AccueilExpressions par Montaigne[Le monde vu d’ailleurs] - Quel rôle pour les Européens en Ukraine ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.23/04/2025[Le monde vu d’ailleurs] - Quel rôle pour les Européens en Ukraine ? EuropeImprimerPARTAGERAuteur Bernard Chappedelaine Ancien conseiller des Affaires étrangères Le monde vu d'ailleursAprès l'annonce, par Kiev, de son refus catégorique d'entériner l'annexion de la Crimée par la Russie, Marco Rubio a annulé à la dernière minute sa venue à Londres, le 23 avril, où il devait participer aux côtés des Européens et des Ukrainiens à une réunion en vue d'un cessez-le-feu. Le 17 avril à l'Élysée, toutes les parties prenantes (Royaume-Uni, Allemagne, Ukraine, États-Unis) étaient pourtant parvenues à s'asseoir autour de la table. Sur quelles divergences achoppent les discussions entre Européens et Américains ? Confrontés d’une part à la volonté de Donald Trump de mettre fin aux hostilités en Ukraine au prix d’atteintes graves à sa souveraineté et d’autre part à la tentative de Vladimir Poutine de nouer un partenariat avec Washington et à son hostilité désormais déclarée à leur égard, les Européens peinent à s’affirmer dans les négociations mais, que les combats cessent ou non, leur rôle sera essentiel pour assurer la sécurité de l’Ukraine. Par Bernard Chappedelaine.La réunion de Paris – une tentative des Européens pour revenir dans le jeuDonald Trump avait promis de mettre un terme à la guerre en Ukraine en un jour, rappelle The Economist. Aujourd’hui, il espère parvenir à un cessez-le-feu dans les cent premiers jours de son mandat, ce qui signifie avant la fin du mois d’avril. Le Président républicain présente ce conflit comme la "guerre de Biden", il craint toutefois que, si la guerre se prolonge, elle ne devienne la sienne, analyse l’hebdomadaire britannique, qui cite des sources diplomatiques à Washington, selon lesquelles certains collaborateurs de Trump "en ont assez" ("fed up") des efforts européens pour renforcer l’Ukraine. Le Président Zelensky a quant à lui rappelé ces derniers jours l’urgence d’intensifier la pression sur la Russie pour mettre un terme à la guerre et garantir une paix durable. Il a aussi prévenu, relèvent la BBC et l’agence Reuters, que son pays n’accepterait pas un accord de paix s’il n’était pas associé aux négociations et a réitéré son refus de discuter des aspects territoriaux avant l’instauration d’un cessez-le-feu. Volodymyr Zelensky a également reproché à Steve Witkoff, l’émissaire spécial de Donald Trump sur la Russie, de "répandre des narratifs russes" et, pour la première fois, il accuse publiquement la Chine de livrer des armes à la Russie. Ces différentes mises en garde sont intervenues à la veille des réunions sur l’Ukraine, organisées à l’Élysée le 17 avril, avec des responsables des États-Unis, auxquelles étaient associés des représentants du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Ukraine.Volodymyr Zelensky a également reproché à Steve Witkoff, l’émissaire spécial de Donald Trump sur la Russie, de "répandre des narratifs russes".Leur participation n’était pas prévue à l’origine mais, lors d’un entretien téléphonique avec Donald Trump, le Président français a insisté pour qu’ils soient présents, indique la correspondante à Paris de la FAZ.Emmanuel Macron s’est battu pour éviter que le dialogue bilatéral américano-russe ne marginalise de manière permanente les Européens alors qu’il s’agit de décider de l’avenir de l’Ukraine, explique aussi Reuters.En élaborant leur projet de "force de réassurance" pour l’après-guerre en Ukraine, Paris et Londres entendent faire la preuve du sérieux des intentions européennes quand il s’agit d’engager leurs propres ressources en Ukraine et tenter de convaincre Donald Trump de contribuer aux garanties de sécurité à Kiev, commente l’agence Bloomberg.La perspective d’un marchandage russo-américain sur l’UkraineLes réunions du 17 avril ont commencé par un déjeuner auquel étaient conviés Steve Witkoff et Marco Rubio, le Secrétaire d’État des États-Unis, elles se sont poursuivies par des rencontres entre délégations américaine, ukrainienne, britannique et allemande, indique la BBC. Parallèlement, le ministre français de la Défense s’entretenait à Washington avec son homologue américain Pete Hegseth des moyens de ramener "une paix durable" en Ukraine. Aucune conférence de presse n’était prévue à l’Elysée à l’issue des travaux, relève la FAZ, la délégation