AccueilExpressions par Montaigne[Où va l'Allemagne ?] - Les grands enjeux d'une élection déterminanteL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.19/02/2025[Où va l'Allemagne ?] - Les grands enjeux d'une élection déterminante EuropeImprimerPARTAGERAuteur Alexandre Robinet-Borgomano Expert Associé - Allemagne Où va l’Allemagne ?Les élections fédérales allemandes provoquées par l'éclatement de la coalition rassemblée autour d'Olaf Scholz se tiendront dimanche 23 février, dans le fracas d'une Conférence de Munich sur la Sécurité qui a profondément remis en cause les rapports de force et les alliances et dans le contexte d'une Europe affaiblie par ses divergences et les vacillements politiques de certains de ses dirigeants. Comment comprendre le rôle d'Olaf Scholz et l'échec de sa politique ? Quelle est la place de l'extrême droite ou des thèmes du frein à la dette et de l'immigration ? Dans l'épisode conclusif de sa série Où va l'Allemagne, Alexandre Robinet-Borgomano analyse les grands enjeux d'une élection déterminante. "Il est nécessaire que les partis démocratiques agissent ensemble, non pas par une manœuvre politicienne, mais de façon factuelle et mesurée, sur la base du droit européen, afin de tout faire pour éviter que des attentats se reproduisent". L’ancienne Chancelière Angela Merkel sort rarement de sa réserve. Attachée à promouvoir la publication de ses Mémoires, elle prend garde de ne pas donner de leçons à ses successeurs et se tient désormais à l’écart de la vie politique allemande. Le 31 janvier 2025, Angela Merkel a pourtant tenu à prendre ses distances vis-à-vis de son ancien parti, la CDU, en critiquant dans un communiqué la tentative du candidat conservateur Friedrich Merz de réformer la politique migratoire en s’appuyant sur les voies de l’AfD, l’extrême droite allemande. Dans un contexte électoral marqué par une succession d’attentats meurtriers, alors que le sujet migratoire devient dominant, la droite allemande, en tête dans les sondages, cherche à renforcer son profil conservateur afin de limiter l’ascension de l’extrême droite. L’Union chrétienne démocrate (CDU) rompt ainsi avec la politique d’accueil qui, à partir de 2015, avait marqué les deux derniers mandats d’Angela Merkel. Le pari de Friedrich Merz est risqué. S’il s’impose comme le grand gagnant de cette élection, il devra se confronter, au lendemain du scrutin, à la nécessité de trouver un partenaire de coalition avec lequel reconstruire une relation de confiance, pour éviter de renouer avec le scénario d’une Allemagne ingouvernable qui se joue depuis trois ans. Le crépuscule d'Olaf Scholz"La situation est grave". Au soir du 6 novembre 2024, le jour de l’annonce de la réélection de Donald Trump, le Chancelier Olaf Scholz démet de ses fonctions son ministre libéral des Finances, Christian Lindner, faisant ainsi exploser la coalition qui liait depuis trois ans les Verts, les Sociaux-démocrates et les Libéraux. Un coup de tonnerre dans la vie politique allemande, provoquant la tenue d’élections anticipées. Très mal positionné dans les sondages, le Chancelier Olaf Scholz a désormais toutes les chances de perdre le pouvoir et de rester dans l’histoire comme un homme de transition, dont le rôle aura été de solder l'héritage d’Angela Merkel, avant de permettre à l'Allemagne d’écrire une nouvelle page de son histoire. Pour comprendre l'échec de cette coalition, il convient de revenir à ses débuts. Dirigée par l’ancien vice-Chancelier et ministre des Finances Olaf Scholz, cette nouvelle coalition envisageait de transformer et de moderniser l’Allemagne, à travers un programme fondé sur l’idée de "Progrès" mais sans véritable rupture par rapport aux années Merkel. C'est la première fois au niveau fédéral qu’une coalition ne lie plus deux, mais trois partis. Et dès le départ, la direction apparaît incertaine. Plusieurs points de divergences entre les partis, comme l’avenir du projet Nord Stream 2 ou la nécessité d'élever certains impôts et d'assouplir les règles budgétaires pour assurer une "décennie d'investissements", sont tout simplement occultés dans le programme de gouvernement. La cohésion de la nouvelle équipe gouvernementale ne tarde pas à être mise à rude épreuve, tant par le ralentissement économique de l'Allemagne que par le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le nouveau Chancelier est critiqué pour son manque de leadership et prend ombrage de la popularité de son ministre vert de l'Économie, Robert