AccueilExpressions par MontaigneL’Argentine de Javier Milei, un an après : le chantier politiqueL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.06/03/2025L’Argentine de Javier Milei, un an après : le chantier politique États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Alexandre Marc Expert Associé - Amériques et développement Le Fou et le Chef : ainsi appelle-t-on Javier Milei et sa sœur, le duo à la tête de l’État argentin. Que révèle le portrait psychologique et idéologique du président controversé, qui se compare à Moïse mais qui rappelle surtout, à maints égards, Donald Trump ? Que reste-t-il d’une opposition fragmentée et affaiblie qui tente de s’organiser avant les élections législatives d’octobre 2025 ? Entre erreurs de communication, croisade aux côtés de "l’internationale réactionnaire", pour reprendre les mots de l’Élysée, et réformes draconiennes dont certaines portent leurs fruits, les Argentins sont engagés dans le tango d’un "je t’aime-moi-non-plus" à l’issue incertaine. Le second des deux volets qu'Alexandre Marc consacre au bilan de Javier Milei un an après sa prise de fonction s'attache à la situation politique d'un pays pris en étau entre le constat d’une certaine amélioration et les inquiétudes suscitées par des prises de positions radicales.En Argentine, plus d’un an après l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, des lueurs d’espoir se font jour du côté de l’économie. Du côté de la politique en revanche, la situation apparaît confuse et chaotique. La "caste" que Milei avait promis de détruire reste bien vivante, tandis que l’image présidentielle commence à pâtir du désordre permanent qui tient lieu de stratégie de gouvernement, en particulier depuis le dernier scandale du "cryptogate" [suite à la promotion de la cryptomonnaie Libra faite par Milei, supposée favoriser le développement des petites entreprises mais dont le cours s’est effondré]. Pour le moment les Argentins lui restent en majorité favorables mais combien de temps cela va-t-il durer ? Les élections législatives d’octobre 2025, prochaine échéance politique du pays, seront déterminantes : d’elles dépendra la capacité du président à approfondir ses réformes économiques, mais elles mettront aussi à l’épreuve la capacité du système à freiner les projets les plus conservateurs de Milei. Un président messianique et projet de transformation économique et sociale radicale Le président Milei a été élu en 2023 sur un programme radical destiné à réduire l’inflation en coupant les dépenses publiques "à la tronçonneuse" et en réduisant la corruption. Il s’inscrit dans une mission au spectre bien plus vaste : rien moins que de se placer aux avant-postes de la révolution conservatrice mondiale. Dès son arrivée au pouvoir, Milei a mené tambour battant l’ajustement économique, avec un début de succès : baisse de l’inflation, reprise de la croissance économique. Javier Milei avait aussi promis de transformer le monde politique en se débarrassant de ce qu’il appelle "la caste" : les politiciens, les élites entrepreneuriales et les journalistes, qui selon lui vivent aux dépens de la population et s’échangent faveurs et passe-droits en profitant d’un État hypertrophié et corrompu. Un tel discours populiste est des plus classiques mais, il faut le reconnaître, il résonne fortement au sein d’une large partie de la population malmenée par des années de gestion économique désastreuse. Sa bête noire désignée est le kirchnerisme - courant dominant du péronisme depuis l’ascension au pouvoir de Nestor Kirchner en 2003 - et sa doctrine socialisante. Le parti péroniste s’était radicalisé à gauche sous la présidence de Cristina Kirchner, épouse de Nestor, présidente de 2007 à 2015 et vice-présidente de 2019 à 2023. C’est sous elle que l’inflation, jusqu’alors rampante, s’est accélérée, alimentée par la création monétaire nécessaire au financement d’un déficit budgétaire très important.C’est d’un président non conventionnel et étrange, pour le moins que l’on puisse dire, que l’Argentine a hérité en décembre 2023. Javier Milei s’est fait connaître du grand public, à l’instar de Trump, à travers des émissions de télévision à large diffusion. On parle d’un homme qui communique avec son chien mort, Conan, grâce à un médium, et qui avant de s’installer à la résidence présidentielle de Olivos vivait avec sa sœur et ses quatre chiens, quatre clones de Conan, chacun baptisé d’après le nom d’un des économistes libéraux que Javier Milei