AccueilExpressions par MontaigneDroite-tech et nationalistes chrétiens : mariage contre-nature à la Maison-BlancheLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne États-Unis et amériques09/10/2025ImprimerPARTAGERDroite-tech et nationalistes chrétiens : mariage contre-nature à la Maison-BlancheAuteur Julian Blum Expert associé à l’observatoire international de la Fondation Jean Jaurès Loin d'être anecdotique, la rupture du président américain avec Elon Musk le 5 juin dernier rappelle les incompatibilités idéologiques qui fissurent la Maison-Blanche. Qu'est-ce qui cimente malgré tout les populistes nationaux conservateurs d'inspiration chrétienne et les techno-progressistes transhumanistes ? Quels sont les principaux clivage idéologiques et les divergences d'intérêts ? L'opposition républicains / démocrates est-elle en passe d'être reconfigurée ? Julian Blum tire les enseignements de la conférence “National Conservatism” (NatCon) qui s’est terminée le 5 septembre.Le second mandat de Trump diffère singulièrement du premier, et les observateurs de la vie politique américaine le découvrent sans cesse plus abruptement. L’alliance des MAGA avec la Big Tech en est l’un des faits les plus saisissants et même si elle est abondamment commentée, il ne faudrait pas s’y tromper : cette union n’a rien d’anecdotique. Elle doit au contraire être comprise comme une tendance politique de long terme dont les analystes, et en particulier ceux qui veulent comprendre les mouvements politiques illibéraux, doivent s’emparer. Des mots-valises comme "technocésarisme" sont devenus monnaie courante dans le discours politique, notamment en Europe, pour qualifier cette fusion, qui n’est monolithique qu’en apparence, entre le conservatisme nationaliste et l’accélérationnisme assumé de la Silicon Valley.Dans quelle mesure l’union des composantes de la Tech, des Chrétiens et des nationaux-populistes de droite peut-elle tenir sur le long terme ? C’est une question dont il faut se saisir face à l’éventualité d’un nouveau régime illibéral aux États-Unis. L'auteur de ces ligne a suivi de près l’écosystème conservateur américain pendant le dernier cycle électoral et les mois qui ont suivi l’investiture de Trump, et a continué à converser avec certains des intellectuels majeurs de la faction post-libérale de la droite américaine : quelles sont les enseignements qui en ressortent ? Quelles sont les fondations idéologiques et politiques de cette coalition insolite ?Avec le recul de quelques mois de Trump II au pouvoir, la conclusion est paradoxale : jamais la nouvelle "tribu" trumpienne n’a exprimé ses divisions idéologiques de façon aussi nette — certains membres de la droite chrétienne manifestent une angoisse presque existentielle à l’égard des projets techno-politiques de la Silicon Valley - et pourtant la coalition reste étonnamment solide, même après la spectaculaire rupture entre Donald Trump et Elon Musk en juin. Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette coalition est tout sauf monolithique, contrairement à ce que certains commentateurs hors des États‑Unis peuvent parfois suggérer. Identifier les tensions les plus déterminantes oblige à reconnaître que la vie politique américaine est imprévisible et mouvante.Une rhétorique agressiveCe qui frappe chez les penseurs les plus influents du mouvement conservateur américain est leur rhétorique virulente contre la place que la Silicon Valley a prise en politique, vécue par eux comme une intrusion. Nulle part cette hostilité ne fut plus visible que lors de la récente conférence des Nationaux-conservateurs (NatCon) le 5 septembre dernier à Washington, DC. Encore plus que sur la politique étrangère — où le conflit habituel entre interventionnistes et partisans du repli est une fois de plus apparu —, le sujet le plus controversé a été les développements vertigineux de l’intelligence artificielle et les ambitions de la Silicon Valley. Comme l’a relevé dans son allocution Rachel Bovard, vice-présidente du Conservative Partnership Institute, l’IA est rien de moins que la "question la plus cruciale" pour