AccueilExpressions par MontaigneIran : guerre des Douze jours, le jour d’aprèsLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Moyen-Orient et Afrique30/06/2025ImprimerPARTAGERIran : guerre des Douze jours, le jour d’aprèsAuteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie Si l'opération américaine Midnight Hammer du 21 et 22 juin - frappes sur les sites nucléaires iraniens en soutien à l'attaque israélienne Rising Lion - et la guerre des Douze jours qui s'est ensuivie alimentent le narratif conquérant de Donald Trump, quelles leçons peut-on raisonnablement en tirer ? Régime iranien, programme nucléaire, situation régionale, reconfiguration des événements : Michel Duclos analyse le quadruple impact de ce tournant de la situation au Proche-Orient.Avec "la guerre des Douze jours", le président Trump a probablement le sentiment d’avoir remporté son premier succès international depuis son retour au pouvoir.Avec finalement une certaine économie de moyens - cinq ou six bombardiers porteurs de bombes lourdes, dites bunker buster (visant Fordo) et une trentaine de tomahawk (sur Ispahan et Natanz) - il peut se targuer de trois victoires simultanées :il a porté un coup sévère à la République islamique, quel que soit (on y revient ci-dessous) le bilan exact concernant le programme nucléaire de celle-ci ;il a, dans la foulée, imposé une trêve aux deux belligérants, mais surtout, en pratique, à un Premier ministre israélien, M. Netanyahou, qui souhaitait vraisemblablement embarquer son grand allié américain dans un conflit prolongé, de nature à entraîner un changement de régime à Téhéran ; Enfin, il est parvenu à sortir par le haut du dilemme que cette opération comportait pour lui en politique intérieure : les partisans d’une intervention militaire, devenus rares dans la classe politique américaine, peuvent le créditer d’une action armée forte ; la masse de sa base et de ses soutiens restrainers (dont Steve Bannon et Carlson Tucker) peuvent lui savoir gré d’avoir su s’arrêter très vite. Au-delà de ce constat, quelles premières leçons peut-on tirer de cette affaire ? En soulignant qu’il y a, à ce stade, plus d’interrogations que de certitudes, nous distinguerons quatre sortes d’impacts de l’intervention américaine : sur le programme nucléaire iranien, sur le régime de la République islamique, sur les équilibres de forces régionaux et globaux, enfin… sur la suite des événements.Le programme nucléaire iranienÀ peine la poussière des bombardements était-elle retombée qu’une étrange querelle des évaluations s’engageait : le président Trump estimait que les installations nucléaires iraniennes avaient été "annihilées", mais CNN, repris par le New-York Times, faisait fuiter une analyse de la Defense Intelligence Agency (le renseignement militaire américain) beaucoup plus sobre ; le bruit se répandait assez vite que les autorités iraniennes avaient pu transférer (hors de Fordo notamment) des dizaines de kilos d’uranium enrichi ; d’après les images satellitaires, il semble que ce sont surtout les structures extérieures des installations nucléaires qui ont été touchées ; enfin, au sein du régime iranien lui-même, le Guide suprême parle d’un échec absolu de l’attaque américaine, que le ministre des Affaires étrangères iranien, M. Araghchi, admet que le programme nucléaire de son pays a été endommagé, quand enfin d’autres fuites américaines font état de coups de fil entre dirigeants iraniens se félicitant du peu d’impact des frappes américaines.L’hypothèse conservatrice nous paraît être que le programme a été sérieusement dégradé sans compromettre vraiment la capacité de l’Iran d’aller de l’avant vers la bombe. C’est ce que vient de déclarer le patron de l’AIEA, Rafael Grossi. M. Trump semble d’ailleurs l’admettre à sa manière en indiquant qu’il est prêt à réitérer une campagne de frappes si nécessaire.La "guerre des Douze jours" risque fort d’avoir rendu les responsables iraniens encore plus déterminés dans la recherche de la capacité nucléaire militaire et résolus à procéder de manière clandestine.On peut avancer aussi que la "guerre des Douze jours" risque fort d’avoir rendu les responsables iraniens encore plus déterminés dans la recherche de la