admire : Murray, Milton, Robert et Lucas. Ancien professeur d’économie, le président a publié plusieurs livres, tous en faveur d’un libéralisme libertarien très critique de la théorie économique néo-classique. Il se dit un adepte de l’école autrichienne d’économie et voue un culte au Nobel controversé Friedrich Hayek, décédé en 1992. C’est de lui que Milei s’est directement inspiré pour ses positions les plus extrêmes comme la suppression de la Banque centrale. En 2021, il est devenu représentant à la chambre des députés argentins, à la tête d’un nouveau parti qu’il a lui-même crée, La Liberta Avenza (LLA) L’homme, pourtant issu d’une famille catholique et qui a fréquenté un collège religieux, se passionne aussi pour le judaïsme et en particulier par ses aspects ésotériques. Il s’était choisi pour initiateur au Talmud un rabbin de Buenos Aires, qu’il a nommé depuis ambassadeur d'Argentine à Jérusalem. Cette passion tardive l’a amené à faire son premier déplacement en tant que président à Jérusalem, où les caméras de télévisions du monde entier l’ont montré en pleurs devant le Mur des lamentations. Il a aussi profité de sa première visite au Fonds Monétaire International pour se recueillir sur la tombe du Rabbi de Loubavitch, Menachem Mendel Schneerson, un juif orthodoxe charismatique de Brooklyn. Si ses discours portent largement la marque de ses long cours d’économie libérale, on y lit également l’empreinte des textes de l’Ancien Testament, et en particulier des allusions à la vie de Moïse, auquel il n’hésite pas à se comparer indirectement.Si ses discours portent largement la marque de ses long cours d’économie libérale, on y lit également l’empreinte des textes de l’Ancien Testament, et en particulier des allusions à la vie de Moïse, auquel il n’hésite pas à se comparer indirectement. Tout laisse à penser qu’il attribue son élection à une intervention divine, et pas au sens figuré. Les discours de Javier Milei évoquent souvent "la force du ciel" à propos des fidèles qui l’ont aidé à accéder au pouvoir et à propager ses idées en Argentine. Il est impossible de saisir ce qui se passe dans la politique argentine aujourd’hui sans prendre au sérieux le messianisme de Milei. Tel Moïse, le président de l’Argentine serait en ce bas-monde pour remplir une mission et apporter un message, non seulement à l'Argentine, mais au monde. À certains égards, Milei, véritable personnage shakespearien, rappelle assez Macbeth et ce n’est pas sans raison que les Argentins le surnomment "El Loco", le fou.Sa vision libertarienne de l’économie va avec un conservatisme social qui s’est fait jour surtout après son élection. Milei est en effet conscient que les Argentins, contrairement aux Brésiliens très réceptifs aux mouvements évangélistes, n’étaient intéressés ni par la guerre culturelle qu’il promeut ni par le grand retour du conservatisme moral. Néanmoins, lors du second tour des élections présidentielles en 2023, la majorité des Argentins ont préféré fermer les yeux sur toutes les excentricités et les positions extrêmes du candidat et voter pour lui avec l’espoir d’enrayer, enfin, l’inflation, alors que beaucoup avaient largement perdu toute confiance dans les politiciens traditionnels pour remettre l’économie sur pied. Il n’en reste pas moins que les idées très conservatrices de Javier Milei n’ont pas de base populaire, à la différence de ce qu’on observe dans les États-Unis de Donald Trump. Dès son arrivée au pouvoir, Javier Milei a pris possession de la Casa Rosada (le palais présidentiel) en s’entourant de quelques proches peu nombreux : tout d’abord sa sœur, Karina, placée au poste extrêmement influent de Secrétaire générale du gouvernement, laquelle Karina, qu’il appelle "le chef" (et non "la cheffe"), ne le quitte pas d’une semelle et se fait véritablement l’ombre de Milei tout en investissant largement le domaine politique. C’est à elle, qui s’est entièrement consacrée à la vie publique de son frère, qu’il doit le succès de l’organisation de sa campagne présidentielle malgré une expérience politique des plus limitée. Avant que Milei ne lance sa carrière publique, elle confectionnait et commercialisait des gâteaux, faisait de la sculpture et de la peinture, lisait le Tarot et s’intéressait à l’ésotérisme, ainsi que l’indique sa biographie, Karina, la Hermana, el Jefe, la Soberana. Dans l’entourage qui compte, on trouve aussi Santiago Caputo, jeune spécialiste du marketing politique issu d’une famille influente, qui