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16/01/2025

Dénatalité française : "balançoires vides", le point de bascule ?

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Dénatalité française :
 Maxime Sbaihi
Auteur
Expert Associé - Économie & Démographie

L’INSEE a publié mardi 14 janvier le bilan démographique de la France 2024 : à 1,62 enfant par femme, le taux de fécondité n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la Première Guerre mondiale et l’Hexagone compte seulement 663 000 naissances (contre ​​2 enfants par femme en 2014, et 1,53 enfant par femme en moyenne dans l’UE depuis 2014). Ce chiffre, encore en baisse depuis 2023, se combine avec la hausse record de l’espérance de vie (85,6 ans pour les femmes et 80 ans pour les hommes), rappelant un vieillissement de la population que le "réarmement démographique" annoncé en janvier 2024 voudrait enrayer. Aujourd’hui, la dénatalité inquiète et redonne toute son actualité au "il n’est de richesse que d’hommes" de Jean Bodin (1576). Au-delà des derniers chiffres, quelles sont les grandes tendances démographiques qui se dégagent et quelles sont leurs conséquences ? Entretien avec Maxime Sbaihi, notre expert-associé sur les questions économiques et démographiques, qui vient de consacrer un essai à ce sujet, Les Balançoires vides (Éditions de l’Observatoire).

Dénatalité française : "balançoires vides", le point de bascule ?

Le nouveau bilan démographique de l’INSEE n’a pas réservé de surprise, il a confirmé les tendances à l'œuvre en France depuis 2011. D’un côté une dénatalité qui s’affirme, avec une chute continue et structurelle des naissances année après année, et de l’autre un vieillissement inédit tant par le nombre de personnes âgées que leur longévité. Le seul suspense du bilan était la vigueur de notre solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès. Il n’est plus que de 17 000 en 2024 ce qui est infinitésimal dans un pays de 68,6 millions d’habitants !

La population française a continué d’augmenter en 2024, plus lentement qu’en 2023 et presque uniquement grâce au solde migratoire qui assure désormais les neuf dixièmes de notre croissance démographique.

La dernière fois qu’il était si bas nous étions en guerre. Il deviendra bientôt négatif si les naissances continuent de baisser et sous l’effet de décès en hausse avec l’arrivée des premiers boomers à des âges de plus forte mortalité. La population française a continué d’augmenter en 2024, plus lentement qu’en 2023 et presque uniquement grâce au solde migratoire qui assure désormais les neuf dixièmes de notre croissance démographique.

Quelles sont les raisons de la baisse de la natalité dans un pays qui s’est longtemps prévalu de chiffres importants en la matière ? Comment expliquer que les naissances aient diminué de 21,5 % par rapport à 2010 et de quels paramètres dépend le nombre de naissances ?

Les déterminants de la fécondité sont très variés, trop variés pour pointer un unique responsable de la chute des naissances. Les facteurs à l'œuvre sont à la fois sociologiques, économiques, culturels, biologiques et même technologiques. Tous sont susceptibles d’influencer la décision très intime et très engageante de faire des enfants. L’infécondité volontaire semble augmenter mais c’est un choix de vie qui reste marginal en France. Il doit être respecté, car il doit relever de la seule liberté individuelle, mais pas surestimé. À l’inverse, certaines enquêtes indiquent que la baisse des naissances est aussi du fait de l’infécondité involontaire, à savoir une frustration du désir d’enfant. Les Français déclarent souhaiter faire davantage d’enfants qu’ils n’en font, on parle d’écart de fécondité. Il peut s’expliquer sociologiquement par la hausse des célibats et des séparation, ce que les sociologues appellent de manière un peu pompeuse "déconjugalisation"; biologiquement par le recul continu de l’âge à la maternité qui réduit la fenêtre de procréation des femmes et provoque des problèmes croissants d'infertilité; économiquement par des crises à répétition qui ont fragilisé l’entrée dans la vie adulte des générations aujourd’hui en âge de procréer, par une crise du logement qui s’acharne sur les jeunes et les prive d’une ou plusieurs chambre pour enfant, par une crise des modes de garde qui empêche de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle, enfin par un travail qui ne paie plus et une solidarité intergénérationnelle devenue tellement déséquilibrée que le niveau de vie des actifs est désormais rattrapé par celui des retraités. Bref, nos jeunes ont moins de moyens, d’espace et de temps qu’avant pour réaliser leurs projets familiaux. Ces cassures générationnelles sont trop souvent méprisées dans le débat public alors qu’elles sont aussi explicatives de la dénatalité.

