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17/09/2025
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[Le monde vu d’ailleurs] - Crises françaises et enjeux européens, jeux de domino

[Le monde vu d’ailleurs] - Crises françaises et enjeux européens, jeux de domino
 Bernard Chappedelaine
Auteur
Ancien conseiller des Affaires étrangères
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Le monde vu d'ailleurs

La conjonction des difficultés politiques et financières de la France suscite interrogations et inquiétudes chez ses partenaires, en premier lieu outre-Rhin, où certains craignent que l’endettement français ne devienne un problème allemand. En Russie en revanche, les commentateurs proches du Kremlin se réjouissent de l’affaiblissement du Président Macron et de la fragilisation des principaux gouvernements européens. 

Le cercle vicieux des deux crises

Pendant des décennies, la France s’est enorgueillie d’une continuité politique qui contrastait avec la valse des gouvernements italiens. Désormais, la comparaison s’est inversée, constate Euronews. L’Italie de Giorgia Meloni donne une image de stabilité, tandis que la France est paralysée sur le plan politique et sous observation financière. Le Financial Times (FT) évoque deux crises, fiscale et politique, qui se nourrissent l’une et l’autre dans un "cercle vicieux". Le blocage de l’action gouvernementale et l’incapacité à maîtriser l’endettement public érodent la confiance des entreprises et des emprunteurs, ils affaiblissent la position de la France au sein de l’UE et détruisent ce qui reste de l’héritage politique du Président Macron, écrit le FT. "Liberté, Égalité, et qu‘en est-il de la Réalité", se demande la SüddeutscheZeitung, qui redoute que la France, qui "vit au dessus de ses moyens", soit en proie non seulement au "chaos politique", mais à un "fatalisme funeste", qui amène à conclure que la seule issue est de "chasser le Roi de son trône". "L’échec du vote de confiance met un point final provisoire à une évolution qui confirme l’incapacité de la France à se réformer et montre que même les mesures d’économie les plus modestes ne trouvent pas de majorité", déplore l’économiste Joachim Schallmayer cité par l’agence DPA. Thomas Gitzel, chef économiste de VP Bank, se déclare persuadé que le paysage politique éclaté en France empêche une consolidation budgétaire avant les élections présidentielles de 2027, ce qui rend inévitable une hausse de l’endettement. Les protestations en France et dans d’autres pays montrent que le rétablissement des comptes publics et les réformes sociales sont plus difficiles à mettre en œuvre que la création de nouvelles dettes, note la FAZ sous la plume de Werner Mussler. Mais si la Banque Centrale Européenne devait être contrainte de financer les États, cela conduirait presqu’inévitablement à l’inflation, dont les conséquences politiques seraient plus graves que les réductions de dépense, avertit le commentateur. La France est plongée dans "une crise profonde de la démocratie représentative", relève la correspondante à Paris du quotidien de Francfort. "Le pays ne se rassemble que dans la protestation. Le fait que Macron puisse s’appuyer sur ses prérogatives traditionnelles en politique étrangère et de sécurité n’est qu’une maigre consolation", écrit Michaela Wiegel.

Les interrogations des partenaires de la France sur ses perspectives financières

Pour autant, les marchés financiers ont réagi avec un calme remarquable à la chute du gouvernement Bayrou, note le Spiegel, la France contine à placer ses emprunts d’État. La surprise de la semaine est que le chaos politique n’a pas dissuadé un investissement important dans le secteur des hautes technologies, la startup Mistral AI a collecté 1,7 milliard d’euros, ce qui la valorise à plus de 10 milliards d’euros, note l’agence Bloomberg. La BCE a relevé ses prévisions de croissance pour 2025, qui pourrait atteindre 1,2 %, rapporte le Tagesspiegel. L’économie des pays de la zone euro s’avère plus robuste que prévu en dépit des droits de douane infligés par Donald Trump, la perspective d’une guerre commerciale entre Bruxelles et Washington ne s’est pas concrétisée. La sérénité dont font preuve les marchés à l’égard de la France ne signifie pas qu’il n’y ait pas de raisons de s’inquiéter, tempère le Spiegel. Depuis plusieurs années, la prime de risque attachée aux emprunts de l’État français est en hausse continue, elle s’est accélérée à la mi-août. "La France devient-elle un risque pour la zone euro ?", demande DPA, selon Joachim Schallmayer, le pays va rester sous la surveillance attentive des marchés, le risque d’une hausse brutale des taux doit être observé de près, mais la démission du gouvernement Bayrou, qui était attendue, ne va pas déclencher de nouvelle crise ni susciter un débat sur l’avenir de l’union monétaire. À ce stade, la France est considérée comme un "risque spécifique" et non comme un "risque systémique", résume DPA. La dégradation de la note de la dette publique de la France par l’agence Fitch avait été anticipée par les marchés, explique l’agence Reuters, elle traduit les doutes croissants des investisseurs sur la capacité du pays à maîtriser le déficit budgétaire et pourrait conduire certains d’entre eux, tenus par le respect de ratings minimaux, à vendre la dette française. C’est une analyse partagée par le Guardian, qui estime que cette nouvelle détérioration du crédit de la France pourrait avoir plus de conséquences que les dégradations précédentes en dissuadant certains acteurs d’investir sur ce marché.

