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07/02/2024

Sortir l’Argentine de la crise, un défi colossal

Sortir l’Argentine de la crise, un défi colossal
 Alexandre Marc
Auteur
Expert Associé - Amériques et développement

Le 24 janvier, des dizaines de milliers d’Argentins ont manifesté en protestant contre les réformes menées tambour battant par un président qui, élu à 55,6 % des voix, veut réformer en profondeur un État qu’il juge inefficace et liberticide. Privatisations, dévaluation du peso, délégation de pouvoir à l’exécutif au nom de l’urgence économique, l’arrivée de Javier Milei au pouvoir en Argentine représente un renversement profond pour le pays. Populiste, conservateur et provocateur, il est confronté, sous le contrôle des partis de centre droit et des indépendants, au défi considérable de sortir l’économie de la crise. Avec ses alliés, il pourrait aussi réformer un système corporatiste, lourd, inefficace et corrompu qui plombe l’économie et la société argentine depuis des décennies. Mais cette expérience n’est pas sans risques pour le pays.

L’Argentine se trouve soudain avec un président populiste ultra libéral à sa tête. Un ancien professeur d’économie qui se dit anarcho-capitaliste, dont la plupart des Argentins ont entendu parler pour la première fois il y a moins de deux ans, quand il est devenu député. Javier Milei a mené une guerre éclair contre la classe politique argentine et contre le système corporatiste mis en place par les Péronistes, mouvement politique populiste de gauche qui a dominé la vie politique argentine pendant des décennies. Anti-élite, anti-institution, sachant parfaitement bien manipuler les sentiments de frustration et de colère (la Bronca), Javier Milei est devenu célèbre à l'international pour être venu à une émission de télévision avec une tronçonneuse en proclamant qu’il allait l’utiliser pour couper les dépenses publiques. Il termine tous ses discours par son leitmotiv : "Vive la Liberté, bordel". Durant sa campagne, il a proposé la suppression de la Banque centrale, la dollarisation de l’économie, l’autorisation du port d'armes, la liberté du commerce d'organes. Il a remporté haut la main les élections présidentielles de 2023 avec 55,6 % des votes contre l’ancien ministre des Finances du parti Union Por la Patria (affilié au Péronisme), alors au pouvoir. Ce dernier a pendant plusieurs mois inondé le pays de pesos pour soutenir sa campagne, alimentant une inflation galopante.

Il termine tous ses discours par son leitmotiv : "Vive la Liberté, bordel". Durant sa campagne, il a proposé la suppression de la Banque centrale, la dollarisation de l’économie, l’autorisation du port d'armes, la liberté du commerce d'organes.

Sa victoire, rupture majeure dans la politique argentine, représente à la fois des opportunités de changements profonds et de très grands risques pour ce pays qui a un potentiel économique considérable mais qui traverse depuis des années des cycles de crises économiques et financières. Certaines, comme celle de 2001, où le président d’alors, Fernando de la Rúa, a dû s’échapper en hélicoptère du palais présidentiel alors que le système financier national s’effondrait, ont été dramatiques.

Éviter coûte que coûte le spectre d’une vénézualisation rapide du pays

Les gouvernements populistes se multiplient un peu partout dans le monde, du fait d’un rejet des institutions et d’une révolte contre les élites qui existent à un niveau global. Cependant, l’arrivée au pouvoir de chaque gouvernement populiste dépend d’abord du contexte national. On a beaucoup comparé Javier Milei à Donald Trump, à Jair Bolsonaro ou encore à Nayib Bukele. Tous les quatre ont une vision de la société très conservatrice. Cependant, ce qui a amené Milei au pouvoir en Argentine a relativement peu à voir avec les raisons qui ont permis à ces autres leaders d’arriver au pouvoir dans leurs pays respectifs.

En tout premier lieu, le conservatisme social exprimé par Javier Milei a une très petite audience en Argentine, pays extrêmement ouvert aux étrangers, qui a toujours été à la pointe des combats sur les droits des femmes et la reconnaissance des droits des minorités sexuelles en Amérique Latine. Les indicateurs de tolérance de l’OCDE placent l’Argentine dans le peloton de tête des pays les plus tolérants au monde. En 2020, le Parlement a largement approuvé l’interruption volontaire de grossesse. Le mariage homosexuel a été reconnu en 2010. Le Parlement est composé à plus de 40 % de femmes, mieux que beaucoup de pays européens. Les évangélistes, socialement très conservateurs et qui ont constitué un puissant soutien populaire pour Donald Trump et Jair Bolsonaro, n’ont que fort peu d’influence politique en Argentine. Même s’ils ont progressé récemment, atteignant 15 % de la population, ils ne représentent pas encore une force politique qui compte véritablement. Le message moralement conservateur de Milei n'est attirant que pour une petite minorité d’Argentins.