capacité nucléaire militaire et résolus à procéder de manière clandestine. Sur ce dernier point, le maintien de l’Iran dans le TNP (alors que les dirigeants iraniens avaient évoqué une sortie du traité) ne constituerait pas une vraie garantie de transparence mais pourrait être simplement un écran de fumée.Les frappes israéliennes n’ont-elles pas décapité l’élite des scientifiques iraniens travaillant sur le programme nucléaire ? Peut-être, mais il paraît peu probable que ce soit de manière durable, comme l’indiquent Mark Goodman et Mark Fitzpatrick dans le Bulletin of Atomic Scientists. En revanche, la capacité stupéfiante qu’a eu le Mossad de pénétrer les systèmes iraniens constitue pour Téhéran une menace sérieuse.Le régime iranienLes dirigeants iraniens ont su parfaitement réagir à l’attaque américaine en choisissant une réplique inoffensive sur une base américaine au Qatar (après avoir prévenu les intéressés) de façon à sauver la face et éviter l’escalade ; ils ne manquent pas de s’attribuer la victoire. Sur le plan interne, le pouvoir iranien a aussitôt entrepris une répression féroce contre d’éventuels opposants, assimilés à des traîtres ayant facilité la pénétration des services israéliens. L’un et l’autre développements étaient prévisibles.Les observateurs de la politique iranienne, au début des frappes israéliennes, ne croyaient pas à la possibilité d’un soulèvement populaire emportant le régime ; et pourtant, beaucoup estimaient quand même que la République islamique ne survivrait pas à une campagne prolongée de frappes. La dégradation de l’économie et la révolte "Femmes, vie, liberté" ont beaucoup affaibli la légitimité des mollahs. Le répit qui leur est accordé par la trêve actuelle leur offre une opportunité de réaffirmer leur autorité, par la force à défaut de pouvoir le faire par d’autres moyens. On doit s’attendre à un durcissement du régime iranien comparable à celui du régime de Saddam Hussein après la première guerre du Golfe. Les voisins de l’Iran ne s’y trompent pas, qui craignent une telle évolution tout en constatant le caractère limité de l’opération américaine. Dans un article du Financial Times, Émile Hokayem observe une certaine désillusion chez les dirigeants des États du Golfe, qui voient la stabilité de la région compromise pour des années.Est-ce à dire que les équilibres internes au régime ne vont pas être modifiés ? C’est une autre question : avant même la mort du Guide, l’Ayatollah Khamenei, on peut imaginer que l’heure des règlements de comptes est venue ou va venir à l’intérieur du régime. Ceux-ci devraient concerner en particulier les différentes branches sécuritaires (Gardiens de la révolution, Renseignement, Armée) ; à la fin, toutefois, le centre de gravité du pouvoir risque fort de se déplacer vers ces "structures de force", comme on dit à Moscou, au détriment de l’assise religieuse du système mais aussi de la société civile.Les équilibres globaux et régionauxL’action de force américaine a-t-elle permis de rétablir la capacité de dissuasion de l’Amérique, voire la "centralité stratégique" des États-Unis, selon la formule de Thomas Gomart ? Il y a des raisons d’en douter : certes M. Trump, malgré ses promesses électorales bien connues - "Nous mesurerons notre succès non seulement par les batailles que nous gagnerons, mais aussi par les guerres que nous empêcherons, et peut-être plus important encore, par les guerres que nous ne commencerons pas" - a démontré qu’il est capable de recourir à la force, ce qui pour la Russie, la Chine ou la Corée du Nord constitue un signal non négligeable ; en même temps, on peut soutenir que la hâte mise par M. Trump à vouloir la paix se retourne contre l’effet dissuasif de son action : si le président Trump n’envisage le recours à la force que de manière aussi limitée, ses menaces sont-elles si convaincantes ? Un gendarme - ou pour mieux dire, un shérif - qui ne tire qu’une fois est-il vraiment un gendarme (ou un shérif) ? Et aurait-il dégainé sans l’action préalable d'Israël ?Si le président Trump n’envisage le recours à la force que de manière aussi limitée, ses menaces sont-elles si convaincantes ?Une autre façon de traiter la question est de se concentrer sur le théâtre