a été très impliqué dans les différentes campagnes politiques de Milei. Il est particulièrement versé dans l’usage des réseaux sociaux qu’il a su utiliser d’une main de maître durant la campagne présidentielle. Aujourd’hui son plus proche conseiller, il est surnommé le "mage du Kremlin" (en référence au succès de librairie de Giuliano Da Empoli). Santiago Caputo agit dans l’ombre sur à peu près tous les dossiers délicats du Président, y compris les nominations dans les cabinets, le financement du parti, la relation avec les organismes de sécurité, ce qui n’a pas été sans générer un bon nombre de controverses. Celui qui n’est, officiellement, qu’un consultant parmi d’autres est en réalité crédité d’une influence bien supérieure à la plupart des ministres. Javier, Karina et Santiago forment ce que Milei appelle son "triangle de fer", au travers duquel doivent passer presque toutes les décisions. Ce trio excepté, tous les alliés, même les plus proches, peuvent être remerciés sans scrupule ni préavis à tout moment. En mai 2024, il a ainsi démis de ses fonctions la ministre des Affaires étrangères Diana Mondino et renvoyé son très fidèle chef de cabinet Nicolas Posse. Il ne parle plus à la vice-présidente Victoria Villaruel, et n’a de cesse de l’humilier, sans qu’on ne puisse identifier une cause à un tel ressentiment. Le politiste David Copello qualifie la méthode de gouvernement Milei de "polycratique et a-institutionnelle" avec une logique de "révolution de palais constante" pour évoquer le style colérique, brutal et égocentrique du président. En cela ses méthodes s’apparentent beaucoup à celles de Donald Trump. Chez Milei en effet, l’insulte, y compris la plus grossière, est une méthode de communication. Les injures pleuvent sans discontinuer sur ses ennemis comme sur ses alliés : les membres du Parlement sont tour à tour des rats, des corrompus, des dégénérés ou des malades. Les journalistes, qu’il considère presque tous comme des ennemis, ne sont pas mieux traités. Tout comme Trump, Milei est un très grand adepte du tweet, qui est le véhicule préféré de ses invectives. Il trouve sur le réseau social un groupe de plus en plus large d’influenceurs radicaux. Sondages après sondages, la très grande majorité des Argentins déclarent ne pas du tout approuver ce style de gouvernement mais l’insulte fait tellement partie du personnage qu’il semblerait ne pas pouvoir la contrôler.La politique argentine : entre refondation et continuité Quand Javier Milei a pris les manettes du pouvoir, en décembre 2023, il ne disposait pour le soutenir que d’un tout petit parti, créé moins de deux ans avant les élections présidentielles. D’abord simple parti régional (décembre 2022), il n’a été reconnu comme un parti national qu’en novembre 2024. Lorsque Milei est devenu président, le parti avait 24 députés sur 257, deux sénateurs sur 72, 23 députés provinciaux sur 1199 et aucun gouverneur de province : une force politiquement très marginale et sans expérience de gouvernement, qui prend place dans un système de partis qui, en Argentine, n’est guère structuré, à l’exception du parti radical (UCR), le plus vieux du pays (créé en 1891).La discipline de vote n’est pas la norme, les alliances se font et se défont au gré des enjeux et de la conjoncture. Le parti péroniste (officiellement nommé le "parti justicialiste", qui est aujourd’hui la principale force d’opposition) possède lui une organisation interne puissante à travers ses organisations de base, assez efficaces au niveau des communautés bien qu’aujourd’hui très affaiblies. Ce parti est également traversé par des tendances souvent totalement opposées. Ses détracteurs l’accusent d’ailleurs d'être un simple marchepied pour accéder au pouvoir. 17 différents groupements politiques sont représentés à la Chambre des représentants, dont certains ne comprennent pas plus de deux ou trois représentants. En cela l’Argentine rejoint une tendance globale d’affaiblissement et de fragmentation des partis traditionnels dans les vieilles démocraties.L’Argentine rejoint une tendance globale d’affaiblissement et de fragmentation des partis traditionnels dans les vieilles démocraties.La dure école du compromis politiqueÉtant donné la très faible représentation qui est celle de son parti, Javier Milei n’a donc d’autre choix, pour gouverner, que de faire appel à la caste politique tant honnie qu’il a traitée de tous les noms et accusée de tous les maux pendant sa campagne. Il a reçu, dès le début