AccueilExpressions par Montaigne[Le référendum] - En France, une arme à double tranchantLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Vie démocratique22/07/2025ImprimerPARTAGER[Le référendum] - En France, une arme à double tranchantAuteur Laurence Morel Professeure de sciences politiques - Chercheuse associée au CEVIPOF Le référendum est-il maudit ? Depuis 2005, nul président ne s’est plus lancé dans l’organisation de ce mode de consultation démocratique, qui avait pourtant été conçu par de Gaulle comme une arme très favorable au pouvoir présidentiel. Trop personnalisé, trop technique : faut-il l’abandonner ? Comment le réformer ? Le référendum "classique" peut-il répondre aux défis actuels de notre démocratie, et à quelles conditions ? Une analyse de Laurence Morel.Plus qu’aucun de ses prédécesseurs sous la Cinquième République, Emmanuel Macron, s’il ne se résout pas à organiser un référendum avant la fin de son mandat, aura été le président qui a fait miroiter le référendum sans jamais y recourir, lui préférant finalement des expérimentations démocratiques plus innovantes et moins risquées politiquement telles que le Grand débat national ou les conventions de citoyens tirés au sort. Mais Emmanuel Macron est aussi le troisième président de suite sous la Cinquième République qui ignore le référendum, le dernier en date, sur le projet de Constitution européenne, remontant à exactement vingt ans. La retenue de l’hôte actuel de l’Élysée s’inscrit donc dans une histoire plus longue de "panne" du mécanisme référendaire, voulu et amplement pratiqué par de Gaulle, et dont l’usage, bien que plus limité, avait été perpétué par ses successeurs, à l’exception de Valéry Giscard d’Estaing, jusqu'à Jacques Chirac. Histoire qui renoue aussi dans une certaine mesure avec une histoire plus ancienne d’hostilité à un procédé accusé de déviation plébiscitaire et autoritaire (en référence à l’usage napoléonien), boudé sous toutes les Républiques à l’exception de la Première (référendums constitutionnels révolutionnaires), avant d’être réhabilité par le fondateur de la Cinquième République, avec l’article 11, qui permet au président d’initier le référendum.Si ces critiques persistent, et se nourrissent aujourd’hui de nouvelles réflexions issues de la théorie démocratique soulignant certaines limites inhérentes du référendum (caractère binaire qui oblige à choisir entre un "oui" et un "non" ; impossibilité de trouver des compromis ; tendance à polariser le débat entre deux camps irréconciliables, etc), elles ne sont pas le principal frein à son usage. Celui-ci est le caractère désormais extrêmement périlleux du référendum pour son initiateur. Ce qui constitue un paradoxe, car l’article 11 a été conçu comme une arme puissante du chef de l’État, sans équivalent dans les autres démocraties. Il autorise un déclenchement presque discrétionnaire du référendum (seul l’accord formel du gouvernement est requis), sur un projet de loi qui n’a pas besoin d’avoir reçu l’aval du Parlement, et sur un champ de questions aux limites imprécises (ce qui a permis à de Gaulle de s’en servir pour réviser la Constitution), ultérieurement élargi aux réformes économiques, sociales et environnementales par les révisions constitutionnelles de 1995 et 2008. Enfin, et surtout, il est dépourvu de tout contrôle constitutionnel préalable, contrairement au référendum d’initiative partagée (dont quatre des cinq tentatives à ce jour ont été bloquées par le Conseil constitutionnel). Pour l’heure, la vérification de la conformité à la Constitution du déclenchement et de l’objet du référendum repose exclusivement sur une jurisprudence fragile, semblant indiquer que, saisi, le Conseil constitutionnel accepterait de statuer. Dans nulle autre démocratie le pouvoir d’initier un référendum par le président de la République, de toute façon rarement prévu, est aussi peu encadré. L’article 11 a été conçu comme une arme puissante du chef de l’État, sans équivalent dans les autres démocraties.Pourtant, le référendum présidentiel est une arme qui a fini par se retourner contre celui qui l’utilise. Son efficacité réelle n’aura duré que quelques années, entre 1958 et 1962. Durant cette période, le général de Gaulle a organisé quatre référendums, tous remportés largement, avec une forte participation des électeurs.Ces succès lui ont permis de consolider son autorité, face à un Parlement souvent réticent, et de faire passer des décisions contestées (comme sa politique sur l’Algérie ou la réforme instaurant l’élection