AccueilExpressions par MontaigneLe jour d'après, de Gaza à l'UkraineLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Moyen-Orient et Afrique13/10/2025ImprimerPARTAGERLe jour d'après, de Gaza à l'UkraineAuteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie Le plan Trump à Gaza dessine-t-il plus largement une "méthode" de résolution des conflits ? La première phase du projet en vingt points négocié par l'administration américaine semble aboutir : il s'agit maintenant d'appliquer la recette du succès à l'Ukraine. Nonobstant les différences relevées par Michel Duclos, sur quels parallèles s'appuyer entre Gaza et l’Ukraine pour avancer avec la Maison-Blanche sur ce conflit ? Comment aller au-delà de la phase 1 à Gaza Ainsi, contre toute attente, le "plan Trump" pour la paix au Proche-Orient paraît fonctionner. L’accord entre Israël et le Hamas mettant un terme au supplice des otages israéliens et aux massacres à Gaza constituait évidemment une avancée considérable ; sa mise en œuvre sous nos yeux suscite un soulagement immense, et justifie de grands espoirs. Le "plan Trump" paraît fonctionner - du moins sa première phase (libération des otages/arrêt des combats), car selon tous les observateurs, la suite sera beaucoup plus difficile à traduire dans les faits.Comment les différents acteurs en sont-ils arrivés là ? Ce qui nous paraît le plus frappant, c’est que cette administration Trump si peu conventionnelle, si baroque en un sens, s’est en définitive rallié à un style de négociation en fait classique : ni le gouvernement israélien, ni le Hamas ne voulaient d’un accord ; mais chacun a été amené à comprendre qu’il risquait de porter le blâme d’un refus et que ce blâme comporterait un coût élevé. De surcroît, Trump a su travailler avec d’autres - ce qui est là aussi sans doute contre-intuitif pour lui - en constituant une sorte de coalition avec les pays arabes et musulmans (Turquie, Golfe, Indonésie et même Pakistan) ; ce sont ces pays qui ont assuré "l’effort de conviction" (c’est un euphémisme) auprès du Hamas tandis que la Maison-Blanche se chargeait de faire pression sur Netanyahou.Nous n’ajouterons pas ici à l’avalanche de commentaires qui ont déjà été déversés sur un sujet qui retient l’attention du monde entier. Hasardons cependant quelques réflexions sur deux questions majeures : n’y a-t-il pas un élément-clef, un point de passage obligé, qui permettrait d’aller au-delà de la première phase du "plan Trump" ? Peut-on imaginer que le président américain se tourne désormais vers l’Ukraine et applique au dossier Ukraine-Russie l’approche qui lui a réussi s’agissant de Gaza ?Une clef pour la suite du plan TrumpLe refus de coopérer risque de rester l’instinct des deux principaux acteurs sur le terrain. Dans le conseil des ministres israélien qui a approuvé l’accord, les ministres d’extrême droite ont refusé leur voix. Il est très probable que M. Netanyahou lui-même ne se résignera pas à déplacer Tsahal en deçà de sa ligne de repli actuelle (qui lui permet de contrôler encore 53 % du territoire de Gaza) que si vraiment il ne peut pas faire autrement. Quant au Hamas, il continue de se comporter comme s’il pouvait encore garder une partie de ses armes ; et il compte manifestement avoir un avenir politique.Dans le conseil des ministres israélien qui a approuvé l’accord, les ministres d’extrême droite ont refusé leur voix. Il est très probable que M. Netanyahou lui-même ne se résignera pas à déplacer Tsahal en deçà de sa ligne de repli actuelle (qui lui permet de contrôler encore 53 % du territoire de Gaza) que si vraiment il ne peut pas faire autrement.Or, sans un vrai désarmement du Hamas, et de ses alliés comme le Djihad islamique, il est probable qu’Israël en reviendra vite à une politique de force (bombardements, restrictions de l’aide humanitaire etc.) et maintiendra ses troupes à Gaza ; il n’est pas certain