de son mandat, l’appui du PRO - Propuesta Republicana-, un parti de centre droit fondé par l’ancien Président Mauricio Macri en 2005, qui est le parti charnière d’une alliance politique Juntos Por el Cambio. La candidate du PRO aux élections présidentielles de 2023, Patricia Bullrich, arrivée troisième, s’est désistée en faveur de Milei. De cette première alliance, qui visait surtout à éviter l’arrivée au pouvoir de Massa, le ministre péroniste de l’Économie et des Finances du gouvernement précédent, est née une association plus durable : les membres du PRO constituent aujourd’hui le noyau dur de l’équipe gouvernementale qui occupe les postes les plus important du gouvernement, au ministère de la Sécurité (occupé par Patricia Bullrich), de l’Économie (occupé par Luis Caputo). L’essentiel des cadres plus techniques tel que les secrétaires d’État sont aussi recrutés dans cette mouvance et sont souvent des anciens du gouvernement de Mauricio Macri. Pourtant Milei, dès le début, s’est imposé comme le seul maître à bord. Fort de sa légitimité électorale, il considère que le parlement doit suivre quitte à se heurter à la réalité politique argentine. En février 2024, Milei a voulu mener ses réformes tambour battant et a présenté au parlement une loi fourre-tout contenant 664 articles et 180 pages pleines de mesures ayant trait, pêle-mêle, aux secteurs de l’économie, du social, de la culture et même portant sur l’organisation des élections. Le Parlement lui réserva un accueil glacial. Or, même avec l’appui du PRO, le gouvernement ne dispose pas de la majorité pour faire passer une telle loi et il dépend de l’appui de l’Union Civica Radical (UCR), le troisième groupe en nombre de représentants, dont les membres sont traditionnellement favorables à une approche assez étatiste. Milei doit aussi s’attirer les faveurs de la multitude de petits groupes politiques qui composent une nébuleuse centriste aux affiliations souvent purement régionales pour arriver à un vote majoritaire. On voit ainsi s’encalminer les négociations, fuser les insultes et se multiplier les manifestations, si bien que Milei intègre peu à peu que son obstination, même appuyée sur les "forces du ciel", ne suffira pas. Il se voit contraint de faire de la politique, c’est-à-dire de négocier avec "la caste" et de se rallier à un certain pragmatisme politique. Ce sont surtout les membres du PRO, qui possèdent l’expérience nécessaire, qui mènent les négociations. Un certain nombre des lois et des décrets, qui figuraient parmi les moins controversés de sa loi omnibus, ont été finalement approuvés, permettant au gouvernement de se mettre au travail. Le président laisse aussi une certaine marge de manœuvre aux ministres en qui il a confiance comme Patricia Bullrich, ministre de la Sécurité, l’équipe économique dirigée par Luis Caputo ou encore la ministre du Capital humain Sandra Pettovello. Il est rare qu’il négocie lui-même avec les politiciens.On voit ainsi s’encalminer les négociations, fuser les insultes et se multiplier les manifestations, si bien que Milei intègre peu à peu que son obstination, même appuyée sur les "forces du ciel", ne suffira pas.L’équipe de Milei conclut donc aujourd’hui bien davantage de "deals" avec les différents groupes politiques, notamment les centristes, qu’à ses débuts, si bien qu’à force de le voir se conformer aux méthodes de la "caste" pourtant si décriée, certains se demandent s’il n’a pas pris goût à leur façon de faire. Les négociations avec les tout puissants gouverneurs des provinces ont beau être rudes, elles permettent de trouver certains compromis essentiels à l’avancée des réformes. Ces négociations permettent aussi de poser une limite aux idées les plus extrêmes du président. Mais on ne peut comprendre la réussite de Milei au parlement sans prendre en compte la paralysie qui prévalait avant lui et l’impopularité de l’opposition kirchnerisme. Une opposition kirchneriste en pleine criseLe parti justicialiste (péroniste) est aujourd’hui le principal parti d’opposition mais son groupe au parlement, qui inclut quelques alliés d’autres partis, ne comprend que 98 députés, à peu près 38 % des sièges au congrès, qui sont loin de former une minorité de blocage. Ils sont plus nombreux au Sénat mais n’atteignent pas, là non plus, la majorité absolue. Le péronisme traverse donc des moments particulièrement difficiles. Depuis l’arrivée au pouvoir du couple Kirchner (2003-2015), le parti est aux mains d’une seule famille. Les