régional et de se référer à la politique de Trump lors de son premier mandat.En examinant en effet ce que fut celle-ci au Proche-Orient, on serait tenté de dégager un schéma récurrent : tout en privilégiant la diplomatie (les accords d’Abraham) et le commerce, la première administration Trump avait déjà eu recours à des actions de force ponctuelles : frappes en Syrie à deux reprises (2017 et 2018) en lien avec l’usage de l’arme chimique par le régime d’Assad (et par contraste avec l’inaction d’Obama en 2013) ; assassinat du chef de la force Qods, le général Qassem Soleimani en janvier 2020 ; sans recourir à la force mais en maniant quand même le bâton, Trump I était sorti de l’accord nucléaire avec l’Iran (JCPOA) en 2018 et avait réglé par des menaces de sanctions dures un différend avec la Turquie (en octobre 2019, s’agissant du Nord-Est syrien).Autrement dit : pas de désengagement américain du Proche-Orient pour l’instant, volonté de s’appuyer davantage sur les alliés régionaux, israélien et golfiques (mais pas l’Égypte), capacité de recourir à des moyens de pression non-cinétiques, disponibilité à frapper militairement, mais seulement de manière ponctuelle. On l’a noté plus haut, il n’est pas certain qu’une telle approche soit parfaitement rassurante pour les alliés arabes de l’Amérique. Elle laisse une marge d’action pour la Chine et la Russie. Deux grandes différences apparaissent entre Trump I et Trump II au Proche-Orient : une marginalisation accrue des Européens (Washington n’a prévenu aucun de ses alliés européen avant de frapper en Iran, il ne prévoit pas de les associer à d’éventuelles négociations avec Téhéran) ; et la situation créée par la guerre israélo-palestinienne : il serait logique maintenant que M. Trump cherche à régler la situation à Gaza, fût-ce en traitant Netanyahou sans ménagement si nécessaire (et là aussi sans associer les Européens ).Quelles perspectives ?"Le jour d’après" la guerre des Douze jours devrait être déterminé par les deux données à peu près sûres que l’on a pu relever ci-dessus : volonté d’un régime iranien encore plus autoritaire de poursuivre un programme nucléaire ; doute persistant sur la volonté américaine de recourir à la force autrement que de manière sporadique.Le caractère non conclusif de ce qui vient de se passer - surtout si la "bataille des évaluations" tourne au fiasco pour M. Trump - va nécessairement inciter beaucoup d’États, de la Corée du Sud à l’Arabie saoudite et d’autres, à s’interroger sur leur renonciation à la bombe.Si ces données sont confirmées, la guerre des Douze jours pourrait être le début d’un cycle qui verra d’autres conflits Iran-Israël. C’est aussi l’analyse de notre collègue Soli Özel, qui fait observer que la guerre de Six jours (juin 1967) avait été suivie de la "guerre d’usure" (1967-1970) et surtout de la "guerre du Kippour" (octobre 1973). De surcroît, le caractère non conclusif de ce qui vient de se passer - surtout si la "bataille des évaluations" tourne au fiasco pour M. Trump - va nécessairement inciter beaucoup d’États, de la Corée du Sud à l’Arabie saoudite et d’autres, à s’interroger sur leur renonciation à la bombe. Le régime de non prolifération ne sort pas renforcé de l’épisode.À moins que la voie diplomatique ne l’emporte à Washington, Téhéran, et Jérusalem : il est vraisemblable que seul M. Trump pourrait l’imposer - ce qui serait paradoxalement une vraie démonstration de la centralité stratégique américaine. Avec ou sans les Européens ? Cela dépendra notamment de leur capacité à travailler avec les puissances régionales - du Golfe en particulier - dont il est à craindre qu’elles n’ont pas été impressionnées par les oscillations et divisions européennes durant la guerre des Douze jours.Copyright image : Andrew Harnik / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP Le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, et le Chef d'état-major des armées, Dan Caine, lors d’une conférence de presse au Pentagone, le 26 juin 2025. ImprimerPARTAGERcontenus associés 16/06/2025 Israël-Iran – les Européens à contre-emploi Michel Duclos 18/06/2025 [Le monde vu d’ailleurs] - Israël/Iran : une équation complexe pour la Russ... Bernard Chappedelaine