Javier Milei n’est pas non plus un nationaliste, bien au contraire. Ses idées vont à l’encontre des idées isolationnistes de Donald Trump. Il croit en la libre entreprise, au commerce ouvert, à la liberté des investissements et des échanges. Il est pro-globalisation. En ce sens, il est l’homme d’une autre époque. Sa pensée rappelle la période de la guerre froide. Un de ses chien s’appelle Milton Friedman, le monétariste de Chicago, dont bien peu se réclament aujourd’hui, surtout parmi les populistes. Il n’y a pas beaucoup d’Argentins passionnés par Milton Friedman et ils se sentent un peu perdus en écoutant les discours de leur président dont une grande partie comprend immanquablement un cours d’économie monétariste et libérale.

Il y a deux raisons essentielles pour lesquelles Javier Milei a gagné les élections : une situation économique désastreuse avec une inflation qui atteignait plus de 160 % par an au moment de l’élection présidentielle, et une fatigue profonde envers le système corporatiste du kirchnérisme, un courant du péronisme de gauche qui porte le nom du couple Kirchner.

Néstor Kirchner, au pouvoir de 2003 à 2007, et surtout son épouse, Cristina Kirchner, au pouvoir pour deux mandats de 2007 à 2015 et vice-présidente du dernier gouvernement péroniste de 2019 à 2023. L’inflation actuelle a commencé avec le gouvernement de Cristina Kirchner qui a mené un programme de nationalisation et d’expansion rapide de l’État financé par la création monétaire. L’inflation, qui frise aujourd’hui l’hyperinflation, est devenue un cauchemar pour les Argentins. Alimentée essentiellement par un important déficit budgétaire qui représente aujourd’hui 4,3 % du PIB, alors qu’en 2004 l’Argentine enregistrait un excédent budgétaire, elle a des effets dramatiques sur la population avec un taux de pauvreté qui a dépassé 40 % en 2023.

Il y a deux raisons essentielles pour lesquelles Javier Milei a gagné les élections : une situation économique désastreuse avec une inflation qui atteignait plus de 160 % par an

Pour essayer de contrôler l’inflation, le gouvernement précédent avait introduit des mesures complexes de contrôle des prix. Sergio Massa, l’ancien ministre de l’Économie, avait introduit un contrôle sur 1 400 prix. Le gouvernement avait aussi introduit des taux de change variables en fonction de l’usage des dollars. L’Argentine comptait en 2022 près de 12 taux de change différents : l’un, plus avantageux, pour les Argentins qui se rendaient au Qatar pour la Coupe du monde, un autre pour assister à un concert de rock à l’extérieur… Le gouvernement avait également introduit un contrôle strict des importations mettant en difficulté de nombreux entrepreneurs.

Pendant ce temps-là, les Argentins qui en avaient les moyens gardaient leurs économies en dollars sous le matelas, des montants astronomiques estimés à 30 % du PIB du pays. Il n’y a pas de crédit immobilier et les achats d’appartement se font en dollars et se payent littéralement par valises de billets verts. Le résultat est une érosion lente mais sûre du pouvoir d’achat, des tracasseries administratives constantes et un système qui favorise la corruption. Les Argentins voient une situation à la vénézuélienne s’installer. Pour beaucoup, Javier Milei est le seul candidat qui dise la vérité sur l’économie, la corruption du système et la nécessité d’un ajustement drastique. La population avait eu une mauvaise expérience avec le parti de centre droit durant la présidence de Mauricio Macri (2015 à 2019) : il avait tenté un ajustement progressif qui s’est révélé totalement inefficace. Mauricio Macri avait de plus contracté une dette colossale auprès du FMI sans réussir à changer les facteurs institutionnels qui gêneraient l’inflation. C’est une des raisons de la mauvaise performance de la candidate du centre droit Patricia Bullrich.