l’avenir du mouvement conservateur. Steve Bannon, qui concluait l’événement, a aussi fait feu de tout bois contre l’IA. Fidèle à son style incendiaire, il a employé des mots très durs contre l’élite technologique, qu’il a accusée de haute trahison pour ses liens avec la Chine. Cette intervention ne saurait être lue uniquement au prisme de son animosité personnelle contre Elon Musk et les "broligarchs"de la Silicon Valley (quoiqu’il continue à demander l’expulsion de Musk au motif qu’il serait un immigré illégal). Encore plus que sur la politique étrangère — où le conflit habituel entre interventionnistes et partisans du repli est une fois de plus apparu —, le sujet le plus controversé a été les développements vertigineux de l’intelligence artificielle et les ambitions de la Silicon Valley. Si ces propos découlent naturellement de la nature hyper-personnalisée d’un régime politique où chacun court après l’attention du Président, ces divergences ont aussi de solides ancrages politiques, idéologiques, voire théologiques.L’opposition conservatrice à l’accélérationnisme de l’IA a deux sources principales. La première est d’ordre politique et économique : elle reflète la peur, chez les populistes, d’un noyautage politique par une oligarchie technologique élitiste et obsédée par le profit. Le pouvoir inédit qu’ont pris dans l'administration des firmes telles que Palantir, OpenAI ou Meta, soupçonnées de fausser la coalition en faveur de leur agenda technologique, suscite une forte inquiétude. Le philosophe Patrick Deneen, figure intellectuelle clé de la droite post-libérale qui s’identifie à son aile "populiste", dénonce explicitement les effets délétères d’une caste techno-utopique, faisant écho aux attaques bien plus sanguines de Bannon.La seconde, plus profonde, est d’ordre moral : elle relève de l’opposition quasi existentielle qui existe entre les valeurs chrétiennes et l’agenda transhumaniste porté par certaines des plus importantes personnalités de la Silicon Valley. Rod Dreher, proche de J.D. Vance et figure centrale de la droite chrétienne, va plus loin que son ami Patrick Deneen et réfute sur un plan théologique les positions de la droite technologique. Pour ce mystique réactionnaire, des figures comme Thiel, Andreessen, Sacks ou Karp font figure d’occultistes de la Renaissance et d’alchimistes faustiens décidés à renouer avec le rêve de transformer l’homme en dieu. "L’IA est démoniaque", a déclaré récemment Rod Dreher : selon lui, cette technologie est la porte principale vers la fusion entre l’homme et la machine — rien de moins que le transhumanisme. Interrogé sur l’agenda transhumaniste ardemment défendu par Peter Thiel et sur sa conformité avec la Bible, Dreher fut sans ambiguïté : son “ami” Thiel se trompe profondément, et il l’affirme quoiqu’ils appartiennent à la même coalition politique.Désaccords existentielsUne étude des théories les plus abouties de part et d’autre du spectre — conservateurs chrétiens contre droite technologique — montre l’étendue du gouffre, et rappelle à quel point l’alliance au pouvoir est contre-nature. Patrick Deneen rêve du retour à une société de castes stable et pré-moderne, où une aristocratie vertueuse dirigerait un peuple enraciné dans la tradition et la foi. Ceci rejoint les vues postlibérales d’Adrian Vermeule, Gladden Pappin ou Rod Dreher, tous imprégnés d’une pensée européenne classique pleine d’un imaginaire politique médiéval et qui célèbrent explicitement le retour des limites au nom d’un idéal chrétien du “bien commun”. Dreher, citant Ellul et son ami Paul Kingsnorth (sur le point de publier un pamphlet contre “la Machine”), est encore plus explicite dans sa nostalgie d’une stabilité pré-industrielle. Ces conservateurs post-libéraux expriment en outre tous l’espoir que le Vatican, sous l’influence ambivalente de la doctrine sociale de l’Église, priorisera la défense de l’intégrité humaine à l’ère de l’IA. La dissonance cognitive atteint ainsi une forme de paroxysme : ces penseurs espèrent un affrontement entre une autorité religieuse étrangère et les capitalistes, ceux-là