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30/08/2023

Mr. Robot : au-delà du cliché du hacker solitaire

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Mr. Robot : au-delà du cliché du hacker solitaire
 Marion Rajaoba
Auteur
Chargée de projets - Réseaux sociaux

Au-delà du cliché du “hacker solitaire”, quel miroir la série Mr.Robot tend-elle sur nos rapports au cyber ? Du cybercriminel au cyberjusticier, comment la fiction contribue-t-elle à reconfigurer les codes traditionnels de l'héroïsme ? Pour ce nouveau volet du Monde au miroir des séries, Marion Rajaoba, chargée de projets réseaux sociaux à l’Institut Montaigne, nous invite à naviguer en terres immatérielles, au pays du codage et des guerres numériques. 

Retrouvez ici l'ensemble des analyses du Monde au miroir des séries

À l’heure où la cybersécurité est un enjeu majeur tant pour les entreprises que pour les gouvernements et les particuliers, la cybercriminalité continue de proliférer et s'adapte constamment aux nouvelles technologies et aux tactiques de défense. Dans ce contexte où la menace cyber est à son paroxysme, la série Mr. Robot semble être au cœur de l’actualité.

Mr. Robot est bien plus qu'une série sur le codage et sur la course à la destruction du capitalisme et des conglomérats américains au milieu de l'échiquier diplomatique mondial régi par les rivalités sino-américaines. Si la  série aux tendances dystopiques reprend et renforce le cliché du “cyber-justicier anarchiste à capuche”, elle amène néanmoins de la profondeur à son protagoniste, tout en traitant d’autres thématiques, et en représentant à l'écran le monde du codage avec une fidélité et une précision remarquables.

À la croisée de Taxi Driver, Fight Club, American Psycho et Matrix, Mr. Robot est une série sombre et anxiogène centrée sur le piratage qui raconte l’histoire d’Elliot Alderson. Ce jeune ingénieur en informatique aux tendances anarchistes a pour ambition de rétablir l’équilibre du monde en renversant les "1 % des 1 %", soit l’élite de milliardaires qui dirigent secrètement le monde et font tourner les rouages du capitalisme en tirant profit du consumérisme.

Mr. Robot représente à l'écran le monde du codage avec une fidélité et une précision remarquables.
 

Parue en 2015, Mr. Robot retrace la préparation du piratage du siècle à travers trois prismes : le monde du codage, les méandres de l’addiction et les complexités de la santé mentale.

Réalisée par Sam Esmail et dotée d’une bande son singulière et d’un style cinématographique unique et avant-gardiste, la série qui a révélé Rami Malek a vite gagné en popularité et a enchaîné les récompenses. Ceci dit, au-delà des Golden Globes et des éloges qu’elle a reçues pour ses lignes de codes rédigées méticuleusement par de véritables experts en cybersécurité : que  nous apprend Mr. Robot ? Comment la série a-t-elle approfondi le cliché du hacker à capuche solitaire et anarchiste opérant dans l’ombre ? Comment a-t-elle revisité ce topos pour nous offrir une réflexion critique sur notre société moderne où le militantisme prolifère à l’ère du Web 3.0 ?

Le mythe du cyber-justicier solitaire 

Personnage aux motivations aussi complexes que profondes, Elliot Alderson  s’inscrit dans la lignée des héros du genre Cyberpunk, au même titre que Rick Deckard dans Blade Runner de Ridley Scott (1982), Case dans Neuromancer par William Gibson (1984), et Hiro dans Snow Crash par Neal Stephenson (1992). Que sait-on de lui  ? Antisocial, toxicomane et atteint d’anxiété sociale, le jeune hacker à la timidité maladive préfère s’en remettre à ses capacités en piratage pour en apprendre plus sur les autres : c’est en piratant et en stalkant leurs profils sur les réseaux sociaux qu’Elliot se renseigne sur les personnes qu’il croise, qu’il côtoie et qui l’intriguent. Atteinte à la vie privée, pratiques illégales, jugements de valeur… Elliot a tout du  stéréotype du jeune geek renfermé sur lui-même. Ce topos n’est pas rare sur le grand ou petit écran, où les personnages masculins timides ou rejetés ont recours au hacking (Howard Wolowitz dans Big Bang Theory par exemple, qui pousse même jusqu’au voyeurisme). Dès le premier épisode, notre jeune ingénieur en informatique fait la rencontre de Mr. Robot, qui lui fait découvrir FSociety, un groupe secret de hackers qui compte renverser le géant américain E-Corp. On apprend au fil des épisodes que ce conglomérat omnipotent a joué un rôle majeur dans la vie du personnage principal. Non seulement Elliot travaille pour Allsafe, l’entreprise de cybersécurité chargée de protéger les données d’E-Corp, mais le géant américain est aussi impliqué dans la mort du père d’Elliot. Avide de vengeance, notre protagoniste anti-social mène une double vie : ingénieur en cybersécurité le jour et pirate cyber-justicier la nuit. 

