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25/07/2023

Le syndicalisme italien et ses paradoxes

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Le syndicalisme italien et ses paradoxes
 Anna Bonalume
Auteur
Journaliste et docteure en philosophie, spécialiste de la politique italienne

En quoi les syndicats italiens se singularisent-ils de leurs voisins français ? Alors que les taux d’adhésion qu’ils recueillent sont parmi les plus élevés en Europe, les marges de manœuvre dont ils disposent sont pourtant limitées. Comment expliquer ce paradoxe ? Éléments de réponse dans ce papier d'Anna Bonalume, journaliste et docteure en philosophie, pour la deuxième escale de notre Tour d’Europe des syndicats.

Retrouvez l'ensemble des articles de notre série d'été Tour d'Europe des syndicats.

Le 17 mars dernier, la visite inattendue de Giorgia Meloni au congrès de la CGIL (Confédération Générale Italienne du Travail), a suscité autant de surprise qu’elle a généré d’attentes pour l’avenir du dialogue social en Italie. Rappelons que Giorgia Meloni dirige le gouvernement le plus à droite qu’ait connu le pays depuis la Seconde Guerre mondiale, et que la CGIL, proche du mouvement démocrate, est le premier syndicat du pays. À l'invitation de l’organisation, et vingt-sept ans après la visite du président du Conseil Romano Prodi en 1996, la présidente du Conseil est la première leader de droite à avoir présenté ses positions sur le travail devant les membres de la puissante Confédération.

Tout en écartant la perspective d’adoption d'une loi fixant un salaire minimum, Giorgia Meloni a souligné la nécessité d’agir contre les niches fiscales, de lutter contre le travail irrégulier, d’étendre les conventions collectives à des catégories de travailleurs non couverts et d’établir un impôt forfaitaire progressif. Comme annoncé lors de sa campagne, elle a rappelé son projet d’abroger le revenu de citoyenneté, une contribution financière équivalente au RSA français. Mesure emblématique de la politique sociale des gouvernements précédents, la suppression de cette aide a été actée par le gouvernement dans le cadre de la loi des finances du 22 novembre 2022, avant le congrès de la CGIL en question.

Cette visite inattendue s'est déroulée dans un contexte particulièrement difficile pour le dialogue social et la représentation syndicale italienne.

Une puissance syndicale en trompe-l'œil ?

Paradoxalement, si le nombre d’adhérents aux trois principaux syndicats italiens est l’un des plus importants d’Europe, leur influence et leur capacité à mobiliser les citoyens sont très inférieures à celles de leurs homologues européens, français notamment. La popularité des syndicats est en berne : en 2022, seuls 38 % des Italiens déclarent leur faire confiance, tandis qu'environ 33 % jugent leur action beaucoup trop modérée (IPSOS, avril 2022). Selon le dernier baromètre de la confiance politique du CEVIPOF (2023), le niveau de confiance dans les syndicats en France est très proche : 36 % (en baisse de deux points par rapport à 2022), contre 35 % en Italie.
 
Ce faible niveau de confiance résulte d’un lent processus de fragmentation du monde du travail comme du monde politique. Les liens anciens et autrefois étroits avec les partis se sont étiolés ; il n'existe plus de force politique influente d'obédience socialiste qui fasse de la défense des travailleurs et de la représentation de leurs revendications une véritable priorité.

Le syndicalisme s’affaiblit à mesure que les PME et PMI acquièrent un rôle central dans le tissu économique italien.

Ce n’est pas sans entraîner une perte d’influence des syndicats au sein d’une société atomisée, en profonde mutation : la sensibilité de la société italienne aux mobilisations collectives a progressivement diminué, laissant place à une orientation plus individualiste. Une tendance inaugurée par le grand basculement des années 1980-1990 : la fin du grand modèle fordiste industriel structuré autour de l’immense succès de Fiat à Turin, et l’essor des PME et PMI surtout familiales.

Ces évolutions marquent la naissance d’un esprit de communauté des industriels qui contribue à entraver l’implantation syndicale. Le syndicalisme s’affaiblit à mesure que les PME et PMI acquièrent un rôle central dans le tissu économique italien.