même avec lesquels ils ont noué une alliance durable…En effet, la nouvelle droite chrétienne ne pourrait pas être plus opposée à l’idéologie qui a cours dans la Silicon Valley en matière de politique technologique. Sur ce point, il faut distinguer entre l’accélérationnisme nationaliste mais relativement apolitique incarné par Mark Andreessen, David Sacks ou Alex Karp (rejoints par des opportunistes comme Sam Altman et Mark Zuckerberg) et le techno-monarchisme beaucoup plus élaboré de Curtis Yarvin et Nick Land, étudiés en France par le chercheur Arnaud Miranda. Le mouvement néo-réactionnaire, comme le formule Land, est une idéologie "dépourvue de tout enthousiasme rousseauiste pour l’expression populaire", donc profondément antipopuliste dans son essence et fondamentalement athée. Les penseurs du Dark Enlightenment (NéoRéaction) partagent le mépris de la droite chrétienne pour le libéralisme, mais lui préfèrent une alternative darwinienne et hobbesienne, dont l’issue logique est le techno-autoritarisme. Si la polis idéale de Deneen ressemble à une ville médiévale harmonieuse, Yarvin rêve de Dubaï, de Singapour ou même de Pékin - villes qu’il conçoit comme le règne d’un Léviathan ultra-technologique. Bien que plus mesurée et moins politique, l’enthousiasme nietzschéen de Marc Andreessen pour la "machine techno-capitaliste" et le "surhomme technologique" semble tout aussi incompatible avec le credo conservateur chrétien. Comme l’a récemment noté un commentateur républicain critique de cette droite technologique athée et amorale : "Ils n’ont que le retour des ‘dieux forts’ à la bouche mais ne savent même pas lesquels invoquer… Implorer l’intérêt national ou le progrès ne suffira pas." Les profondes dichotomies de la coalition - politiques, théologiques, voire anthropologiques - émergent au grand jour et chaque faction développe son corpus doctrinal.Malgré leur alliance au sein du gouvernement, les profondes dichotomies de la coalition - politiques, théologiques, voire anthropologiques - émergent au grand jour et chaque faction développe son corpus doctrinal.L’administration Trump risque la schizophrénie et doit gérer des options contradictoires, que l’on peut d’ores et déjà énumérer : innovation ou tradition, individualisme ou communauté, science ou foi, exploration des limites ou enracinement, méritocratie ou aristocratie, darwinisme social ou populisme.Une commune ambition : détruire l’ordre établiIl faut évidemment faire attention à ne pas dresser des dichotomies conceptuelles trop rigides là où la réalité est plus fluide. Comme l’a observé Marlène Laruelle à propos de la pensée politique illibérale, nous vivons à l’ère des "idéologies liquides", opportunistes et prêtes à se plier aux impératifs du pouvoir. Ainsi, de Patrick Deneen à Mark Andreessen, qui incarnent les deux pôles opposés de la coalition, se déploie tout le spectre de la droite réactionnaire, qui oscille entre nationalisme et libertarianisme en passant par le christianisme intégriste. Trump lui-même s’illustre par son absence de cadre doctrinal. C’est d’ailleurs ce qui a permis à chaque faction de projeter sur lui ses désirs les plus profonds. Beaucoup d’idéologues officiels s’aventurent en funambules sur cette mince ligne de crête. Parmi les intellectuels, Kevin Roberts, le président de la Heritage Foundation, offre un bon exemple de cet équilibrisme volontaire dans son ouvrage récent Dawn’s Early Light. Tout en condamnant les tendances totalitaires de la Silicon Valley, il fait l’éloge d’une figure comme Palmer Luckey, le PDG de la startup de défense Anduril, dans laquelle il voit l’incarnation du génie entrepreneurial éternel de l’Amérique.La coalition à Washington tient encore à un niveau plus stratégique. Les deux pôles du continuum réactionnaire - conservateurs chrétiens ou national-populistes d’un côté, droite technologique de l’autre - se retrouvent autour d’un même agenda de destruction. Leur hostilité partagée envers les universités illustre parfaitement la nature de leur alliance, qui s’est forgée dans un même rejet des institutions élitistes dont ils