Rechercher un rapport, une publication, un expert...
La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne
Imprimer
PARTAGER

[Fractures françaises] - Un barrage fissuré, mais pas encore brisé ? L’état du "front républicain" en 2025

[Fractures françaises] - Un barrage fissuré, mais pas encore brisé ? L’état du
 Mathieu Gallard
Auteur
Directeur d’études, Ipsos bva
 Stéphane Zumsteeg
Auteur
Directeur du département Politique et Opinion, Ipsos bva

L’hypothèse d’une nouvelle dissolution n’est pas écartée. À quoi ressemblerait le paysage politique issu de nouvelles élections législatives ? Dans quelle mesure la probable progression du Rassemblement national (RN) serait-elle freinée, comme en 2024, par le “front républicain” ? Comment joueraient les dynamiques de reports de voix au sein des électeurs de la majorité présidentielle, de la gauche ou de la droite ? Mathieu Gallard et Stéphane Zumsteeg analysent les données de l’enquête Fractures françaises par Ipsos Sopra/Steria pour l'Institut Montaigne, Le Monde, le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès.

Depuis le mitan des années 2010, la concomitance de la progression électorale du Rassemblement national et du passage d’un affrontement bipolaire gauche-droite à une "tripolarisation" a eu des effets majeurs sur notre système politique. Une des évolutions principales concerne la nature même des seconds tours : alors que dans le passé, ils permettaient aux électeurs de faire un choix entre deux options idéologiques opposées mais jugées légitimes, ils se transforment de plus en plus depuis les élections départementales de 2015 en un vote de barrage contre une force politique aussi rejetée que redoutée par une majorité de l’électorat (quoique pour des raisons différentes :  parmi les électorats de gauche et du centre, le rejet de l’extrême-droite s’ancre surtout dans le sentiment que le Rassemblement national est un parti raciste et autoritaire. Au sein des électorats de centre-droit et de droite, cette opposition idéologique est parfois plus diffuse, mais elle est souvent remplacée par l’impression que le Rassemblement national n’est pas un parti suffisamment compétent pour diriger le pays).

Mais cette logique du "front républicain" s’est progressivement affaiblie sous le poids de la "dédiabolisation" du RN aussi bien que du fait de la lassitude des électeurs. Après avoir fonctionné à plein lors des élections départementales et régionales de 2015 puis au second tour de l’élection présidentielle de 2017, il s’est peu à peu affaibli, jusqu’à s’effondrer à l’occasion des élections législatives de 2022. Mais ce scrutin s’est avéré très spécifique : dans un contexte d’affrontement exacerbé entre la coalition présidentielle (Ensemble, notamment formée de Renaissance, du MoDem et d’Horizons) et le bloc de gauche (NUPES - Nouvelle Union Populaire, Écologique et Sociale- notamment formée de la France Insoumise FI, du Parti Socialiste PS, d’Europe Écologie-Les Verts EELV et du Parti communiste français PCF) qui obtenaient 25,7 % chacun au premier tour, le faible score du Rassemblement national (18,7 %) en avait fait un acteur secondaire du second tour aux yeux des électeurs. Dans les 206 circonscriptions où le parti conduit par Marine Le Pen s’était qualifié pour le second tour, les électeurs macronistes ont alors préféré faire barrage à la gauche qu’au RN, et les électeurs de gauche ont eu le comportement inverse - avec pour résultat l’élection d’un nombre record - 89 - de députés RN.

Deux ans plus tard, lors des élections législatives anticipées de 2024, la configuration des résultats du premier tour a conduit à une dynamique tout autre. Contrairement à ce qui s’était produit deux ans auparavant, le succès impressionnant du Rassemblement national - 33,4 % des voix (en ajoutant les alliés ciottistes de l’Union des Droites pour la République, UDR), 38 députés élus dès le premier tour et 451 candidats qualifiés pour le second tour - crédibilise l’hypothèse d’une majorité au moins relative pour le parti d’extrême-droite. Le "front républicain" s’est alors soudainement remis en place. D’abord, au niveau des partis politiques avec des désistements massifs des candidats arrivés en troisième position dans les triangulaires et des appels à faire barrage à l’extrême-droite aussi bien parmi les dirigeants de gauche qu’au sein de la coalition présidentielle. L’appel aux désistements s’était fait dès avant le premier tour pour le PS, EELV et le PCF, avant d’être rejoints par la FI au soir du premier tour. Au sein de la coalition présidentielle, Gabriel Attal a appelé aux désistements le soir du premier tour, mais certains dirigeants ont manifesté durant la semaine de l’entre-deux-tours une préférence pour des décisions au cas par cas ou par un refus des désistements aboutissant à des duels entre des candidats FI et RN. Les Républicains n’ont pas participé au "front républicain" et n’ont pas donné de consigne de vote nationale dans les circonscriptions où ils n’étaient pas représentés au second tour.