française ne voulant pas être contrainte de réagir à un projet de cessez-le-feu qui ne correspond pas aux positions européennes, explique Michaela Wiegel. La délégation américaine a présenté "les grandes lignes d’un accord de paix durable", projet qui a suscité une "réponse encourageante" de la part des autres délégations, selon la porte-parole du Département d'État. Pour les Européens, affirme la Deutsche Welle, l’enjeu est de revenir dans le jeu et de peser sur le cours des négociations, néanmoins certaines des idées évoquées étaient inacceptables pour l’Ukraine comme pour l’UE. D’après plusieurs médias américains (Bloomberg, Wall Street Journal) la délégation américaine a proposé à ses interlocuteurs un gel du conflit, qui implique le maintien de facto sous contrôle de Moscou des territoires du Donbass occupés actuellement, la reconnaissance par Washington de l’annexion de la Crimée - sans cependant que les Européens aient à reconnaître cet état de fait - ainsi que la non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et la levée de certaines sanctions en vigueur contre la Russie. Les propos tenus par un "haut responsable" de l’administration Trump au New York Post corroborent ces indications. Kiev aurait accepté "à 90 %" les grandes lignes du projet américain, précise le journal, l’accord, en premier lieu les modalités du cessez-le-feu, doivent être finalisés cette semaine à Londres, afin que cette "offre finale" puisse être soumise à Moscou.Marco Rubio a informé son homologue russe du résultat de ses entretiens à Paris, le communiqué du MID prend soin de préciser que ces discussions se situent "dans le cadre des consultations que mènent Moscou et Washington" et Sergueï Lavrov a indiqué que Moscou est prêt à travailler avec les États-Unis "afin d’éliminer de manière effective les causes premières de la crise ukrainienne". Interrogé par le quotidien Vzgliad sur la menace d’un retrait des États-Unis du processus de négociation, agitée par Marco Rubio et par Donald Trump, l’américaniste Dmitri Drobnintski pense qu’on ne peut exclure cette hypothèse. En dépit des commentaires optimistes qui ont suivi la réunion de Paris, note-t-il, les délégations n’ont pas surmonté leur désaccord sur l’essentiel - poursuite du conflit ou conclusion d’un accord - et la délégation américaine n’a pas convaincu ses interlocuteurs de ne pas faire obstacle aux efforts de Donald Trump, dit-il, d’où la tentation de "se laver les mains" de ce conflit et d’en transférer la responsabilité aux "faucons" européens.Fiodor Loukjanov y voit plutôt de la part du Secrétaire d’État Rubio une position de négociation, qui n’annonce pas nécessairement un retrait américain, les contacts se poursuivant en coulisse. D’après Andreï Kortounov, autre expert reconnu de politique étrangère, les menaces de MM. Trump et Rubio de se désengager du dossier russo-ukrainien, qui contrastent avec les propos plus optimistes du vice-Président Vance, traduisent les opinions divergentes à Washington sur le processus de négociation et les efforts des différents groupes pour influencer le locataire de la Maison blanche. En l’absence de progrès tangible, il sera de plus en plus difficile de concentrer l’attention de Donald Trump sur l’Ukraine, qui a déjà dépensé beaucoup de capital politique pour parvenir à un règlement, et dont la crédibilité souffrirait en cas d’échec, explique le politologue.La délégation américaine n’a pas convaincu ses interlocuteurs de ne pas faire obstacle aux efforts de Donald Trump, dit-il, d’où la tentation de "se laver les mains" de ce conflit et d’en transférer la responsabilité aux "faucons" européens.a délégation américaine n’a pas convaincu ses interlocuteurs de ne pas faire obstacle aux efforts de Donald Trump, dit-il, d’où la tentation de "se laver les mains" de ce conflit et d’en transférer la responsabilité aux "faucons" européens.Les dernières déclarations du Président russe marquent toutefois une inflexion de sa position et un revirement, s’agissant des contacts directs avec l’Ukraine, antérieurement exclus. Le 21 avril, devant des journalistes, Vladimir Poutine "n’exclut pas" une enquête "dans un format bilatéral" sur les victimes et les destructions causées par la rupture du cessez-le-feu que lui-même avait décrété à Pâques, de même il juge "positivement toutes les initiatives de paix" et émet l’espoir que "les représentants du régime de Kiev auront la même attitude".L’article publié le 20 