directe du président de la République), en s’appuyant directement sur le peuple. Le référendum lui servait ainsi à gagner une légitimité populaire, tout en contournant une majorité parlementaire fragile ou hostile. À partir de 1969, la machine se grippe : le référendum organisé par de Gaulle un an après les événements de mai 1968 pour tenter de restaurer sa légitimité d’antan échoue et signe la fin politique du général (qui démissionne). De même, à des degrés divers, les cinq référendums organisés par ses successeurs seront des échecs politiques : trois ont certes été gagnés largement mais avec une participation très faible entachant la légitimité du résultat (1972 sur l’entrée de la Grande-Bretagne et des pays nordiques dans la Communauté européenne, 1988 sur l’auto-détermination de la Nouvelle-Calédonie et 2000 sur le quinquennat) ; tandis que les deux référendums sur l’Europe se sont soldés, le premier sur le traité de Maastricht(1992), par une victoire à l’arrachée (alors que les sondages donnaient une majorité des deux-tiers au oui en début de campagne), et le second sur le projet de Constitution européenne (2005), dernier référendum organisé à ce jour, par un échec cinglant. En somme, alors que la victoire et la participation semblaient largement assurées lors des premiers référendums, aujourd’hui, un président qui envisage d’organiser un référendum semble condamné à le perdre ou à le gagner avec une abstention massive qui décrédibilise le résultat. Dans les deux cas, la raison est la même : la personnalisation du référendum, après avoir contribué au succès du procédé, est devenue un handicap dans un contexte où les présidents sont moins charismatiques et où la défiance envers le pouvoir politique est très forte. On observe d’ailleurs le même phénomène avec la dissolution, qui est l’autre instrument de recours au peuple octroyé au président par la Constitution de 1958 : succès sous de Gaulle (en 1962 et 1967), elle s’est soldée par un échec retentissant pour Jacques Chirac en 1997 et pour Emmanuel Macron en 2024. Là encore, l’arme s’est retournée contre celui qui l’avait déclenchée.La personnalisation signifie que lors du référendum - mais aussi de la dissolution - le vote devient un vote "pour ou contre le président". On parle aussi de "plébiscitarisation" du référendum, ou de "glissement d’enjeu". Cette dérive est problématique dans une perspective démocratique, car le référendum décide d’une politique publique sur la base d’une volonté qui n’exprime pas un point de vue sur cette politique mais sur son initiateur. Et elle explique la réticence des présidents à recourir au référendum, accrue depuis l’échec de 2005. L’outil est perçu comme trop risqué, trop dépendant de l’image du président, et peu fiable comme instrument de consultation démocratique.La personnalisation du référendum, après avoir contribué au succès du procédé, est devenue un handicap dans un contexte où les présidents sont moins charismatiques et où la défiance envers le pouvoir politique est très forte.Le référendum présidentiel nécessite donc d'être réformé à la lumière de ces critiques. D’une part, la discrétionnarité du procédé devrait être réduite au moyen d’une révision de l’article 11 introduisant une définition plus précise des questions sur lesquelles il peut porter (et qui exclurait explicitement les révisions de la Constitution), ainsi qu’un contrôle constitutionnel préalable pour vérifier que l’objet d’un référendum déclenché par le président appartient bien à ce champ et que la question posée respecte certaines exigences de forme (unicité de la matière, clarté et caractère non biaisé). D’autre part, des solutions doivent être imaginées pour contrer la personnalisation du référendum, à la fois pour le rendre plus "démocratiquement correct" et pour relancer sa pratique.Il n’est certes pas rare de lire sous la plume de chercheurs que le référendum présidentiel, comme tout référendum initié par le pouvoir en place (président, Parlement ou gouvernement), se transformerait inévitablement en plébiscite, et qu’il faudrait donc l’abandonner purement et simplement. Cette vision nous semble trop radicale. La personnalisation du référendum peut être combattue par des mesures qui présentent en outre pour la plupart l’avantage de ne pas nécessiter de révision de la Constitution (une opération presque impossible dans le contexte actuel de gouvernement minoritaire). Ces mesures relèvent en effet moins du droit que de recommandations de "bonnes pratiques", ces dernières étant