AccueilExpressions par Montaigne[Le référendum] - Entre les citoyens et le référendum, les divorces à l'italienneLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Europe04/08/2025ImprimerPARTAGER[Le référendum] - Entre les citoyens et le référendum, les divorces à l'italienneAuteur Institut Montaigne Découvreznotre série [Le référendum, une question populaire]Le 2 juin 1946, l’Italie devenait une république grâce à un référendum. La Constitution de 1948 puis le référendum fondateur de 1974 pour l’abrogation de la loi sur le divorce ont ancré ce mode de consultation dans la vie politique italienne. Alors que le gouvernement Meloni pourrait soumettre aux électeurs deux référendums visant à accentuer la présidentialisation du régime et la concentration des pouvoirs, quelle est la place de cet outil dans la République italienne ? Entre dérive populiste et participation en berne, un entretien avec Nicola Lupo, professeur de droit public à la LUISS.Quelle place la Constitution de 1948 accorde-t-elle au référendum ? Comment les différents types de référendums s’inscrivent-ils dans l’histoire politique du pays ?L’Italie, qui était encore une monarchie juste après-guerre, est devenue une République suite à un référendum, mais la nouvelle Constitution n’a pas eu besoin d’être approuvée par ce moyen : il a suffi qu’elle reçoive l’approbation, avec un large accord, d’une Assemblée constituante. Rome avait été échaudée par l’expérience française malheureuse en la matière. En effet, après le référendum du 21 octobre 1945, par lequel les Français avaient décidé de mettre fin à la Constitution de la IIIe République, un premier projet de constitution avait été rejeté par 52 % des votants en avril 1946. Ceci conduisit à l’élection d’une nouvelle Assemblée constituante avant que le second projet de constitution ne soit approuvé, donnant lieu à la Constitution du 27 octobre 1946.Parmi les différents types de référendum rendus possibles par la constitution italienne (le référendum constitutionnel, abrogatif, consultatif relatif au détachement de communes ou de provinces et consultatif relatif à la fusion ou à la création de régions), le référendum abrogatif, qui permet de rejeter tout ou partie d’une loi, a été le plus déterminant. Il requiert la signature d’au moins 500 000 citoyens, ou doit émaner de cinq conseils régionaux au moins, conformément à l'article 75 de la Constitution, pour être proposé au vote des Italiens. Le référendum abrogatif, qui permet de rejeter tout ou partie d’une loi, a été le plus déterminant. Il requiert la signature d’au moins 500 000 citoyens.Faute de la loi d’application, il a fallu attendre les années 1970 pour que l’on fasse usage du référendum abrogatif pour la première fois. Les partis politiques, pendant vingt-deux ans, s’étaient montrés très circonspects face à la démocratie directe, aussi bien à l’échelle centrale que régionale. Les contestations sociales des années soixantes les ont incités à chercher à apaiser la situation en ouvrant le système via le référendum.Tout s'est cristallisé avec la loi Fortuna-Baslini autorisant le divorce, votée en 1970 malgré l’opposition des chrétiens-démocrates et de l’Église catholique, très influente : dès 1970, ces forces politiques s’organisent pour faire passer la loi sous les fourches caudines du référendum abrogatif, organisé en 1974 (le délai de quatre ans s’explique par la tenue d’élections parlementaires en 1972). À la surprise générale, les Italiens se prononcent contre l’abrogation et la loi Fortuna-Baslini est maintenue, démontrant ainsi que la société italienne était plus libérale que les partis qui la représentaient. Le recours au référendum se fait dès lors plus fréquent. Le seuil minimal de participation requis pour que le référendum soit considéré comme valide (50 %) est ainsi atteint en 1978 [référendum abrogatif destiné à abroger la loi Reale, qui donnait des pouvoirs d'exception aux services de police - seuls 23,5 % des électeurs se prononcent en faveur de l’abrogation], en 1991 [abrogation de la loi sur les votes préférentiels multiples pour la Chambre des députés] mais surtout en 1993, avec un référendum décisif sur le Sénat, visant à modifier l'organisation des pouvoirs publics : il s’agissait de conserver le système proportionnel (comme le souhaitait le système politique) ou de passer au système majoritaire.Les changements électoraux majeurs de cette période, le scandale Tangentopoli, et l’Opération Mains propres qui en a résulté [mise à jour d’un réseau de corruption et de pots-de-vin], autorisent même certains à parler d’une Seconde république italienne à partir de 1993.Depuis 1997, aucun référendum n’a atteint, en Italie, le seuil de participation requis - sauf en 2011. Avec moins de 30 % de participation, le référendum du 9 juin dernier, qui appelait les Italiens à se prononcer sur cinq questions liées au droit du travail (contre certaines mesures de libéralisation du marché du travail) et à l’imigration (facilitation des naturalisation), ne fait pas exception.Les acteurs politiques tendent d’ailleurs à considérer qu’il est beaucoup plus aisé de faire campagne en