Dans un second temps, l’effet de ces stratégies des partis a eu un impact très fort sur les électeurs : certes, le Rassemblement national a obtenu un nombre record de députés (143 avec ses alliés ciottistes), mais il n’est arrivé qu’en troisième place des trois "blocs" en lice et n’avait dès lors aucune chance de former un gouvernement.

Dans le contexte d’instabilité gouvernementale qui a vu se succéder trois Premiers ministres et quatre gouvernements en l’espace d’un peu plus d’un an, les appels à une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron se font de plus en plus pressants de la part des dirigeants politiques comme de l’opinion. Ainsi, dans l’enquête Fractures Françaises réalisée par Ipsos-bva pour Le Monde, le Cevipof, la Fondation Jean Jaurès et l’Institut Montaigne du 1er au 9 octobre 2025, 58 % des Français se disent favorables à la démission du président de la République, contre 25 % qui y sont hostiles.

Si le président de la République devait prochainement se résoudre à ce choix, de nombreux observateurs annoncent une nouvelle percée du RN qui pourrait selon eux atteindre une majorité absolue.

Si le président de la République devait prochainement se résoudre à ce choix, de nombreux observateurs annoncent une nouvelle percée du RN qui pourrait selon eux atteindre une majorité absolue. Une telle hypothèse s’appuie néanmoins sur des données très parcellaires : dans les enquêtes d’opinion publiées depuis la fin août, le Rassemblement national et ses alliés sont crédités de 29 % à 36 % des intentions de vote au premier tour (même si ces sondages sont réalisés sur la base d’étiquettes nationales et non pas de candidatures réelles dans les circonscriptions), soit une grande stabilité par rapport au résultat (33,4 %) de l’an dernier.

De plus, l’hypothèse d’un effondrement du "front républicain" lié au sentiment de délitement actuel du champ politique ne s’appuie sur aucune donnée concrète en dehors de l’intuition de ces observateurs.

Afin d’éclairer cette situation politique et électorale confuse, Ipsos bva a réalisé une étude d’opinion auprès de 3 000 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

Le "front républicain" : une adhésion de principe qui résiste dans les électorats concernés

Au premier abord, le "front républicain" semble désormais très affaibli : seuls 47 % des Français souhaitent que, "si de nouvelles élections législatives avaient lieu dans les prochaines semaines, les électeurs fassent barrage aux candidats du RN pour éviter que ce parti obtienne une majorité à l'Assemblée nationale", contre 53 % qui refusent cette logique (chiffres presque exactement similaires à ceux mesurés par l’institut Elabe dans une enquête réalisée pour BFM TV et La Tribune Dimanche les 28 et 29 août 2025 auprès d’un échantillon de 1 678 personnes, représentatif de la population française adulte). Il semble donc que l’instabilité politique qui caractérise la France depuis les élections législatives de 2024 et le jugement très négatif porté par les Français sur le personnel politique ait peu à peu affaibli l’aspect repoussoir du Rassemblement national en comparaison des alternatives partisanes en présence. En effet, dans la vague 2025 de l’enquête "Fractures Françaises", la part de Français qui déclarent avoir confiance en la présidence de la République (22 %, -4 points), les députés (20 %, -2 points) ou les partis politiques (10 %, -4 points) atteint son plus bas niveau.

Mais les résultats sont en réalité plus nuancés que ces données globales peuvent le laisser penser - preuve que l’intérêt des études d’opinion réside souvent davantage dans les résultats détaillés que dans ceux portant sur l’ensemble de la population. Tout d’abord, on constate sans grande surprise que les électeurs du Rassemblement national sont massivement hostiles (93 %) à la logique du "front républicain". Par ailleurs, les électeurs qui ne s’étaient pas exprimés lors des élections législatives de l’an dernier (abstention, vote blanc ou nul) sont aussi légèrement hostiles au "front républicain" (53 %), mais leur opinion, toute valable qu’elle puisse être, n’a évidemment pas eu d’effets électoraux concrets.

