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16/03/2022

Guerre en Ukraine - quels scénarios de sortie de crise ?

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Guerre en Ukraine - quels scénarios de sortie de crise ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Retrouvez la timeline de l’Institut Montaigne dédiée à remonter le temps et saisir la chronologie du conflit.

Vladimir Poutine est-il encore un acteur rationnel ? Est-il opportun de continuer à lui parler ? Même si l’on considère qu’il faut lui infliger une défaite stratégique, n’est-il pas nécessaire aussi de lui offrir une porte de sortie honorable ? Comment éviter les risques évidents d’escalade dans le conflit actuel ? Quel prix les Occidentaux devront-ils payer pour dissuader Moscou de nouvelles aventures ainsi que pour relever l’Ukraine de ses ruines ? Quel sera le rôle de la Chine dans la suite des événements ? 

Autant de questions auxquelles il paraît difficile d’apporter des réponses simples et définitives. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, une méthode consiste à tenter d’imaginer quels pourraient être les scénarios de fin de partie dans l’atroce conflit en cours. C’est ce qu’a fait Piotr Smolar dans un brillant article du Monde évoquant le risque d’une Ukraine vouée au sort de la Syrie et d’une Russie transformée en Corée du Nord. 

Élargissons le spectre des possibles avec quatre scénarios :

  • Un combat prolongé sans conclusion décisive, ce qui d’ailleurs nous rapproche de la situation syrienne. On peut objecter à cela que l’accumulation des destructions et l’absence de règlement politique ne sont pas transposables dans un pays européen. Cependant, il y a quelques jours encore une invasion de l’ensemble de l’Ukraine par les forces russes était inimaginable ;
     
  • Une victoire russe quasi-complète : Kyiv est conquise, Zelensky trouve la mort ou doit s’exiler. S’ensuit certes une résistance populaire, peut-être le développement d’une guérilla urbaine, mais Poutine ne cède pas et reçoit un soutien actif de la Chine ;
     
  • La partition du pays : là aussi la Russie l’emporte mais "concède" le maintien d’un État ukrainien dans l’Ouest du pays (dont le chef-lieu serait Lviv). Zelensky, pour épargner les populations et éviter des destructions encore plus graves, du type Grozny ou Alep, consent à un arrangement. Selon les experts, le Dniepr fournit la ligne de démarcation, la question de Kyiv se posant (divisée, comme le fut Berlin ?) ;
     
  • Un échec russe : pour des raisons diverses, les Ukrainiens tiennent et Poutine, placé devant des coûts grandissants de son opération, finit par reculer. Toutefois, même dans cette hypothèse - la moins probable - le dictateur russe n’arrête les frais qu’après avoir pris un gage qui ampute l’Ukraine d’une partie de son territoire au sud (au moins jusqu’à Odessa).

Précisons qu’il appartient à Volodymyr Zelensky seul de décider à quel moment arrêter éventuellement la lutte. Et que les conversations en cours entre Ukrainiens et Russes portent sans doute sur des mesures humanitaires et un cessez-le-feu et non sur un règlement proprement dit (même si les deux ne sont pas totalement séparables : on peut penser que Moscou posera la non-appartenance de l’Ukraine à l’OTAN comme condition préalable à un cessez-le-feu).

Ajoutons un rapide éclairage sur le parallèle Syrie/Ukraine. Les deux situations diffèrent bien sûr à beaucoup d’égards, notamment parce que la Russie soutient les autorités en Syrie alors qu’elle veut éliminer le gouvernement en Ukraine. S’il y a un rapprochement, c’est dans la stratégie employée : diabolisation de l’adversaire, "terroriste" en Syrie, "nazi" en Ukraine ; sièges et bombardements de quartiers entiers (il est à craindre qu’en Ukraine nous n’en soyons de ce point de vue qu’au début), en visant notamment les hôpitaux et les écoles, afin de casser la volonté de résistance des populations ; mixage d’actions de forces et de pseudo ouvertures humanitaire ou diplomatique pour légitimer les opérations militaires et diviser et désorienter la résistance. 

Les Ukrainiens auront moins longtemps à attendre que les Allemands leur réunification.

D’autre part, la palette de scénarios que nous venons de mentionner (d’autres peuvent être envisagés bien sûr) montre bien ce qui est spécifique - et assez effrayant - dans le drame qui se joue actuellement : un Président Poutine plus ou moins défait ou plus ou moins victorieux restera de toute façon menaçant ; le scénario de la partition apparaît comme le moins instable mais ce scénario lui-même ne peut être considéré comme stable ; il porte en lui les germes d’une poursuite de la confrontation entre l’Ouest et la Russie.

 

En discutant avec une homologue ukrainienne nous nous accordions sur un point : les Ukrainiens auront moins longtemps à attendre que les Allemands leur réunification car la Russie d’aujourd’hui n’a pas la stature de l’URSS d’autrefois et les jours du régime poutinien sont certainement comptés.

Les dilemmes occidentaux 

De fait, si l’on élargit la focale, on peut penser en effet que Vladimir Poutine a de toute façon perdu : indépendamment des troubles à prévoir en Russie même, l’OTAN est ressuscité, les Européens et notamment les Allemands renoncent à leur pacifisme, les sanctions vont considérablement affaiblir la position internationale de la Russie. 