Le chaos politique n’a pas dissuadé un investissement important dans le secteur des hautes technologies, la startup Mistral AI a collecté 1,7 milliard d’euros, ce qui la valorise à plus de 10 milliards d’euros

Le risque que représente désormais la France pour l’ensemble de la zone euro est diversement apprécié outre-Rhin. Pour Claus Regling, l’hypothèse d’une nouvelle crise de la zone euro est "totalement absurde", la situation économique de la France n’a "rien à voir avec celle de la Grèce, du Portugal ou de l’Irlande en 2010". 

Actuellement, la France paie 0,8 % d’intérêt supplémentaire par rapport à l’Allemagne pour placer ses emprunts à 10 ans, alors que, pendant la crise de l’euro, l’écart de taux d’intérêt avec l’Allemagne évoluait entre 10 et 20 %, rappelle l’ancien directeur du Mécanisme Européen de Stabilité, confiant dans les capacités de la France à assurer le service de sa dette, et qui observe que, ces dernières années, la croissance de la France est supérieure à celle de l’Allemagne. D’autres analystes sont plus sceptiques, voire inquiets. En France, la perspective d’un assainissement des finances publiques demeure totalement incertaine, le déficit risque de devenir incontrôlable, s’inquiète Werner Mussler. L’échec du gouvernement Bayrou et l’annonce de nouvelles grèves placent la zone euro face à "une nouvelle épreuve, qui fait apparaître la crise grecque comme un jeu d’enfant", s’alarme l’hebdomadaire Focus, qui redoute un "effet domino", compte tenu du poids économique de la France. Le mot d’ordre de Mario Draghi lors de la crise grecque ("Whatever it takes") ne peut s’appliquer à une économie qui représente plus de 20 % de la zone euro. La France emprunte aujourd’hui à un taux supérieur à celui de la Grèce, souligne pour sa part Veronika Grimm. Le problème est avant tout politique, remarque cette économiste, membre du conseil des experts auprès du gouvernement allemand ("Wirtschaftsweisen"), il est dû à l’absence de majorité parlementaire. Veronika Grimm s’inquiète du refus des partis extrémistes de droite et de gauche d’accepter des mesures d’économie, s’agissant notamment des retraites, ce qui obère la capacité de financement des dépenses supplémentaires dans le domaine de la défense. À court terme, il n’y a pas de danger sérieux pour la zone euro, admet-elle, mais l’endettement élevé de la France est problématique.

