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21/11/2022

Guerre en Ukraine - le moment de négocier est-il venu ?

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Guerre en Ukraine - le moment de négocier est-il venu ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Abandon de Kherson par les troupes russes, maintien après les élections de mi-mandat d'une solide majorité pro-Ukraine au Capitole de Washington, conclusions du sommet du G20 de Bali qui isolent un peu plus la Russie sur la scène internationale : c'est une série de revers que vient de subir M. Poutine.

Le message américain en faveur d'une négociation 

On pourrait donc penser que c'est de son côté que pourrait se trouver la tentation de hâter la fin de l'aventure ukrainienne et d’offrir des négociations. Et cela d’autant plus que le recul russe sur le terrain est au moins en partie compensé par les frappes massives visant les infrastructures énergétiques (et autres) ukrainiennes, plongeant le pays dans des graves difficultés au moment où l'hiver commence à devenir rigoureux. De ce point de vue, une sorte d'équilibre asymétrique s'installe sur le théâtre, les Russes étant sur la défensive sur le plan militaire et les Ukrainiens en termes de résilience de leur société.

Le calcul pourrait donc exister à Moscou, au moins en théorie, qu'il est temps de "prendre ses pertes" et de stabiliser par la négociation une situation certes sans commune mesure avec les prétentions initiales mais, malgré les échecs, pas encore désespérée. 

Or c'est de Washington qu'est venu un appel à la négociation, dans la bouche du chef d'État major des armées, le Général Milley, et cela à deux reprises (9 et 16 novembre). Le Général est resté sur son terrain, celui du rapport des forces, en indiquant que les deux parties avaient subi des pertes importantes (100 000 hommes environ, tués ou blessés, de chaque côté), que les Russes n'ont aucune chance de conquérir l'Ukraine comme ils le voulaient au départ, mais aussi que de nouvelles offensives ukrainiennes pour retrouver leur intégrité territoriale seraient de plus en plus coûteuses. L'hiver, selon lui, offrirait l'occasion de commencer à négocier. 

C'est de Washington qu'est venu un appel à la négociation, dans la bouche du chef d'État major des armées, le Général Milley, et cela à deux reprises. 

Son homologue ukrainien, le général Zaluzhnyi a immédiatement fait savoir (sur son compte Facebook) que "notre objectif est de libérer l'ensemble du territoire ukrainien, rien ne nous détournera de cet objectif… ". Les Ukrainiens ont en effet toute raison de penser qu'un arrêt des combats à ce stade n'aurait d'autre effet que d’offrir une pause à la Russie pour reconstituer ses capacités offensives. Ils veulent au contraire profiter de la dynamique qui leur est favorable pour empêcher un redressement du dispositif russe.

Les propos du chef d'État-Major des armées américaines ont particulièrement retenu l'attention pour deux raisons. En premier lieu, le chef du conseil national de sécurité, Jake Sullivan, était allé à Kiev début novembre. L'impression s'est installée que Washington souhaite une attitude moins rigide de M. Zelensky sur la question d’éventuelles négociations. En outre, le directeur de la CIA, M. Burns, s'est rendu à Ankara le 14 novembre pour rencontrer son homologue russe, M. Naryshkin (avant de faire aussi le voyage à Kiev). Les Américains laissent entendre que ces contacts ont pour objet d’éviter tout malentendu sur la dimension nucléaire de la crise. On ne peut exclure que d'autres sujets soient abordés. En second lieu, l'incident du débris de missile ukrainien tombé par erreur le 15 novembre sur le sol polonais, faisant deux victimes, constitue un signal d’alarme.

Un missile ukrainien tombé sur un village polonais

Le gouvernement polonais, la machinerie de l'Otan, les chefs d'État et de gouvernements alliés ont réagi avec sang-froid. L'émotion suscitée par l’incident n'en a pas moins été révélatrice de la crainte qui existe dans les opinions d’une extension de la guerre à des pays voisins et donc d'un choc direct entre l'OTAN et la Russie. De surcroit, M. Zelensky a commis la maladresse (pour une fois) de dénoncer une provocation russe contre la Pologne. On a vu immédiatement ses propos être instrumentalisés par tout un courant de commentateurs qui soupçonnent ou parfois accusent l'Ukraine de vouloir - par "jusqu'au boutisme" - entrainer dans la guerre les alliés atlantiques.

L'une des leçons de cet épisode est que les Russes peuvent très bien à l'avenir créer ce type d'incident - en Pologne ou dans un pays balte - afin de jouer de l'inquiétude des opinions et de tenter de diviser le camp des soutiens à l'Ukraine. Sans préjudice d'autres leviers, en sus de l'instrument militaire proprement dit, dont dispose la Russie, tels des sabotages sur les infrastructures énergétiques ou de communication de l'Occident ou encore des cyber-attaques - pour poursuivre une "guerre globale" pour l'instant encore mesurée. 

L'une des leçons de cet épisode est que les Russes peuvent très bien à l'avenir créer ce type d'incident.

