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06/05/2025
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"L’Allemagne est de retour" : nouvelle coalition et nouveaux objectifs

 Alexandre Robinet-Borgomano
Auteur
Expert Associé - Allemagne

Bien que, fait inédit dans l'histoire allemande, Friedrich Merz ne soit pas parvenu à se faire élire chancelier le 6 mai dès le premier tour, il était parvenu à rassembler son parti, la CDU, avec les chrétiens-démocrates de la CSU et les sociaux-démocrates du SPD. Quelles sont les lignes de force sur lesquelles se sont réunies les forces politiques du nouveau gouvernement ? Quelle est la vision qui se dessine pour l'Allemagne, marquée par les menaces intérieures et extérieures ? Réforme du frein à la dette, sécurité et défense, dépenses publiques et immigration, agenda économique et industriel, place de l'Union européenne et de la relation transatlantique : Alexandre Robinet-Borgomano analyse le contrat de coalition autour duquel doit s'articuler le retour en force de l'Allemagne sur la scène européenne.

"Mon message pour Donald Trump est clair : l’Allemagne est de retour ; l’Allemagne va remplir ses engagements en matière de Défense, et renforcer sa compétitivité."
Cette déclaration martiale de Friedrich Merz à l’occasion de la présentation du contrat de coalition, la feuille de route du nouveau Gouvernement allemand, résume à elle seule les nouvelles ambitions de l’Allemagne : après trois années d’instabilité politique, de ralentissement économique et d’hésitations internationales, l’Allemagne est de retour.

Pourtant, la difficulté inattendue de Friedrich Merz à se faire élire comme 10e Chancelier d’Allemagne le 6 mai 2025 apparaît comme l’ultime rebondissement d’un feuilleton politique initié en novembre dernier, avec l’éclatement de la coalition au pouvoir et la convocation d’élections anticipées, remportées par les Chrétiens démocrates en février 2025 avec 28,5 % des voix. Pour former un nouveau Gouvernement, l’Union chrétienne démocrate(CDU) et son alliée bavaroise, la CSU, avaient choisi choisi de former une "grande coalition" avec le Parti social-démocrate (SPD), parvenu malgré une débâcle historique à rassembler 16,4 % des suffrages exprimés.

En moins de deux mois, les trois partis du centre avaient réussi à s’accorder sur la répartition des postes ministériels et sur un programme de gouvernement, intitulé sobrement "Responsabilité pour l’Allemagne".

La rapidité avec laquelle cet accord a été conclu tient au caractère classique de ce type d’alliance, expérimentée à plusieurs reprises sous l’ère Merkel et actuellement représentée au niveau de plusieurs Länder, à Berlin, en Saxe et dans la Hesse notamment. Mais la rapidité de ces négociations tient également au contexte particulier dans lequel elles s’inscrivent. Sur le plan intérieur, la poussée inédite de l’extrême droite, arrivée en deuxième position aux élections fédérales et désormais en tête dans certains sondages, force les principaux partis du centre à s’unir pour apporter des réponses rapides et concrètes aux inquiétudes de la population. Sur le plan international, la guerre commerciale déclarée par Donald Trump à ses alliés, alors même que les États-Unis représentent depuis l’an dernier le premier partenaire commercial de l’Allemagne et sa principale garantie de sécurité, impose aux partis politiques de dépasser leurs différends pour se montrer à la hauteur des enjeux du moment.

Comme l’affirme le préambule du contrat de coalition : "L’Allemagne fait face à des défis historiques. La politique des années à venir va décider de manière déterminante si nous vivrons à l’avenir dans une Allemagne libre, sûre, juste et prospère. Nous connaissons cette responsabilité et orientons notre action et notre politique en conséquence."

Une naissance dans la douleur

Le chercheur allemand à la Deutsche Gesellschaft fut Aussenpolitik (DGAP) Jacob Ross à parfaitement analysé, dans son article "The Risk of Merz’s Debt Gamble", le décalage entre l’enthousiasme suscité en Europe par l’élection de Friedrich Merz, et les doutes exprimés en Allemagne par le retour au pouvoir de la Grande coalition, qui se sont notamment traduits par l’échec au premier tour de Friedrich Merz.