Comment se positionne la natalité en France par rapport aux pays développés comparables ?

"Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console", on peut se raccrocher à cette maxime de Talleyrand pour tenter de se rassurer en constatant que notre taux de fécondité (1,62) reste effectivement l’un des plus élevés des pays riches et que la France est le champion de la fécondité en Europe. À y regarder de plus près, la médaille est néanmoins en chocolat puisque l’Europe est le continent le plus vieillissant et le plus touché par la dénatalité, il est d’ailleurs le seul à être déjà en décroissance démographique. C’est surtout la tendance qu’il faut regarder et là tous nos indicateurs de natalité sont orientés à la baisse depuis plus de dix ans maintenant. L’exception démographique française est morte et enterrée. Il n’y a pas de cocorico qui vaille, d’autant plus que nous sommes, de par la construction de notre modèle social par répartition, beaucoup plus sensibles aux aléas démographiques que d’autres pays.

Quelles sont les conséquences concrètes de ce double phénomène de vieillissement et de dénatalité ? Sur nos économies, nos retraites et notre système de protection sociale ? 

Tout notre modèle social a été conçu dans l’idée que la jeunesse était une denrée abondante, vouée à rester majoritaire, et que les générations allaient se renouveler perpétuellement. Nous avons tout misé sur la démographie en croyant que notre politique familiale suffirait à garantir son dynamisme. Cette croyance a fait long feu. Notre pyramide des âges est peu à peu en train de s’inverser, les plus de 60 sont désormais plus nombreux que les moins de 20 ans et le seuil de renouvellement des générations n’est plus qu’un lointain souvenir. La dénatalité et son corollaire, le grand vieillissement de notre population, sont en train de lézarder les fondations de notre modèle social car il y a toujours moins d’actifs pour financer toujours plus d’inactifs : face au nombre record de 18 millions de retraités que nous comptons aujourd’hui, et qui seront bientôt 23 millions, notre population active ne croit plus. Or, le besoin de financement des dépenses croissantes de retraites, de santé, et bientôt de dépendance, pèsent de plus en plus lourdement sur les épaules des actifs, qui doivent sacrifier un part toujours plus conséquente de leurs revenus du travail, et sur les comptes publics qui n’ont jamais été aussi détériorés en période de paix. Les dépenses de retraite sont d’ailleurs devenues notre premier poste budgétaire et notre première source d’endettement.

D’un point de vue macro-économique, la raréfaction des jeunes réduit la population en âge de travailler, limitant ainsi la force de travail et la croissance potentielle. Le taux d’activité baisse en conséquence et, s’il n’est pas compensé par une hausse de la productivité ou de l’immigration, finit par contraindre le potentiel de création de richesse. Plus grave que quelques points de croissance en moins, le risque, c’est que le retournement démographique à l'œuvre fasse basculer nos sociétés dans un nouveau Zeitgeist défaitiste.

Plus grave que quelques points de croissance en moins, le risque, c’est que le retournement démographique à l'œuvre fasse basculer nos sociétés dans un nouveau Zeitgeist défaitiste.

Le Président de la République a annoncé il y a un an un "réarmement démographique" : comment cela s’est-il traduit concrètement ?

C’était il y a pile un an. Les mots ont été franchement mal choisis, ils rappellent une époque révolue où la démographie était militarisée et instrumentalisée par les pouvoirs publics. Les enfants ne sont pas des obus, le ventre des femmes encore moins des canons ! Au-delà de cette rhétorique déplacée, les mesures annoncées étaient non seulement minimalistes mais en plus elles n’ont pas été mises en œuvre : l’examen de fertilité et le congé de naissance ont fait long feu, victimes collatérales de la crise politique que nous vivons depuis la dissolution. Elle a raccourcit comme jamais l’horizon politique alors que la démographie obéit au temps long. Un an plus tard, il ne reste de cette expression plus que des mots mal choisis et un chantier abandonné.

Quelles leçons peut-on retenir d’un certain nombre de grands pays comme le Japon concernés depuis longtemps par la dénatalité ?

