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06/04/2022

Présidentielle 2022 : une élection jouée d’avance pour nos voisins européens ? 

Présidentielle 2022 : une élection jouée d’avance pour nos voisins européens ? 
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions

Souvenez-vous, avril 2017, l’Europe entière a les yeux rivés sur l’élection présidentielle française. Après le Brexit et la victoire de Trump aux États-Unis en 2016, la montée des populismes semble poursuivre inexorablement sa route. Prochain arrêt ? La France, et la victoire possible de la candidate du Front national d’alors, Marine Le Pen. L’élection française suscite une attention inédite, renforcée par l’émergence d’une figure nouvelle : celle du jeune candidat Emmanuel Macron, réputé bouleverser l’ordre ancien et le monde des partis. 

Cinq ans plus tard, force est de constater que l’intérêt s’est tari - pour ne pas dire qu’il a totalement disparu. Des discussions avec des correspondants allemands, italiens et britanniques tenues à la fin du mois de mars 2022 à l’Institut Montaigne révèlent en effet que nos voisins s’intéressent très peu à un scrutin que beaucoup considèrent comme joué d’avance. Alors que l’incertitude régnait en 2017, une forme de distance et de détachement - parfois de résignation - semble gagner les opinions publiques allemande, italienne et britannique. Comment l’expliquer, alors même que les sondages du second tour sont aujourd’hui plus favorables à Marine Le Pen qu’ils ne l’étaient en 2017 (33,9% en 2017 contre 43% en 2022) ? Quel regard nos voisins portent-ils sur le bilan du quinquennat ?

Le désintérêt latent des européens à l’égard de la présidentielle française

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer la différence de traitement des élections de 2017 et de 2022 au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie. Il y a d’abord l’annus horribilis qu’a représenté 2016 pour tous les démocrates occidentaux, sous le double coup du Brexit et de l’élection de Donald Trump. Un contexte radicalement différent, donc, de celui que nous vivons en ce moment, marqué par la pandémie puis la guerre en Ukraine qui, depuis la fin du mois de février, préoccupe très largement les gouvernements et les sociétés européennes. Le sentiment aussi - trompeur ? - que la victoire d’Emmanuel Macron marquait, pour la France, une victoire sur le populisme

L’émergence de deux figures d’extrême droite en France intéresse d’ailleurs tout particulièrement l’Italie, qui retrouve là une dynamique comparable à celle que le pays a connu avec l’arrivée de Giorgia Meloni.

Selon les correspondants que nous avons rencontrés, ce double paradigme pourrait cependant évoluer dans les prochains jours. La guerre, parce qu'elle s’enlise, est progressivement intégrée par les populations et leurs préoccupations vont se porter à nouveau sur les problématiques de politique intérieure et du quotidien. Sur notre second point, l’idée que la présidence d’Emmanuel Macron aurait, de bout en bout, été accompagnée du "retour du tragique dans l’histoire" gagne du terrain, et ce tragique pourrait ne pas épargner les dernières semaines de son mandat, avec un résultat inattendu pour les candidats "nationalistes".

L’émergence de deux figures d’extrême droite en France intéresse d’ailleurs tout particulièrement l’Italie, qui retrouve là une dynamique comparable à celle que le pays a connu avec l’arrivée de Giorgia Meloni, figure montante de l'extrême droite italienne, cheffe du parti Fratelli d'Italia, qui gagne progressivement du terrain et menace celui qui est désormais autant son allié que son rival, Matteo Salvini, leader du parti d’extrême droite Lega, ancien Vice Président du Conseil des ministres italien. On dit souvent que l’Italie est un laboratoire politique à ciel ouvert, la France pourrait bien, dans le contexte, lui disputer ce rôle-là. Le scrutin des 10 et 24 avril nous le dira. 