Héritier d’une traduction politique conservatrice, profondément attaché à l’Europe, excellent connaisseur de la relation transatlantique mais convaincu de la nécessité pour l’Allemagne et l’Europe de prendre en main son destin, libéral sur le plan économique, disposant d’une véritable vision stratégique, Friedrich Merz incarne en Europe l’espoir d’un nouveau leadership allemand.

Friedrich Merz incarne en Europe l’espoir d’un nouveau leadership allemand.

C’est peu dire que cet enthousiasme ne se reflète pas au niveau allemand. Depuis les dernières élections, le parti du Chancelier a perdu 4,5 points dans les sondages au profit du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) qui talonne désormais les conservateurs et menace de devenir le premier parti du pays.

Au sein de la CDU, de nombreuses voix se sont élevées après la réforme du frein à l’endettement arrachée par Friedrich Merz avec le soutien des Verts et des Sociaux-démocrates du SPD, dénonçant des concessions excessives qui leur ont été accordées. Si les militants du SPD ont largement approuvé l’accord de coalition, ils regrettent un tournant de la politique migratoire particulièrement radical, et l’absence de mesures emblématiques de la sociale démocratie au sein du nouveau programme du Gouvernement.

Une étude de la Fondation Bertelsmann intitulée "Échouer brillamment", publiée le 3 mai 2025, doute de la capacité du nouveau Gouvernement à tirer les leçons de ses prédécesseurs et dénonce le manque d’ambition et de vision du nouveau contrat de coalition. Comme le résume l’économiste Marcel Fratzscher, Président du DIW Berlin "le contrat de coalition représente un compromis qui permet de maintenir le statu quo mais laisse de côté les grands enjeux du futur."

Alors que le résultat des dernières élections apparaissait clairement comme l’expression d’une volonté de changement, la proposition du Centre de prolonger l’approche pragmatique et centriste de l’ère Merkel n’a pas su convaincre la majorité des députés au Parlement.

Cet accord de coalition a également provoqué une importante polémique liée à l’avenir de la liberté d’expression en Allemagne, lorsque le très populaire Bild Zeitung a choisi de titrer : "Le contrat de coalition prévoit d’interdire le mensonge".

Alors que le vice-président américain J.D. Vance avait provoqué un tollé à la dernière conférence de Munich pour la Sécurité (14-16 février) en dénonçant le risque que ferait peser sur les démocraties européennes les limites apportées à la liberté d’expression, une disposition du contrat de coalition visant à protéger la démocratie en luttant contre la diffusion délibérée de fausses affirmations a relancé ce débat. Affirmant que "la diffusion délibérée de fausses informations ne relève pas de la liberté d’expression", le contrat de coalition prévoit ainsi la création d’une autorité de régulation des médias indépendante de l’État, qui, tout en respectant la liberté d’expression, doit pouvoir agir contre la manipulation de l’information ainsi que contre la haine et l’incitation à la violence en ligne.

Cette disposition est emblématique de la prise de conscience par l’Allemagne des menaces intérieures et extérieures qui pèsent aujourd’hui sur sa démocratie : plus qu’une projection vers un avenir par définition incertain, le contrat de coalition doit être vu comme un miroir reflétant les principales préoccupations d’une époque.

Compétitivité et sécurité : les nouvelles priorités allemandes

"Mettre nos idées dans la bonne direction pour les années à venir demande aussi d’avoir les idées claires sur notre situation : à l’extérieur, les adversaires de notre démocratie libérale attaquent notre liberté, les pouvoirs autoritaires se renforcent, et la guerre d’agression russe contre l’Ukraine menace aussi notre sécurité.  Mais dans notre pays aussi, la démocratie est quotidiennement attaquée par ses opposants. À l’intérieur, notre économie fait face à la persistance d’une croissance atone." Le préambule du contrat de coalition définit bien les deux principales préoccupations de l’Allemagne en ce début d’année 2025 :  faire redémarrer l’économie d’une part et donner à l’Allemagne les moyens de garantir sa sécurité d’autre part. 

Les deux principales préoccupations de l’Allemagne en ce début d’année 2025 :  faire redémarrer l’économie d’une part et donner à l’Allemagne les moyens de garantir sa sécurité d’autre part. 

Avec un PIB de 4185,6 milliards d'euros en 2023, une balance commerciale largement excédentaire et un niveau d'endettement inférieur à la moyenne européenne, l’Allemagne dispose d'une puissance économique sans égale sur le continent malgré des chiffres de croissance atones ces dernières années. 

