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02/04/2019

Pour Assad et Netanyahou : le Golan, la reconquête sur un plateau ?

Regards croisés de Michel Duclos et Dominique Moïsi

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Pour Assad et Netanyahou : le Golan, la reconquête sur un plateau ?
 Michel Duclos
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie
 Dominique Moïsi
Conseiller Spécial - Géopolitique

Plus d’un an après la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, Donald Trump a reconnu le 21 mars dernier la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan. Surplombant la route de Damas, ce plateau de 1 800 kilomètres carrés, dont l’occupation par Israël le 10 juin 1967 a clôturé la Guerre des Six Jours, constitue un enjeu de taille à divers égards. Quelles implications politiques et géostratégiques cette reconnaissance unilatérale a-t-elle sur les acteurs de la région ? Quid du droit international ? Nos deux conseillers spéciaux - Géopolitique, Michel Duclos et Dominique Moïsi, répondent à nos questions.

À quelques semaines des élections, quels sont pour Benyamin Netanyahou les enjeux politiques soulevés par la reconnaissance américaine de la souveraineté israélienne sur le Golan ?

DOMINIQUE MOÏSI

C’est un point majeur, le plateau du Golan est d’une importance stratégique incontournable pour Israël. C’est le lieu d'où, pendant la Guerre des Six Jours, sont descendus des centaines de chars syriens. Ce front du Nord fut la partie la plus difficile de la Guerre des Six Jours pour Israël, et stopper les chars syriens fut un exploit, au même titre que la destruction des forces aériennes égyptiennes encore au sol. En réalité, le plateau du Golan n’est pas négociable pour Israël, sauf dans le cas d’un accord de paix accompagné d’une démilitarisation du plateau et d’une extrême surveillance.

Quand Donald Trump reconnaît le plateau du Golan comme israélien, il entend donner à ce geste un parfum de légitimité internationale quasi irréversible. Mais pour la communauté internationale, suivre les Etats-Unis est impossible car cela donnerait un prétexte à la Russie sur la Crimée, ou à la Chine sur certaines îles. En même temps, il n’y a pas trop d’illusions à se faire : les Israéliens ne vont pas rendre le Golan à la Syrie. Sa situation géographique, une hauteur à la frontière Nord d’Israël en fait un enjeu territorial différent du Sinaï ou de Gaza. Il n’y a donc pas de possibilité pour Israël de rendre ce plateau sans circonstances exceptionnelles.

La proximité immédiate du Golan, et la production de grands vins contribuent à en faire un enjeu territorial différent du Sinaï ou de Gaza.

Il est évident que la déclaration provocatrice de Donald Trump, intervenant à moins de deux semaines des élections israéliennes, ne peut être perçue que comme un cadeau de ce dernier à Benyamin Netanyahou. Avec la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël hier, la reconnaissance du Golan aujourd’hui comme une forme de base de négociation imposé avant une éventuelle discussion de paix avec les Palestiniens d’une part, et avec la Syrie de l’autre. Trump parle d’une solution globale depuis un certain temps, et il veut être en position de force sur tous les plans. Avec une approche presque soviétique, "Ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est négociable".

Au delà du cadeau à Benyamin Netanyahou, il faut replacer cette déclaration dans le contexte de la politique américaine au Moyen-Orient et particulièrement en Syrie. L’idée est de trouver une forme de réponse à ce qui constitue un échec pour l’Amérique et ses alliés européens: le maintien d’Assad au pouvoir grâce au soutien de l’Iran et à la Russie. De plus la Russie a désormais des relations privilégiées avec Israël, un pays qui est devenu de plus en plus "russe". En effet, de 1988 à 1998, plus d’un million de Russes sont arrivés en Israël, et la population d’origine russe constitue aujourd'hui près de 20 % de celle du pays. Il existe aussi une relation privilégiée trilatérale, entre Netanyahou et Trump et entre Netanyahou et Poutine : ils sont autoritaires, ont le même langage, la même culture politique, et sont porteurs d’un modèle de  démocratie illibérale. Israël a également, dans le même registre, des relations privilégiées avec l’Inde de Narendra Modi et la Chine de Xi Jinping. Israël est donc sorti de son isolement diplomatique certains diraient de la mauvaise manière, l’évolution du monde étant à l’avantage du respect de la force avant tout.

Israël et l’Iran sont des ennemis jurés, mais en même temps personne ne souhaite vraiment une guerre. Israël est conscient du fait qu’il est difficile de détruire l’arsenal nucléaire iranien, et les Iraniens dont le régime est affaibli par l’isolement sont également conscients de la supériorité de l’état Hébreu.

Trump veut donc montrer qu’il existe encore au Moyen-Orient puisqu’il peut jouer sur les élections israéliennes. Par ailleurs existe aussi l’idée que pour l’Iran, le Hamas et le Hezbollah, le meilleur ennemi est le meilleur allié de Donald Trump, à savoir Bibi Benjamin Netanyahu.

