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La double abdication de François Bayrou

La double abdication de François Bayrou
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions

On retient surtout un “non” : celui des 364 voix qui ont répondu à la demande de confiance à laquelle s’était soumis le Premier ministre en application de l’article 49.1 de la Constitution. Mais ce non était précédé d’un discours de politique générale sur les orientations budgétaires de la France où François Bayrou, nous montre Blanche Leridon, a opposé à mauvais escient le politique et l’historique. Espérons que le nouveau locataire de Matignon travaille à redonner au premier un certain sens de la hauteur, et du long terme. 

Les Premiers ministres tombent, mais les discours et les mots restent. La chute de François Bayrou nous a fait passer un peu vite sur ceux qu’il a prononcés lundi. Certains d’entre eux méritent pourtant d’être analysés avec sérieux.

Dans sa déclaration de politique générale du 8 septembre - qui n’était pas dénuée de morceaux de bravoure, j’y reviendrai - François Bayrou a démarré son propos en opposant le politique et l’historique. Selon le Premier ministre finissant, les questions politiques “concernent les partis, les rivalités des uns avec les autres, et les questions de pouvoir” là où les questions historiques concerneraient “les peuples et les nations (...) les enfants et le monde que nous leur construisons”. Pour Bayrou, la politique, ce sont des “adultes qui se disputent tout le temps” et dont l’horizon de temps ne serait que la “prochaine élection”.

Pour Bayrou, la politique, ce sont des “adultes qui se disputent tout le temps” et dont l’horizon de temps ne serait que la “prochaine élection”.

À la politique le court terme, le cynisme et les manipulations, à l’historique le temps long, l’avenir et la noblesse. Cette dichotomie, aussi trompeuse que dangereuse, est un carburant redoutable pour la défiance politique qui mine déjà notre nation.

Reconnaissons d’abord que si l’on se fie à l’état actuel du politique en France, l’ex-Premier ministre n’a pas totalement tort, et les spectacles désolants de ces derniers mois, à l’Assemblée nationale comme sur les plateaux de télévision, en sont d’éloquentes confirmations. Les enquêtes d’opinion vont aussi dans son sens, révélant jour après jour des chiffres toujours plus préoccupants sur la perception de la politique par nos concitoyens. Mais ça n’est pas à l’état actuel des forces politiques que le Premier ministre abdiquant faisait référence, dans une amorce de discours qui se voulait précisément solennelle et hors du temps, mais bien aux questions politiques dans leur nature intrinsèque, dans leurs fondamentaux. En opposant l’historique et le politique de cette façon, Bayrou affaiblit un édifice déjà particulièrement branlant. On rétorquera qu’écouté il ne le fut pas, et que c’est précisément sur ces paroles que son magistère tomba. Mais dans la situation de crise actuelle, et peu importe le sort qu’aura connu M. Bayrou, cette attaque en règle à l’encontre du politique ne peut qu’aggraver une situation déjà extraordinairement précaire.

Renoncer à ce que le politique soit aussi l’affaire de nos enfants et du monde que nous leur construisons, c’est une double abdication pour François Bayrou.

Alors que le politique est constamment démonétisé et déconsidéré, c’est tout l’inverse qu’il fallait faire, ou plutôt qu’il fallait dire - mais l’on sait à quel point la parole est performative en ces matières. Renoncer à ce que le politique soit aussi l’affaire de nos enfants et du monde que nous leur construisons, c’est une double abdication pour François Bayrou.

Dans un cours prononcé à l’université de Chicago à l’automne 1963,Hannah Arendtdisait qu’“avoir l’esprit politique, c’est se soucier davantage du monde que de nous-mêmes”, et c’est bien avec cette notion du politique qu’il nous faut renouer aujourd’hui. La question de confiance posée par le Premier ministre, comme les enjeux budgétaires sous-jacents, sont foncièrement politiques, au sens noble du terme. C’est bien avec la noblesse du politique qu’il nous faut renouer, sans céder à la déconstruction en règle de sa légitimité, à laquelle les ingénieurs du chaos s’emploient déjà avec un certain succès. Car en embrassant cette dichotomie là, en nous y résignant, on accrédite les thèses populistes, que développait la veille encore Marine Le Pen lors de sa rentrée à Hénin Beaumont. Elle dénonçait, citant des expressions du Général de Gaulle que l’on croirait empruntées à Audiard, “ces trotte-menu de la décadence”, “insoucieux de toute autre chose que de leur carrière”.

L’amorce de cette funeste déclaration de politique générale est d’autant plus regrettable que le Premier ministre se contredit quelques minutes plus tard, reconnaissant avoir “une haute idée des mouvements politiques” tout en déplorant que “leur logique les conduise à la division”. Il dit croire aux compromis, à la possibilité d’un “citoyen partenaire et co-responsable de son destin” “il y a un chemin, celui de la vérité partagée et du courage de le mener ensemble”. Mais à ce stade-là du discours, qui l’écoute encore ?

Dans un parallélisme plutôt réussi enfin, le Premier ministre s’est adressé aux forces politiques avec ces mots : “Vous avez le pouvoir de renverser le gouvernement mais vous n’avez pas le pouvoir d’effacer le réel”.

La parole façonne un réel qui n’a jamais été aussi fragile, discuté. Si cette parole peut démonétiser et discréditer, c’est elle aussi qui peut convaincre et porter les grands récits politiques de demain.

Or on sait aujourd’hui à quel point la parole façonne un réel qui n’a jamais été aussi fragile, discuté. Si cette parole peut démonétiser et discréditer, c’est elle aussi qui peut convaincre et porter les grands récits politiques de demain. Que nos élus et notre nouveau Premier ministre manient cette arme avec un peu plus de responsabilité et de panache. Qu’ils prennent leur risque, celui de refaire de la vraie, de la bonne politique. 

François Bayrou lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, le 8 septembre 2025.


Copyright Bertrand GUAY / AFP

 

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