Libérer la croissance en investissant massivement dans les infrastructures et en réduisant les charges qui pèsent sur les entreprises apparaît comme ainsi comme la principale priorité du nouveau gouvernement. Une priorité incarnée dans un ensemble de mesures, comme la création d’un "fonds allemand", soit la création d’un fonds de fonds permettant de combiner la puissance des marchés financiers privés avec l’approche stratégique à long terme de l’État investisseur. Au total, le gouvernement prévoit de fournir au moins dix milliards d’euros de fonds propres pour porter, avec l’aide de capitaux privés et de garanties, les ressources du fonds à au moins 100 milliards d’euros.

Pour stimuler la croissance, le nouveau gouvernement prévoit par ailleurs une réduction de l’impôt sur les sociétés, sous la forme d’un amortissement dégressif de 30 % sur les investissements en équipement pendant trois ans et la réduction de l’impôt sur les sociétés d’un point de pourcentage par an à partir du 1er janvier 2028. Le contrat de coalition prévoit par ailleurs la mise en place d’incitations fiscales pour les heures supplémentaires, immédiatement exonérées d’impôt. Une mesure symbolique manifeste enfin la volonté du gouvernement de dégager les entreprises de la pression réglementaire qui pèse sur elles : l’abrogation de la loi sur les obligations de vigilance de la chaîne d’approvisionnement (LkSG).

De façon générale, les dispositions contenues dans le contrat de coalition pour soutenir l’économie ont été accueillies de façon plutôt positive par les milieux économiques allemands. Le Professeur Clemens Fuest, qui dirige l’institut IFO de Munich, évoque ainsi un "bon compromis", malgré l’absence d’ambition de réforme du dispositif des retraites et quelques cadeaux fiscaux inutiles, pour les restaurants et le diesel agricole notamment. Le conseil économique de la CDU, un organisme représentatif de l’ensemble des entreprises allemandes, a quant à lui publié une analyse relativement positive du contrat de coalition, affirmant que celui-ci comportait "quelques zones d’ombre et beaucoup de lumière", regrettant néanmoins le projet d’élever à 15 euros le salaire minimum et l’absence de volonté de réforme de la Deutsche Bahn (réseau ferré allemand).

Si le rétablissement de la compétitivité allemande représente la priorité de l’Allemagne, la volonté de donner au pays les moyens d’assurer lui-même sa défense s’impose comme le deuxième élément clef de l’accord. "Pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, l’Allemagne et l’Europe doivent être en état de garantir elles-mêmes leur sécurité. Nous allons créer toutes les conditions propices pour que la Bundeswehr [armée]puisse remplir sans limite sa mission de défense du pays et de l’alliance atlantique. Notre but est que la Bundeswehr apporte une contribution centrale à la capacité de dissuasion et de défense de l’OTAN et qu’elle devienne un modèle dans le cercle de nos alliés." L’accord de coalition entend ainsi prolonger le Zeitenwende (Changement d’époque) théorisé par le Chancelier Olaf Scholz au lendemain de l’agression russe en Ukraine et qui s’était traduit par un effort d’investissement massif dans le renforcement des capacités de Défense de l’Allemagne.

Pour traduire cette ambition dans les faits, le nouveau gouvernement bénéficie de la réforme du frein à l’endettement approuvée en mars 2025 et qui prévoit que les dépenses de défense et de sécurité ne seront plus soumises au frein à l’endettement au-delà de 1 % du produit intérieur brut (PIB). Au-delà de cette nouvelle marge de manœuvre budgétaire, trois mesures importantes doivent permettre à l’Allemagne de retrouver son rôle de puissance militaire : la création d’un conseil de sécurité nationale au sein de la chancellerie fédérale ; la création d’un nouveau service militaire attractif, reposant d’abord sur le volontariat et inspiré du modèle suédois ; et enfin une nouvelle doctrine en matière d’exportations d’armements. Alors que le dernier contrat de coalition signé par les Verts, les libéraux et les sociaux-démocrates quelques mois avant le déclenchement de la guerre en Ukraine prévoyait encore "une grande offensive européenne en faveur du désarmement et du renforcement du contrôle des exportations d’armes", l’Allemagne de Friedrich Merz assume désormais  d’orienter ses exportations d’armement en fonction de ses intérêts stratégiques et économiques, afin de rassurer les industriels de défenses et ses partenaires européens.