Ce "réveil de l’Europe" voire de l’Occident est-il profond, appelé à durer, se traduira-t-il en une stratégie de long terme comme le fut le "containment" après 1945 ? C’est possible en effet ; ce n’est nullement assuré. En attendant, les décideurs européens et américains sont confrontés à de multiples dilemmes dont deux en particulier : 

  • Dans l’immédiat, jusqu’à quel point convient-il d’aider militairement les Ukrainiens sans risquer une escalade, y compris comportant un recours par la Russie à l’arme nucléaire ou à d’autres armes de destruction massive ? Où tirer une ligne rouge ? Pas de "no fly zone", mais des transferts d’armements par exemple ? Et comment assurer que la mise en œuvre de l’article 5 du traité de l’Atlantique soit crédible en cas d’attaque d’un membre de l’OTAN ? Un premier constat s’impose à cet égard : la politique de transparence du Président Biden - indiquant avec clarté ce qu’il ne ferait pas en Ukraine, par contraste avec l’ambiguïté de sa position sur Taiwan - a été contreproductive ; elle accroît la marge de manœuvre de Vladimir Poutine. 
     
  • En cas de scénario de sortie de crise actée par un accord entre la Russie et l’Ukraine, quelle devra être l’attitude des Américains et de leurs alliés ? Si "le réveil de l’Occident" est une réalité, il serait logique de maintenir la stratégie d’étranglement de l’économie russe et d’isolement du pays. En effet, l’agression à l’égard d’un pays souverain, la violation des normes les plus fondamentales du droit international n’auront pas disparues. Vladimir Poutine restera d’autant plus dangereux qu’il aura sur le long terme perdu. On peut aussi s’attendre à ce qu’il prépare d’autres offensives. Cette approche n’exclut pas nécessairement toute "porte de sortie" pour le dictateur russe - pour ne pas le pousser à de nouvelles aventures - à condition toutefois que celle-ci ne comporte aucune concession de substance, aucune faiblesse de fond.

Toutefois, cette ligne se heurtera à des objections. Il est très probable que l’on verra resurgir la même ligne d’argumentation qu’après l’attaque sur la Géorgie (2008) ou l’annexion de la Crimée (2014) : culpabilité de l’OTAN, nécessité de réintégrer la Russie et de tenir compte de ses préoccupations de sécurité, opportunité aussi sur le plan des méthodes de ne pas s’enfermer dans des sanctions irréversibles. D’autant plus, et ce sera là une seconde ligne d’argumentation, que les sanctions adoptées s’assimilent en réalité à un véritable "découplage" de la Russie avec l’économie internationale et comportent un coût élevé pour nos propres sociétés.

Il est très probable que l’on verra resurgir la même ligne d’argumentation qu’après l’attaque sur la Géorgie (2008) ou l’annexion de la Crimée (2014).

Par exemple, la restructuration de la politique énergétique européenne actuellement envisagée, sous le coup de l’émotion, sera-t-elle encore tenable s’il y a arrêt des combats et un accord de paix quelconque ?

La clef se trouve-t-elle à Pékin ? 

La question se pose, pour beaucoup d’observateurs, du degré d’alignement entre Moscou et Pékin. Cette discussion vient d’être relancée avec l’information selon laquelle les Russes ont demandé aux Chinois une assistance militaire, ce qui, au passage, souligne le manque de préparation de leur attaque sur l’Ukraine.

Devant le risque que Vladimir Poutine, exaspéré des obstacles qu’il rencontre, perde toute mesure, certains imaginent que seul Xi Jinping pourrait l’inciter à la modération. Inquiet du risque de déstabilisation de l’économie mondiale, le dirigeant chinois pourrait assurer une médiation entre l’Ukraine et la Russie. C’est en fait peu probable, d’abord parce que la Chine, malgré certaines ambiguïtés de posture, est clairement du côté de la Russie. Ensuite parce que la diplomatie chinoise n’est pas équipée pour un rôle de médiation. 

Ce qui paraît plus vraisemblable, c’est que la Chine risque de se trouver face à un dilemme stratégique. Ou bien elle va jusqu’au bout de son soutien à Moscou, refuse notamment de se conformer aux sanctions américaines à l’égard de la Russie, et elle s’expose à des contre-mesures de la part de Washington qui de fil en aiguille précipiteraient ce "découplage économique" avec l’Ouest qui n’est pas dans son intérêt pour l’instant. Ou bien, tout en continuant de soutenir la Russie politiquement, voire économiquement, elle évite d’aller trop loin dans ce sens, de manière à préserver une mondialisation certes dominée par les Occidentaux mais dont elle a besoin pour poursuivre son développement économique. 

On peut imaginer que c’est autour de ces points essentiels qu’a tourné la conversation à Rome le 14 février entre Jake Sullivan, le conseiller spécial à la sécurité de Joe Biden, et son homologue chinois Yang Jiechi. C’est peut-être la Chine qui détient la clef non pas du dénouement de la guerre en Ukraine mais de la capacité de Vladimir Poutine à continuer à nuire une fois une sortie de crise trouvée - bien que pour l’instant un tel scénario semble improbable.

 

Copyright : Dimitar DILKOFF / AFP

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