Kirchners viennent d’une région de Patagonie, Santa Cruz, où ils jouissaient d’un contrôle quasi total sur la politique et où ils ont mené des affaires juteuses et peu scrupuleuses dans l’immobilier. Nestor Kirchner arrivé au pouvoir deux ans après la crise de 2001. Décédé en 2010, il a auparavant réussi à stabiliser l’économie mais surtout, à mener avec succès une des plus grandes restructurations de dette de l’histoire, ce qui l’a rendu extrêmement populaire. Avec la présidence de Cristina Kirchner, sa femme, le kirchnerisme a pris un fort tournant à gauche et est devenu tres populiste : l’inflation s’est accélérée et le jeu des faveurs politiques a joué à plein, rendant progressivement la dirigeante très impopulaire. Cristina Kirchner a connu de sérieux déboires judiciaires durant la période où son mari a été gouverneur de la province de Santa Cruz. Elle a été condamnée en 2022 à 6 ans de prison ferme et interdiction de charge publique pour des faits de corruption. Pour la première fois en Argentine, un vice-président en exercice était condamné pénalement. Cette condamnation est depuis en appel auprès de la Cour suprême et Cristina Kirchner est revenue en force sur la scène politique lorsqu’elle a été élue présidente du parti justicialiste en décembre 2024, bien qu’elle soit une figure très polarisante y compris au sein des péronistes. Beaucoup la soupçonnent de vouloir se présenter de nouveau à la présidence, ce que nombre de députés du parti ne voient pas d’un bon œil. Les députés viennent de voter une loi pour rendre toute personne condamnée par la justice inéligible, ce que le Sénat devra encore approuver. L’issue est incertaine. Les difficultés viendront probablement aussi des informations qui remontent régulièrement et documentent la gabegie qui prévalait sous le précédent gouvernement péroniste d’Alberto Fernandez, dont elle était la vice-P-présidente, et qui continue à ternir son image - lequel Alberto Fernandez, son ex allié politique, est lui-même poursuivi pour des violences sur sa femme. Sur un plan purement politique, Cristina Kirchner fait face à une rupture avec Axel Kicillof, un ancien professeur d’économie marxiste qui fut son ministre de l’Économie et qui est aujourd’hui gouverneur de la province de Buenos Aires, le poste le plus puissant d’Argentine si l’on excepte le gouvernement fédéral. La province de Buenos Aires comprend près de 40 % de la population argentine et génère une partie importante de ses revenus. Axel Kicillof y a été élu en tant que kirchneriste en 2019, réélu en 2023. D’abord fervent soutien de Cristina, il a peu à peu développé ses propres ambitions présidentielles et a tenté de se démarquer de la ligne de la présidente. Le divorce est aujourd’hui consommé, bien que la réputation de Kiciloff pâtisse aujourd’hui des nombreuses difficultés que connaît la province. Les péronistes, qui ont longtemps dominé la politique locale dans la province à travers un réseau de maires et de députés, sont si divisés que Kicillof n’est pas parvenu à faire voter le budget provincial en 2024. Il se trouve à présent attaqué sur le front de la sécurité. La violence et les homicides sont beaucoup plus bas en Argentine que dans le reste de l’Amérique Latine mais la région de Buenos Aires, où l’on trouve les quartiers les plus pauvres de la province, a toujours eu des taux plus élevés que le reste du pays. Ces derniers mois, une série d’homicides fortement médiatisés ont endeuillé la province, et le président a parlé de bains de sang. Or, pour des raisons politiques, Kicillof n’a pas accepté l’appui de Patricia Bullrich, la populaire ministre de la Sécurité de Milei, et les médias lui ont vivement reproché son manque de réactivité. Tous ces éléments nourrissent une crise politique profonde au sein du péronisme, qui va très probablement se refléter dans les résultats des prochaines élections.Milei : prophète international du conservatisme et grand pourfendeur du wokisme Mais ce qui va probablement jouer le plus contre Milei n’est pas ce qu’il fait à l’intérieur du pays mais ce qu’il dit à l’extérieur. Milei se montre hyper actif sur la scène internationale, et a effectué en un an plus de 17 voyages à l’étranger, dont la moitié aux États-Unis. Chacun de ces déplacements poursuit trois buts, et trois seulement : faire de l’Argentine une puissance occidentale ; attirer des investisseurs - surtout ceux qu’il admire, comme Elon Musk ou Mark Zuckerberg ; prêcher son agenda ultra-conservateur. C’est