En surface, Mr. Robot pourrait sembler une  énième œuvre de fiction sur le piratage et la cybercriminalité; mais n’y a-t-il pas derrière cette façade une réflexion beaucoup plus profonde et aboutie ?

Notre protagoniste est présenté initialement comme un hacker asocial et solitaire à la limite du complexe de Dieu qui use de son expertise en informatique pour faire justice lui-même, en opérant dans l’ombre.

Avide de vengeance, notre protagoniste anti-social mène une double vie : ingénieur en cybersécurité le jour et pirate cyber-justicier la nuit. 
 

Ce mythe du génie de l’informatique capable d’infiltrer n’importe quelle structure est toujours d’actualité, et suscite toujours autant de curiosité. En témoigne la prétendue fuite de données de Parcoursup, revendiquée par un hacker connu sous le nom de “Dr one”, le mois dernier. Dr One aurait déclaré en ligne : “le sort que je réserve à ces informations demeure indécis : les conserver ou les effacer, mon intention était purement démonstrative quant à l’accessibilité inopportune de ces données.” Dans l’imaginaire collectif, on a tendance à imaginer qu’un hacker opère toujours seul, face à son écran afin d’assouvir ses propres ambitions. Cependant, on découvre au fil de la série qu’Elliot ne peut pas se permettre de travailler seul: il compte sur ce fameux groupe de hackers FSociety, qui résonne fortement avec le collectif international de cyberactivistes Anonymous, entouré de tout son mystère. En réalité, la plupart des hackers opèrent en groupe et en réseaux, car l’union fait la force en matière de temps, de capacités, de ressources et de domaines d’expertise. Dans la série ou dans le monde réel, on est loin du cliché  qui érige le piratage en une arme au service de l’individualisme, à laquelle des hackers isolés auraient recours dans le seul but de prouver leurs capacités et leur puissance. Le piratage est avant tout une affaire de militantisme et de géopolitique.

Mr. Robot : miroir grossissant de la géopolitique mondiale et de la cybercriminalité 

Elliot Alderson se rend compte tout au long de la série de la complexité, de la puissance et de l’étendue du monde géopolitique, de ses nuances, ses rebondissements et ses coups bas : E-Corp ne serait pas son seul ennemi.

Au tout début de la saison, ce fameux conglomérat omnipotent et omniprésent est présenté comme la principale structure antagoniste qu’Elliot doit renverser à tout prix. Ce géant tentaculaire se spécialise dans une multitude de domaines : la grande distribution, la banque, l’électronique, l’agro-alimentaire, les médias… Elliot peut difficilement y échapper, d’autant plus qu’E-Corp a sa propre crypto-monnaie : l’e-coin. Cette structure internationale omnipotente peut agir en toute impunité, puisqu’elle sort indemne de son scandale des déchets toxiques qui a fait 26 victimes, dont le père d’Elliot qui travaillait pour eux en tant qu’ingénieur. E-Corp est  l'incarnation typique du conglomérat capitaliste occidental, un géant qui n'est pas sans rappeler Amazon, Apple, Nestlé ou encore Monsanto....

Cette structure a tous les traits de l’antagoniste parfait et invincible, et pourtant, le spectateur se sent aussi dépassé qu’Elliot lorsqu’il se rend compte qu’il n’est qu’un pion dans le jeu diplomatique entre la Chine et les États-Unis. Alors qu’il pensait être en duel contre le géant américain, le protagoniste découvre que la véritable bataille se joue en fait entre Philip Price, le CEO de E-Corp et Zhi Zhang, le ministre chinois de la Sécurité d'État, qui mène également une double vie en tant que chef du groupe de hackers chinois "Dark Army". De révélation en révélation, Elliot a une meilleure vue d’ensemble de ce qu’on peut appeler "the bigger picture" et découvre que Philip Price fait partie du Deus Group. Fondé par le ministre Zhi Zhang après l'effondrement de l'URSS, ce groupe d'investissement rassemble les hommes les plus riches et les plus influents de la planète. 

Cette structure a tous les traits de l’antagoniste parfait et invincible

L’élite tant recherchée par Elliot, et le véritable ennemi de FSociety est démasqué, voilà les 1% des 1% qui contrôlent le monde : il ne s’agissait pas d’un géant américain, mais d’une organisation secrète qui agit sur tous les fronts et à l’échelle mondiale.