Comment le retour de cette question impacte-t-il le conflit syrien et la position de Bachar el-Assad sur les scènes domestique et internationale ? 

MICHEL DUCLOS

La reconnaissance de l’annexion du Golan par Israël renforce l’argumentation de l'"axe de la résistance" (Iran-Syrie-Hezbollah-Hamas). Elle constitue un déni de droit si flagrant qu’elle ne peut qu’aviver, dans la sensibilité des opinions arabes (et a fortiori de l’opinion syrienne), l’hostilité à l’égard d’Israël et de la politique américaine dans la région. C’est donc un cadeau fait principalement à l’Iran et donc, sous réserve d’un aspect sur lequel je reviens dans un instant, à Bachar el-Assad. C’est d’ailleurs d’autant plus le cas que le communiqué du Département d’Etat invoque la menace iranienne sur le Golan comme justification de la décision du Président Trump : cela ne peut que renforcer la légitimité de la République islamique comme chef de file de la défense des droits des Arabes.

Comme cela avait été le cas lors du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, la reconnaissance de l’annexion du Golan par Israël va constituer un obstacle au mouvement que l’on observait – et qui fait pourtant partie du dessein de Trump pour le Proche-Orient – d’un rapprochement entre les Etats du Golfe et Israël.

Il y a un dernier aspect qui a été peu souligné. Les Syriens reprochent historiquement à la dynastie Assad d’avoir "perdu le Golan" et de n’avoir été capable de le récupérer ni par les armes ni par la négociation. La décision de Trump aggrave dans l’esprit du public syrien la responsabilité des Assad dans le "démembrement" du pays - à un moment où un tiers du pays se trouve encore entre les mains des Turcs au Nord, de la coalition kurdo-arabe au Nord-Ouest ou de la centrale terroriste qui contrôle la province d’Idlib. Il est ainsi à craindre que le régime, en quelque sorte pour démontrer son "patriotisme", se trouve renforcé dans son intention de reconquérir le plus vite possible Idlib par la force.

La reconnaissance de l’annexion du Golan par Israël va constituer un obstacle au mouvement que l’on observait – et qui fait pourtant partie du dessein de Trump pour le Proche-Orient – d’un rapprochement entre les Etats du Golfe et Israël.

Cette reconnaissance américaine constitue-t-elle une rupture en droit international ? Quelles peuvent être les répercussions sur d'autres cas de conflit territorial ?

DOMINIQUE MOÏSI

C’est une rupture en droit international dans le sens où les Etats-Unis tranchent unilatéralement une question non résolue. Les Etats-Unis peuvent-ils se substituer à l’ONU et décider seuls que le plateau du Golan revient à Israël ? La réponse est non, mais il y a le droit et la réalité. Qui va récupérer le plateau du Golan ? Personne. Que diront les historiens dans un premier temps ? Que Assad a sauvé son régime et perdu le Golan. Et il n’a pas les moyens de le récupérer.

De la fin de la guerre froide jusqu’au début des années 2000, on rêvait d’un monde où droit et force allaient de pair. Jusqu’à la fin des années 1990, on voyait les Etats-Unis comme les gendarmes du monde au nom des valeurs universelles. Depuis, nous sommes entrés dans un monde qui se rapproche de plus en plus de la loi du plus fort, où la force prime sur le droit avec une brutalité nouvelle.

 

MICHEL DUCLOS

Tous les commentateurs ont souligné que la reconnaissance de l’annexion du Golan par Israël constitue un précédent terrible. Un tel précédent peut encourager la droite israélienne à procéder aussi à l’annexion de la Cisjordanie et, surtout, sera interprété par Moscou comme un signe avant-coureur d’une légitimation de l’annexion de la Crimée et par Pékin comme un précurseur d’une attitude moins ferme des Etats-Unis concernant ses visées sur la mer de Chine du Sud.

D’où un dilemme majeur pour les Européens et tous les pays attachés au droit international : la décision américaine appelle une condamnation la plus large possible mais quelle serait la valeur d’une position commune avec la Russie et la Chine qui l’une et l’autre ne se considèrent pas liées par le droit international ? Et si les Européens se contentent d’une prise de position exclusivement européenne – à supposer qu’ils se mettent d’accord – celle-ci ne conduirait-elle pas à mettre en relief leur relatif isolement ? Une telle position n’est-elle pas destinée à rester platonique ?

Indiquons toutefois une voie à explorer : le texte du communiqué du Département d’Etat explique la décision de Donald Trump par le contexte de la présence menaçante de l’Iran et du Hezbollah sur le territoire syrien aux portes du Golan. Tout en condamnant la décision de Trump pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, peut-être serait-il opportun d’en minimiser la portée. Le message pourrait être : "les Européens ne reconnaissent pas l’annexion du Golan et il n’est pas certain, compte-tenu du caractère circonstanciel de la position de Trump, liée d’autre part de toute évidence à des considérations de politique intérieure israélienne, que la position de la Maison Blanche sera encore valide sous son successeur".

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