes, la capitalisation ne saurait être la solution magique et ne règlerait pas le problème des dépenses : il faudra agir sur les deux, en baisser les dépenses (via l’un des moyens évoqués ci-dessus) et en introduisant une part de capitalisation, pour soulager progressivement la charge qui pèse sur les actifs. 

Néanmoins, toute solution de capitalisation achoppe sur la question de la période de transition - qui demandera plusieurs décennies - entre notre système actuel et le nouveau système. 

Néanmoins, toute solution de capitalisation achoppe sur la question de la période de transition - qui demandera plusieurs décennies - entre notre système actuel et le nouveau système. En régime de croisière, un système de capitalisation profitera à tout le monde (avec des cotisations plus faible pour un montant de pension donné). Néanmoins, il faut prendre en compte les retraités actuels, qui n’ont pas capitalisé, et les actifs proches de la retraite, qui n'auront capitalisé que peu de temps : les actifs risquent alors de devoir supporter un fort coût d’ajustement tout en maintenant le taux de cotisation pour leurs aînés. 

Cette difficulté pourrait être au moins en partie surmontée via une désindexation temporaire des retraites que supporteraient les retraités actuels. Cela permettrait d’accélérer la diminution des pensions par répartition, donc des cotisations, ce qui laisserait de la marge pour la création d’une cotisation à la capitalisation sans accroissement de la charge globale pesant sur les salariés, ainsi que je le propose dans une note publiée par la Fondapol. 

Est-ce à dire que nous en sommes réduits au fatalisme ? Comment penser à nouveaux frais les choix de société qui se posent à nous ? 

D'une certaine manière, nous n'avons pas le choix : l'espérance de vie en bonne santé n'est pas extensible - voire régresse dans certains pays comme aux États-Unis -, la fécondité se réduit, notre productivité a beaucoup ralenti et la France vieillit. Or, autant le sujet du vieillissement démographique était connu depuis les années 1980, autant le ralentissement de la productivité est une mauvaise surprise : avec moins de croissance, donc moins de recettes, notre pays dégage de moins en moins facilement de ressources. 

En réalité, loin d'être une question d'équilibre comptable - équilibrer les dépenses et les recettes -, le sujet des retraites est un sujet d'équité intergénérationnelle. Les charges qui pèsent sur les actifs seront d'une manière ou d'une autre de plus en plus élevées et les retraites seront de plus en plus faibles si nous conservons le régime actuel par répartition intégrale. D’ailleurs, les Français ne s'y trompent pas puisqu'ils plébiscitent les plans d’épargne retraite (les PER) et les fonctionnaires sont ravis de pouvoir cotiser en capitalisation sur leurs primes. Malheureusement, les salariés les plus modestes ont très peu accès à ce type de financement. 

Loin d'être une question d'équilibre comptable - équilibrer les dépenses et les recettes -, le sujet des retraites est un sujet d'équité intergénérationnelle. 

Le débat, en France, se cristallise toujours sur le rapport des "pauvres" et des "riches", bien que notre pays soit l'un des plus égalitaires au monde ; il conviendrait aussi de questionner la justice des rapports entre les "jeunes" et les "vieux" induits par le système actuel… Si seulement la réouverture périlleuse du débat sur les retraites pouvait servir à cela, il ne serait pas inutile. Malheureusement, les acteurs politiques et sociaux restent souvent figés dans des postures soit de déni ("finalement, le déficit n'est pas si considérable"), soit électoralistes ("ne pas toucher aux retraités"). Il faut en sortir, pour que notre situation financière ne devienne pas totalement hors de contrôle…

 

Propos recueillis par Hortense Miginiac

Copyright Image : STEPHANE DE SAKUTIN / POOL / AFP

François Bayrou à Matignon, le 20 février 2025, face au Premier Président de la Cour des comptes Pierre Moscovici. 

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