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25/09/2025
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“Ne tombez pas dans le piège de l’arnaque verte” : à l’ONU, Trump déclare la guerre culturelle au climat

“Ne tombez pas dans le piège de l’arnaque verte” : à l’ONU, Trump déclare la guerre culturelle au climat
 Joseph Dellatte
Auteur
Responsable de projets et Expert Résident - Climat et énergie

"Ne tombez pas dans le piège de l’arnaque verte, sinon votre pays est voué à l’échec​". À la tribune des Nations Unies, Trump jouait les Cassandre et faisait mine d'avertir les Européens : ​la transition énergétique ​serait un danger pour l'économie. Comment comprendre cette déclaration de guerre climatique ? Il revient à l’Europe de prouver que la transition verte n’est pas une idéologie, mais une nécessité​, qui signifie prospérité, emplois et force industrielle​, nous dit Joseph Dellatte dans sa tribune.

Debout devant l’Assemblée générale des Nations unies le 23 septembre, Donald Trump a lancé : ""Ne tombez pas dans le piège de l’arnaque verte, sinon votre pays est voué à l’échec [Get Away from the Green Scam or Your Country Will Fail]". 

Simple déclaration sur la politique énergétique ? Il s’agit plutôt du coup d’envoi d’une offensive culturelle et géopolitique en règle, dirigée directement contre l’action climatique. Une telle attaque est emblématique de la nouvelle ère dans laquelle nous sommes projetés. Une ère où la politique climatique n’est pas qu’une question d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de pouvoir, d’identité et d’influence mondiale.

Pour Trump, la transition énergétique n’est plus une question de technologie ou d’économie, mais un marqueur de loyauté et d’identité.

Pour Trump, la transition énergétique n’est plus une question de technologie ou d’économie, mais un marqueur de loyauté et d’identité. L’action climatique est le champ de bataille d’une guerre culturelle plus large : résister aux énergies propres s’assimile désormais à un acte de bravoure tandis que défendre les énergies fossiles est une preuve de patriotisme. 

 

Pour Trump et ses alliés, la décarbonation de l’économie est anti-américaine, le projet d’élites mondialistes qui menacent les emplois, la liberté et même les valeurs traditionnelles. Dans un tel récit, les énergies propres - le nucléaire mis à part - sont des signes de déclin, de faiblesse et de reddition, tandis que le charbon, le pétrole et le gaz manifestent la force et la souveraineté d’une nation. Ce discours s’est révélé politiquement efficace. En transformant un changement économique structurel en lutte symbolique, Trump mobilise sa base et brouille la frontière entre la défense des intérêts américains et la défense des profits des acteurs historiques des énergies fossiles. 

L’Europe prise entre trois feux

Ce retour de bâton contre la transition est hautement politique, plus que la traduction d’une opinion publique. En Europe, la majorité des citoyens soutient les énergies renouvelables et les véhicules électriques, surtout lorsqu’ils vont de pair avec la diminution des factures et la création d’emplois locaux. L’"arnaque verte" est moins le reflet d’une opposition populaire que le fruit d’une campagne bien orchestrée par des acteurs politiques qui veulent protéger leurs rentes de situation. 

L'"arnaque verte" est moins le reflet d’une opposition populaire que le fruit d’une campagne bien orchestrée par des acteurs politiques qui veulent protéger leurs rentes de situation.

L’Europe ne doit pas considérer que cet "american drama" concerne simplement les États-Unis. Les positions de Donald Trump heurtent de plein fouet les ambitions européennes en matière de transition écologique ; elles vont à l’encontre de sa stratégie économique, à un moment de grande fragilité géopolitique. L’invasion de l’Ukraine a montré le coût stratégique de la dépendance aux énergies fossiles, particulièrement au gaz russe. Le virage accéléré de l’Europe vers les renouvelables et l’électrification est dicté autant par la nécessité de souveraineté que par des préoccupations environnementales. Réduire les émissions de gaz à effet de serre est indissociable d’une réduction de notre vulnérabilité face aux pressions extérieures et aux chocs de prix.

Le retour de Trump sur la scène internationale complique davantage cette équation. Le président américain cherche activement à définir la décarbonation comme un projet idéologique en contradiction avec la souveraineté nationale. En présentant l’action climatique comme un "piège voué à l’échec", Trump menace de fragiliser l’argument économique de la transition énergétique. Il veut saper les initiatives industrielles et diviser les alliés en remettant en cause leurs objectifs. Une telle rhétorique offre la trame d’un argumentaire très puissant pour les acteurs qui, à travers le monde, souhaitent ralentir ou inverser la transition.

Le discours de Trump à l’ONU ne doit pas être interprété comme le simple rejet de l’action climatique, mais comme un effort délibéré pour la présenter comme une œuvre de l’étranger, élitiste et fondamentalement "anti-occidentale". Il reflète également la stratégie de Monsieur Trump : faire pression sur l’Europe pour qu’elle s’aligne davantage sur les intérêts américains et dépeindre la décarbonation comme la pente du déclin et une forme de soumission à la Chine.