Les dispositions contenues dans le contrat de coalition pour soutenir l’économie ont été accueillies de façon plutôt positive par les milieux économiques allemands.

Le choix de reconduire Boris Pistorius, la personnalité la plus populaire d’Allemagne, au poste de ministre de la Défense, confirme la volonté d’intégrer ce tournant sécuritaire dans la continuité du changement d’époque initié par Olaf Scholz.

Un programme résolument conservateur

"Responsabilité pour l’Allemagne". Le titre du nouveau contrat de coalition renvoie directement à la volonté de l’Allemagne de renforcer sa capacité de défense pour devenir une véritable puissance militaire guidée par un Chancelier conservateur conscient de la nécessité de renforcer la culture stratégique de son pays.

Tout au long des années Merkel, le dogme de la discipline budgétaire avait représenté un marqueur identitaire pour la droite allemande. Durant la campagne électorale, Friedrich Merz avait certes insisté sur la nécessité de renforcer la capacité d’investissement de l’Allemagne, en particulier dans les infrastructures et la Défense, mais il n’avait jamais proposé de revenir sur le frein à l’endettement, un mécanisme inscrit dans la loi fondamentale depuis 2009, visant à limiter la capacité d’endettement de l’État fédéral et des Länder.

Pour ne pas déstabiliser sa base électorale ni donner un argument au parti libéral, Friedrich Merz s’est présenté jusqu’à l’élection comme le gardien de l’orthodoxie budgétaire. En choisissant de faire passer en force la réforme du frein à l’endettement au lendemain des élections fédérales, grâce aux voix des Verts et du SPD, Friedrich Merz a gagné une indispensable marge de manœuvre budgétaire mais il a perdu, vis-à-vis de son électorat conservateur, une part de crédibilité. C’est à l’aune de ces éléments qu’il faut analyser les accents résolument conservateurs inscrits dans le contrat de coalition.

Le plus évident a trait au tournant assumé par la CDU et le SPD dans leur rapport à la politique migratoire, marqué par un net durcissement des règles d’admission. "Nous procéderons, en concertation avec nos voisins européens, à des refus d’entrée aux frontières communes, même en cas de demande d’asile", indique ainsi le contrat de coalition. La naturalisation accélérée au bout de trois ans pour les immigrés bien intégrés sera supprimée. Les réfugiés bénéficiant d’un statut de protection restreint ne pourront plus faire venir leur famille. Les dispositions contenues dans le projet de loi pour la limitation des flux (Zustrombegrenzungsgesetz), déposé par la CDU en début d’année avec le soutien de l’extrême droite, se trouvent ainsi pleinement intégrées dans le nouveau contrat de coalition. Il reviendra à Alexander Dobrindt, chef de file de la CSU bavaroise, incarnation de l’aile le plus conservatrice de l’Union, d’incarner ce tournant migratoire.

Le deuxième élément caractéristique du conservatisme allemand qui ressort du contrat de coalition est lié à l’impératif de consolidation budgétaire. La réforme du frein à l’endettement destiné à permettre des investissements massifs dans la Défense, les infrastructures et la transition climatique, ne saurait en effet apparaître comme une forme de laxisme vis-à-vis de l’équilibre des finances publiques.

Au cours de cette législature, le nouveau gouvernement s’engage ainsi à réduire toutes les dépenses courantes de toutes les administrations avec pour objectif une baisse de dix pour cent d’ici 2029 ; à réduire de huit pour cent les postes dans l’administration fédérale ; à réduire les dépenses pour les conseillers externes dans toutes les administrations ; à économiser un milliard d’euros au total sur les subventions dans l’ensemble du budget fédéral ; ou à réduire  les contributions volontaires aux organisations internationales et l’aide au développement… C’est à Lars Klingbeil, président du SPD et incarnation de l’aile droite du parti, désormais ministre des Finances et vice Chancelier, vu comme l’homme fort du nouveau gouvernement, qu’il reviendra de mettre en œuvre cette politique de réduction des coûts.

Loin d’entamer une révolution des finances publiques allemandes à travers sa réforme du frein à l’endettement, la nouvelle coalition entend prolonger la distinction indispensable entre dépenses et investissements.

