AccueilExpressions par MontaigneDésarmer le Hezbollah : une équation insoluble pour le Liban ?La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Moyen-Orient et Afrique05/09/2025ImprimerPARTAGERDésarmer le Hezbollah : une équation insoluble pour le Liban ?Auteur Jean-Loup Samaan Expert Associé - Moyen-Orient Le gouvernement libanais s'est engagé à désarmer le Hezbollah d'ici la fin de 2025. La milice chiite ne l'entend pas ainsi, mais est-elle vraiment en mesure de s'y opposer ? Au-delà des rapports de forces géopolitiques, la question logistique ne se présente pas sous un jour plus favorable : quel avenir pour l’organisation, soutien essentiel pour la population d’un État en faillite ? Malgré un panorama sombre, Jean-Loup Samaan appelle la France à montrer la voie du pragmatisme en soutenant un Liban face à une opportunité unique d'affirmer sa souveraineté. Au début du mois d'août, le Liban annonçait son soutien officiel aux demandes américaines portant sur le désarmement du Hezbollah, la milice chiite à l'origine du dernier conflit avec Israël en 2024. Dans la foulée de cette promesse, le gouvernement ordonnait à l'armée libanaise de préparer un plan pour prendre le contrôle des armes du Hezbollah d'ici la fin de 2025.Ambitieux et inédit depuis la fin de la guerre civile libanaise en 1989, ce plan est porteur d'espoirs mais aussi de craintes. Le désarmement du Hezbollah a longtemps constitué un obstacle à la reconstruction du Liban. Depuis trois décennies, chaque accord diplomatique appelait à ce désarmement, mais à chaque fois, l'entreprise s’achevait avant même de commencer en raison de la faiblesse de l’armée régulière face au tout-puissant Hezbollah.Les conditions n'ont jamais été aussi favorables qu’aujourd’hui. Sur le plan militaire, le Hezbollah n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut avant la dernière guerre contre Israël à l'automne 2024. De plus, le président Joseph Aoun et le gouvernement de son premier ministre Nawaf Alam bénéficient du soutien de l'opinion publique et de la communauté internationale à la fois.Néanmoins, comme souvent dans son histoire, le Liban n'est pas maître de son destin. Dans le duel entre l'armée libanaise et le Hezbollah se joue aussi le futur de l'influence iranienne dans la région, mais aussi celle de l'Arabie Saoudite, ou encore de la France. En somme, de ce processus, pourrait bien découler une nouvelle donne pour le Liban, et pour la région.Une condition préalable à la reconstruction du LibanDepuis la conclusion de la dernière guerre entre Israël et le Hezbollah le 27 novembre 2024, la question du désarmement du mouvement libanais est revenue sur le devant de la scène. L’administration américaine du président Trump en fait même une condition sine qua non pour l’octroi de son aide au Liban.Vu depuis Washington, la démilitarisation du Hezbollah doit être effective avant d’espérer en retour un geste d'Israël : depuis le conflit de l’année dernière, l'armée israélienne maintient une présence au sol sur cinq positions dans le sud du Liban (région historiquement contrôlée par le Hezbollah). Ses drones traversent quotidiennement l'espace aérien libanais et il ne se passe pratiquement pas un jour sans une frappe aérienne visant un dépôt d'armes du Hezbollah. À ce stade, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a fait preuve d’ambivalence : il s’est dit "prêt à soutenir" le gouvernement libanais en procédant à une réduction graduelle de la présence militaire israélienne au Liban. Mais dans la même déclaration, il a renvoyé la balle dans le camp libanais en exigeant d’abord des résultats tangibles de l’armée libanaise dans le désarmement du Hezbollah. En d'autres termes, Israël ne cèdera pas sur le champ de bataille tant que Beyrouth n’a pas démontré sa volonté et sa capacité à en finir avec la présence militaire du Hezbollah.Cela renvoie à la question centrale de la réaction du Hezbollah face à ce plan de désarmement. Sans surprise, son secrétaire général Naim Qassem a immédiatement rejeté l'idée d'un désarmement dans un discours au lendemain de l'annonce gouvernementale. Dans ses discours depuis début août, Naim Qassem qualifie cette entreprise de "trahison" imposée à Beyrouth par les Américains et les Israéliens. Il va même jusqu'à faire planer le spectre d'une nouvelle guerre civile afin de dissuader l'armée libanaise.Né au sein de la communauté chiite en 1983, à la fois en réaction à l'occupation israélienne du sud-Liban et en soutien à l'exportation de la révolution islamique iranienne, le Hezbollah est devenu au fil des années un État dans l'État.Une telle défiance du Hezbollah est symptomatique de ce que le mouvement représente dans l'histoire contemporaine