La discussion en cours en Allemagne pour procurer à l’État des moyens financiers supplémentaires fait écho au débat, qui à lieu en France sur l’imposition du patrimoine, notamment sur le proposition de "taxe Zucman". Dans l’entretien qu’il vient d’accorder au journal social-démocrate Vorwärts, Lars Klingbeil (SPD), ministre fédéral des Finances, considère que "les personnes qui disposent de revenus et de patrimoines élevés doivent apporter leur contribution à une société plus juste. C’est ma conviction profonde en tant que social-démocrate". Le vice-Chancelier admet que "le contrat de coalition a nécessité des compromis, mais je n’abandonne pas ma conviction profonde". Il rappelle que la question de la justice fiscale a fait l’objet, l’an dernier, d’une initiative dans le cadre du G20 visant à taxer les "super-riches", projet soutenu par Berlin. Christian Lindner, FDP, prédécesseur de Lars Klingbeil, y était hostile, rappelle le Merkur, mais la "grande coalition" CDU-CSU-SPD y est désormais favorable. D’après les calculs d’un institut de recherche économique, le DIW, la taxation à 2 % des Allemands disposant d’un patrimoine d’un milliard d’euros rapporterait 5,7 milliards d’euros à l’État, et jusqu’à 16,9 Mds€ si le seuil de taxation était abaissé à 100 millions d’euros. Selon Marcel Fratscher, président du DIW, alors qu’en Allemagne, le taux d’imposition moyen du patrimoine, qui s’élève à 0,4 %, est inférieur à la moyenne internationale, il est trois ou quatre fois supérieur dans des pays comme les États-Unis, la France et le Royaume-Uni.

La dimension européenne des difficultés de la France

"La France chancelle, l’Europe vacille", résume der Standard. La démission de François Bayrou, analyse le journal autrichien, limite les marges de manœuvre du Président Macron sur les plans interne et extérieur, s’agissant en particulier de la politique européenne, qui lui tient à cœur depuis son élection en 2017. Le gouvernement stable qui rendrait crédible son objectif d’une "plus grande souveraineté européenne" lui fait aujourd’hui défaut. Le magazine Cicero craint le retour du débat sur les "euro-obligations" ("eurobonds"). Compte tenu du montant de sa dette et de son incapacité à maîtriser ses finances publiques, Paris peut difficilement convaincre ses partenaires d’accepter un endettement commun, observe Georgina Wright, experte du German Marshall Fund. Autre paradoxe, la France appelle à une plus grande autonomie vis-à-vis des États-Unis et de la Chine, mais refuse les accords commerciaux(Mercosur…) susceptibles de réduire cette dépendance, position d’autant plus surprenante que les thèses françaises (autonomie stratégique, politique industrielle…) gagnent aujourd’hui en audience à Bruxelles. On peut s’attendre à ce que, dorénavant, Emmanuel Macron se concentre sur les enjeux internes, avance der Standard. À l’inverse, Lisa Homel, membre de l’Atlantic Council escompte un plus grand investissement de sa part sur les dossiers de politique étrangère (Ukraine, Proche-Orient…). Le scepticisme croît parmi les partenaires de la France sur la capacité d’Emmanuel Macron à promouvoir la sécurité et la défense européennes, malgré les prérogatives que lui reconnaît la constitution, relève Gesine Weber, autre experte du GMF, qui juge prioritaire de fixer une trajectoire interne qui rassure les partenaires de la France. L’UE fait face à des défis (réarmement, changement climatique, compétitivité…) et à des besoins financiers considérables, que Mario Draghi dans son rapport a chiffrés à 800 milliards d’euros par an, et la France peut difficilement apporter sa contribution, alors qu’elle alloue 67 milliards€ au service de sa dette, somme supérieure au budget de la Défense. Le montant de son assistance militaire à l’Ukraine, beaucoup plus modeste que celle de l’Allemagne, illustre ce déséquilibre, observe Euractiv. "Les idées de réforme du Président français sont de l’histoire ancienne", tranche der Standard, en effet "la crise politique à Paris freine son action au plan européen et son engagement en Ukraine, elle atteint l’UE et l’Ukraine au moment le plus défavorable".

L’UE fait face à des défis (réarmement, changement climatique, compétitivité…) et à des besoins financiers considérables, que Mario Draghi dans son rapport a chiffrés à 800 milliards d’euros par an, et la France peut difficilement apporter sa contribution, alors qu’elle alloue 67 milliards€ au service de sa dette.

Le Spiegel relève aussi que les emprunts d’État allemands ("Bund"), qui ont toujours été considérés comme une "valeur refuge", n’ont cette fois pas profité des incertitudes politiques en France. Le volume de dépenses que va engager le gouvernement Merz et le retard pris dans les réformes font que le regard des marchés financiers sur l’Allemagne a changé, explique Thomas Gitzel. Certes, avec un ratio de 62 % du PIB, l’Allemagne est nettement moins endettée, mais le gouvernement Merz a décidé une forte augmentation des dépenses de défense et d’infrastructures, explique le DLF.