faveur de l'abstention qu’en faveur du "non", dans le climat de diminution de la participation électorale qui prévaut en Italie. Revenons sur le modèle du référendum abrogatif d'origine populaire : peut-on dire que l'Italie est une démocratie mixte, mêlant représentation et participation ?L’Italie demeure une démocratie représentative : la plupart des décisions qui sont prises le sont au Parlement et les aspects de démocratie participative, s’ils existent, sont très encadrés. Toutefois, la possibilité de signer la demande de référendum abrogatif par voie électronique a rendu ce scrutin plus facile à mettre en place, ce d'autant plus que le chiffre de 500 000 citoyens est un chiffre absolu qui n’a pas évolué depuis 1948, alors que la population italienne est passée de 30 millions de citoyens à 59 millions…La validité du référendum dépend désormais moins de l’obtention du seuil de signatures que des décisions de la Cour Constitutionnelle ou de la Cour suprême, dont la moitié environ est défavorable.La difficulté s’est en réalité déplacée : la validité du référendum dépend désormais moins de l’obtention du seuil de signatures que des décisions de la Cour Constitutionnelle ou de la Cour suprême, dont la moitié environ est défavorable. Les critères de validité sont assez restreints : le référendum doit être clair, univoque, homogène, et le résultat ne doit pas risquer d’être contraire à la constitution. Le référendum ne peut porter ni sur le budget, ni sur des taxes, ni sur les traités internationaux (un Brexit serait impossible en Italie).Ce cadre est nécessaire car le référendum abrogatif peut changer l’esprit d’une loi. Il suffit parfois de la suppression d’un mot pour que ses effets soient modifiés - c'était le cas pour le référendum des 24 et 25 juin sur la citoyenneté.Quelle est la place du référendum dans la vie politique italienne actuelle ? Comment s’inscrit-il dans le jeu partisan ?Il est devenu très facile de convoquer un référendum, mais très difficile de le faire aboutir car le seuil de participation minimal requis est rarement atteint. Le système politique n’est pas tellement intéressé par cet outil, ce qui ne signifie pas qu’il n’ait aucun impact : il permet aux citoyens d’exprimer leur mécontentement et la menace ou la possibilité d’un référendum abrogatif incite les partis à s’emparer des débats en amont et à accepter certains compromis.Le taux de participation dépend beaucoup des enjeux : si le sujet du référendum n’est pas de nature à susciter des débats médiatiques, les citoyens ne se mobilisent pas. Au cours de l’été 2021, la pétition demandant la convocation d’un référendum en faveur de l’autorisation de l’aide à mourir avait ainsi rassemblé 750 000 signatures - même si le Conseil constitutionnel n’a pas admis le référendum en février 2022, faute d’univocité suffisante de la question posée. Il n’en demeure pas moins que le seuil de participation aurait été atteint sans aucun doute avec ce type de question.Dans quel contexte s'inscrivent les référendums du 9 juin 2025 sur la naturalisation et le droit du travail ? Quels enseignements en tirer ? Les référendums de juin n’ont pas été érigés en sujets forts : ils n’ont pas rejoint les enjeux qui tiennent à cœur l’opinion publique ou les forces politiques. Les propositions visant à abroger les mesures de libéralisation du travail n’étaient portées que par certains syndicats et des forces assez marginales, tandis que la facilitation des naturalisations n’est soutenue que par les partis de gauche : non seulement la majorité mais une partie de l’opposition au gouvernement n’y seraient pas favorables. Certes, la plupart des partis d’opposition ont appelé par principe les Italiens à voter en faveur du référendum, mais de façon discrète et sans faire campagne. L’échec était annoncé d’avance et confirme encore une fois que si un sujet n’est pas de nature à attirer l’attention des médias, à susciter le débat public et la discussion politique, le référendum ne sert à rien. De façon significative, la question portant sur la réduction du délai minimum requis pour obtenir la nationalité italienne a rencontré un succès bien inférieur (plus du double de "non") aux autres questions du référendum, alors même que les électeurs qui s’étaient mobilisés pour voter étaient en grande majorité des électeurs de gauche : les sujet de nationalité ou migratoires n’intéressent pas les Italiens, en tout cas pas dans le sens d’une politique d’accueil plus favorable.Si un sujet n’est pas de nature à attirer l’attention des médias, à susciter le débat public et la discussion politique, le référendum ne sert à rien.L’Italie est toutefois traversée par un débat sur le seuil de participation : faut-il exiger 51 %du total des électeurs ou 51 % du total des participants qui s’étaient déplacés lors de la précédente élection ? La question mérite d’être posée, dans le contexte de la diminution de la participation qui affecte les pays développés.Ainsi, en Italie, le taux de participation était de 54,5 % pour les législatives européennes de 2019 mais de 48,3 % lors des européennes de 2024 (51,5 % en France), de 64 % aux élections