avril par le directeur de la Nezavissimaïa gazeta peut servir de justification à l’arrêt des combats sur l’actuelle ligne de front. À l’inverse de ce qu’affirment les "faucons" russes, Konstantin Remtchoukov entend démontrer que les quatre régions du Donbass annexées en septembre 2022 - que Moscou ne contrôle toujours que partiellement - n’ont pas été intégrées dans la Fédération russe dans leurs frontières administratives. Un cessez-le-feu est donc envisageable dès lors que les forces russes auront totalement repoussé l’armée ukrainienne hors de la région russe de Koursk, possiblement avant la fin du mois (le chef d’état-major Guerassimov a assuré Vladimir Poutine le 19 avril que cette région était aujourd’hui "libérée à 99,5 %"). Ces ouvertures à l’égard de Washington s’accompagnent de vives critiques des Européens, accusés d’être des "fauteurs de guerre". Vladimir Poutine voit dans les appels des responsables bruxellois à ne pas assister aux cérémonies du 9 mai à Moscou des "menaces" qu’ils sont au demeurant incapables de mettre à exécution et il les accuse de "vouloir continuer la guerre jusqu’au dernier Ukrainien". Ce narratif est repris par Sergueï Lavrov, qui juge l’absence des Européens "incompréhensible" et qui accuse l’UE de vouloir "ouvertement ressusciter l’idéologie nazie, là où elle est née, sur le territoire européen". Quant au Service de Renseignement extérieur (SVR) que dirige Sergueï Narychkine, proche du Président russe, il évoque dans un communiqué la "prédisposition historique de l’Europe à différentes formes de totalitarisme, qui provoque périodiquement des conflits destructeurs d’ampleur globale". Le SVR émet l’espoir que "les efforts conjugués de Moscou et de Washington permettront d’éviter au monde de glisser vers un nouveau conflit mondial et de prévenir les provocations des Ukrainiens et d’Européens devenus fous".Quelle stratégie pour les Européens ?Le rapprochement Moscou-Washington se traduit par une concertation sur différentes questions bilatérales et internationales et suscite une "vive inquiétude dans les capitales d’Europe occidentale", écrit Vzgliad, qui, dans un autre article, admet que les Européens ont des motifs de satisfaction, puisque, pour la première fois, ils sont parvenus à se réunir, à Paris, avec les Américains et les Ukrainiens autour d’une table, "programme minimum" qu’Ursula von der Leyen et Kaja Kallas ont échoué à réaliser, note le journal. Pour y parvenir, les Européens ont utilisé les leviers dont ils disposent en matière de sanctions, la reprise de l’accord sur l’exportation des céréales en mer Noire nécessitant par exemple la réintégration de banques russes dans le système SWIFT qu’ils contrôlent. Vzgliad mentionne aussi "la menace" d’un déploiement de troupes européennes sur le sol ukrainien susceptible de contrarier les tentatives de règlement de Donald Trump, qui, cent jours après son arrivée au pouvoir, doit exhiber des résultats, fussent-ils symboliques. C’est bien à la menace qu’a recours Moscou pour dissuader les Européens d’accroître leur soutien à l’Ukraine, constate l’ISW dans son bulletin quotidien, ainsi la porte-parole du MID souligne que la Russie considérera les frappes de missiles allemands Taurus, que le futur chancelier Merz déclare vouloir fournir à l’Ukraine, comme une "participation directe de l’Allemagne aux côtés du régime de Kiev" au conflit et le porte-parole du Kremlin dénonce ce qui provoquerait une "escalade inévitable", il juge "provocants" le soutien militaire européen à Kiev et le renforcement des capacités de défense européennes.Le rapprochement Moscou-Washington se traduit par une concertation sur différentes questions bilatérales et internationales et suscite une "vive inquiétude dans les capitales d’Europe occidentale", écrit Vzgliad, qui, dans un autre article, admet que les Européens ont des motifs de satisfaction, puisque, pour la première fois, ils sont parvenus à se réunir, à Paris, avec les Américains et les Ukrainiens autour d’une table.Ukrainiens et Européens sont confrontés cette semaine à Londres - réunion qui fait suite à celle de Paris - à un "dilemme", mais une acceptation des propositions soumises par la délégation américaine ne signifie pas la fin du processus de négociation, avertit le site d’information indépendant re: russia, car les paramètres d’un possible accord seront vraisemblablement remis en cause lors de la rencontre qui suivra entre Steve Witkoff et Vladimir