Habeck. L'image de ce dernier est quant à elle ternie par le fiasco lié à la loi sur le renouvellement des pompes à chaleur et par les mauvais résultats de l’économie allemande. Quant aux Libéraux, ils n'ont eu de cesse de s’attaquer aux ambitions climatiques du Gouvernement pour tenter d'exister médiatiquement. Comme l’explique l’ancienne Chancelière dans une interview au Spiegel pour expliquer l’absence d’unité gouvernementale : "il est toujours difficile de vouloir se présenter comme un parti d’opposition lorsqu’on participe au gouvernement". C'est néanmoins sur la question du budget que l'attelage gouvernemental finit par se briser. En 2023 déjà, la Cour constitutionnelle allemande avait infligé un camouflet cinglant au Gouvernement en dénonçant des montages financiers visant à maintenir artificiellement une apparence de respect des règles budgétaires à travers l'utilisation de fonds spéciaux. En 2024, les trois partis ne parviennent pas à s’accorder sur un nouveau budget face à l’intransigeance des libéraux, qui, se posant en défenseurs du "frein à l'endettement", s’opposent aux nouveaux plans d'investissement soutenus par les Verts et le SPD. Des considérations d’ordre plus politiques ont également précipité la chute du gouvernement d'Olaf Scholz. Les élections régionales qui se sont tenues en Allemagne ces dernières années ont confirmé l’impopularité croissante de la coalition. En Bavière, comme en Saxe et en Thuringe, les Sociaux-démocrates, les Verts et les Libéraux ne parviennent pas, en additionnant leurs voix, à égaler le résultat des Chrétiens démocrates. Comme le rappelle le journal allemand Der Spiegel qui consacre son dernier numéro à l’échec d’Olaf Scholz : "aucun Chancelier d’Allemagne n’avait connu une telle impopularité depuis 27 ans". Les enjeux de la campagne La lente érosion de la popularité des trois partis chargés depuis trois ans de présider aux destinées de l’Allemagne révèle une grande stabilité dans les intentions de vote. Les conservateurs de la CDU sont aujourd’hui largement en tête dans les sondages (30 % des voix), suivis du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), avec 20 % des voix. Les Sociaux-démocrates, avec 15 %, et les Verts, avec 13 % voient leur base électorale s’éroder progressivement, alors que les Libéraux peinent à réunir les 5 % nécessaires pour être représentés au Parlement. Seule surprise de cette campagne : le nouveau parti populiste "Alliance Sarah Wagenknecht" (BSW), un mélange original d’antimilitarisme, de protectionnisme social et de rejet de l’immigration, qui avait fait une irruption fracassante dans la vie politique allemande à l’occasion des élections régionales dans l’Est de l’Allemagne, apparait désormais comme un épiphénomène appartenant au passé. À l’inverse, son ancien parti, Die Linke, mené par le duo Heidi Reichinnek und Jan van Aken, réussit une percée inattendue grâce notamment au soutien de la jeunesse. En Allemagne, les élections se gagnent "au centre". Celui-ci s'est désormais décalé vers la droite. Lors des dernières élections de 2021, la droite et l’extrêmes droite n’étaient parvenues à réunir que 35 % des suffrages ; ils en recueilleraient aujourd’hui plus de 50 %, alors que l’ensemble des partis de gauche - Die Linke, les Sociaux-démocrates et le Verts - ne représentent plus selon les sondages que 35 % de l’électorat. Dans la mesure où les attentats meurtriers perpétrés à Magdeburg, à Aschaffenburg et dernièrement à Munich avaient tous en commun d’impliquer des émigrés, la droite et l’extrême droite ont voulu lier la question sécuritaire à celle d’un meilleur contrôle de l’immigration, devenu le thème dominant de la campagne. C'est le sens du projet de la loi pour la limitation de l’afflux de migrants (Zustrombegrenzungsgesetz) proposé par la droite allemande et rejeté par le Bundestag, malgré le soutien de l’AfD. Ce projet prévoyait trois inflexions importantes dans la politique migratoire allemande : elle fixait comme objectif prioritaire non seulement le contrôle, mais aussi la "limitation" de l'immigration des étrangers ; selon cette loi, le regroupement familial pour les personnes ayant besoin d'une protection subsidiaire aurait été suspendu ; enfin cette loi aurait renforcé les pouvoirs de la Police fédérale dans le contrôle de l’immigration. Au-delà des seuls attentats qui ont traumatisé l'opinion publique allemande, cette inflexion de la politique migratoire s'explique également par la spécificité