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19/09/2023

Référendum, “préférendum” : les défis d’un renouveau démocratique

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Référendum, “préférendum” : les défis d’un renouveau démocratique
 Charles Courbet
Auteur
Consultant en communication et relations publiques

Parmi les concepts qui animent les débats politiques de cette rentrée, ceux de référendum et de "préférendum" occupent une place de choix. Ils ont fait l’objet de discussions lors de la réunion organisée par le président de la République à Saint-Denis le 30 août dernier, avec l’ensemble des leaders de l’opposition. Pour l'instant, l'indécision, ou l’attentisme, semblent dominer sur ces sujets. Faut-il étendre le champ du célèbre article 11 de la Constitution ? Avoir recours au référendum pour redynamiser une vie démocratique présumée atone ? Pour Charles Courbet, consultant en communication et enseignant au CELSA, auteur de Populismes - Échec ou renouveau de la démocratie ? paru chez Dalloz, l'exécutif a trop longtemps rechigné à recourir à la démocratie directe. Dans cette tribune, il encourage nos responsables politiques à se saisir de l’outil référendaire et à l’intégrer dans ce qu’il appelle le "mix démocratique". 

Emmanuel Macron a été réélu - assez aisément, après une campagne éclair - l’an dernier seulement. Il aurait pu sortir conforté de cette séquence, fort d’une légitimité redoublée. Et pourtant. Privé de majorité absolue à l’Assemblée nationale dans la foulée de l’élection présidentielle, contesté dans la rue pour sa réforme des retraites, contraint à l’utilisation impopulaire - et limitée - de l’article 49-3 de la Constitution, le chef de l’État semble chercher les clés pour éviter le spectre d’un second mandat inutile et interminable, qui serait marqué par son impuissance à réformer le pays.

Le référendum s’impose comme une piste majeure pour sortir de l’impasse.

Alors que la dissolution de l’Assemblée nationale, théoriquement possible, est improbable au vu des sondages peu encourageants pour l’exécutif, le président de la République doit dessiner de nouvelles perspectives pour la suite du quinquennat. En cette rentrée, le référendum s’impose comme une piste majeure pour sortir de l’impasse. Le président a récemment fait part de sa volonté d’y avoir recours durant son mandat et les oppositions témoignent de leur enthousiasme pour cette hypothèse, fût-ce pour des raisons différentes : à droite on veut notamment interroger les Français sur l’immigration, tandis que la gauche rêve de remettre en question la réforme des retraites adoptée au printemps.

L’option du référendum soulève toutefois de nombreuses questions. Sur quel(s) sujet(s) faut-il y recourir ? Faut-il réinventer la manière dont il est conçu ? Interroger les Français sur diverses questions lors d’un même scrutin ? Quid de l’article 11 de la Constitution, qui pourrait exclure certaines thématiques de l’appel au peuple ? 

Le référendum, un instrument démocratique (trop) délaissé 

Il faut dire que le référendum est le grand oublié de la vie politique française et que son souvenir est, pour ainsi dire, lointain.

Alors que le général de Gaulle avait conçu la Ve République comme un régime fondamentalement plébiscitaire, qui n’hésitait pas à solliciter le peuple par référendum à intervalles réguliers, la pratique s’est tarie au fil des décennies, au point qu’aucun référendum n’a été organisé à l’échelon national depuis le scrutin portant sur le traité constitutionnel européen en 2005. Seuls cinq référendums ont été soumis aux citoyens en plus de 50 ans par les présidents de la République qui ont succédé à de Gaulle, alors que le général avait, à lui seul, été à l’initiative de quatre référendums (sans compter le scrutin visant à adopter la constitution de la Ve République).

Les causes sont sans doute multiples. Les divers locataires de l’Élysée ont été réticents à prendre le risque de remettre en cause leur mandat, sur le modèle du général qui avait démissionné de ses fonctions en 1969, lorsqu’il a perdu le référendum portant sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Le fonctionnement du régime, qui tend à donner au président de la République des pouvoirs très étendus dès lors qu’une majorité présidentielle siège à l’Assemblée nationale, a aussi pu donner le sentiment à l’Élysée que l’élection présidentielle accordait un blanc-seing au chef de l’État pour décider seul de la politique à mener durant l’ensemble de son mandat. L’idée que les Français seraient susceptibles de "mal voter" - autrement dit, de s’opposer au projet du chef de l’État, et de s’y opposer pour des raisons nécessairement mauvaises - semble aussi expliquer cette réticence.