à cette dernière activité qu’il s’adonne la majorité du temps. Javie Milei est conscient que son agenda conservateur sur le plan social est peu populaire en Argentine, il fait donc de sa politique étrangère une vitrine de ses idées et se présente en prophète global de l’hyper libéralisme ultra conservateur.L’idée fixe de Javier Milei est de rallier le clan occidental. Le président nourrit en effet beaucoup de mépris pour le sud global, et il lorgne surtout du côté des États-Unis. Milei a entre autres exprimé son intérêt pour rejoindre l’OTAN, il veut établir un pacte de libre-échange avec les États-Unis même si cela implique un départ du Mercosur et cherche établir un partenariat militaire avec l’Occident - du moins si l’on assimile l’Occident à l’image qu’en véhiculent des dirigeants tels que Giorgia Melonie, Viktor Orbán, Benjamin Netanyahou et surtout Donald Trump.Mais ce qui va probablement jouer le plus contre Milei n’est pas ce qu’il fait à l’intérieur du pays mais ce qu’il dit à l’extérieur.Javier Milei entend être un acteur central de la révolution conservatrice qui est en train de se dérouler. Il n’a d’ailleurs pas peur de s’attaquer à des partenaires occidentaux traditionnellement cruciaux pour l’Argentine, tels que l’Espagne, à qui il donne des leçons de gestion d’économie et avec le Premier ministre de laquelle il n’hésite pas à engager des polémiques, au point que Madrid a rappelé son ambassadeur à Buenos Aires. Javier Milei invective constamment le ministère des Affaires étrangères et a exigé des diplomates argentins qu’ils se montrent totalement alignés sur ses positions conservatrices. Il les accuse d’ailleurs régulièrement d'être des traîtres à la patrie et il vient de décider d’une purge profonde du ministère sous la houlette du nouveau ministre Gerardo Wertheinet, qui a commencé par s’attaquer aux services d’action économiques qu’il a décapités de leur tête pensante. C’est néanmoins le troisième de ses buts qui lui est le plus dommageable sur la scène politique argentine : celui qui consiste à prêcher ses vues conservatrices, revêtir l’habit de pourfendeur général du wokisme et devenir le climato-sceptique en chef. Milei passe une large partie de son temps à l’étranger, où il se produit dans des conférences ou des rencontres organisées par des groupes de l’ultra-droite tels que la CPAC (Conservative Political Action Conférence). Il trouve dans ces conférences une audience qu’il n’a pas chez lui et y est reçu comme un véritable héros. Ses convictions, comme son ego, en sortent renforcés. En septembre 2024, à l’Assemblé générale des Nations-unies, il a attaqué directement le "Pacte pour l’Avenir" [déclaration destinée à promouvoir le droit international et la coopération multilatérale] adopté par l’Assemblée générale deux jours auparavant, et a invité les dirigeants du monde entier à le suivre dans l’établissement d’un nouvel "agenda de la liberté". En critiquant directement les objectifs environnementaux, il s’est présenté comme un des seuls climato-sceptiques de la salle. Mais c’est son discours de Davos qui, de loin, a été le plus mal vécu en Argentine. Lors de sa prise de parole de janvier 2025, Javier Milei a défendu les positions les plus conservatrices qu’il ait jamais exprimées jusqu’alors. En se focalisant sur "le virus mental de l’idéologie woke", qualifié de "la grande épidémie de notre temps", Milei a attaqué pèle-mêle les droits fondamentaux à l’éducation et au logement, la diversité, le féminisme, l’inclusion, l’environnement ou encore l’avortement - mais cet inventaire n’est pas exaustif. La remise en cause de l’attention portée aux fémicides, aux inégalités de genre et à l’homosexualité a tout particulièrement choqué les Argentins, émus de voir leur président ériger en règle commune des faits divers particulièrement turbides. Cette fois-ci, la stratégie habituelle de Milei - tourner ses discours politiques internes vers l’économie et la sécurité et réserver ses diatribes conservatrices et anti-woke à son audience internationale n’a pas fonctionné. Son discours a été abondamment critiqué, il n’y a pas jusqu’à la presse conservatrice ou les alliés politiques de Milei, comme le maire de Buenos Aires qui appartient au PRO, qui ne s’en soient pas offusqués. Une quasi-unanimité s’est réunie pour dire que Milei avait commis une grave erreur politique et une manifestation organisée à Buenos Aires par la société civile a attiré plusieurs centaines de milliers de participants. Ce