affirment qu’elles sont aux mains du "wokisme". Pourtant, les uns et les autres n’agissent pas pour les mêmes raisons : la droite tech se bat pour restaurer un ordre qui soit véritablement méritocratique, indispensable à une société capitaliste dynamique et portée par l’innovation. Pour les nationaux-conservateurs, la lutte est d’abord une tentative culturelle et spirituelle de sauver l’Occident. Quel que soit ce qui inspire la révolte contre l’"élite wokiste", toutes les factions peuvent se rallier autour de l’objectif du démantèlement de l’État profond - ennemi protéiforme qui désigne alternativement les bureaucrates fédéraux, les journalistes, les employés d’ONG ou plus largement les "experts" au sens large. Tant que ce travail de démolition ou de subordination des institutions washingtoniennes reste inachevé, l’élan de la coalition perdurera.L’appât du gain est l’autre grand unificateur qui n’est pas prêt à disparaître, que la classe intellectuelle de la droite chrétienne le veuille ou non. L’élection de 2024 a confirmé plus que jamais que l’argent était le sang qui irrigait le corps politique américain. Pour les conservateurs, l’alliance avec les grandes fortunes de la Silicon Valley, y compris celle de Musk, est essentielle à une stratégie électorale de moyen et long terme. Pour les barons de la tech, le partenariat avec le régime de Trump s’est jusqu’à présent avéré profitable - comme le montre le plan d’action pour l’IA élaboré en grande partie par David Sacks et le conseiller technologique du président, Michael Kratsios. L’intégration de l’IA aux priorités militaires stratégiques américaines a ouvert des opportunités historiques pour des entreprises comme Palantir, Anduril ou ScaleAI, et permet de supplanter les géants industriels de l’ancien complexe militaro-industriel. La nouvelle classe d’"ingénieurs patriotes" - Alex Karp, Palmer Luckey et Shyam Sankar - sait qu’elle détient désormais une opportunité historique pour remporter les plus grands contrats publics du monde afin de bâtir l’armée du futur et de créer un nouvel État techno-sécuritaire. Ils se projettent dans des temporalités qui vont bien au-delà des prochaines échéances électorales et vivent déjà dans un avenir où Trump est mort depuis longtemps mais les aura bien servi. Trump lui-même s’illustre par son absence de cadre doctrinal. C’est d’ailleurs ce qui a permis à chaque faction de projeter sur lui ses désirs les plus profonds.La désignation de la Chine comme ennemi civilisationnel est la troisième composante du ciment qui maintient la coalition ensemble. Comme jadis le communisme avait permis l’alliance "fusionniste" entre libertariens et chrétiens évangéliques, la concurrence avec Pékin reste une boussole utile pour pour l’administration, bien que celle-ci soit dépourvue d’une stratégie claire. Pour les accélérationnistes de la tech, la Chine est un prétexte parfait pour draper leur fuite en avant technologique d’une mission patriotique. C’est, en substance, l’argument qu’on trouve dans The Technological Republic d’Alex Karp. À l’autre extrémité du spectre, les conservateurs chrétiens invoquent la Chine pour justifier une escalade technologique, quitte à payer le prix ultime - à savoir notre humanité. Rod Dreher est celui qui explicite le mieux un tel compromis, dont son camp a parfaitement conscience. Il formule le dilemme de façon nette : "La Chine ne se régule ni ne se restreint en rien : si nous ne faisons pas comme elle, elle finira par nous dominer. C’est dur à admettre, mais nous n’avons pas le choix." Ce genre de déclaration montre bien une droite américaine tiraillée par des dilemmes et douloureusement consciente des contradictions qui la rongent.Les divergences grandissantes de l’alliance au pouvoirPourtant, les désaccords se multiplient, et ne feront selon tout probabilité que croître. Car, une fois menée à terme la destruction du monde tel qu’il est, que reconstruire à la place ? S’accorder sur un scénario sera d’autant plus ardu si le projet des accélérationnistes l’emporte. Un mouvement politique fondé sur la défense des travailleurs mis