L’autre explication de la victoire de Milei est la lassitude d’une large partie de la population envers le corporatisme d’État du kirchnérisme, populisme de gauche et partie intégrante du parti justicialiste péroniste, profondément corrompu et qui domine la politique Argentine depuis 20 ans. Le kirchnérisme a mis en place un système de cooptation de mouvements sociaux influents comme le groupe des Mères de la Plaza de Mayo, à travers de généreuses subventions en les insérant dans le système de gouvernement péroniste. Sur le plan économique, c’est surtout Cristina Kirchner qui, après la mort de son mari, a mené une politique de subventions et d’expansion de l’État à travers la création monétaire. Le gouvernement avait renforcé la vieille pratique, courante en Argentine, d'acheter les faveurs des gouverneurs à travers des transferts économiques aux régions qui favorisaient les gouverneurs kirchnéristes. Finalement, son gouvernement offrait des postes dans l’administration liés à la fidélité politique plus qu’à la compétence. Le système favorisait un laisser-aller généralisé. S’était développée la pratique d’obtenir un emploi dans une administration publique mais de travailler, dans les faits, à son propre compte. Ces employés fictifs ne vont jamais au travail sauf les fins de mois pour s’assurer d’être payés. En Argentine, on les appelle les "ñoquis", du nom du plat d’origine italienne qui se mange traditionnellement à chaque fin de mois. Il y avait aussi énormément d’abus dans l’attribution de l’aide sociale.

Cristina Kirchner a aussi réaffirmé le contrôle de son mouvement sur les syndicats officiels qui, depuis le temps de Péron, jouissent d’un monopole sur la représentation ouvrière. En Argentine, l’État décide quel syndicat peut officiellement représenter quelle branche de l’économie et lui permet de contrôler des revenus considérables à travers la gestion du système de sécurité sociale et les revenus directs payés obligatoirement par les entreprises aux syndicats. Ce lien entre syndicats officiels et État crée des conflits d’intérêt évidents. L’Argentine est pleine d’histoires sur les syndicalistes passant leurs vacances dans leur propriété des grandes stations balnéaires. L’utilisation des syndicats comme une puissante machine politique pour s’assurer les votes durant les élections ou pour bloquer les initiatives du gouvernement lorsqu’ils sont dans l’opposition rencontre une résistance de plus en plus grande de la part des travailleurs.
Le démantèlement de ce système corporatiste est un des aspects prioritaires du programme de campagne de Javier Milei et de ses premières mesures pour réintroduire une discipline fiscale.

Javier Milei contraint de négocier pour faire face à la réalité politique argentine

Javier Milei est arrivé au pouvoir avec un programme extrêmement ambitieux mais son parti libertarien "La Libertad Avanza" reste tout petit avec 7 sénateurs sur 72 et 38 députés sur 257. Son équipe de conseillers de campagne est également très limitée, dirigée par sa sœur, et sans connaissance de l’administration argentine. Pour gagner, il a dû faire alliance au second tour des élections présidentielles avec le parti de centre droit de l’ancien président Mauricio Macri dont il avait battu la candidate Patricia Bullrich au premier tour de l’élection.

Javier Milei est arrivé au pouvoir avec un programme extrêmement ambitieux mais son parti libertarien "La Libertad Avanza" reste tout petit

Il a également largement puisé dans les politiciens de centre droit de la période Macri pour monter son équipe. Les deux principaux ministres du gouvernement sont Patricia Bullrich, chargée du ministère de la Sécurité, poste qu’elle avait déjà occupé sous Macri, et Luis Caputo, ministre de l’Économie et ancien directeur de la Banque centrale.

Javier Milei a donc dès le début dû composer avec la caste pourtant tant honnie pendant sa campagne. Cette alliance lui a aussi permis de renforcer son soutien par les classes moyennes effrayées par son populisme mais ne pouvant accepter la continuité des péronistes au pouvoir. Cela l’a aussi obligé à reléguer au second rang ses propositions de campagne les plus controversées comme la suppression de la Banque centrale, la dollarisation du pays et même la privatisation de YPF, la grande compagnie pétrolière argentine, et bien entendu la plupart de son programme socialement conservateur.