Le syndicalisme italien connaît ses plus belles heures dans les années 1960-1970, alors que  le pays s’affirme encore comme puissance industrielle. Cette période, marquée par de grandes mobilisations sociales et des grèves continues, est ponctuée par plusieurs victoires pour ces syndicats. Mais ces mobilisations sont  vite contestées et bientôt  remises en cause, dès les années 1980 et durant les décennies suivantes.

En 1991, la suppression de l’échelle mobile des salaires, un mécanisme destiné à protéger les salaires de l’inflation, sonne finalement le glas de cet âge d’or. Actée par le gouvernement Craxi, l'abrogation de cette loi par référendum est un échec pour la CGIL et le PCI.

La suppression de l’échelle mobile des salaires, sonne le glas de cet âge d’or.

La période intensive des pactes sociaux tripartites des années 1990 s’estompe ensuite pour laisser place à un dialogue social affaibli, essentiellement structuré par des consultations bilatérales, voire totalement remplacé par l'unilatéralisme gouvernemental. Des signes timides certes, mais non négligeables d'un renversement de tendance apparaissent toutefois en  2020, les syndicats des travailleurs jouant alors un rôle clé dans la gestion de l'impact social et économique de la pandémie de Covid-19. Leur implication dans la définition du Plan national de relance n’en est pas moins affaiblie, les syndicats appelant d’ailleurs à être davantage associés à sa mise en œuvre.

Le combat pour un salaire minimum demeure à ce jour la première revendication des confédérations syndicales. Un objectif partagé par la nouvelle leader du Parti Démocrate, Elly Schlein, qui en a fait son cheval de bataille. Cette ambition s’inscrit non seulement dans une démarche d’opposition au gouvernement mais également d’innovation par rapport à la ligne de son propre parti, le Parti Démocrate (PD), souvent accusé d’avoir laissé de côté la question sociale, voire abandonné les travailleurs pour certains. De ce point de vue, Schlein peut également compter sur l’appui du Mouvement 5 étoiles, guidé par l’ancien président du conseil Giuseppe Conte.

Une histoire tourmentée

Mais revenons d’abord aux racines du syndicalisme italien. La première organisation syndicale est fondée en 1901 : il s’agit de la FIOM, la Fédération italienne des travailleurs de la métallurgie, principale fédération d'industrie toujours existante, avec près de 300 000 adhérents. Quelques années plus tard, à Milan en 1906, le congrès fondateur de la Confédération générale du travail (CGdL) donne lieu à la première structure confédérale capable de rassembler toutes les forces ouvrières du pays.

Très rapidement l’histoire des syndicats croise celle du mouvement fasciste, qui voit le jour en 1919. Les squadristi, ces forces paramilitaires luttant contre les mouvements sociaux communistes et socialistes, mènent de premières actions violentes contre les associations libres et syndicales. Entre 1921 et 1922, les fascistes créent leurs propres organisations, dont la Confédération nationale des corporations syndicales.

De nombreux cadres du syndicalisme révolutionnaire italien rejoignent le fascisme.

De nombreux cadres du syndicalisme révolutionnaire italien, qui avaient développé leur propre organisation syndicale, l'USI (Union syndicale italienne), en dehors de la CGdL, rejoignent le fascisme, participant ainsi à la définition de sa composante sociale. L’idéologie du syndicalisme révolutionnaire atteint les sommets du régime fasciste.

Benito Mussolini nourrit une véritable fascination pour le philosophe et sociologue français George Sorel (connu pour sa théorie du syndicalisme révolutionnaire) et notamment pour sa mystique de la grève générale, qu’il aurait traduite par une certaine idée de la violence, de l’action directe et du rejet de toute médiation. Théorisant la doctrine du corporatisme d’État, le régime fasciste met fin aux libertés d’association et aux libertés syndicales en 1925.

Le paysage syndical national que l’Italie connaît actuellement prend forme après la Seconde Guerre mondiale. En juin 1944, sous l’occupation nazie, trois dirigeants syndicaux signent le Pacte de Rome, un acte de refondation du syndicalisme démocratique. De ce pacte surgit la nouvelle CGIL (Confédération Générale Italienne du Travail). Unie, elle n’en reflète pas moins une pluralité de tendances politiques (socialistes, communistes et démocrates-chrétiens).