Une vision contrastée du bilan

Venons-en maintenant au bilan du quinquennat. La presse étrangère s’accorde sur son aspect globalement positif s’agissant de la politique intérieure du Président. Elle met en avant la réduction du taux de chômage (aujourd’hui à 7,4 %, un taux jamais observé depuis la crise de 2008) et s’intéresse tout particulièrement à l’augmentation de son taux d’emploi, y compris pendant la crise et pour les personnes de plus de 50 ans. Les 25 licornes promises par le candidat ont bien vu le jour en janvier 2022 (contre 3 en 2017) et la croissance, malgré la pandémie, a été au rendez-vous en 2021. Mais, pour nos interlocuteurs, ces évolutions ne doivent pas dissimuler les grandes divisions qui continuent de traverser une France marquée par les contrastes et les inégalités. Et ce bilan, positif sur la plan de l’économie, est par ailleurs beaucoup plus contrasté s’agissant du renouveau de la démocratie : que sont devenus les cahiers de doléances du grand débat ? Les conclusions de la convention citoyenne pour le climat ? Les questionnaires de la toute première grande marche de 2017 ? Autant d’éléments qui auraient dû ouvrir le débat démocratique et citoyen, renforcer la transparence et le dialogue, renouveler les méthodes et les figures du politique. Sur tout ce volet, un constat d’échec domine chez nos voisins. 

Sur le plan européen, là encore nos voisins relèvent des avancées considérables, crantées par le discours de la Sorbonne, dont la pandémie puis la guerre en Ukraine ont renforcé la pertinence et l’urgence. L’émergence du concept de souveraineté européenne, qui paraissait saugrenu pour certains pays de l’Union il y a quelques mois encore, fédère désormais une majorité de nos voisins, poussés tout particulièrement par le conflit russo-ukrainien. Avant la guerre, même l’accord de coalition allemand s’y était converti, mentionnant explicitement son souhait de voir émerger "une Union européenne démocratiquement consolidée, capable d’agir et stratégiquement souveraine". 

Sur le plan international enfin, les choses sont beaucoup plus mitigées, et peu de progrès réels sont portés au crédit du Président Macron par nos interlocuteurs, qu’il s’agisse du dialogue avec Poutine ou avec Trump, des tentatives de paix au Liban, ou de la situation au Sahel. Selon nos correspondants allemands, le Président français a rapidement perdu la stature de "sauveur" qu’il pouvait avoir aux yeux de certains Allemands notamment ; la promesse de "France is back" s’est, enfin, souvent traduite par l’exercice d’un pouvoir en solitaire, empreint d’une forme d’arrogance, très mal perçue par nos voisins. 

Draghi, Scholtz, Johnson : des amitiés contrastées avec le Président Macron

La perception de la situation française en Europe est très liée à la nature des relations qui lient le Président de la République aux différents dirigeants européens. Prenons le Royaume-Uni de Boris Johnson d’abord. Les deux hommes, Johnson et Macron, pourraient difficilement être plus différents : qu’il s’agisse de leur appréhension de la politique, de leur vision de l’Europe ou de leur exercice du pouvoir. Cette différence de nature ne les a pourtant pas empêché, au tout début du mandat Johnson en 2019, d’afficher une forme de proximité. Lors de leur première rencontre en août 2019, une tentative de séduction réciproque semble s’installer, mais cette dynamique ne durera qu’un temps et c’est bien une forme d’hostilité, voire de défiance, qui domine aujourd’hui entre les deux hommes.

Défiance jugée très "grave" par nos interlocuteurs, pour qui la relation entre les deux dirigeants a rarement été aussi dégradée. Elle n’est pas le seul fruit d’un Brexit qui aurait rendu nos deux pays irréconciliables. Preuve en est : le sommet franco-britannique de janvier 2018 à Sandhurst, alors que Theresa May était encore au pouvoir, avait accouché de conclusions plutôt prometteuses, dans un contexte pourtant particulièrement délicat. Et si la crise des sous-marins australiens en septembre 2021 a refroidi encore davantage les relations entre les deux hommes, il est intéressant de noter que les États-Unis de Joe Biden ont multiplié les efforts pour restaurer la confiance, là où le Royaume-Uni de Johnson est resté beaucoup plus inactif.

Les deux hommes, Johnson et Macron, pourraient difficilement être plus différents : qu’il s’agisse de leur appréhension de la politique, de leur vision de l’Europe ou de leur exercice du pouvoir.

Défiance jugée très "grave" par nos interlocuteurs, pour qui la relation entre les deux dirigeants a rarement été aussi dégradée. Elle n’est pas le seul fruit d’un Brexit qui aurait rendu nos deux pays irréconciliables. Preuve en est : le sommet franco-britannique de janvier 2018 à Sandhurst, alors que Theresa May était encore au pouvoir, avait accouché de conclusions plutôt prometteuses, dans un contexte pourtant particulièrement délicat. Et si la crise des sous-marins australiens en septembre 2021 a refroidi encore davantage les relations entre les deux hommes, il est intéressant de noter que les États-Unis de Joe Biden ont multiplié les efforts pour restaurer la confiance, là où le Royaume-Uni de Johnson est resté beaucoup plus inactif.  