Si on se concentre en revanche sur les électorats qui sont directement acteurs du "front républicain", on constate qu’ils y restent globalement favorables : 82 % des électeurs du Nouveau Front Populaire (NFP) et 65 % des électeurs Ensemble souhaiteraient ainsi que les électeurs fassent barrage au RN en cas de nouvelle dissolution, dont respectivement 61 % et 39 % qui le souhaitent même "tout à fait". Dans l’électorat qui avait voté pour des candidats LR et divers droite au premier tour des élections législatives de l’an dernier, la proximité idéologique vis-à-vis du Rassemblement national suscite logiquement des réserves bien plus importantes, mais plus du tiers de cet électorat (36 %) se montre néanmoins favorable à un nouveau  barrage à l’extrême-droite. On le voit, l’idée si communément admise d’un effondrement du “front républicain” ne correspond pas aux attentes des électeurs...

Le souhait de voir les électeurs faire barrage au RN en cas de nouvelles élections législatives, selon les électorats du premier tour des élections législatives de 2024

Le souhait de voir les électeurs faire barrage au RN en cas de nouvelles élections législatives, selon les électorats du premier tour des élections législatives de 2024.

Un "front républicain" qui se maintiendrait de manière très variable dans l’électorat du "socle commun"

Dans les 134 circonscriptions où, l’an dernier, le second tour avait mis aux prises un candidat du NFP et un candidat RN, les candidats de gauche obtenaient en moyenne 32,5 % des voix contre 29,6 % pour les candidats RN, auxquels il convient d’ajouter 37,9 % d’abstention et de bulletins blancs ou nuls : ce rapport de force avait conduit à l’élection de 79 députés de gauche contre 55 d’extrême-droite. Selon notre enquête, au niveau national, 38 % des électeurs préfèreraient aujourd’hui choisir le candidat de gauche dans ce type de configuration, contre 42 % le candidat du RN. La comparaison souffre toutefois de deux limites évidentes : on compare ici un bloc de 134 circonscriptions qui peuvent être politiquement typées par rapport à l’ensemble du pays, et on met en relation un résultat électoral effectif après un mois de campagne et une question posée alors que de nouvelles élections législatives ne sont qu’une hypothèse. Malgré tout, l’évolution, bien que limitée, va dans le sens d’une légère érosion du "front républicain".

Reports de voix dans l'hypothèse de duels de second tour entre un candidat de gauche et un candidat RN

Reports de voix dans l'hypothèse de duels de second tour entre un candidat de gauche et un candidat RN.

Dans le détail, on constate une légère progression des reports des électeurs des candidats Ensemble éliminés au premier tour vers le RN au second tour : en 2024, ils étaient 19 % à voter pour le RN quand le candidat du NFP était issu de la FI, et 15 % quand il s’agissait d’un candidat PS, EELV ou PCF ; ce chiffre atteindrait désormais 21 %, soit une hausse finalement très contenue. De fait, une nette majorité d’entre eux continuerait à faire le choix du candidat de gauche : 49 %, contre respectivement 43 % et 54 % selon l’étiquette de ce candidat en 2024.

Que ce soit lié à l’attractivité croissante du RN, à l’image de plus en plus dégradée de la gauche ou à l’envie d’aboutir à une stabilité "à tout prix", la logique du "front républicain" s’efface donc presque totalement dans l’électorat de droite traditionnelle.

Au sein de l’électorat qui avait voté pour un candidat Républicain ou divers droite au premier tour des élections législatives de 2024, la donne a en revanche nettement changé dans les configurations de duels RN/NFP : en 2024, 38 % d’entre eux avaient fait le choix du RN quand il faisait face à un candidat FI, et 34 % quand il s’agissait d’un candidat PS, EELV ou PCF. Ils sont désormais 56 % à nous dire qu’ils glisseraient dans l’urne un bulletin du parti d’extrême-droite, soit une hausse très conséquente. Seuls 21 % pratiqueraient à nouveau le barrage républicain en votant pour le candidat de gauche, contre 26 % (pour les candidats FI) ou 29 % (pour les candidats PS, EELV ou PCF) l’an dernier. Que ce soit lié à l’attractivité croissante du RN, à l’image de plus en plus dégradée de la gauche ou à l’envie d’aboutir à une stabilité "à tout prix", la logique du "front républicain" s’efface donc presque totalement dans l’électorat de droite traditionnelle.