législatives de 2022 mais 73 % en 2018. Cela exigerait de changer la Constitution. Est-il habituel que les référendums soient personnalisés en Italie ? Faut-il voir dans le référendum des 8 et 9 juin une sorte de vote de confiance en faveur de Giorgia Meloni ?Les référendums abrogatifs se prêtent mal à la personnalisation du fait de la multiplicité des questions posées. En juin, Giorgia Meloni a seulement appelé ses électeurs à ne pas participer mais il n’y a pas réellement eu de phénomène de personnalisation. En revanche, le référendum constitutionnel, qui permet de soumettre à référendum tout amendement de la Constitution si le consensus n’est pas assez large au sein des deux chambres pour obtenir la majorité des deux tiers requise et qui ne requiert pas de seuil minimal de participation, a bien davantage valeur de satisfecit ou de sanction à l’encontre du personnel politique au pouvoir.L’Italie a connu quatre référendums constitutionnels. En 2001, afin de permettre le transfert de compétences aux régions, à l’initiative de la majorité de centre-gauche. 64 % des votants se sont déclarés favorables à la réforme - avec un taux de participation assez bas (34 %). En 2006 et en 2016, deux référendums, fortement personnalisés, ont été rejetés par les électeurs : le premier, soutenu par Silvio Berlusconi qui venait de perdre la majorité parlementaire au profit du centre-gauche, devait permettre de transformer le pays en un État fédéral (52 % de participants, 61 % de rejet), le second, proposé par Matteo Renzi, devait mettre fin au bicamérisme paritaire (65 % de taux de participation et 59 % de rejet). Enfin, en 2020, un projet visant à la réduction du nombre de parlementaires, porté par le Mouvement cinq étoiles, a remporté 70 % de votes favorables, avec une participation de 51 %.Deux autres référendums constitutionnels, voulus par Giorgia Meloni, sont possibles : le premier concerne la magistrature et vise à séparer le corps des juges et le corps des procureurs. Le projet, approuvé par la Chambre des députés en janvier 2025, vient d’être voté par le Sénat le 22 juillet. Il doit être examiné de nouveau par les deux Chambres et, si le projet ne réunit pas la majorité des 2/3 des membres, il sera soumis à référendum, probablement au printemps 2026.Le second référendum (Réforme "premierato", déjà validée par le Sénat le 18 juin 2024 mais qui n'est pas au bout de son processus législatif) instaurerait l’élection au suffrage universel direct du Premier ministre, même si la réforme est moins susceptible d’être approuvée, y compris par les forces de la majorité qui soutiennent le gouvernement Meloni, et donc de pouvoir être soumise à référendum.Ces référendums constitutionnels seront très fortement personnalisés et reviendront à exprimer un jugement sur la politique menée par la majorité au pouvoir depuis octobre 2022.L’Italie peut être considérée comme un laboratoire du populisme : quel rôle a joué le référendum dans ce type de régime ? Le référendum peut-il consolider le pouvoir en place ? Comment l’encadrer ?Il ne fait aucun doute que l’Italie est un laboratoire du populisme, pour reprendre l’expression de Marc Lazar, mais les contraintes qui encadrent l’usage du référendum et le contrôle assez strict des Cours empêchent que cet instrument ne facilite la démagogie. Il offre en revanche de grandes possibilités démocratiques.Le vrai risque de démagogie, d’illibéralisme ou de populisme se situe bien davantage du côté des médias sociaux que de celui des instruments de démocratie directe.La défaite de Silvio Berlusconi en 2006, qui avait tenté d’utiliser le référendum pour concentrer les pouvoirs, en est une bonne preuve. Le vrai risque de démagogie, d’illibéralisme ou de populisme se situe bien davantage du côté des médias sociaux que de celui des instruments de démocratie directe.Quels sont les apports du référendum à la pratique démocratique ? Dans quelle mesure la France pourrait-elle s’inspirer du modèle italien ? Le référendum abrogatif, qui n’existe pas en France, est un instrument intéressant. À l’inverse, le recours aux instruments de démocratie directe ou participative doit être encadré pour éviter le risque de simplification des débats. Ainsi, en 1987, un an après la catastrophe de Tchernobyl (26 avril 1986), un référendum avait été soumis à la population pour sortir l’Italie du nucléaire : avec une participation de 65 %, entre 70 et 80 % des électeurs s'étaient prononcés pour les mesures antinucléaires qui leur étaient proposées. En 2011, sous le gouvernement de Silvio Berlusconi, la proposition de relancer le nucléaire civil, soumise à référendum, avait été de nouveau rejetée par 95 % des participants. Sans se prononcer sur le bien-fondé d’une telle décision, on peut considérer que son extrême technicité la rend peu apte à être soumise au jugement populaire. Propos recueillis par Hortense Miginiac Copyright image : Alan-DucarreImprimerPARTAGERcontenus associés 29/07/2025 [Le référendum] - Nouvelle-Calédonie : de la colonie à l’autonomie, les réf... Institut Montaigne 22/07/2025 [Le référendum] - En France, une arme à double tranchant Laurence Morel