Selon les calculs de Werner Mussler, à moyen terme, les projets de la grande coalition vont porter au minimum à 80 % du PIB le taux d’endettement public, ce qui augmentera son niveau moyen au sein de l’Union monétaire, qui atteint déjà 90 %, "l’image d’une zone euro stable ne correspondra alors plus à la réalité", juge l’éditorialiste de la FAZ. D’ores et déjà, Berlin doit offrir un rendement plus élevé pour le Bund, car les marchés s’attendent à ce qu’in fine ce soit l’Allemagne qui soit contrainte de déployer le "filet de sécurité" pour sauver l’euro, écrit Focus. "L’endettement de la France devient aussi un problème pour le budget allemand", s’inquiète le magazine, les milliards d’euros prévus pour les infrastructures et la restructuration de l’économie allemande pourraient s’avérer nécessaires afin de stabiliser l’euro. Officiellement, les autorités allemandes se veulent rassurantes, remarque Euractiv, mais en privé certains responsables de la coalition font part de leurs craintes sur la fiabilité de la France et un impact sur la relation bilatérale. Armin Laschet, président CDU de la commission des Affaires étrangères du Bundestag, a quant à lui jugé "dramatique" la situation économique de la France, susceptible de déstabiliser l’euro. Alors que Friedrich Merz et Emmanuel Macron viennent de manifester leur unité et leur volonté de relancer le moteur franco-allemand, les deux dirigeants sont accaparés par leurs problèmes intérieurs, déplore Euractiv. Au début de son mandat, Macron avait de grands projets pour l’UE, mais l’occasion a été manquée, en premier lieu par la faute de l’Allemagne, son plus important partenaire, plus préoccupée alors par elle-même que par les affaires du monde. Il n’y a guère d’alternative viable à un partenariat franco-allemand renouvelé dès lors qu’il s’agit de mettre en œuvre un agenda de réarmement et de compétitivité, souligne Euractiv, c’est pourquoi "beaucoup à Berlin prient pour un gouvernement stable à l’issue des élections présidentielles de 2027". 

Des gouvernements européens fragilisés, confrontés à des défis sans précédent

En Russie, la situation actuelle de la France réjouit les commentateurs proches du pouvoir. Le quotidien Kommersant est persuadé que, compte tenu de ses difficultés internes, "Macron ne pensera plus à la Russie", le sénateur Alexeï Pouchkov ironise sur un Président qui "continue à faire comme s’il décidait des affaires du monde". Fiodor Loukianov voit dans la démission du gouvernement Bayrou l’illustration d’une crise des systèmes politiques occidentaux (défiance à l’égard des gouvernements britannique et allemand, montée des courants populistes), illustrée ces derniers jours par l’importante manifestation d’extrême-droite à Londres et, en Allemagne, par la progression continue de l’AfD, au plus haut (25 %) dans les sondages d’intention de vote, et qui vient de tripler son score (environ 15 % des voix) aux élections locales de Rhénanie du nord-Westphalie. C’est aussi le constat dressé par le média indien Firstpost, qui souligne que "le continent européen est actuellement confronté à son environnement de sécurité le plus volatile depuis des décennies" et que ses dirigeants les plus influents, MM. Starmer, Macron et Merz, "projettent à l’extérieur une image d’unité et de détermination" mais font face dans leurs pays à "des défis sans précédent", situation potentiellement dommageable en premier lieu pour la poursuite du soutien à Kiev. Dès 2017, année de l’arrivée à la Maison blanche de Donald Trump, l’UE aurait dû, comme le proposait Emmanuel Macron, développer son "autonomie stratégique", regrette Steffen Vogel. Confrontée aujourd’hui au défi majeur de la guerre en Ukraine, à des temps très incertains et au désengagement probable des États-Unis du continent européen, l’UE doit enfin prendre son destin en main, souligne-t-il. Sur le plan interne, un an après la remise de son rapport, Mario Draghi regrette que les "dirigeants européens n’aient pas saisi la gravité du moment" et mis en œuvre ses recommandations. 

François Bayrou et Sébastien Lecornu sur le seuil de l’Hôtel Matignon, le 10 septembre 2025.
Copyright Ian LANGSDON / POOL / AFP

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