fut l’occasion inespérée, pour Cristina Kirchner et Axel Kicillof, de participer à la réunion et de s’afficher en défenseurs de la liberté. Le rétropédalage de la Casa Rosada, qui a accusé les journalistes d’avoir mal interprété les propos présidentiels, n’est pas parvenu à réduire la fureur d’une partie de la population, en particulier chez les jeunes qui ont pourtant été l’électorat principal de Milei.La relation entre Milei et Trump est terriblement toxique et nuit fortement à la politique argentine. C’est euphorique que Milei a vu en l’élection de Donald Trump une confirmation que la révolution conservatrice et libertaire globale, qu’il appelle de ses vœux, était en route. L’élection de Trump a désinhibé Milei et semble avoir porté un coup fatal au peu de pragmatisme politique qu’il semblait avoir acquis durant sa première année au pouvoir. En se positionnant comme le plus proche allié de Trump, Milei compte avancer son agenda conservateur à l’intérieur comme à l’extérieur du pays et espère avec autant de force apparaître en figure de proue de cette révolution morale qu’être considéré comme le sauveur de l’économie argentine. L’élection de Trump a désinhibé Milei et semble avoir porté un coup fatal au peu de pragmatisme politique qu’il semblait avoir acquis durant sa première année au pouvoir.Il a ainsi déclaré considérer très sérieusement une sortie des accords de Paris sur le changement climatique et il a aussi pris la décision de sortir de l’OMS. Deux décisions qui risquent de lui nuire auprès des Européens et des institutions financières internationales mais aussi auprès de beaucoup d'investisseurs qui veillent à leur réputation auprès de leurs consommateurs.Face à Milei, le "je t’aime-moi non plus" des Argentins Les enquêtes d’opinion nationales (avant le discours de Davos et le Cryptogate) montrent une approbation élevée du président (56 %) mais une désapprobation très forte (71 %) de son style, en particulier de la manière dont il traite les journalistes et les politiciens. Certains commentateurs interprètent le comportement de Milei non comme un trait de caractère mais comme une stratégie destinée à semer le chaos pour prendre ses interlocuteurs à contre-pied et à créer une distraction permanente. Une stratégie qui présente des risques électoraux certains.L’échéance des élections législatives de 2025 et le "cryptogate"Toute l’attention des médias et des politiciens est désormais tournée vers l’échéance électorale du 26 octobre 2025, qui verra la moitié des députés nationaux et le tiers des sénateurs être renouvelés. La première année de Milei et ses premiers succès dans la maîtrise de l’inflation ont bouleversé la politique argentine et les différents partis tentent à présent de se reconfigurer en vue des élections. Une bataille électorale particulièrement sanglante est prévue dans la région de Buenos Aires où les péronistes sont fortement implantés, et dans la ville de Buenos Aires, bastion du PRO.Il est presque certain que La Libertad Avanza (LLA), le parti de Milei, va renforcer sa position au Congrès. Le parti est en train de s’organiser en vue d’une blitzkrieg. Karina Milei, la sœur du président, a été chargée de la préparation de cette élection et le parti à l’ambition de présenter des candidats solides et fidèles à tous les postes éligibles, ce qui exige un travail considérable compte-tenu de la jeunesse de ce parti. Karina s’est lancée dans une frénésie de déplacement sur le terrain à travers toute l'Argentine. La première de ses exigences, au moment d’investir les candidats, consiste dans leur loyauté à l’égard de Javier Milei : Karina s’écarte ainsi de la méthode argentine habituelle, qui consiste à chercher des alliances locales ou des arrangements régionaux. Son intention est nette : il s’agit d’établir un fonctionnement vertical où elle prendra toutes les décisions. Dans le plus pur style Milei, elle a déjà commencé à mettre en œuvre sa doctrine, renvoyant certains des fidèles de la première heure qui avaient eu le malheur de contester des décisions de président, ainsi du très fidèle, mais aussi jeune et charismatique, député Ramiro Marra. Ce genre d’épuration, qui n’hésite pas à mettre de côté des figures populaires, ne semble pas être la meilleure stratégie pour un parti qui se lance mais on ne sait pas s’il faut l’attribuer à l’inexpérience ou à une stratégie bien élaborée.Karina Milei a fait entendre qu’il n’y avait pas d’alliance politique possible, tandis que le