Les divers locataires de l’Élysée ont été réticents à prendre le risque de remettre en cause leur mandat par un référendum.

Un outil précieux pour faire vivre la démocratie

Pourtant, les référendums - du moins lorsqu’ils concernent un sujet qui engage réellement le pays - passionnent les Français et contribuent à vivifier la démocratie, si l’on en croit les taux de participation aux divers scrutins passés. Sur les trois derniers référendums organisés en France, deux ont avoisiné les 70 % de participation, une performance supérieure à la participation relevée lors des élections législatives depuis 30 ans. 

Les référendums passionnent les Français et contribuent à vivifier la démocratie.

Ce type de consultation devrait ainsi être appréhendé comme un complément utile, voire nécessaire, des élections. Le référendum constitue un outil qu’il convient d’intégrer dans ce que l’on pourrait appeler le "mix démocratique". D’autant que de futurs référendums pourraient être organisés le même jour que des élections locales, qui souffrent d’une abstention croissante. Organiser en même temps ces divers scrutins, comme c’est souvent le cas aux États-Unis et en Suisse notamment, pourrait favoriser la participation des électeurs et leur implication dans la vie politique. 

Définir les critères d’organisation d’un référendum

La Suisse, pays emblématique de la démocratie directe, prévoit certains cas de référendum obligatoire, en complément des référendums facultatifs. L’article 140 alinéa 2 de la Constitution fédérale dispose en effet que le peuple est nécessairement consulté en cas de révision totale de la Constitution, dans le cadre d’une initiative populaire ou en cas de désaccord entre les deux conseils, mais aussi lorsque les initiatives populaires conçues en termes généraux et tendant à la révision partielle de la Constitution ont été rejetées par l’Assemblée fédérale.

Sans adopter nécessairement en France ce concept de référendum obligatoire, il est utile de concevoir les critères suivant lesquels la tenue d’un référendum devrait être sérieusement envisagée.

Tout d’abord, on pourrait estimer qu’il est généralement préférable d’en appeler au vote populaire en cas de révision de la Constitution. En France, la Constitution laisse au président de la République le choix entre une ratification par le peuple ou par le Congrès, qui réunit l’Assemblée nationale et le Sénat et requiert l’approbation des trois cinquièmes des suffrages exprimés. C’est cette dernière option qui a été choisie lors de la dernière révision de la Constitution en 2008, mais aussi à bien d’autres reprises.

Au-delà des amendements à la Constitution, un référendum pourrait s’imposer lorsqu’une décision politique stratégique (hors situation d’urgence) est prise alors qu’elle ne se trouvait pas dans le programme électoral du président élu, ou du Premier ministre lorsque la majorité législative ne concorde pas avec la majorité présidentielle - c’est-à-dire en cas de cohabitation. En effet, lorsque l’exécutif se lance dans un projet de réforme majeur sans l’avoir revendiqué en amont des élections, il s’accorde un "chèque en blanc" sur la politique du pays et réduit la légitimité de la décision prise. 

Le référendum devrait être plus particulièrement réservé aux mesures controversées, qui divisent le pays et nécessitent l’arbitrage du peuple. En effet, quel est l’intérêt de faire voter les électeurs sur un projet consensuel ? Imagine-t-on vraiment les Français s’opposer à l’inscription de la "préservation de l’environnement et de la diversité biologique" dans la Constitution, pour reprendre cet exemple de projet de référendum en 2021 ? Si le référendum porte sur une question secondaire ou qui ne suscite de toute évidence qu’une faible opposition, il ne sert alors qu’à conforter l’exécutif, au risque d’une abstention élevée, du fait d’un manque d’enjeu.

Le référendum devrait être plus particulièrement réservé aux mesures controversées, qui divisent le pays et nécessitent l’arbitrage du peuple.

Enfin, le référendum peut être nécessaire lorsque des pétitions connaissent un succès massif et que des sondages suggèrent qu’une majorité de citoyens souhaite qu’un sujet soit à l’agenda du gouvernement et fasse l’objet d’une consultation.

Ces divers critères constituent ce que l’on pourrait appeler une matrice, ou un faisceau d’indices. Lorsqu’un projet de loi remplit l’un et, en particulier, plusieurs de ces critères, il serait opportun d’envisager sérieusement l’organisation d’un référendum.

Référendum ou "préférendum" ?