Un "front républicain" qui s’effondre à gauche ?

Le "front républicain" avait été le plus massif l’an dernier dans les 184 circonscriptions où s’affrontaient au second tour un candidat Ensemble ou LR et un candidat RN. Les candidats du futur "socle commun" avaient au global obtenu 37,7 % des voix au second tour, contre 28,2 % pour les candidats RN, aboutissant à l’élection de seulement 30 députés de ce parti, contre 110 députés Ensemble et 44 députés LR ou divers droite. La situation pourrait s’inverser en cas de nouvelles élections législatives : au niveau national, dans ce type de duel, 35 % des électeurs déclarent qu’ils préfèreraient voter pour le candidat du "socle commun" formé des macronistes et des LR, contre 38 % qui choisiraient le candidat du RN.

Les reports de vote resteraient très marqués par la logique du "front républicain" au sein des électorats du "socle commun", malgré les très vives tensions récentes entre les dirigeants de ses différents partis. 85 % des électeurs Ensemble au premier tour des élections législatives de 2024 feraient le choix du candidat du "socle commun"( en 2024, 79 % d’entre eux avaient fait le choix du candidat LR et 4 % celui du candidat RN dans les configurations de second tour opposant un candidat LR au RN), et 62 % des électeurs LR ou divers droite feraient le même choix. En 2024, ils étaient 53 % à voter en faveur du candidat Ensemble et 26 % en faveur du candidat RN dans les circonscriptions avec un duel de second tour entre un candidat macroniste et un candidat RN. Le barrage républicain semble donc relativement fort dans cet électorat, même si une part non négligeable de l’électorat LR ferait le choix du RN (29 %).

C’est en revanche à gauche que le "front républicain" semble s’effondrer. En 2024, 72 % des électeurs NFP du premier tour avaient voté pour le candidat Ensemble et 3 % pour le candidat RN dans les duels Ensemble contre RN, et 70 % avaient voté pour le candidat LR et 2 % pour le candidat RN dans les duels LR contre RN. C’est la forte mobilisation de cet électorat qui avait permis au "bloc central" formé de Renaissance, du MoDem et d’Horizons de sauver les meubles en termes de sièges (165 élus) après des résultats calamiteux aux élections européennes puis au premier tour des élections législatives.

L’incompréhension des électeurs de gauche face au refus du président de la République de nommer un Premier ministre issu de leurs rangs puis les annonces budgétaires de François Bayrou semblent avoir provoqué un effondrement du comportement de barrage à gauche : seuls 44 % des électeurs qui avaient voté pour un candidat du NFP au premier tour des élections législatives de juin dernier disent qu’ils voteraient pour un candidat du "socle commun" face à un candidat RN au second tour, contre 46 % qui préfèreraient s’abstenir ou voter blanc ou nul. Ils ne seraient néanmoins que 10 % à faire le choix du candidat RN - soit nettement moins que les électeurs Ensemble dans les duels NFP contre RN. Le Rassemblement national reste donc un repoussoir important dans l’électorat de gauche, mais de plus en plus de ses membres tracent désormais un trait d’égalité entre l’extrême-droite et le "socle commun".

Reports de voix dans l'hypothèse de duels de second tour entre un candidat du "socle commun" et un candidat RN

Reports de voix dans l'hypothèse de duels de second tour entre un candidat du "socle commun" et un candidat RN
 

Malgré tout, un "front républicain" dont la réactivation reste possible

Sans valider la thèse d’une disparition totale du "front républicain", ces données prouvent combien il tend à s’affaiblir dans le contexte actuel d’instabilité politique et de tensions entre les trois blocs de notre système tripolaire.

L’élection présidentielle de 2022 comme les élections législatives de 2024 nous ont aussi montré combien les résultats du premier tour et la courte campagne de l’entre-deux-tours pouvaient avoir un effet massif sur l’électorat. 

Reste que l’élection présidentielle de 2022 comme les élections législatives de 2024 nous ont aussi montré combien les résultats du premier tour et la courte campagne de l’entre-deux-tours pouvaient avoir un effet massif sur l’électorat. Dans le baromètre quotidien réalisé par Ipsos pour France Info et Le Parisien lors de la campagne présidentielle de 2022, Marine Le Pen s’était progressivement rapprochée d’Emmanuel Macron dans les intentions de vote pour le second tour réalisées avant le premier tour : elle était passé d’un minimum de 38 % le 19 mars à 47 % le 8 avril, juste avant le scrutin.