Poutine, celui-ci cherchera à affaiblir encore les garanties de sécurité accordées à l’Ukraine, convaincu que Donald Trump acceptera des concessions supplémentaires pour sauver son "grand marchandage".L’administration Trump offre à la Russie la meilleure option pour réaliser ses objectifs, explique Vladimir Frolov, elle lui sert de "bélier" pour imposer à l’Ukraine et aux Européens des décisions qui lui conviennent et éviter des discussions avec un "quartet européen" mené par Emmanuel Macron qu’elle rejette en tant que négociateur. Il est dans l’intérêt du Kremlin de maintenir le plus longtemps possible ce format bilatéral russo-américain, mais les "ultimatums" lancés par MM. Trump et Rubio pourraient le contraindre à choisir entre deux options : accepter un gel durable du conflit sans avoir atteint ses objectifs (contrôler l’Ukraine et réformer l’architecture européenne de sécurité) ou bien mettre en danger le partenariat stratégique qui s’esquisse avec Washington, résume le politologue. Le Moscow Times fait l’inventaire de tous les projets économiques que le Kremlin fait miroiter à Donald Trump pour emporter son adhésion. Un possible abandon des efforts des États-Unis pour parvenir à un cessez-le-feu en Ukraine ne signifierait pas la fin des contacts entre Moscou et Washington, qui devraient se poursuivre, jugent les Novye Izvestia, qui citent les opinions d’experts américains, convaincus que Donald Trump veut "mettre de côté l’Ukraine et conclure de nouveaux deals avec la Russie" (Fiona Hill) et qu’il "rêve d’un accord avec la Russie" (David Sanger).Les informations publiées par la presse occidentale (Financial Times, Axios) quelques heures avant la réunion de Londres confirment les révélations de ces derniers jours sur le contenu de "l’offre finale" de Donald Trump, en particulier sur la faiblesse des garanties de sécurité dont bénéficierait l’Ukraine. Prévue au niveau ministériel, la réunion s’est tenue au niveau des conseillers après l’annulation de la venue du Secrétaire d’État Rubio, consécutive, selon le New York Times, au refus public du Président Zelensky d’entériner de jure l’annexion par la Russie de la Crimée. En visite à Delhi, le vice-Président Vance a déclaré qu’il "est temps" pour la Russie et l’Ukraine d’accepter la "proposition très explicite" des États-Unis qui, dans le cas contraire, se retireront du processus de négociation. Accepter de reconnaître l’annexion de la Crimée équivaudrait pour Volodymyr Zelensky à un "suicide politique", affirme The Spectator, c’est pourquoi, pronostique le magazine britannique, "les discussions de Londres sur un cessez-le-feu seront un échec". Face à ce qui apparaît comme la détermination de l’administration Trump à aller au-devant des revendications russes au mépris du droit international, quelle peut être la stratégie des Européens ? Pour la première fois depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, en termes globaux (militaire, humanitaire et financier), l’assistance européenne vient de dépasser l’aide américaine, qui reste supérieure dans le domaine de la défense, indique l’Institut de Kiel pour l'économie mondiale. La stratégie des Européens est double, explique The Economist, d’une part, Français et Britanniques projettent, dans l’hypothèse d’un cessez-le-feu, de mettre sur pied une "force de réassurance" pour venir en aide à l’Ukraine en arrière du front, initiative à laquelle la Russie est opposée. D’autre part, les Européens vont accroître leur soutien militaire à Kiev (la "stratégie du hérisson") pour renforcer l’armée ukrainienne et les capacités de son industrie de défense. Ils doivent également reconnaître le rôle crucial que l’Ukraine peut jouer dans la formation de l’autonomie stratégique de l’Europe, souligne Oleg Chupryna. Après trois ans de guerre, son armée dispose d’une expérience du combat très précieuse et son industrie a développé dans certains secteurs des technologies aux meilleurs standards occidentaux.Copyright image : JUSTIN TALLIS / POOL / AFP Le président Volodymyr Zelensky, le Premier ministre Keir Starmer et Emmanuel Macron at Lancaster House, à Londres, le 2 mars 2025. ImprimerPARTAGERcontenus associés 09/04/2025 [Le monde vu d’ailleurs] - Les Européens et "l’ami prédateur" Bernard Chappedelaine 12/03/2025 [Le monde vu d'ailleurs] - Le réarmement de l’Europe Bernard Chappedelaine 26/02/2025 [Le monde vu d'ailleurs] - L’Europe, Poutine et Trump : vu de Moscou, trian... Bernard Chappedelaine