aujourd’hui au cœur de la production normative en matière électorale et référendaire dans les démocraties avancées (comme en atteste le Code de bonne conduite en matière référendaire élaboré par la Commission de Venise du Conseil de l’Europe).La première "bonne pratique", essentielle, consiste à dépolitiser le référendum, en particulier de la part des responsables politiques. Cela à commencer par le président lui-même, qui doit absolument éviter d’en faire une affaire personnelle. Contrairement à une idée répandue, mettre sa démission en jeu ne rend pas le référendum plus démocratique. C’est même l’inverse : cela brouille les enjeux et fausse le choix des électeurs. Ce n’est pas au référendum de corriger les excès du présidentialisme et le manque de responsabilité présidentielle. Il est un outil de décision citoyenne, pas un test de confiance envers une personne.Autrement dit, il faut définitivement tourner la page de la conception gaulliste du référendum. Celle-ci a peu à peu été abandonnée par les successeurs de De Gaulle. François Mitterrand et Jacques Chirac ont clairement affirmé qu’ils ne démissionneraient pas en cas d’échec, contribuant ainsi à "déplébiscitariser" le référendum et à le recentrer sur la question posée. Mais ce n’est pas suffisant. Pour aller plus loin, le président pourrait s’adresser aux citoyens en leur demandant explicitement de se prononcer uniquement sur la question posée, en mettant de côté toute considération personnelle ou politique. Ce simple appel au discernement renforcerait la sincérité du vote et le respect du débat démocratique.Plus largement, c’est à l’ensemble des responsables politiques de jouer le jeu, pour permettre que cet exercice de démocratie directe reste un véritable débat d’idées, non biaisé par des enjeux de lutte électorale. Cela n’interdit pas aux partis politiques d’exprimer leur opinion sur le sujet du référendum. Au contraire, il est même souhaitable qu’ils le fassent. Les électeurs ont besoin de repères et d’arguments clairs pour se forger un avis. Les médias ont eux aussi un rôle essentiel à jouer dans cette dynamique. En garantissant une information pluraliste, claire et objective, ils peuvent éviter que le débat ne soit déformé par des logiques politiciennes.Une deuxième "bonne pratique" pour dépersonnaliser le référendum consiste à associer directement les citoyens au processus, en mettant en place une convention citoyenne tirée au sort.Une deuxième "bonne pratique" pour dépersonnaliser le référendum consiste à associer directement les citoyens au processus, en mettant en place une convention citoyenne tirée au sort. Cette assemblée aurait pour mission d’étudier la proposition soumise au vote, d’en expliquer clairement les enjeux, d’exposer les différents points de vue en présence et, éventuellement, de formuler une recommandation majoritaire, un peu comme un "pré-référendum" citoyen. Ce type de dispositif a été mis en place pour la première fois dans l’Oregon, imité ensuite par de nombreux pays, sous le nom de Citizen’s Initiative Review.Bien que conçu pour éclairer le débat lors d’initiatives populaires, rien n’empêche de le mettre en œuvre dans le cadre d’un référendum "d’en haut". Il est probable qu’un avis rendu par une telle assemblée serait beaucoup plus concentré sur le fond de la question que celui des partis ou du gouvernement. Une convention de citoyens tirés au sort pourrait même intervenir en amont, pour élaborer des propositions sur un sujet particulier. Le président s’engagerait à proposer, par l’intermédiaire de l’article 11, un référendum sur une mesure issue de cette réflexion collective, reformulée en projet de loi, comme cela avait été envisagé pour la Convention citoyenne sur le climat. Des pays comme l’Islande (sur la réforme de la Constitution) ou l’Irlande (sur l’avortement et le mariage pour tous), ont déjà expérimenté ce processus. La question des temps de l’enfant, actuellement objet d’une convention citoyenne en France, se prêterait bien à cet exercice de par le fort intérêt qu’elle soulève dans la population.