président Milei laisse planer le doute. Le PRO, allié à La Libertad Avenza dans le gouvernement actuel, peine à freiner le phagocytage de son parti. Il a bien proposé à plusieurs reprises de discuter d’une alliance pour les élections à venir, mais Karina néglige ses avances. Certains des membres du PRO, qui jouent un rôle central dans le gouvernement - comme Patricia Bullrich, la très populaire ministre de la Sécurité, sont en train de passer à La Libertad Avanza. Karina Milei ne cache pas qu’elle choisit des candidats pour qu’ils se présentent contre les députés et sénateurs du PRO dans la région de Buenos Aires. Pourtant, si LLA refuse les alliances et rentre en lutte ouverte avec le PRO, les péronistes pourraient facilement gagner le grand Buenos Aires. Il semble que cette perspective ne dérange pas Milei, dont la stratégie à plus long terme consiste à éliminer ses alliés du centre d’abord, et à s’affronter aux péronistes plus tard.Le "cryptogate" a éclaté en plein milieu de ces préparatifs : ce vaste scandale politique est le plus grand qui ait frappé le président et son entourage proche. Le 14 février, Javier Milei a fait la promotion, sur son compte X, d’une nouvelle cryptomonnaie du nom de $LIBRA. La valeur de cette monnaie a considérablement augmenté en quelques minutes pour s’effondrer peu de temps après, avant que le Président ne retire son support sur X. Une poignée d’investisseurs ont ainsi gagné des centaines de millions de dollars tandis que près de 4 milliards de dollars sont partis en fumée. Des poursuites judiciaires ont immédiatement été engagées aux États-Unis, d’où la cryptomonnaie a été émise, et en Argentine. Le 15 février, la bourse de Buenos Aires a perdu 5 % de sa valeur avant de remonter. Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, le Président a dû admettre qu’il avait commis une erreur. Ses justifications maladroites, arguant que la crypto monnaie avait été mise en place pour aider les petites et moyennes entreprises argentines, n’ont pas convaincu. C’est en effet l’objectif qui avait été annoncé sur le site web de la compagnie à l’origine de l’opération, mais les créateurs de la crypto monnaie sont des spéculateurs américains qui opéraient sans aucun garde-fou à travers des réseaux parallèles. Ils auraient rencontré Javier Milei à deux reprises, et plus souvent encore sa sœur, avec qui ils auraient discuté d’un possible contrat pour le développement des cryptomonnaies et de l’intelligence artificielle en Argentine. Heureusement pour Milei, il semble que peu d’Argentins ont investi dans cette monnaie : les plus grandes pertes ont été subies par des Américains et des Chinois. La justice, qui s’est emparée de l’affaire, a commencé à révéler l’amateurisme des plus proches collaborateurs du président et a confirmé l’impulsivité de Milei. Pour le moment, l’image du président ne semble avoir été que relativement peu écornée dans les sondages mais de nouvelles révélations viendront dans les mois prochains. Ce scandale, juste après le discours de Davos, ne peut que renforcer le malaise autour des méthodes du président et de son style de gouvernement. Pour citer le quotidien argentin la Nation, l’ennemi le plus terrible de Milei est Milei lui-même.Une grande partie des Argentins se place au centre de l’échiquier politique. En Argentine comme ailleurs, dans beaucoup de pays démocratiques, le centre se trouve écrasé entre les extrêmes qui jouent le jeu de la polarisation, et, pour le moment, aucune figure politique mobilisatrice n'apparaît. Pour citer le quotidien argentin la Nation, l’ennemi le plus terrible de Milei est Milei lui-même.Les Argentins sont donc face au dilemme suivant : peuvent-ils soutenir les réformes économiques tout en s’opposant aux visions hyper-conservatrices et aux méthodes brutales du président Mileil ? Car Javier Milei ne compte pas abandonner une guerre culturelle, que son messianisme considère comme une mission sacrée qu’il ne lui appartient pas de refuser. Pris en étau entre la peur d’un retour à l’inflation et l’inquiétude suscitée par une vision du monde radicale, les Argentins feront-ils le choix de la confiance au parti de Milei lors des prochaines élections ? Copyright image : Marvin Recinos / AFP Javier Milei et sa sœur Karina à San Salvador le 1er juin 2024ImprimerPARTAGERcontenus associés 29/01/2025 L’Argentine de Javier Milei, un an après : le chantier de l'économie Alexandre Marc 07/01/2025 Venezuela : la crise qui ne finit pas Alexandre Marc