En juin 1944, trois dirigeants syndicaux signent le Pacte de Rome, un acte de refondation du syndicalisme démocratique.

Mais le contexte de la guerre froide vient finalement saper cette unité. Une âpre controverse sur l'introduction de la grève politique dans le nouveau statut confédéral et l’étroite proximité entre la CGIL et le PCI (Parti communiste italien) conduit la composante catholique à prendre ses distances en 1948, alors qu’une vague de grèves secoue le pays en réponse à l'attentat manqué contre le dirigeant communiste Palmiro Togliatti.
 
C'est ainsi que la deuxième confédération principale voit le jour, la CISL (Confédération italienne des Syndicats Libres). Deux ans plus tard pourtant, nouveau rebondissement : les sociaux-démocrates, qui avaient d’ores et déjà fait sécession avec la CGIL en 1947, en raison de sa proximité avec les communistes, rompent à nouveau avec la CISL, l’estimant encore trop attachée à la tradition socialiste-communiste. À cette occasion, les sociaux-démocrates, rejoints par les  partisans du parti républicain, fondent la troisième confédération du pays : l’Union Italienne du Travail (UIL).

La CGIL se singularise par son aspiration à une représentation générale du travail.

La  CGIL, la CISL et l'UIL se sont certes alignées sur les principaux clivages politiques de l'après-guerre. Mais ces confédérations ont également exprimé des cultures syndicales propres. La CGIL se singularise par son aspiration à une représentation générale du travail, visant à donner au syndicat toute sa dignité de "sujet politique". L’organisation rejette ainsi tout particularisme corporatiste. Ces idées se traduisent par la centralisation de la négociation collective et de l'organisation des grèves, ainsi que par la recherche de réformes structurelles par le biais d'échanges politiques avec des gouvernements favorables aux travailleurs.

La CISL, proche de la Démocratie chrétienne, incarne quant à elle une conception anglo-saxonne de l'action syndicale. Plus libérale, son approche favorise la concertation avec l’État et la cogestion d’entreprise. Elle se fonde également sur la défense de l'autonomie collective face à ses ingérences potentielles de l’État.
 
Enfin, l’UIL, se définissant comme "réformiste", se présente comme "syndicat citoyen" ayant vocation à dépasser les clivages de statuts professionnels.
 
Après une période d'unité syndicale consacrée par un pacte de fédération entre 1972 et 1984, les trois organisations se retrouvent aujourd'hui divisées sur les mesures adoptées par le gouvernement en matière de travail.

Panorama du syndicalisme contemporain en Italie

Les confédérations les plus représentatives du paysage politique italien sont au nombre de trois : la CGIL, la CISL et l'UIL, auxquelles s'ajoutent des syndicats "autonomes". Comme en France, et contrairement à l'Angleterre et à l'Allemagne, ces confédérations reflètent un pluralisme syndical sur une base idéologique.
 

Les fédérations professionnelles nationales élaborent des conventions collectives nationales de travail qui s'appliquent à tous les travailleurs employés d’une branche donnée, qu’ils soient ou non membres d’un syndicat. 80 % des salariés, soit 20 millions de personnes environ, sont employés par des contrats collectifs.
 
L'affiliation à un syndicat n'est pas obligatoire et peut se faire selon deux procédés : en autorisant l'employeur à déduire de l'enveloppe salariale un montant égal à 1 % du montant brut du salaire mensuel, ou en versant une cotisation directement au syndicat, au moment de l'affiliation. Le pouvoir d’attractivité des syndicats tient essentiellement à la large palette de services qu’ils sont à même d’offrir aux travailleurs : assistance juridique en cas de litige avec l'employeur, assistance en matière de sécurité sociale et fiscale, calcul des montants de retraite...

La spécificité du syndicalisme italien tient à la présence d'une fédération syndicale distincte pour les travailleurs retraités, qui détient un poids important au sein des confédérations. Aujourd'hui, chaque confédération dispose d'un syndicat de retraités spécifique, qui constitue invariablement la plus grande des organisations affiliées. À lui seul, le Syndicat des retraités italiens (SPI), affilié à la CGIL, compte environ 2,5 millions de membres.