du Liban. Né au sein de la communauté chiite en 1983, à la fois en réaction à l'occupation israélienne du sud-Liban et en soutien à l'exportation de la révolution islamique iranienne, le Hezbollah est devenu au fil des années un État dans l'État. Avec ses quelques 40 000 combattants aguerris et ses centaines de milliers de roquettes, il était devenu l'organisation paramilitaire la plus puissante du Moyen-Orient.Or la guerre de l'automne 2024 a profondément affaibli le parti : ses chefs militaires, à commencer par son leader charismatique Hassan Nasrallah, ont été éliminés un par un par Israël ; des centaines de ses cadres ont été blessés ou tués dans les explosions des "pagers"; enfin, son arsenal de roquettes et missiles balistiques a été fortement diminué par l’aviation israélienne. Pour un mouvement qui se vantait de pouvoir tenir tête à l'État hébreu, la défaite a été une véritable humiliation. Autrement dit, le contexte s’avère favorable au gouvernement pour désarmer le Hezbollah. Néanmoins, le projet divise les Libanais et deux camps s'opposent à Beyrouth sur l’issue de ce scénario. Les tenants du premier camp, les plus optimistes, considèrent que le Hezbollah n'a plus les moyens de s'opposer à l'armée. Les menaces de guerre civile proférées par Naim Qassem ne seraient qu’un coup de bluff pour cacher le fait que la population ne soutient pas le mouvement (aucune enquête d’opinion ne permet d’attester ou de révoquer cette hypothèse). Selon cette logique, le rejet catégorique du plan de désarmement par le Hezbollah constituerait une position de négociation vis-à-vis du gouvernement afin de sauver la face et d'obtenir des contreparties politiques et financières. Afin d’étayer l’argument, les observateurs de la vie politique libanaise notent qu'à ce jour, le Hezbollah n’a pas déclenché de paralysie institutionnelle : les deux ministres qui lui sont affiliés (à la santé et au travail) n'ont pas démissionné du gouvernement, malgré l’annonce du désarmement de leur parti. Autrement dit, le mouvement pourrait se montrer pragmatique.Dans l'autre camp, plus pessimiste, les commentateurs libanais affirment qu'il est très facile pour le Hezbollah de déployer quelques milliers de combattants dans les rues de Beyrouth afin de bloquer le pays en moins de 24 heures. C'est un scénario que les Libanais connaissent bien : en 2008, le gouvernement de l'époque avait tenté de démanteler le réseau de télécommunications du Hezbollah. Ce dernier avait alors lancé ses partisans à l'assaut des lieux de pouvoir à Beyrouth, provoquant une ambiance pré-guerre civile pendant une semaine. Finalement, le gouvernement avait abandonné son plan initial. Dans cette perspective, le mouvement ne dispose peut-être plus de sa puissance militaire passée, mais il peut rapidement prendre le pays en otage. Les calculs iraniens et syriensS’il est difficile de prédire l’issue de ce processus de désarmement, c’est aussi parce que certaines données de l'équation échappent à la fois au gouvernement et au Hezbollah. Ainsi, la capacité de nuisance du Hezbollah doit être mesurée à l'aune de l'attitude de l'Iran, son partenaire historique qui a fait de lui cette puissante force paramilitaire.Pour certains observateurs, l'attitude du Hezbollah sera avant tout dictée par les calculs des décideurs iraniens. À la suite de l'annonce du plan de désarmement à Beyrouth, le ministre des Affaires étrangères iranien Abbas Araghchi a stipulé son "soutien au mouvement" avant d’ajouter "mais nous n’interviendrons pas" dans les affaires libanaises. La disparition du Hezbollah constituerait un revers majeur pour Téhéran. Le régime iranien a déjà vu ses partenaires palestiniens (le Hamas et le Jihad Islamique Palestinien) affaiblis par la guerre à Gaza.La disparition du Hezbollah constituerait un revers majeur pour Téhéran. Le régime iranien a déjà vu ses partenaires palestiniens (le Hamas et le Jihad Islamique Palestinien) affaiblis par la guerre à Gaza. Il a lui-même subi une destruction partielle de son programme nucléaire et de ses capacités balistiques avec la campagne aérienne israélienne et américaine en juin dernier. Dès lors, les Gardiens de la révolution islamique pourraient juger vital de maintenir leur joug sur le Hezbollah, dernier vestige de leur influence régionale.Enfin, la Syrie fait également partie de l'équation. L'ancien régime de Bashar Al-Assad était un partenaire clé du Hezbollah qui, en retour, l'avait aidé en déployant environ 7 000 combattants durant la guerre civile pour défaire les rebelles islamistes. Or, ce sont ces mêmes rebelles qui se retrouvent désormais au pouvoir à Damas, avec le président Ahmed Al-Charaa et son mouvement Hayat Tahrir Al Cham (l’Organisation pour la Libération du Levant). Au sein de la communauté chiite libanaise, beaucoup craignent que les nouveaux dirigeants syriens soient animés d'une volonté revanchiste qui les conduise à tourner leurs armes vers le Hezbollah de l'autre côté de la frontière. Al-Charaa a dénoncé à plusieurs reprises les ingérences iraniennes et a qualifié les milices soutenues par Téhéran, telles que le Hezbollah, de "menace régionale". Depuis la chute du régime Assad, la vallée de la Bekaa, contrôlée par le Hezbollah et jouxtant la frontière syro-libanaise, a déjà été le théâtre d’affrontements avec les nouvelles forces de sécurité syriennes. Lors d’un échange à Beyrouth, un analyste proche du Hezbollah nous confie : "Pour le mouvement, le nouveau régime syrien est une vraie crainte, tout aussi dangereuse en réalité qu'Israël". Dans une telle perspective, le Hezbollah pourrait chercher à maintenir ses capacités militaires, non seulement vis-à-vis d'Israël, mais vis-à-vis de la Syrie.Démobiliser et réintégrer les combattants du HezbollahL’incertitude sur la faisabilité du plan de désarmement est aussi liée à des problématiques qui restent jusqu'ici occultées par le gouvernement, notamment en ce qui concerne le devenir des combattants du mouvement. Dans des contextes similaires (en Colombie, en Irlande du Nord ou encore au Sri Lanka), les gouvernements locaux ont procédé au désarmement d'acteurs non-étatiques en déployant également des mesures de démobilisation et de réintégration des soldats. Le Hezbollah comprend aujourd'hui des dizaines de milliers de membres qui ont bénéficié d'un entraînement militaire et d’un endoctrinement avancé. Or, personne à Beyrouth ne sait aujourd’hui ce qui adviendrait de ces individus. Leur intégration au sein de l'armée nationale semble peu probable : le gouvernement aurait bien du mal à assurer la cohésion de l'organisation militaire avec un tel afflux et Israël, déjà méfiante sur l'infiltration de l'armée libanaise par le Hezbollah, ne se satisferait pas d'une telle option.En réalité, le devenir des combattants du Hezbollah n'est pas seulement une question militaire. C'est aussi et surtout une question socio-économique. En effet, pour beaucoup de sympathisants du mouvement dans le sud du pays, le Hezbollah incarne un État de substitution qui fournit depuis des décennies les services publics de base (santé, infrastructures, emplois) qu'aucun gouvernement à Beyrouth n'est capable d'offrir. Un universitaire chiite rencontré fin août dans le sud résume la situation dans le sud avec un jeu de mots en arabe : Israël tudamir, Hezbollah yastathmir : "Israël détruit, le Hezbollah investit..."Pour la population défavorisée du sud-Liban, la disparition du Hezbollah fait donc craindre une dégradation accélérée de leurs conditions de vie. Ici aussi, le gouvernement libanais n'a pas dévoilé une politique afin de garantir le développement socio-économique de la région, quand bien même celle-ci permettrait à long terme de prévenir une résurgence du Hezbollah.La raison de ce silence est évidente : depuis la crise financière de 2019, l'État libanais est en faillite. La devise nationale a perdu 99 % de sa valeur et les finances publiques ont été réduites de trois quarts par rapport à 2018. Dans de telles conditions, Beyrouth peine déjà à fournir des conditions décentes à ses fonctionnaires.C'est pourquoi le volet économique du processus en cours n’est envisageable qu’avec le soutien de partenaires occidentaux et arabes. Pour l'instant, l'administration américaine laisse entendre qu'elle pourrait investir et faire du sud-Liban une "zone économique Trump" (sic) - une promesse vague et qui laisse les Libanais dubitatifs. Le Hezbollah incarne un État de substitution qui fournit depuis des décennies les services publics de base (santé, infrastructures, emplois) qu'aucun gouvernement à Beyrouth n'est capable d'offrir. En réalité, c'est davantage auprès des pays du Golfe que le gouvernement libanais espère obtenir une aide financière. Dans les premiers mois qui ont suivi son élection en janvier dernier, le président Aoun s'est rendu successivement en Arabie Saoudite, au Qatar, aux Émirats arabes unis et au Koweït, afin de convaincre les dirigeants et les investisseurs de la péninsule arabique de miser sur le Liban.Le président Aoun bénéficie d'une image positive dans les capitales du Golfe en raison de sa volonté affichée de réformer le pays. Néanmoins, les souverains du Golfe restent également prudents et veulent d'abord voir les résultats du désarmement du Hezbollah avant d’investir. En d'autres termes, le gouvernement libanais se trouve dos au mur, sommé à la fois par les Américains, les Israéliens ou encore les Saoudiens, de