en déroute par la désindustrialisation dans le Rust Belt - auxquels Bannon a consacré sa vie - peut-il à long terme coexister avec les prophètes ultimes de la destruction créatrice ?L’immigration est un autre facteur d’implosion si les grandes firmes technologiques souhaitent conserver leur avance dans la course avec la Chine. Plus de la moitié des chercheurs en IA de niveau doctorat aux États-Unis sont nés à l’étranger, et près des deux tiers des principales entreprises d’IA ont été fondées par des immigrants. L’imposition d’une redevance annuelle de 100 000 dollars sur les visas H‑1B, le type de visa le plus courant pour les travailleurs hautement qualifiés du secteur technologique, décidée par l’administration, est une pilule extrêmement difficile à avaler pour ce secteur. Les sujets de politique énergétique pourraient aussi provoquer des conflits : la position dogmatique de Trump contre les énergies renouvelables ne peut qu’irriter une industrie affamée de solutions énergétiques.Si le plan d’action pour l’IA témoigne de l’influence de la faction Tech au sein du trumpisme, d’autres signaux sont au rouge. Dans un épisode politique à peine remarqué hors des États‑Unis, une éphémère coalition des "sceptiques de l’IA" a émergé lorsque des législateurs ont découvert que le projet de loi One Big Beautiful Bill avait inséré discrètement un moratoire sur la régulation de l’IA au niveau des États. Chez les MAGA, la très incendiaire Marjorie Taylor Greene s’y est bruyamment opposée, en s’associant à Bannon. Elle a déclenché une réaction en chaîne au point de pousser ses collègues - y compris démocrates - à retirer la disposition incriminée. Même la Heritage Foundation s’est opposée publiquement à une telle interdiction, invoquant des raisons religieuses et morales et plaidant pour une approche fédérale de la réglementation de l’IA. Parallèlement, le sénateur du Missouri Josh Hawley, qui nourrit des ambitions présidentielles et veut incarner un populisme national-chrétien, a lancé ses propres enquêtes sur Meta, sentant que l’alliance avec les milliardaires accélérationnistes pourrait compromettre son image auprès de sa base électorale. Plus le temps passe, plus l’entropie politique de la galaxie Trump s’aggrave, dans un mouvement apparemment inéluctable. Ayant commis "l’erreur stratégique (selon Bannon) de renoncer à un troisième mandat, le mouvement a perdu de son élan et ses factions commencent à penser à l’après - tout en s’efforçant de maximiser ses gains immédiats. Même les proches alliés de Trump ne veulent pas risquer de se compromettre ; ils profitent des réussites de Trump mais en même temps se prémunissent contre son déclin.La rupture dramatique avec Musk - reléguée à la préhistoire par le flux incessant d’une actualité frénétique - doit être lue pour ce qu’elle fut : un événement politique majeur hautement révélateur. Non seulement la déchirure entre Musk et Trump prive le Grand Old Party (GOP) de son immense puissance financière, mais, jointe à la tentation de Musk de créer un tiers parti, elle embarrasse la PayPal Mafia composée par Sacks et Andreessen, et brise les illusions de la coalition.On retrouve bien là le syndrome classique et pernicieux du "canard boiteux" qui accompagne les seconds mandats. Dans son récent billet de blog, Curtis Yarvin en appelle à rien de moins qu’une accélération autoritaire, montrant ainsi que les penseurs de la coalition sont tout à fait conscients du risque de désintégration. On comprend dans ce contexte pourquoi les tragédies comme l’assassinat de Charlie Kirk peuvent opportunément être utilisées pour justifier un nouveau tournant autoritaire.L’avenir incertain d’une coalition instableIl inspire de l’espoir dans les deux factions : aux yeux de la droite chrétienne et populiste, il est l’homme d’État augustinien envoyé par la Providence ; pour les barons de la tech, il est le techno-monarque messianique.Pour l’instant, l’avenir de la coalition repose sur un seul homme : J.D. Vance, l’héritier officiel du régime. Issu de la base sociale de Trump, il a grandi au sein de l’élite de la Tech