La spécificité du syndicalisme italien tient à la présence d'une fédération syndicale distincte pour les travailleurs retraités.

Ensemble, les trois syndicats confédéraux de retraités représentent 42 % de l'effectif syndical total. Le succès de l'affiliation des retraités n’est pas étranger à la démographie tendanciellement déclinante que connaît le pays. C’est aussi la raison pour laquelle la qualité des services administratifs et d’assistance offerts par les syndicats les rend particulièrement attractifs et rompt avec le manque d’efficacité de l’administration publique.

À la différence du modèle français fondé sur les subventions d’État, les cotisations des adhérents constituent les principales ressources financières de ces grandes organisations comptant des millions de membres et des milliers de fonctionnaires. Selon une estimation de Salvo Leonardi et Roberto Pedersini, les cotisations syndicales versées par les seuls travailleurs actifs s'élèvent à environ 1,2 milliard d'euros, sans compter les cotisations des retraités, calculées à un taux réduit, et les recettes obtenues grâce aux contributions publiques et aux redevances pour les services fournis. Dans l'ensemble, les recettes totales des trois principales confédérations s'élèvent à environ 2 milliards d'euros.

En 2019, les trois principales confédérations réunissent près de 42 % de l'ensemble des membres.

En 2019, les trois principales confédérations réunissent 11,7 millions de membres au total, avec 6,5 millions de travailleurs actifs et quelque 5 millions de retraités, soit près de 42 % de l'ensemble des membres. À ces chiffres s'ajoutent ceux des syndicats indépendants estimés à environ 1 million de membres.

Le secteur privé des services représente la majorité des membres (31,9 %), suivi par l'industrie manufacturière et la construction (26 %), et en dernière position le secteur de la communication (4 %). À titre de comparaison, la France compte moins de 2 millions de syndiqués (dont 610 000 à la CFDT, 605 000 à la CGT, 380 000 à FO et 200 000 à l’UNSA...). En 2019, 10,3 % des salariés français déclarent adhérer à une organisation syndicale, soit 0,9 point de moins qu’en 2013.

En 2022, le nombre total de membres s’élève à 11,3 millions d’adhérents, avec une baisse d’environ 400 000 membres. La CGIL compte environ 5 millions de membres, la CISL 4 millions et l'UIL 2,3 millions. Au cours des dix dernières années, la CGIL et la CISL, les deux principaux syndicats, ont perdu environ un million d’inscrits. Comme en France, la composante féminine demeure minoritaire : les femmes constituent 45 % des adhésions (contre 46 % en France).

Le taux de syndicalisation ne cesse de diminuer, passant d’un pic de 35,7 % en 2013 à 32,5 % en 2019 (dernières données OCDE disponibles). Il n’en reste pas moins l’un des plus élevés d’Europe. D’autres études et calculs réalisés par des économistes indépendants montrent que le taux de syndicalisation italien actuel semble être plus proche de 25 % que de 32,5 %. Il serait, en tout cas, supérieur au taux français qui tourne autour de 10,1 %.

Conseiller et assister, plutôt que manifester

À contre-courant des tendances européennes, on assiste à un déclin du nombre de grèves en Italie. De 1 617 grèves en 2017, on est passé à 894 en 2020 (année de la crise Covid), 1 009 en 2021 et seulement 1 129 en 2022.

La diminution du nombre de salariés dans le secteur industriel et la mondialisation des entreprises ont conduit de nombreux syndicats à réduire le nombre de grèves en recourant davantage aux tribunaux pour régler les litiges avec les multinationales (songeons par exemple aux affaires Ryanair et Fiat, ou plus récemment aux affaires GKN et Wärtsilä). Le recours à la grève demeure monnaie courante dans le domaine des transports publics locaux, aérien et ferroviaire mais aussi dans les secteurs relevant du respect des normes environnementales.