Une nouvelle approche stratégique

Le pragmatisme traditionnel de la CDU, qui s’incarne dans le contrat de coalitions à travers des formulations parfois déconcertantes telles que "Nous ne ferons pas les lois, ordonnances et réglementations qui ne doivent pas être faites" ou "Toutes les mesures de l’accord de coalition sont annoncées sous réserve de leur capacité de financement par l’État fédéral", n’empêche pas le nouveau gouvernement de manifester une vision stratégique relativement nouvelle.

La conversion de l’Allemagne au concept de politique industrielle apparaît ainsi à travers différents passages de l’accord, comme lorsque le nouveau gouvernement entend soutenir la conversion des usines automobiles et sidérurgiques pour répondre aux besoins de l’industrie de Défense.

La conversion de l’Allemagne au concept de politique industrielle apparaît ainsi à travers différents passages de l’accord, comme lorsque le nouveau gouvernement entend soutenir la conversion des usines automobiles et sidérurgiques pour répondre aux besoins de l’industrie de Défense ; lorsqu’il souhaite empêcher efficacement les investissements étrangers qui vont à l’encontre des intérêts nationaux, ou lorsqu’il prétend développer stratégiquement le programme de participation de l’État fédéral, en particulier dans le domaines de la Défense et de l’énergie.

Cette nouvelle approche stratégique se retrouve par ailleurs dans la volonté assumée par le gouvernement de renforcer l’industrie spatiale allemande et européenne, en mettant en place une infrastructure satellitaire résiliente et en créant des capacités souveraines pour le lancement de satellites dans l’espace. Cette concentration sur la politique spatiale devrait particulièrement profiter à la Bavière, dans la mesure où Dorothée Bar (CSU) hérite d’un grand ministère de la recherche de la technologie et du spatial.

Enfin, le contrat de coalition confirme l’évolution de la position allemande vis-à-vis de la Chine autrefois considéré comme partenaire, concurrent stratégique et rival systémique. Le nouveau gouvernement reconnaît que les éléments de rivalité systémique sont désormais dominants et confirme vouloir réduire les dépendances unilatérales et poursuivre une politique du de-risking en définissant une politique chinoise cohérente et étroitement coordonnée avec nos partenaires au sein de l’UE.

L’Europe en arrière-plan

"L’Union Européenne est la garante de la liberté, de la paix, de la sécurité et de la prospérité. Plus que jamais, l’UE a besoin d’une Allemagne forte, qui s’engage avec une conviction, des idées et un engagement européens". Le dernier chapitre du contrat de coalition est entièrement consacré à l’Europe, ce qui révèle incontestablement un glissement, par rapport aux précédents accords, dans l’ordre des priorités.

Le dernier accord de coalition (2021) mentionnait l’Europe dès son préambule et le précédent (2017) s’intitulait "Un nouvel élan pour l’Europe, une nouvelle dynamique pour l’Allemagne". L’accord de coalition de 2025 marque incontestablement le retour du "Germany first".

Si le nouveau gouvernement ne remet pas fondamentalement en cause les orientations du Green deal européen, en ne s’opposant pas à la fin des moteurs thermiques en 2035, en confirmant son objectif de neutralité climatique pour 2045 et sa sortie du charbon en 2038, l’Europe apparaît néanmoins au détours de plusieurs passage comme une source de contraintes auxquelles le gouvernement souhaite s’opposer, en refusant par exemple d’appliquer le règlement sur la déforestation, en rejetant la loi européenne sur les sols ou en voulant éviter les réglementations européennes excessives liées aux obligation en matière de bilan et d’évaluation.

Par rapport aux déclarations du nouveau Chancelier, qui évoquait en janvier devant la Körber Stiftung sa volonté de construire avec Emmanuel Macron la vision d’une Europe souveraine et déclarait le soir de l’élection que "l’Europe se devait d'atteindre progressivement l'indépendance vis-à-vis des États-Unis" l’ambition européenne de l’accord de coalition apparaît très limitée.

D’après le texte, l’alliance transatlantique et la coopération étroite avec les États-Unis restent d’une importance centrale. Le partenariat transatlantique y est décrit comme une "success story" qu’il faudrait poursuivre, y compris dans des conditions nouvelles, et le gouvernement allemand confirme rester fidèle à la participation nucléaire au sein de l’OTAN.  Sur le plan commercial, le gouvernement vise un accord de libre-échange avec les États-Unis à moyen terme, et souhaite éviter un conflit commercial. Ainsi, l’affirmation géopolitique de l’Allemagne ne peut en aucun cas être interprétée comme un geste de défiance à l’égard de Donald Trump. L’objectif de l’Allemagne de Friedrich Merz est de redevenir un partenaire et un allié crédible pour les États-Unis, de devenir plus européen pour rester transatlantique. Comme l’affirme Friedrich Merz "Si nous voulons être pris au sérieux par Washington, nous devons nous donner les moyens d’assumer la responsabilité de notre sécurité."