L’Italie a suivi, semble-t-il, le chemin inverse. Il y aurait eu d’abord la "saison 1", celle qui a porté au pouvoir en 2018 un gouvernement souverainiste, celui de la Ligue de Matteo Salvini et du Mouvement 5 étoiles mené par Luigi Di Maio. Alors même que le Président Macron fraîchement élu affichait une volonté forte de travailler avec l’Italie, cette volonté a très vite été contrariée. Pire, elle a subi l’une des crises diplomatiques les plus importantes de la période récente : soutien du mouvement des gilets jaunes par le vice-Premier ministre italien Luigi di Maio, rappel de l’Ambassadeur de France en Italie en février 2019, tweets vengeurs et coalition anti-Macron formée avec Viktor Orban sur la question des réfugiés… Cette première saison terminée, la seconde est en passe d’en devenir l’exacte antithèse. La personnalité d’un homme l’explique : celle de Mario Draghi. Très proche du Président Macron, les deux dirigeants entretiennent un lien particulièrement fort, partagent une même vision de l’exercice du pouvoir, un même attachement à la technicité des dossiers. En décembre 2021, les deux chefs d’État vont jusqu’à publier une tribune conjointe dans le Financial Times, plaidant pour un assouplissement des règles budgétaires de Maastricht qui permettra à l’Europe de disposer "d’une plus grande marge de manoeuvre" pour "réaliser les dépenses clés nécessaires à notre avenir et à notre souveraineté". Quelques jours plus tôt, les deux dirigeants signaient le Traité du Quirinal, qui devait poser les bases renouvelées de la relation entre les deux pays : approfondissement de la relation en matière de défense, création d’un service civique commun franco-italien, développement des mobilités étudiantes, renforcement des échanges entre industries culturelles… Autant de mesures au service d’une coopération renforcée afin de forger ce que l’on qualifie alors de "réflexe franco-italien". Et c’est le regard plus global des Italiens envers la France qui s’en trouve "réenchanté" (du moins partiellement et momentanément, selon nos interlocuteurs). 

En Allemagne enfin, on a connu de mêmes oscillations, mais de plus faible ampleur. L’irritation à l’égard de Macron, alimentée notamment par ses positions très marquées sur les politiques budgétaires européennes, a connu des va-et-vient aussi bien sous l’ère Merkel que sous l’ère Scholtz. Les deux pays ont, eux aussi, leur traité : celui d’Aix-la-Chapelle signé par Merkel et Macron en janvier 2019, à l’occasion du 56ème anniversaire du traité de l’Élysée. Aujourd’hui, le couple franco-allemand semble connaître un nouveau pic dans ses relations : désormais alignés sur certains sujets autrefois conflictuels (comme la gestion des déficits), le Chancelier allemand et le Président français semblent au diapason (quelques sujets de dissensus demeurent cependant entre les deux pays). Et si la nomination au ministère des finances allemand du libéral Christian Lindner, grand défenseur de l'orthodoxie budgétaire, pouvait laisser entrevoir des différends entre les deux gouvernements, le dialogue et les avancées se poursuivent y compris sur ce terrain-là. Sur les réponses à apporter face à la guerre en Ukraine enfin, nos interlocuteurs évoquent le grand "respect" français face aux positions allemandes, concernant les décisions d’approvisionnement énergétique notamment, ils pointent également du doigt l’attitude des deux dirigeants face à Poutine, l’un et l’autre étant très attachés au maintien du dialogue avec Moscou. 

Comment ces relations évolueront-elles dans les prochaines semaines et les prochains mois ? L’élection présidentielle française donnera une partie de la réponse. Il nous faudra aussi regarder chez nos voisins, eux aussi appelés aux urnes dans les 24 prochains mois : avant le printemps 2023 en Italie, puis en mai 2024 pour les prochaines élections au Royaume-Uni. Dans un cas comme dans l’autre, les jeux semblent aujourd’hui bien loin d’être faits. 

 

 

Copyright : LUDOVIC MARIN / AFP

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