Cela nous amène à aborder ce qui est sans doute l'arrière-plan des propos du General Milley, c'est-à-dire l'inquiétude qui se fait jour dans certaines capitales et, à Washington, chez une partie des dirigeants, sur ce que l'on pourrait appeler la soutenabilité de la guerre. Ce problème comporte deux volets ; d'abord celui du maintien de l'effort en termes de production d'armement (même les capacités américaines ne sont pas infinies), en termes économiques, en termes de soutien des opinions et aussi de cohésion entre alliés, y compris entre Kiev et Washington et d'autres capitales. Ensuite, le volet du calcul des risques à venir, qui peuvent facilement entrer dans une courbe ascendante : on a déjà mentionné la possibilité d'un choc OTAN-Russie ; beaucoup de dirigeants ont aussi à l'esprit que si les Ukrainiens en venaient à menacer directement la Crimée, le pouvoir poutinien pourrait de nouveau recourir à la menace d’emploi du nucléaire, voire précipiter le monde dans une grave crise nucléaire. 

Propositions 

À la question "le moment de négocier est-il venu ?", il est d’autant plus difficile de répondre qu’il faudrait longuement analyser ce que l’on entend exactement par là. À la lumière des éléments d’analyse qui précédent, nous serions tentés d’avancer trois propositions et une interrogation :

  • Continuer à armer l'Ukraine : la priorité des pays qui soutiennent l'Ukraine doit être de permettre aux Ukrainiens de renforcer leurs moyens de défense anti-aérienne mais aussi leurs capacités offensives. La ligne des Occidentaux est à juste titre qu'ils cherchent à mettre Kiev en mesure de négocier en position de force le moment venu. Dans ce cas, il ne faut pas que la Russie reprenne l'avantage sur le plan militaire. 

La priorité des pays qui soutiennent l'Ukraine doit être de permettre aux Ukrainiens de renforcer leurs moyens de défense anti-aérienne mais aussi leurs capacités offensives. 

Ajoutons deux points, s'agissant de la France : la conférence que prépare Paris pour le 13 décembre pour coordonner et amplifier les efforts d'aide à la résilience de la société ukrainienne peut constituer une contribution très importante. D'autre part, si la France comme l'Allemagne ont été critiquées pour l'"insuffisance" supposée de leur transferts d'armes, une montée en puissance de leur aide (exemple  : transferts de chars Léopard et Leclerc) peut se révéler précieuse au moment où les combats risquent de reprendre une forte intensité (au printemps ?) : dans les conflits, ce sont souvent les dernières mètres qui comptent ; 

  • Raisonner en termes de "gestion du conflit" plutôt que de "négociations" : le risque principal dans l’état actuel des choses serait que le Kremlin prenne l'initiative d’une offre de négociation comportant un cessez-le feu immédiat. Une telle initiative entrerait dans la logique d'une "pause" avantageuse pour l'armée russe et augmenterait les risques de division parmi les soutiens à l’Ukraine. Dans ce sens, les "appels à la négociation" ont toute chance d’être contreproductifs. 

Pour autant, l'existence ou le développement de canaux de dialogue avec Moscou paraissent a priori utiles. Notamment s'ils permettent de traiter moins la "fin de partie" du conflit que la "gestion" de celui-ci, par exemple les bornes que de part et d’autre il convient de respecter pour éviter une escalade incontrôlée. C'est apparemment ce qui a fonctionné pour l’aspect nucléaire et qui pourrait aussi réduire les risques dans d'autres domaines (extension géographique du conflit, sécurité énergétique ou alimentaire, autolimitations réciproques dans la guerre hybride par exemple). C'est peut-être ce que le président Macron a en tête lorsqu’il multiple les appels à la Chine pour que celle-ci joue un "rôle de médiation" ; 

  • Structurer la concertation entre l’Ukraine et ses principaux alliés : des contacts multiples existent évidemment à plusieurs niveaux entre les Ukrainiens, les Américains et les Européens. Le moment est peut-être venu de conférer un caractère plus structurel - y compris au niveau des chefs d’État et de Gouvernement - à cette concertation, dans un format regroupant par exemple le Quad (Allemagne, France, États-Unis, Royaume-Uni), l’Ukraine et la Pologne + le SEAE (service d’action extérieure l’UE).

Une telle structure permettrait de penser cette question des "négociations éventuelles" dans de meilleures conditions qu'aujourd’hui ; d'une part, si les Ukrainiens doivent être les décideurs de dernier ressort, ils peuvent avoir intérêt à partager le fardeau du choix du moment et des modalités d'une sortie de la guerre tandis que leurs soutiens ont aussi des intérêts à défendre ; d'autre part, comme l'a montré l'incident du missile ukrainien tombé en Pologne, de futurs développements risquent de tester l’unité de vue des gouvernements les plus impliqués. 

  • Une interrogation : Kherson peut-il constituer un précédent ? Nous nous avançons là en terre inconnue, en observant qu'à Kherson une forme d’entente tacite semble avoir prévalu entre Russes et Ukrainiens, les premiers sachant depuis des semaines qu'ils ne pourraient tenir la position, les seconds ayant vu l'intérêt de différer (et finalement de s'épargner) une offensive de vaste envergure qui aurait été très coûteuse pour eux. 

N'y a-t-il pas eu là une forme de "gestion du conflit" entre les deux parties qui pourrait se reproduire ailleurs ? N'y-t-il pas là une incitation à envisager la question de la Crimée - si cruciale (à tort ou à raison) dans l'approche des Occidentaux - autrement qu'en termes binaires comme on le fait en général ?

 

Copyright : Andrew Harnik / POOL / AFP

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