Le référendum n’est cependant pas le seul outil envisagé par l’exécutif, qui a évoqué le concept de "préférendum". Le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, Olivier Véran, l’a présenté le 28 août dernier comme "un concept qui nous permettrait de tester plusieurs sujets à la fois au cours d’un même vote". Un tel scrutin serait inédit, puisque les dix référendums convoqués depuis 1958 portaient tous sur un seul sujet.

Le Conseil constitutionnel a jugé que la question soumise à référendum devait "satisfaire à la double exigence de loyauté et de clarté de la consultation".

D’un point de vue juridique, rien ne semble exclure a priori cette hypothèse. La Constitution ne limite pas expressément le nombre de textes qui peuvent être mis au vote lors d’une même consultation, dès lors que l’article 11 permet au président de la République de soumettre à référendum "tout projet de loi" portant sur des sujets strictement définis ("organisation des pouvoirs publics" ; "réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics" ; "ratification d’un traité"). Toutefois, le Conseil constitutionnel a jugé à travers plusieurs décisions (2 juin 1987, 4 mai 2000) que la question soumise à référendum devait "satisfaire à la double exigence de loyauté et de clarté de la consultation" et ne pas "comporter d’équivoque" sur le caractère normatif de la consultation. On peut dès lors se demander si le concept de préférendum remplit ces conditions.

Article 11 de la Constitution : le grand bluff ?

L’article 11 de la Constitution soulève d’autres interrogations. Alors qu’il limite théoriquement les thématiques pouvant faire l’objet d’une consultation populaire, sa portée a été remise en question par le référendum de 1962 sur la mise en place de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, voulu - et gagné - par le général de Gaulle contre l’ensemble, ou presque, de la classe politique. En effet, le Conseil constitutionnel, initialement hostile au projet, s’était finalement déclaré incompétent pour juger - et potentiellement invalider - un référendum approuvé par le peuple.
 

Cette jurisprudence historique peut laisser à penser que l’exécutif pourrait "déborder" des domaines définis dans l’article 11 de la Constitution, notamment à l’occasion d’un référendum sur la politique migratoire du pays, dès lors qu’une majorité populaire approuve son initiative. Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a cependant mis en garde contre de telles tentations à l’occasion de la campagne présidentielle de 2022, en déclarant : "N’est pas le général de Gaulle qui veut !". Le caractère anticonstitutionnel, ou non, d’un tel référendum demeure ainsi incertain.
 

Le Conseil constitutionnel s’était déclaré incompétent pour juger un référendum approuvé. Cette jurisprudence peut laisser penser que l’exécutif pourrait "déborder".

La nécessité de se plier à la décision populaire 

Quel que soit le choix retenu par l’exécutif, organiser un référendum ne suffira pas. Encore faut-il respecter le résultat du scrutin.

En effet, les autorités peuvent parfois donner l’impression de ne pas appliquer la volonté populaire issue d’un référendum.Le traité de Lisbonne, signé en 2007 et reprenant l’essentiel du traité constitutionnel européen rejeté par les Français (et les Néerlandais) en 2005, est souvent cité comme une illustration emblématique de la trahison de la volonté populaire par des élites europhiles. S’il faut nuancer ce jugement, puisque Nicolas Sarkozy s’était engagé à entamer la négociation d’un nouveau traité européen lors de sa campagne présidentielle en 2007, il faut reconnaître que le signal envoyé aux opinions en Europe est ambivalent. 

Si le renouveau de la vie politique peut ainsi passer par davantage de démocratie directe, il est nécessaire que le résultat soit contraignant.

Au niveau local, le référendum sur le célèbre projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes est un autre exemple de négation de la volonté populaire. Ce projet, qui avait recueilli le soutien de plus de 55 % des électeurs lors d’un référendum en 2016 en Loire-Atlantique - où l’aéroport devait être construit - a en effet été abandonné, malgré tout, par le gouvernement en 2018. Le signal envoyé est désastreux pour la vitalité de la démocratie, comme l’expliquait le président du département Loire-Atlantique, Philippe Grosvalet, qui a déclaré à propos de l’abandon du projet : "Il piétine les habitants de mon département qui sont allés voter. Il piétine le suffrage universel, qui est le socle de notre République et de notre démocratie."

Si le renouveau de la vie politique peut ainsi passer par davantage de démocratie directe, il est nécessaire que le résultat soit contraignant. La volonté populaire issue de ce type de scrutin ne saurait être bafouée sans conséquence.

Copyright Image : LOIC VENANCE / AFP

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