Le gouvernement a mis en place à peine quelques jours après son accession au pouvoir un plan d’urgence extrêmement ambitieux et qui s’apparente à une thérapie de choc : dévaluation du pesos officiel de 50 %, non renouvellement des contrats d’emploi de moins d’un an, suspension de la publicité publique, réduction du nombre de ministères de 18 à 9, réduction des transferts aux régions à un niveau minimal, fin du contrôle des prix et du contrôle sur les importations et suspension de tous les travaux publics nationaux, réduction rapide des subventions aux transports publics et à l’énergie, mais également maintien des plans sociaux à leurs niveaux de 2023, et augmentation de 50 % de l’aide alimentaire. Grâce à ces mesures, Luis Caputo a pu renégocier le programme du FMI et ainsi éviter une cessation des paiements sur la dette extérieure. D’après Hector Torres, l’ancien directeur exécutif pour l’Argentine au FMI, les mesures mises en place par le ministre vont d’ailleurs bien au-delà de ce que le FMI demandait à l’Argentine.

À côté de cela, un décret d’urgence a été envoyé au Parlement, comprenant 300 mesures qui s’appliquent immédiatement et ne peuvent être interrompues que par un vote au Parlement à la majorité. Enfin, le Président a également lancé un projet de lois omnibus qui prévoit le changement de nombreuses lois et qui contient plus 600 articles. Ce dernier programme a été largement critiqué comme un ambitieux fourre-tout qui instaure de profondes réformes des institutions, sans mener les consultations et la réflexion collective pourtant requises : le changement du code électoral ou certains changements dans le code civil, par exemple, ne peuvent pourtant pas s’envisager à la va-vite. Le Parlement a été convoqué en session extraordinaire pendant toute la période des vacances d’été. Du jamais vu en Argentine. À travers tout cela, Javier Milei s’attaque à un certain nombre de vaches sacrées argentines comme le monopole des syndicats officiels dans la gestion de la sécurité sociale. Milei cherche à faire avancer l’agenda des réformes très rapidement, conscient que la lune de miel avec ses électeurs va être de courte durée, mais il apparaît en même temps comme un fonceur peu intéressé par la concertation qui ne prend pas toujours la mesure de l’impact des réformes qu’il propose. Le Parlement a amputé la loi omnibus de nombreuses de ses composantes, à tel point que la presse l’a qualifiée, après son passage au Congrès, de loi "minibus". Cela oblige le gouvernement à changer son fusil d'épaule en réduisant notamment ses ambitions sur la réforme fiscale.

Les grands risques du programme de Javier Milei

L’appui populaire à Milei est conditionné par un seul résultat : la baisse rapide de l’inflation. Cela demande de réduire le déficit budgétaire, qui en est la cause principale, très rapidement. Cependant, la suppression des subventions essentielles pour réduire le déficit crée sur le court terme un accroissement très important des prix.

Le problème principal réside dans le fait que l’inflation est largement structurelle. Les salaires, tout comme énormément de services, sont indexés sur elle. Il faut aussi compter avec les anticipations inflationnistes de la population, habituée depuis plus de 10 ans à vivre avec des taux élevés.

L’appui populaire à Milei est conditionné par un seul résultat : la baisse rapide de l’inflation.

Le délai de grâce pour le gouvernement est extrêmement court. Les plus pauvres sont protégés par le programme du gouvernement mais il n’y a pas de filet de sécurité en place pour les classes moyennes basses qui vont énormément souffrir. Heureusement, il semble que cette année la production agricole sera bonne et que les cours des matières premières, parmi lesquelles le lithium, dont la place est de plus en plus grande dans l’économie de l’Argentine, seront relativement élevés. Cela offrira ainsi une bouffée d’oxygène au pays et permettra d’éviter une récession. Javier Milei possède un avantage, il ne doit rien à personne et possède un fanatisme et une conviction dans ses idées qui vont lui permettre de pousser un programme que beaucoup de politiciens traditionnels n’oseraient jamais mettre en place. Il faut un degré important d’inconscience pour mener une thérapie de choc de cette nature dans un pays connu pour la virulence de son opposition populaire aux changements. À ce stade, c’est la seule chance pour que l’Argentine évite l’hyperinflation et tombe dans un scénario à la vénézuélienne. Cela ne sera pas facile car les institutions sont relativement solides en Argentine et que le Parlement est déjà en train de freiner ses ambitions.