que les pays volontaires pour constituer la "force de stabilisation" iraient, dans ces conditions, jusqu’au bout de leurs intentions.On voit mal dès lors comment pourrait se mettre en place le "conseil de paix" présidé par M. Trump pour assurer la gouvernance et la reconstruction de Gaza, C’est cette question du désarmement réel du Hamas qui nous paraît donc constituer le "point de passage obligé" pour aller au-delà de l’accord actuel - même s’il devra être suivi par la suite d‘autres points de passage obligés (des élections de part et d’autre par exemple).Le désarmement du Hamas ne constitue-il pas, par construction, le cœur de mission de la force de stabilisation ? C’est un élément de réponse bien entendu, mais d’une part Israël n’a, historiquement, jamais consenti à confier sa sécurité à une force internationale ; d’autre part toute l’expérience des opérations anti-guérilla montre la difficulté de la tâche. En envoyant 200 militaires sur place - mais pas à Gaza même - l’administration Trump a montré qu’elle a bien compris l’ampleur du défi. Il reste que ce sera aux Turcs et aux Émiriens, à d’autres peut-être, d’aller traquer dans les tunnels d’éventuels desperados si le Hamas ne donne pas à ses militants des ordres sans ambiguïté de déposer les armes. Avec, dans cette hypothèse, le coût humain et politique que cela comporterait pour les gouvernements des troupes chargés d’éliminer les guérilleros et, répétons-le, l’hypothèque que cela ferait peser sur l’ensemble du processus.Pour s’assurer du désarmement du Hamas, quelles concessions offrir à ses chefs, quels arguments faire valoir auprès d’eux, au-delà de leur sauvegarde personnelle ? Quels compromis trouver avec le mouvement islamique qui soit de surcroît acceptable pour Israël ? Et cela, dans quel environnement psychologique et politique ? Une contribution majeure de l’initiative franco-saoudienne - soutenue par une coalition encore plus large que celle entre les États-Unis et les pays arabo-musulmans - a été de consacrer la mise au ban du Hamas et ainsi d’établir une distance entre l’opinion palestinienne et le mouvement islamiste. Cela reste à confirmer.Après Gaza, l’Ukraine ?On dit beaucoup qu’une fois son succès obtenu - et une fois savouré le triomphe que lui ont réservé les Arabes comme les Israéliens sur place -, M. Trump cessera de s’intéresser au drame israélo-palestinien. C’est possible en effet mais ce ne serait cohérent ni avec la détermination dont il a fait preuve depuis quelques semaines ni surtout avec l’intérêt de ses alliés turcs et du Golfe, qui continueront à lui rappeler la nécessité de maintenir l’effort. Une des découvertes amères qu’a dû faire M. Netanyahou, depuis son opération armée début septembre à Doha, est qu’aux yeux de l’occupant actuel de la Maison-Blanche, le Qatar compte autant qu’Israël.Pourquoi après Gaza, sans délaisser le dossier israélo-palestinien, Donald Trump ne porterait-il pas ses efforts sur la paix en Ukraine ?C’est pourquoi une question plus pertinente pourrait être : pourquoi après Gaza, sans délaisser le dossier israélo-palestinien, Donald Trump ne porterait-il pas ses efforts sur la paix en Ukraine ? Ce serait certes aller dans le sens contraire à sa tendance de ces dernières semaines, qui l’a vu enclin à transférer aux Européens la charge du soutien à Kiev sans que lui-même paraisse décidé à sévir contre Poutine.Il a semblé vouloir surtout se désengager d’un problème insoluble. On l’a suggéré cependant : son approche du dossier israélo-palestinien montre que M. Trump est capable de changer de cap. D’ores et déjà, ses derniers propos à l’égard de Poutine (ce "perdant", qui "pourrait perdre tous ses gains en Ukraine") ne pourraient-ils constituer les premiers indices d’un retournement ? L’intention qu’il affiche d’examiner le transfert de missiles Tomahawks à Kiev ne va-t-il pas aussi dans le sens d’un durcissement ? Et surtout, comme le note le FT, n’a-t-il pas donné son feu vert à un partage du renseignement qui permet aux frappes ukrainiennes de dégrader sensiblement la production d’hydrocarbure russe ?Soyons lucides cependant : les soutiens arabes du Hamas ont pu à un moment donné faire comprendre à celui-ci qu’il était temps d’en finir. On ne voit pas les Chinois ou d’autres faire sérieusement pression sur Vladimir Poutine, qui de surcroît n’est pas en mauvaise posture en Ukraine comme le Hamas l’était à Gaza. Et le moins qu’on puisse dire est que les États-Unis n’entretiennent pas avec la Chine le même type de rapport de proximité qu’avec la Turquie et les États du Golfe, voire l’Égypte. Par ailleurs, il serait désastreux que Trump veuille tordre le bras de Kiev comme il a su à un moment donné contraindre M. Netanyahou à évoluer (tout en tenant compte très largement de ses lignes rouges). Au demeurant, si le gouvernement israélien pouvait croire pertinent de continuer les combats, Kiev a un intérêt objectif à l’arrêt de cette guerre, qui est difficile pour les deux camps mais non-soutenable par les Ukrainiens pendant trop longtemps.Sans dresser un parallèle qui n’a pas lieu d’être, nous suggérerons que les dirigeants européens s’appuient sur ce qui vient de se passer au Proche-Orient pour faire passer quelques messages à Washington, autour de trois mots-clefs.D’abord, le facteur temps. En effet, ni Israël ni le Hamas n’étaient prêts à faire des compromis il y a quelques mois mais le rapport de forces a évolué, sur le plan militaire au détriment du Hamas (en résultat de l’action d’Israël), et au plan politique, sur la scène globale, au détriment d’Israël (ce à quoi l’initiative franco-saoudienne a contribué). Certes, la Russie peut penser qu’elle marque des points sur le terrain en Ukraine ou qu’elle est tout sauf isolée, mais sur d’autres secteurs - en particulier son économie, ou la difficulté à trouver des nouvelles recrues - sa situation devient de plus en plus précaire.La Russie peut penser qu’elle marque des points sur le terrain en Ukraine ou qu’elle est tout sauf isolée, mais sur d’autres secteurs - en particulier son économie, ou la difficulté à trouver des nouvelles recrues - sa situation devient de plus en plus précaire.Autre mot-clef, que nous venons déjà d’invoquer : le rapport des forces. C’est ce qui a été déterminant au moins pour faire bouger le Hamas ; c’est le vecteur le plus important sur lequel travailler pour convaincre Moscou d’entrer dans des négociations réelles. C’est en misant sur les éléments de faiblesses de la Russie - nous venons d’en mentionner deux - que l’on peut miner sa position de force et l’amener à compromettre. Troisième mot-clef : coalition.Les pessimistes diront que les Européens n’ont pas auprès de l’Administration Trump le même crédit que la coalition arabo-musulmane. Objectons d’une part que les plus anti-Européens dans l’Administration Trump peuvent prendre conscience que l’Europe, qui joue déjà un rôle important, peut accroître celui-ci avec l’aide américaine ( cf : confiscation des avoirs russes par exemple) ; et suggérons d’autre part qu’il y a sans doute moyen d’élargir à d’autres que les Européens - au sein notamment de la coalition arabo-musulmane précitée, avec notamment un pays comme la Turquie - le cercle des pays disposés à travailler avec Washington pour lui permettre un succès en Ukraine comparable à celui qu’il vient d’obtenir à Gaza.Et à M. Trump de devenir un candidat irrésistible au prix Nobel de la Paix.Copyright Jack GUEZ / AFP Donald Trump à la sortie de l’Air Force One, à l’aéroport Ben Gourion, le 13 octobre 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés 07/10/2025 Deux ans après le 7 octobre Dominique Moïsi 23/07/2025 [Le Monde de Trump] - Proche et Moyen-Orient : "Les pays arabes ont la bonn... 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