Avec un taux de fécondité qui végète autour de 1,2 enfant par femme, le Japon n’est pas le pays de la plus basse fécondité mais bien celui à la fécondité basse la plus longue. La chute n’a pas été brutale, mais l’érosion a tellement duré qu’il y a toujours moins de jeunes qui font toujours moins d’enfants. Le pays perd 100 habitants par heure, il est tombé dans le piège de la basse fécondité. C’est la menace qui guette les pays riches à la dénatalité durable. Le Japon a beau avoir exporté son capital pour financer ses retraites et maximisé l’activité des seniors (les hommes travaillent en moyenne jusqu’à 68 ans, les femmes 67 ans), son PIB reste en-deçà de son niveau de 1995, date à laquelle sa population active a commencé à baisser. Plus personne n’envie aujourd’hui le modèle nippon tant vanté dans les années 1990. En manque de bébés et d’immigrés, le pays manquera de 11 millions d’actifs pour pourvoir ses emplois en 2040. Le Japon prouve aussi que la raréfaction des jeunes dans l’économie la rend moins innovante, la privant ainsi d’une source de productivité pourtant capable de remédier aux tensions sur la quantité de travail disponible.

Une société moins jeune est en effet moins portée sur la prise de risque, moins propice à l’émergence d’innovations disruptives, c’est assez bien documenté par la recherche académique.

Le Japon a reculé dans tous les classements de dépôts de brevet et voit s’effondrer les créations d’entreprise, phénomène bien connu sous le nom de "vide entrepreneurial". Une société moins jeune est en effet moins portée sur la prise de risque, moins propice à l’émergence d’innovations disruptives, c’est assez bien documenté par la recherche académique.
 

Quels sont les leviers que la France est susceptible d'actionner pour remédier à la dénatalité ?

Il faut déjà distinguer ce qui doit relever de l’action publique et ce qui doit en être exclu. La fécondité est devenue une affaire de choix, un choix qui doit relever de la stricte liberté individuelle, en premier lieu de celle des femmes. C’est un impératif moral absolu. L’État n’a pas à s’immiscer dans les chambres à coucher. L’infécondité volontaire, conséquence d’un choix de vie sans enfants, doit être respectée mais l’infécondité involontaire doit être combattue quand elle résulte d’un manque de moyens, d’espace et de temps pour réaliser les projets familiaux. Pour cela, il faut baisser le coût d’opportunité de la parentalité par des modes de garde abordables et disponibles. Nous en sommes loin en France. Le secteur de la petite enfance souffre d’un manque criant de personnel, d’investissement public et aussi d’un certain désintérêt politique. Partout dans le monde, la fécondité résiste mieux là où les modes de garde sont les plus accessibles, là où les femmes sont libres de concilier travail et maternité, là où les mères peu qualifiées ne doivent pas renoncer au travail et les femmes très qualifiées ne doivent pas renoncer aux enfants. L’autre levier c’est la crise du logement qu’il faut désormais considérer comme une véritable crise sociale et démographique. Nous sommes en train d’exclure une génération entière de l’accession à la propriété immobilière. Comment s’étonner que les familles se réduisent si leur pouvoir d’achat immobilier a été divisé par deux depuis 2000 ? Enfin, il faut redonner la priorité politique à la jeunesse que la dépense publique boude et que la solidarité intergénérationnelle appauvrit. Dit autrement, il faut redonner la priorité au travail et aux actifs plutôt qu’aux retraités. Sur les deux dernières années, les pensions de retraite ont augmenté plus vite que les salaires qui les financent. Ce n’est ni souhaitable ni tenable.

Quelles projections ressortent de ce rapport ? Quel est l’horizon temporel requis pour assister à un renversement (positif ou négatif) des tendances démographiques ? 

L’INSEE ne fait pas de projections dans son bilan démographique, c’est un exercice à part dont le dernier commence à dater puisqu’il remonte à 2021. Le scénario central était alors calé sur un taux de fécondité de 1,8 enfants par femme en 2023, or nous sommes tombés à 1,62 l’année dernière. C’est donc le scénario faisant l’hypothèse d’une fécondité basse qui se réalise. Il y a un air de déjà-vu puisque le scénario fécondité basse de 2016 est devenu le scénario central de 2021. Quand on extrapole les courbes actuelles, on voit évoluer une pyramide des âges qui n’a plus rien de pyramidale tant elle grossit par le haut et maigrit par le bas. La composition par âge de la population française est sans précédent dans notre longue histoire. Les enfants de moins de six ans représentaient 10 % de notre population dans les années 1960, contre 6 % aujourd’hui et 5 % d’ici 2070 si les naissances ne repartent pas à la hausse. En l’espace d’un siècle, la France aura donc divisé par 2 la proportion des enfants dans sa population et multiplié par 3 celle des plus de 65 ans. Nous n’avons jamais connu ça. Enfin, avec un solde naturel qui s’apprête à devenir négatif, la France ne pourra plus que compter sur l’immigration pour continuer à avoir une croissance démographique positive.

Copyright image : Anne-Christine POUJOULAT / AFP

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