neutraliser le Hezbollah avant d’espérer une contrepartie politique ou financière.Les cartes de la FranceDans une telle perspective, quel peut être le rôle de la France ? À cette question, la plupart des observateurs à Beyrouth répondent, avec une once de résignation, que "Paris a perdu beaucoup de son influence". Les diplomates français peinent à faire entendre leur voix, alors que tous les regards se tournent vers Washington et l'envoyé spécial du président Trump, Thomas Barrack.Ce dernier ne jouit pourtant pas d'une grande popularité à Beyrouth : il se refuse à promettre une garantie américaine vis-à-vis des incursions militaires israéliennes et maintient la pression quasi-exclusivement sur le Liban. Néanmoins, à travers Barrack, les Libanais espèrent maintenir un canal de communication avec une Maison blanche qui jusqu’ici n’a signalé aucun intérêt pour leur pays. En comparaison, la France reste attachée à la reconstruction du Liban mais elle ne bénéficie ni du poids stratégique américain ni des leviers économiques saoudiens. Pour autant, le pays peut influer sur le cours des événements de façon positive. À court terme, la France joue un rôle clé dans la période transitoire du désarmement via sa contribution militaire à la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban, la FINUL (685 soldats français actuellement). Depuis plusieurs années, celle-ci a été fortement décriée par les Israéliens et les Américains qui la jugent inefficace et inutile. La guerre de 2024 a souligné cette incapacité des forces onusiennes à empêcher l'escalade entre l'État hébreu et le Hezbollah. Lors des consultations sur le renouvellement du mandat de la FINUL à l'été 2025, Washington exigeait initialement son démantèlement en bonne et due forme. Après de longues tractations au Conseil de sécurité de l'ONU à New York, les diplomates français ont réussi à arracher un ultime renouvellement du mandat de la FINUL de 16 mois. Autrement dit, les militaires déployés dans le sud pour prévenir une escalade entre Israël et le Hezbollah devront se retirer à la fin de 2026.L'épisode de la FINUL est emblématique de ce que la France peut, et doit, faire au Liban. Au cours des derniers mois, Paris a régulièrement contrebalancé l'intransigeance américaine et israélienne sur le dossier libanais. Ainsi, Washington ne veut pas concevoir que le Hezbollah, même désarmé, reste un acteur de la scène politique libanaise. Du point de vue américain, le Parti est un groupe terroriste qui doit être neutralisé. Or, imaginer une éradication totale du mouvement du tissu socio-politique libanais n'est ni réaliste ni souhaitable : le gouvernement sur place compte des ministres issus de ce mouvement et il entend maintenir le dialogue avec celui-ci afin d’éviter l’affrontement intra-communautaire. La France peut donc jouer un rôle de médiateur, incitant les États-Unis et Israël à faire preuve de plus de pragmatisme, afin d'aider les parties libanaises à trouver un point d’équilibre sur ce que pourrait être un Hezbollah démilitarisé dans le Liban de demain. La France peut donc jouer un rôle de médiateur, incitant les États-Unis et Israël à faire preuve de plus de pragmatisme, afin d'aider les parties libanaises à trouver un point d’équilibre sur ce que pourrait être un Hezbollah démilitarisé dans le Liban de demain.Au terme de ce tour d'horizon, il serait tentant de se résigner. Beaucoup de paramètres contraignent la capacité du gouvernement libanais à mener à bien son plan de désarmement du Hezbollah. Beaucoup d’espoirs ont aussi été déçus par le passé, que ce soit après la guerre civile de 1989, ou encore après les retraits militaires israéliens (2000) et syriens (2005) du Liban.En même temps, jamais depuis trente ans, la configuration n'a été aussi favorable à l'affirmation d'une souveraineté libanaise sur son propre territoire. Compte tenu de l'importance historique du Liban pour la France, soutenir le gouvernement de Beyrouth dans cette épreuve, délicate, devrait rester une priorité stratégique. In fine, la démilitarisation du Hezbollah pourrait enclencher une dynamique positive pour le Liban et au-delà pour l'ensemble de la région. Elle permettrait à la fois de réduire les tensions avec Israël et de neutraliser l’influence néfaste de l’Iran au Levant.Le président du Liban Joseph Aoun alors d’une conférence de presse à Paris, le 28 mars 2025 Copyright Sarah Meyssonnier / POOL / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 30/06/2025 Iran : guerre des Douze jours, le jour d’après Michel Duclos 16/06/2025 Israël-Iran – les Européens à contre-emploi Michel Duclos 07/10/2024 Un an après le 7 octobre, 4 points sur la situation au Proche-Orient Jean-Loup Samaan