Dans cet argumentaire, adopter les énergies propres équivaut à renoncer à la souveraineté économique, tandis que rester fidèle aux énergies fossiles - américaines - est un symbole de force et d’indépendance. Ce discours est intervenu quelques semaines seulement après que les États-Unis ont conclu un accord tarifaire profondément asymétrique - mais politiquement inévitable - avec l’UE. Dans cet accord, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’est engagée à ce que l’Europe achète pour 750 milliards de dollars d’énergie américaine, principalement fossile, sur les trois prochaines années, sans réelle capacité de faire respecter cet engagement. Cette séquence récente souligne à quel point énergie, climat et commerce sont désormais totalement imbriqués dans une lutte géopolitique pour l’influence et l’autonomie, et à quel point l’Europe est prise entre plusieurs feux.

Coincée entre les États-Unis et la Russie sur l’Ukraine et les énergies fossiles, l’Europe est aussi prise en étau par la question chinoise. La Chine mène sa propre stratégie duale. Elle reste le plus grand émetteur de carbone au monde, développe ou maintient le charbon et l’industrie lourde pour soutenir sa croissance économique, mais dans le même temps devient le fournisseur incontournable de presque toutes les technologies propres nécessaires à la transition : panneaux solaires, batteries, éoliennes et véhicules électriques.

Plus l’Europe avance vers ses objectifs climatiques, plus elle risque d’approfondir sa dépendance envers un rival systémique majeur.

Ce faisant, Pékin capte la valeur économique - les bénéfices de la production des technologies propres - de la décarbonation tout en consolidant son levier géopolitique. La dépendance de l’Europe à la fabrication chinoise s’accroît alors même qu’elle cherche à prendre la tête de la transition climatique. Il en résulte un paradoxe stratégique : plus l’Europe avance vers ses objectifs climatiques, plus elle risque d’approfondir sa dépendance envers un rival systémique majeur.

L’Europe doit retrouver sa dignité

Ce qui rend la guerre culturelle autour du climat si critique, c’est qu’elle risque non seulement de ralentir la transition, mais aussi d’en déformer le cadre, en présentant ce changement comme nocif pour les "gens ordinaires". Quand l’énergie propre est présentée comme coûteuse, imposée ou anti-américaine (ou anti-occidentale), la transition cesse d’être considérée comme une opportunité pour apparaître comme un fardeau. Au risque de retarder les investissements, d’affaiblir les politiques, de susciter de la résistance face à des régulations pourtant indispensables et d’empêcher l’adhésion citoyenne.

La seule solution à cette dérive dramatique est de démontrer concrètement les bénéfices de la transition pour la société, et pour chacun des individus qui la composent. Ces bénéfices concernent non seulement la santé ou la planète, mais aussi les revenus, les emplois, les industries locales, la prospérité régionale, particulièrement dans une région pauvre en énergies fossiles comme l’Europe. Les technologies propres ne sont aucunement un sacrifice. Elles ouvrent une voie vers plus de prospérité, y compris au sens le plus matériel du terme.

Les exemples concrets ne manquent pas : loin de conduire les pays vers la faillite, la transition permet aux industries de se relocaliser vers des centres d’opportunités propres. En Europe, les investissements et l’emploi dans les technologies propres augmentent : l’Allemagne a plus que doublé ses emplois verts depuis 2019, avec d’importantes expansions dans le solaire et l’éolien, même si d’autres secteurs se contractent. L’économie nette zéro du Royaume-Uni se développe beaucoup plus rapidement que son économie globale - générant des dizaines de milliers d’emplois dans les renouvelables, le stockage d’énergie, les pompes à chaleur, la mobilité électrique et l’économie circulaire.

Il existe aussi des exemples de relocalisation industrielle propre : des entreprises américaines de technologie propre voient ainsi l’Europe comme une destination stratégique et sont attirées par la stabilité réglementaire et les financements avantageux. L’Europe est de plus en plus attractive pour des entreprises confrontées ailleurs à des obstacles politiques ou réglementaires. Des pays comme le Portugal exploitent leurs avantages naturels - le potentiel de l’hydrogène vert à bas coût ou les ressources en lithium - pour construire des chaînes de valeur. Les modélisations de l’UE suggèrent que l’expansion des technologies vertes crée des centaines de milliers de nouveaux emplois nets, notamment dans la fabrication, la construction et les services.

Le choix de l’Europe est donc d’une portée existentielle. Elle doit retrouver sa dignité et son ambition stratégique pour définir son avenir énergétique et, plus globalement, imprimer sa marque à la transition verte.

Le choix de l’Europe est donc d’une portée existentielle. Elle doit retrouver sa dignité et son ambition stratégique pour définir son avenir énergétique et, plus globalement, imprimer sa marque à la transition verte. En l’embrassant non seulement comme une obligation morale ou réglementaire mais comme le fondement d’un renouveau économique, l’Europe peut démontrer que la transition verte n’est pas une idéologie, mais une nécessité - capable de générer prospérité, emplois et force industrielle. L’avertissement de Trump à l’ONU n’est pas la prophétie d’un échec, mais l’occasion de redoubler d’efforts pour montrer ce à quoi ressemble la réussite, dans le monde réel.

 


Donald Trump lors de l'Assemblée générale des Nations unies le 23 septembre 2025 à New York. 

Copyright Image : Michael M. Santiago / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

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