Le succès du programme dépend cependant du soutien du centre droit et des groupes indépendants tels que les radicaux. Le parlement argentin est extrêmement fragmenté et il y a peu de discipline de vote à l’intérieur des différents mouvements politiques. Engager le parlement prend du temps et beaucoup de patience. Javier Milei n’est pas naturellement enclin à la négociation politique. Il voit les accords entre ce qu’il appelle les membres de la caste comme une des grandes raisons des problèmes de l’Argentine. Il avait indiqué dans les premiers jours de sa présidence qu’il ne négocierait jamais son programme. Depuis, il a mis de l’eau dans son vin, poussé en ce sens par sa vice-présidente Victoria Villarruel, pourtant très à droite, et ses principaux ministres du centre droit. Conscient que le programme de Javier Milei ne bénéficie que d’une très courte marge de soutien au Parlement, son gouvernement cherche à s’assurer que les mesures les plus essentielles au programme économique soient maintenues. Sa propension à traiter avec mépris voire à insulter les gens avec qui il n’est pas d’accord risque d’être très contre-productive dans ces négociations. Alors que les députés passent leurs vacances d’été à revoir les textes présentés par le gouvernement, il s’en est pris à plusieurs de ses potentiels alliés en les accusant de chercher des pots de vin pour faire passer la législation. Cela est très mal passé. La répétition de sa vision idyllique et naïve du libéralisme économique et son fanatisme pro-marché risquent à terme de fatiguer ceux qui le soutiennent en Argentine mais également à l'étranger. Dans son discours à Davos, il a mis dans le même sac socio-démocrates, chrétiens démocrates, nazis et communistes, les accusant de se servir de l’État pour appauvrir le monde. Beaucoup n’ont pas apprécié.

La répétition de sa vision idyllique et naïve du libéralisme économique et son fanatisme pro-marché risquent à terme de fatiguer ceux qui le soutiennent en Argentine mais également à l'étranger.

Pendant ce temps-là, l’opposition, surtout constituée par des ex-kirchnéristes, se réorganise. Elle garde encore un contrôle important sur les grands syndicats officiels tels que la CGT et un certain nombre de mouvements sociaux influents. Ils possèdent également un nombre minoritaire mais non négligeable de députés et sénateurs et une forte capacité de blocage législatif. Un certain nombre de gouverneurs leur sont acquis, comme Axel Kicillof, ancien ministre d’extrême gauche de Cristina Kirchner et gouverneur de la province de Buenos Aires, région qui compte énormément car elle comprend près de 40 % de la population du pays.

Cette opposition jouit d’importants relais au niveau local liés au mouvement corporatiste du parti péroniste qui vont sans aucun doute essayer de paralyser le pays pendant la mise en place des réformes. Réussiront-ils à créer suffisamment de chaos pour faire dérailler la mise en place du programme d’ajustement ? Difficile de répondre. Le gouvernement a essayé de s’attaquer directement à leur réseau, notamment en appelant à la dénonciation des syndicalistes qui exercent des pressions sur ceux qui ne veulent pas participer aux grèves en les menaçant par exemple de couper les avantages sociaux de ceux qui refusent de manifester.

Le gouvernement a aussi interdit, sous peine de prison, le blocage des grands axes routiers, que l’on appelle en Argentine les "piquetes" et qui font partie du quotidien de la population. Il a également menacé de retirer l’aide sociale à ceux qui couperaient des routes. Cela fait partie d’un protocole "anti-piquetes" mis en place par le ministère de la Sécurité. Le journal La Nation a calculé que plus de 50000 blocages avaient ainsi été organisés depuis 20 ans en Argentine. Ceux-ci sont devenus très impopulaires auprès des classes moyennes. Selon un sondage récent, 54 % des Argentins seraient favorables à ce qu’on mette fin aux blocages en les rendant illégaux. Mais ces actions de la part du gouvernement sont risquées : elles peuvent vite mener à des confrontations brutales susceptibles de lui mettre à dos une opinion publique largement opposée à la violence. Le 24 février, la première grève générale lancée par la CGT et certains groupes politiques de gauche accompagnés d’une mobilisation devant le parlement s’est déroulée dans le calme. Pour une fois, les grands axes routiers n’ont pas été bloqués et il n’y a pas eu d’accrochage avec la police. Les protagonistes cherchent à éviter l’escalade, ce qui incite à un certain optimisme.

Les prochaines semaines seront l’occasion de mettre à l’épreuve la capacité du président à instaurer des mesures aptes à juguler l’inflation et mettre fin au corporatisme tout en limitant la violence. La classe moyenne argentine, une des plus larges d’Amérique Latine, aspire plus que jamais à habiter "un pays normal", comme les gens aiment à le répéter dans les conversations dans les cafés de Buenos Aires.

Copyright image : Luis ROBAYO / AFP

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