FSociety serait-elle le reflet d’Anonymous ? Si l’on peut relever un certain nombre de ressemblances entre les deux cyber-collectifs (utilisation du masque de théâtre, aspects mystérieux et complotistes, étendue à l’échelle internationale…) ils divergent quant à leurs motivations. En effet, malgré son caractère disparate et décentralisé, Anonymous a pour valeur fondamentale la défense de la liberté d’expression, et endosse des causes sociales et environnementales, ce qui se voit clairement dans ses choix et domaines d’attaques et d’intervention : opérations anti-harcèlement (anti-bullying), cyber-mouvements pour protester contre les violences policières aux États-Unis, opérations cyber dès les premières invasions de la Russie en Ukraine… On remarque que le groupe FSociety est davantage concentré sur sa lutte contre le capitalisme américain, et organise des opérations plus théâtralisées, comme par exemple la dégradation du taureau de Wall Street, et le piratage d’E-Corp afin d’exonérer des millions d’Américains de leur dette et de leurs prêts, qui traite bien le sujet de debt cancellation, Student loan forgiveness aux États-Unis. Ainsi, sur ce plan-là, Mr. Robot est aussi un miroir quelque peu déformé de notre réalité, il n’en demeure pas moins que sur d’autres aspects, la série est un reflet d’une netteté hors-pair, dont le réalisme et la précision ont été salués.

Entre piratage, rançonnage, phishing, cyberguerres ou encore dark web et complotisme, Mr. Robot nous dévoile avec une certaine exactitude les coulisses d’un monde inconnu du plus grand nombre. Si les aspects géopolitiques et complotistes sont empreints de fiction, les parties techniques qui impliquent le codage sont fidèles à la réalité.

Sam Esmail a tenu à représenter avec justesse le monde du codage et du piratage informatique en faisant appel à une véritable équipe d’experts en cybersécurité mobilisée pour rédiger toutes lignes de codes qui figurent à l’écran. Cette équipe comptait notamment Kor Adana, expert en cybersécurité et ancien hacker, Marc Rogers, conseiller technique et directeur exécutif de la cybersécurité chez Okta, et Michael Bazzell, ancien enquêteur gouvernemental sur la criminalité informatique affecté à la Cyber Crimes Task Force du FBI. “The devil is in the details” une expression prise au pied de la lettre par les créateurs de la série qui ont choisi d’être extrêmement méticuleux, puisqu’un un subreddit a été créé par les fans de la série aguerris en codage pour décortiquer chaque ligne de code et vérifier leur validité. À l’inverse des films et séries qui réduisent le piratage à un cheval de Troie qui s’infiltre dans une structure dite impénétrable car un génie de l’informatique s’est contenté de taper de manière effrénée sur son clavier pendant quelques minutes, Sam Esmail a privilégié l’authenticité et le réalisme au scénario et à l’effet "wow".On comprend qu’un hack demande du temps – des semaines, voire des mois – et qu’il se prépare à plusieurs. 

Cette précision technique renforce l'immersion du spectateur et donne une crédibilité supplémentaire aux enjeux de la cyber-sécurité et de la cyber-vulnérabilité. Elle contribue à tirer cette sonnette d’alarme qui souligne l’importance de l’hygiène numérique ; en témoignent certains exemples de la série qui montrent à quel point il est facile d’infiltrer l’appareil électronique de quelqu’un d’autre (à distance ou non) : ne pas verrouiller son poste de travail au bureau, partager ses informations personnelles par téléphone à une personne qui prétend être d’un certain service sans vérifier son identité, utiliser les mêmes mots de passe sur différentes plateformes et/ou ne pas avoir de mots de passe assez robustes…

Mr. Robot est une des séries qui a reçu le plus d’éloges pour sa précision dans sa représentation du monde du codage et du piratage, une prouesse qui ne manque pas d’être saluée car elle renforce et crédibilise les thèmes qu’elle aborde. 

Mr. Robot est l'une des séries qui a reçu le plus d’éloges pour sa précision dans sa représentation du monde du codage et du piratage

La série met à bas des clichés surfaits sur les hackers et sur le hacking et nous montre que les cybercriminels opèrent rarement seuls, que le piratage prend du temps et qu’il demande de la patience, et que la faille humaine est l’une des vulnérabilités les plus sous-estimées en matière de cybersécurité. Elliot Alderson, notre Robin des Bois 2.0 fait à l’écran ce que certains spectateurs aimeraient pouvoir faire dans notre monde : faire chavirer le capitalisme occidental et remédier aux injustices économiques et sociales qui en découlent, une idéologie parfois résumée par "Eat the rich" une phrase qui circule sur les réseaux sociaux. La série remet en question les modalités de l'activisme moderne ainsi que la figure traditionnelle du héros. Bien qu’il approfondisse le stéréotype du génie de l’IT à capuche, notre protagoniste est, malgré ses qualités et son intelligence, à la limite de l’anti-héro par ses motivations, sa rage, son caractère et ses tendances parfois néfastes. Elliot Alderson entre facilement dans la catégorie des anti-héros fascinants de séries occidentales, aux côtés de Walter White (Breaking Bad), Hannibal (Hannibal), Fleabag (Fleabag) ou encore Villanelle (Killing Eve).

 

Copyright Nadav Kander/USA Network

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