mais demeure une figure profondément ambiguë et protéiforme. Étonnamment, il inspire de l’espoir dans les deux factions : aux yeux de la droite chrétienne et populiste, il est l’homme d’État augustinien envoyé par la Providence ; pour les barons de la tech, il est le techno-monarque messianique.Musk s’est dit prêt à soutenir Vance malgré sa rupture avec Trump. À la fois issu d’un milieu défavorisé mais membre de l’élite méritocratique, nationaliste chrétien mais père d’une famille multiculturelle (son épouse Usha Vance est d’origine indienne), viscéralement populiste de style MAGA mais doté d’une réelle culture intellectuelle : le jeune vice-président est plein de paradoxes et d’ambiguïtés, qui sont en réalité son plus grand atout politique.Pourtant, la question de savoir s’il pourra sauver sa famille politique du divorce reste en suspens. La tâche s’annonce redoutable : non seulement parce qu’il manque du charisme singulier de Trump, mais aussi parce que ce sera probablement à lui, s’il l’emporte en 2028, que reviendra d’édifier un nouvel ordre sur les ruines de l’entreprise destructrice de Trump. Dans ce contexte, on comprend pourquoi il se tient pour l’instant sur la réserve, préférant capitaliser sur le pouvoir de répulsion qu’inspire la gauche pour canaliser les tendances contraires : la croisade contre l’ennemi woke et la critique de Joe Biden sont toujours au centre de sa rhétorique malgré l’élection de 2024.Les difficultés de Vance iront s’accroissant, à mesure que la droite technologique gagnera en confiance et en pouvoir, et que les espoirs secrets qu’un tiers parti fasse irruption - capable de représenter une coalition pro-technologie, ouverte au progrès matériel et à l’immigration - deviendront de plus en plus notoires. Le blogueur influent Richard Hanania y appelle ouvertement. Il fait publiquement repentance pour avoir voté Trump et se dit convaincu que le mouvement MAGA entraîne les États‑Unis vers la "kakistocratie" - le gouvernement des pires. Pour l’instant, l’impopularité de Musk semble mettre à mal l’idée d’un tiers parti, mais l’appétit d’une troisième voie alternative aux démocrates et républicains n’a jamais été aussi forte.L’espoir d’une coalition favorable à la tech comporte de troublantes similitudes avec l’aile de gauche du spectre. Le débat autour de la nouvelle "abondance", récemment popularisée par Ezra Klein et Derek Thompson, oppose de même les donateurs démocrates de la Tech (Dustin Moskovitz, Eric Schmidt et Reid Hoffman) à la faction populiste incarnée par Alexandria Ocasio‑Cortez et Bernie Sanders. Dans un article où il explique ce positionnement stratégique, Niskanen Center, le think tank incubateur de cet agenda, précise que si ses investissements sont pour l’instant dirigés vers le Parti démocrate, l’idéal serait d’ouvrir la voie une troisième force centriste. Le techno-utopisme d’Andreessen ou Altman - qui rêve d’une "loi de Moore dans tous les domaines" [loi empirique qui suppose que la puissance de calcul des ordinateurs double tous les deux ans] - est bien plus proche de cette faction émergente de gauche que du conservatisme de la nouvelle droite.L’engagement politique des seigneurs de la tech dans la politique de droite est la source de bouleversements politiques sans précédent aux États-Unis.Il est bien trop tôt pour annoncer un nouveau réalignement de l’échiquier politique américain. Mais dans un avenir post-Trump, à mesure que les conséquences de l’IA se feront sentir, les équilibres d’aujourd’hui ne feront que se fragiliser. L’engagement politique des seigneurs de la tech dans la politique de droite est la source de bouleversements politiques sans précédent aux États-Unis. Copyright imageROBERTO SCHMIDT / AFP JD Vance, le président Donald Trump et Elon Musk à la Maison Blanche, le 14 mars 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés 17/09/2025 [Le Monde de Trump] - États-Unis : "Trump est l’agent provocateur dont nous... Michel Duclos Soli Özel 31/07/2025 [Le Monde de Trump] - Économie - "L'avantage du dollar n’est pas financier ... Michel Duclos Eric Chaney Hugo Dixon