Au contraire, dans le secteur très solide des PME et PMI italiennes, le recours aux grèves reste très rare, voire inexistant. Les 160 000 PMI italiennes emploient entre 10 et 249 travailleurs, pour des profits allant de 2 à 50 millions d’euros, pour un total de 204 milliards d’euros (Rapporto Regionale PMI 2022 Confindustria). Elles constituent le cœur du tissu industriel italien : elles sont responsables, à elles seules, de 41 % du chiffre d'affaires total généré en Italie.

Dans le secteur très solide des PME et PMI italiennes, le recours aux grèves reste très rare, voire inexistant.

Sur les trente dernières années, la principale victoire syndicale remonte à 2002, date à laquelle les syndicats italiens parviennent à bloquer la réforme de l'article 18 du Statut des travailleurs. Cette négociation avait été orchestrée par Sergio Cofferati, alors dirigeant de la CGIL, grâce à une mobilisation de 3 millions de personnes à Rome. L'article 18 rendait effective la protection des travailleurs contre les licenciements illégaux et avait été remis en cause par le gouvernement de droite de Berlusconi II (2001-2005). Mais cette victoire n'a pas été suivie d’autres résultats politiquement significatifs.

Après les grèves générales de 2008 du secteur public contre le gouvernement Berlusconi, la dernière grève générale unitaire (CGIL, CISL et UIL) a lieu en novembre 2013. Les syndicats protestent alors  contre la loi de stabilité du gouvernement Letta. En 2014, la CGIL et l'UIL, sans l’appui de la CISL, tentent de mobiliser les travailleurs contre le Jobs Act à l’agenda du gouvernement de Matteo Renzi. Mais cette réforme de flexibilisation du marché du travail entre finalement en vigueur l'année suivante.

De leur côté, les organisations patronales sont divisées selon les intérêts économiques représentés. Confindustria (Confédération générale de l’industrie italienne) est l’association la plus importante, mais elle est aussi accompagnée par deux associations influentes, Confesercenti (représentant les entreprises italiennes dans le domaine du commerce, du tourisme et des services, de l'artisanat et de la petite industrie) et Confcommercio (Confédération générale italienne des entreprises, des activités professionnelles et du travail indépendant). Confindustria a récemment été affectée par la sortie de deux des entreprises les plus importantes et les plus prospères d'Italie, Fiat, sous la direction de Sergio Marchionne, et Luxottica (plus de 80 000 employés dans le monde). Elle n’en reste pas moins une puissante organisation, plus importante que le Medef, avec une présence étendue sur le territoire national et surtout dans le centre et le nord du pays. Elle dispose d’une université privée, la Luiss à Rome, d’un quotidien, Il Sole 24 ore, et d’une radio particulièrement influente : "Radio24". Puissant lobby, les gouvernements ne peuvent faire fi de ses prises de position.

La fonction des syndicats consiste principalement à assister et conseiller leurs membres.

Si les syndicats italiens sont parmi les plus attractifs d’Europe du point de vue du nombre d’adhésion recueillies, leur rôle s’est considérablement transformé, sous le coup des mesures de libéralisation du marché du travail adoptées par différents gouvernements de droite et de gauche, sans concertation préalable. Aujourd'hui, la fonction des syndicats consiste principalement à assister et conseiller leurs membres, bien que les tentatives de mobilisation et de négociation restent nombreuses, de la part de la CGIL notamment.

En France, par contraste, les grèves tactiques spécifiques sont encore d’usage : impliquant peu de personnes, elles n’en n’ont pas moins un impact décisif, les grèves des usines Total d'octobre 2022 en sont un exemple, mettant à l’arrêt un grand nombre de stations-service. En Italie, les grèves ont une durée généralement limitée (un jour) et sont souvent organisées le vendredi pour allonger le week-end. En France, les grèves reconduites peuvent durer des semaines alors qu'en Italie, elles sont très ponctuelles.