À condition de retenir suffisamment l’attention des médias, une convention citoyenne peut aussi stimuler l’intérêt du grand public et donner envie de s’informer sur un sujet parfois jugé technique ou éloigné. Or, une telle condition est essentielle pour qu’un référendum fonctionne bien. Une autre "bonne pratique" est donc, tout simplement, de veiller à ce que le référendum porte sur une question qui intéresse potentiellement les citoyens. Le glissement d’enjeu (tout comme l’abstention), est souvent lié en effet à un manque d’intérêt ou à une incompréhension du sujet. Dans cet esprit, on peut regretter que l’article 11 ne permette toujours pas de référendum sur les grandes questions dites "de société", comme l’euthanasie, la bioéthique ou les droits des personnes. Pourtant, dans d’autres pays, ces sujets sont fréquemment soumis au vote populaire. En France, on peut par exemple penser que le projet de loi sur la fin de vie, qui touche profondément les consciences, mobiliserait fortement les citoyens et éviterait les dérives politiciennes. Il est difficile d’imaginer un tel débat réduit à un simple "pour ou contre le président". Cela dit, même si un sujet peut sembler complexe ou éloigné des préoccupations quotidiennes, une campagne de sensibilisation bien menée peut faire toute la différence. Si le débat est pédagogique, ouvert à tous les points de vue et largement relayé, les citoyens sont tout à fait capables de s’approprier la question et de voter en connaissance de cause. Le référendum de 2005, qui portait sur un thème à première vue lointain et très juridique (un projet de constitution européenne), en fournit une bonne illustration. Les Français se sont rendus très nombreux aux urnes et ont débattu activement sur le fond du texte, ou du moins sur des arguments politiques, économiques et sociaux liés à l’organisation institutionnelle européenne.Une "bonne pratique", enfin, est une pratique régulière du référendum. Plus les citoyens y sont habitués, plus ils développent une véritable culture de la participation directe. Ils apprennent à se concentrer sur la question posée, sans transformer le scrutin en jugement pour ou contre le gouvernement. Cette routinisation du référendum, comme on l’observe en Suisse ou dans certains États américains, contribue à sa normalisation. Dans ces pays, il existe aussi des "referendum days", où plusieurs votes sont regroupés le même jour. Cela permet mieux de dissocier chaque question du contexte politique du moment : il devient particulièrement absurde de "tout rejeter" ou "tout approuver" en bloc, en fonction de l’opinion que l’on a du gouvernement du jour. Proposer aux électeurs plusieurs options au lieu d’un simple "oui" ou "non" peut aussi aider à limiter le glissement d’enjeu, car cela recentre le débat sur les différentes solutions possibles, et non sur la personne qui pose la question. Mais ce type de référendum pose d’autres difficultés. Par exemple, il peut arriver qu’aucune des options ne recueille la majorité absolue, ce qui affaiblit la légitimité du résultat. Il y a aussi le risque de vote stratégique, où certains choisissent une option non par conviction, mais pour empêcher une autre de l’emporter. Sans compter que le choix des options en présence peut être orienté pour influencer l’issue du vote. La possibilité donnée de classer les options par ordre de préférence n’est pas non plus satisfaisante car elle ne permet pas de dégager un vainqueur indiscutable (paradoxe de Condorcet).Certains suggèrent d’aller plus loin avec des systèmes plus sophistiqués, comme le "jugement majoritaire" : au lieu de choisir une option, les électeurs donnent une appréciation (comme "excellent", "bien", "passable", "à rejeter") à chacune. On retient alors l’option la mieux évaluée en moyenne. Ce modèle a ses mérites, mais le calcul du résultat peut sembler complexe et opaque, ce qui risque de semer la confusion ou la méfiance.Le modèle le plus simple et le plus robuste reste le référendum classique, où l’on demande d’approuver ou de rejeter une proposition. À condition que cette proposition soit le fruit d’un vrai travail de réflexion en amont, associant des élus, des représentants des groupes d’intérêt, des citoyens, des experts…Finalement, le modèle le plus simple et le plus robuste reste le référendum classique, où l’on demande d’approuver ou de rejeter une proposition. À condition que cette proposition soit le fruit d’un vrai travail de réflexion en amont, associant des élus, des représentants des groupes d’intérêt, des citoyens, des experts… C’est là que le référendum "d’en haut" a un avantage, car il peut s’appuyer sur des processus d’élaboration structurés et plus inclusifs que le référendum "d’en bas", et présenter au public des propositions plus crédibles et portant sur des questions d’intérêt général.Copyright image : Alan DucarreImprimerPARTAGERcontenus associés 11/10/2024 [À contrevoix] - Le scrutin proportionnel est-il un remède à la crise démoc... Anne Levade Benjamin Morel