Malgré la priorité donnée au redressement de l’Allemagne, le nouveau gouvernement entend poursuivre un agenda pro-européen, en concertation avec ses principaux alliés, aux premiers rangs desquels se trouve la France. Le contrat de coalition précise ainsi que l’amitié franco-allemande reste d’une importance capitale et doit être approfondie sur la base des traités d'amitié existants, mais il précise également vouloir développer l’amitié avec la Pologne et réactualiser le format "Weimar" pour définir les grandes orientations de politique européennes.

De nombreuses mesures contenues dans l’accord confortent la vision d’une Europe souverain portée par le Président française depuis son discours de la Sorbonne, comme le fait que "la compétitivité internationale, la souveraineté européenne et la sécurité" soient davantage prises en compte dans le droit européen de la concurrence, en particulier dans le domaine du contrôle des fusions ; le fait de rendre possible plus de décisions à la majorité qualifiée  au conseil de l’Union européenne pour améliorer et accélérer la prise de décision dans la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ; la volonté de poursuivre le développement des bases du Future Combat Air System et du Main Ground Combat System et d’européaniser les règles d’exportations d’armement ; et plus généralement, le consentement à la construction d’une Europe à plusieurs vitesses. 

L’objectif de l’Allemagne de Friedrich Merz est de redevenir un partenaire et un allié crédible pour les États-Unis, de devenir plus européen pour rester transatlantique. 

Néanmoins plusieurs points de désaccord possibles entre la France et l’Allemagne affleurent dans ce nouveau contrat de coalition. En s’engageant à ratifier rapidement les accords de l’UE avec le Mercosur et le Mexique, auxquels la France s’oppose, ou en renonçant à relancer l’énergie nucléaire au profit des énergies renouvelables, l’Allemagne pourrait doucher les espoirs d’une relance immédiate et sans à-coups de l’amitié franco-allemande. 

Dans le domaine budgétaire et financier, il semble par ailleurs peu envisageable de voir l’Allemagne promouvoir de véritables avancées. En insistant pour que la conception d’un système européen de garantie des dépôts tienne compte des exigences du système bancaire tripartite allemand, le nouveau gouvernement freine en réalité la possibilité d’une véritable Union de l’épargne et de l’investissement. Par ailleurs, le contrat de coalition précise que "Les États membres sont les premiers responsables du financement des objectifs européens. Dans l’intérêt de finances stables et conformément aux traités européens, l’Allemagne continue à ne pas répondre des engagements d’autres États membres". précisant parallèlement que les financements en dehors du budget de l’UE doivent rester l’exception et que le remboursement des fonds empruntés dans le cadre du programme "Next Generation EU" doit commencer dans le futur Cadre financier pluriannuel. Si on s’en tient à la lettre de l’accord, le nouveau Gouvernement ferme ainsi la porte à toute possibilité d’un nouvel endettement européen commun

En imposant la réforme du frein à l’endettement à l’issue des élections, et contre ses promesses de campagne, Friedrich Merz a rappelé que les promesses n’engageaient que ceux qui y croyaient et qu’il était prêt à imposer à son camp des mesures impopulaires dans l’intérêt du pays. Héritier de grandes figures européennes comme Konrad Adenauer, Helmut Kohl ou Wolfgang Schauble, le nouveau Chancelier pourrait ainsi être tenté de s’affranchir des termes du contrat pour faire avancer, avec ses alliés européens, des mesures fortes en faveur d’une plus grande intégration européenne. S’il parvient finalement à se faire élire, la mission du nouveau chancelier dans les prochaines années sera alors de convaincre une opinion publique allemande inquiète de l’opportunité de ce tournant, en passant du "Germany first" à "Europe is back"

Copyright image : Tobias SCHWARZ / AFP
Friedrich Merz signant le contrat de coalition avec la CSU et le SPD, le 5 mai, à Berlin.

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