En 2011, à l’occasion de l'approbation de la réforme des retraites Fornero, modifiant ainsi l'âge de la retraite de 62 à 67 ans, seule une grève de quatre heures est déclenchée par la CGIL. On est bien loin des six mois de manifestations et d'affrontements que connaît la France en 2023 lors du passage de la retraite de 62 à 64 ans. L'absence de mobilisation s’explique aussi par la spécificité du contexte dans laquelle s’inscrit cette réforme. Elle intervient en pleine crise de la dette grecque, dans le cadre de manœuvres financières correctives visant à contrer les effets de la crise financière qui éclate aux États-Unis en 2008. Face à l'affaiblissement du gouvernement italien et au manque de stabilité financière, une lettre de la BCE impose à l'Italie des cures d'austérité. S'ensuit la chute du gouvernement Berlusconi et la naissance d'un gouvernement technique qui prend une série de mesures de réduction des dépenses publiques, dont cette réforme des retraites. Elle est ainsi considérée comme une mesure indispensable pour éviter la mise sous séquestre du pays.

Quelles perspectives d’évolution pour les syndicats italiens ? Les deux principaux syndicats ne partagent pas la même vision. La CGIL menée par Maurizio Landini, leader très apprécié par ses troupes, médiatique et fraîchement renouvelé à la tête du syndicat, est très critique à l’égard des mesures adoptées par le gouvernement sur le travail. Elle défend un salaire minimum horaire légal de 9 euros ainsi qu’une extension des contrats nationaux aux travailleurs autonomes. La CISL, quant à elle, prône un salaire minimum non légal et un dialogue accru avec le gouvernement de Giorgia Meloni.

Conclusion

Comme souligné par l’économiste Andrea Garnero (OCDE), dans l’actuelle conjoncture socio-économique, assurer un dialogue entre syndicats et entreprises est indispensable.

Avec un taux d’inflation en baisse mais toujours très élevé, + 6,4 % au mois de juin 2023, une érosion du pouvoir d’achat d’environ 10 %, un taux d’emploi bien en dessous de la moyenne des pays OCDE et la plus forte baisse des salaires réels parmi les pays de l’OCDE, la négociation et l’accord sur des conventions collectives pourrait être la clef face à la perte de pouvoir d’achat des travailleurs. Dans ce contexte, le rôle des syndicats pourrait se revitaliser.

 La négociation et l’accord sur des conventions collectives pourrait être la clef face à la perte de pouvoir d’achat des travailleurs.

À la lutte pour le salaire minimum s’ajoute l’opposition de la CGIL et de l’UIL aux mesures du "décret travail" adopté par le gouvernement Meloni le 1er mai, dans une sorte de défi lancé aux syndicats. Le décret, visant à stimuler le marché de l'emploi, assouplit le recours aux contrats précaires et supprime le revenu citoyen, ce dispositif comparable au RSA français, effaçant ainsi tout espoir de dialogue avec le gouvernement. Si Giorgia Meloni promettait la création d’un observatoire du pouvoir d’achat, cet engagement ne semble pas avoir convaincu les confédérations, et notamment la CGIL de Landini, laquelle a déjà annoncé la possibilité d’organiser une grève générale. La CGIL demande davantage d’aides publiques face à l'inflation, ainsi qu’un effort accru des entreprises pour pallier la hausse du prix de l'énergie l’inflation, en appelant notamment à une augmentation des salaires.

Parmi les principaux combats à l’agenda des syndicats, on trouve aussi la défense des travailleurs migrants exploités dans l’agriculture, qui représentent 18,5 % des travailleurs, ou encore la reconnaissance du statut d'employé pour les travailleurs des plateformes de livraison de nourriture et de logistique.
 
Dans une période où la priorité est aux mesures sociales pour faire face à la crise provoquée par la pandémie de Covid-19 d’abord, puis par le conflit en Ukraine, les syndicats italiens ont de nouvelles cartes à jouer afin de redorer leur image. Le premier défi consistera à élargir leur audience, des employeurs des PME et PMI, aux travailleurs immigrés, en passant par les jeunes.

 

Copyright Image : Filippo MONTEFORTE / AFP

Un ensemble de personnes se rassemblent sur la Piazza del Popolo à Rome le 16 décembre 2021, pour une grève de protestation contre le budget du gouvernement, suite aux appels à manifester de l'Union italienne du travail (UIL) et de la Confédération générale italienne du travail (CGIL).

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