de la situation allemande. Comme l'Autriche, l'Allemagne fait face à un afflux de migrants extra-européens nettement plus élevé que les autres États du continent. Le rapprochement inédit entre la droite allemande et l'Afd a suscité de vives critiques, dans la rue comme dans les médias, amenant également des soutiens traditionnels de la droite allemande, comme l’ancienne Chancelière Angela Merkel ou le comité central des catholiques allemands, à prendre leurs distances vis-à-vis de Friedrich Merz. Ce dernier justifie quant à lui son pari par sa volonté de ne pas laisser à l’extrême droite le monopole d’un sujet identifié comme une priorité par une majorité d’Allemands, reprochant au laxisme des Verts et du SPD d’être le véritable moteur de l’AfD. Au-delà de la question migratoire, deux grands thèmes animent la campagne : la guerre, et l'argent. Au-delà de la question migratoire, deux grands thèmes animent la campagne : la guerre, et l'argent. Alors que la CDU, les Verts et les Libéraux plaident en faveur d'un soutien renforcé à l'Ukraine, les partis extrêmes (AfD et BSW) se posent en défenseurs de la paix et du dialogue avec la Russie de Vladimir Poutine. Le Chancelier Olaf Scholz tente également de rejoindre le camp des pacifistes, en se présentant comme le "Chancelier de la paix" (Friendenkanzler). C’est le sens de son appel à Vladimir Poutine le 16 novembre dernier et de ses réticences exprimées à l’issue de la conférence internationale sur l'Ukraine organisée à Paris par Emmanuel Macron le 17 février. L'autre grand sujet de campagne est lié à l’opportunité de lever le frein à l'endettement (Schuldenbremse), inscrit dans la Constitution, afin de permettre à l'État d'investir massivement dans les infrastructures et de soutenir l'économie. Traditionnellement attaché au refus des déficit, autrefois qualifié de "fétiche" des conservateurs, la CDU pourrait pour la première fois de son histoire récente remettre en cause ce dogme budgétaire. C’est ainsi que certains ont voulu interpréter les dernières déclarations du candidat conservateur Friedrich Merz, qui n'exclut pas de modifier la Constitution pour autoriser l’Allemagne à accroître ses dépenses. Friedrich Merz, Chancelier ? Élu en 2022 président de la CDU, Friedrich Merz devrait désormais s'imposer comme le 10ème Chancelier de la République fédérale allemande. Particulièrement attaché à l'économie sociale de marché, il entend néanmoins revenir sur les années de "social-démocratisation" de la droite allemande, en accentuant le profil conservateur du parti, qu’il définit comme une "ouverture à la nouveauté, soucieuse en même temps de préserver ce qui doit l’être". Difficile de voir en Friedrich Merz un homme du renouveau. Élu député au Parlement européen en 1989, il connaît son apogée politique en 2000, lorsqu'il préside le groupe parlementaire CDU-CSU au Bundestag. Un poste dont il sera évincé par Angela Merkel deux ans plus tard. En 2009, Friedrich Merz quitte la vie politique et se lance dans les affaires, d'abord comme avocat au sein du cabinet Mayer Brown, puis comme lobbyiste, au sein du puissant fonds d’investissement BlackRock. Catholique de l'Ouest, plusieurs fois grand-père, très attaché à l’Europe, Friedrich Merz assume de ne pas courir après la modernité, mais il représente dans un monde en crise une promesse de stabilité.S’il remporte les élections, Friedrich Merz se verra confronté à deux principaux défis : rétablir la compétitivité de l'industrie allemande sur la base de son "Agenda 2030" incarnant une politique de l'offre ; donner à l'Allemagne un grand projet mobilisateur qui ne peut être qu’un projet européen. Comme il l’explique dans un important discours consacré à la politique étrangère de l'Allemagne : "L'Allemagne porte une responsabilité non seulement pour ses propres intérêts, mais aussi pour la cohésion de toute l'Europe." Friedrich Merz pourrait ainsi assumer en Europe le leadership politique que ses prédécesseurs n’ont pas su incarner. Copyright Fabrizio Bensch / POOL / AFPLe chancelier allemand Olaf Scholz (SPD) et le candidat Friedrich Merz (CDU) lors d’un débat télévisé le 19 février 2025 à Berlin.ImprimerPARTAGERcontenus associés 10/02/2025 [Où va l’Allemagne ? ] - Fracture Est-Ouest : où en est-on ? Alexandre Robinet-Borgomano 03/02/2025 [Où va l’Allemagne ?] - Le renouveau de la puissance allemande Alexandre Robinet-Borgomano 27/01/2025 [Où va l’Allemagne ?] - Un modèle économique en question Alexandre Robinet-Borgomano