Les résultats du premier tour, avec le niveau record de la candidate du RN (23,2 %) auxquels on pouvait ajouter les 7,1 % d’Éric Zemmour, ont apparemment eu un effet d’électrochoc dans l’opinion, encore renforcé par les appels immédiats des candidats de gauche et LR à faire barrage au RN. De fait, ce baromètre quotidien a mesuré un accroissement progressif de l’écart entre les deux candidats dans la campagne d’entre-deux-tours, Marine Le Pen tombant à 45 % des intentions de vote le 13 avril, puis à 43 % dans la dernière vague publiée le 22 avril, avant de recueillir "seulement" 41,5 % des suffrages le dimanche 24 avril.

Baromètre quotidien Ipsos, élection présidentielle 2022

Baromètre quotidien Ipsos, élection présidentielle 2022

Le constat est parfaitement similaire pour les élections législatives de l’an dernier, qui nous ont là encore montré combien les résultats du premier tour et la courte campagne de l’entre-deux-tours pouvaient modifier le comportement des électeurs : nul ne s’attendait à une réactivation aussi massive et aussi rapide du barrage républicain, et l’arrivée du bloc d’extrême-droite en troisième position a surpris aussi bien les citoyens que les analystes et les états-majors politiques.

La règle à laquelle fait face le RN semble donc être la suivante : plus le parti semble être sur le point d’arriver au pouvoir à l’issue du premier tour, plus le "front républicain" s’active entre les deux tours et pèse sur ses résultats du second tour. Il n’est donc pas dit que cette loi d’airain du "front républicain" n’entre pas à nouveau en action si, dans le cadre de nouvelles élections législatives anticipées, le résultat du premier tour du Rassemblement national s’avérait aussi voire plus important que celui de l’an dernier.

On peut toutefois faire l’hypothèse que cette réactivation a beaucoup plus de potentiel au sein de l’électorat de gauche qu’au sein de l’électorat de droite traditionnelle, tant leurs perceptions du RN sont divergentes : 86 % des électeurs NFP de l’an dernier voient le RN comme un parti "dangereux pour la démocratie", contre 40 % des électeurs LR ; et ils sont respectivement 15 % et 53 % à juger qu’il s’agit d’un parti "capable de gouverner le pays". Une campagne d’entre-deux-tours aurait donc sans doute moins d’impact sur un électorat de droite de plus en plus proche idéologiquement du RN que sur un électorat de gauche pour lequel il reste un danger majeur. 

Le maintien ou non du "front républicain" sera un des éléments majeurs qui décideront de la composition de l’Assemblée nationale issue d’une éventuelle dissolution. Au second tour des élections législatives de l’an dernier, 65 circonscriptions ont été décidées par un écart de moins de 3 points entre le candidat élu et son adversaire immédiat, et de nombreux candidats n’ont dû leur élection qu’à l’ampleur inattendue de l’hostilité des électeurs envers le RN. 

La règle à laquelle fait face le RN semble donc être la suivante : plus le parti semble être sur le point d’arriver au pouvoir à l’issue du premier tour, plus le "front républicain" s’active entre les deux tours et pèse sur ses résultats du second tour.

Toutefois, d’autres aspects comme la nature des accords électoraux au sein de la gauche et du "socle commun" ainsi que le rapport de force entre les différents partis et coalitions au premier tour et leur ordre d’arrivée au niveau national et dans les circonscriptions joueraient aussi un rôle essentiel dans la composition de l’Assemblée.

Ces aspects peuvent d’ailleurs jouer sur l’ampleur du "front républicain" : on peut ainsi imaginer que les candidats d’une coalition de "gauche plurielle" entre le PS et ses alliés mais sans accord avec la FI bénéficieraient de meilleurs reports de voix au second tour de la part des électeurs macronistes voire LR que si une coalition du périmètre de la NUPES ou du NFP se remettait en place.

Reste que pour le Rassemblement national, la conquête d’une majorité - et même d’une majorité relative solide - passe nécessairement par l’effondrement de ce "front républicain". Et il n’est pas dit que nous en soyons là.


Copyright image : JEFF PACHOUD / AFP
Un bureau de vote à Lyon, lors du second tour des élections législatives anticipées du 7 juillet 2024.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne