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12/11/2024

COP29 : Trump, Chine, financement et illusions

COP29 : Trump, Chine, financement et illusions
 Joseph Dellatte
Auteur
Expert Résident - Climat, énergie et environnement

Alors que la COP29 accueillie par l’Azerbaïdjan s’ouvre dans le contexte d’inquiétude suscitée par l’élection de Donald Trump, Joseph Dellatte recense les enjeux d’un sommet mis à mal par la faiblesse du multilatéralisme. Ambitions réelles ou effets de discours, opportunisme ou responsabilité : quels seront les rôles respectifs de la Chine, des États-Unis et de l’Europe ? Pour concilier prospérité économique et décarbonation, l’exemple européen sera crucial, nous montre l’auteur.

La COP29 s’ouvre à Bakou, en Azerbaïdjan, alors que 2024 sera probablement l’année où le monde franchira officiellement le seuil des 1,5 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, l’une des deux limites critiques fixées par l’Accord de Paris.

Cette conférence des Nations unies sur le climat s’ouvre dans un contexte de plus en plus précaire pour l’action multilatérale. La réélection de Donald Trump, qui promet de se retirer une fois de plus de l’Accord de Paris et bénéficie, contrairement à 2016, d’une majorité républicaine au Sénat, pourrait permettre un retrait complet des États-Unis de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), constitue une menace importante pour le régime de l’Accord de Paris. Il n’avait pu accomplir cette dernière démarche lors de son premier mandat, ce qui avait permis aux négociations multilatérales de continuer sans les États-Unis avec l’espoir de les voir revenir quatre ans plus tard, ce qui fut le cas après l’élection de Joe Biden en 2020.

Après les Émirats arabes unis, il s’agit de la deuxième COP organisée dans un des pays majeurs de la production d’énergies fossiles (notamment de gaz), dont ce fournisseur clé de l’Europe tire 60 % de ses revenus nationaux. À l’image de la présidence émiratie de la COP28, la présidence azerbaïdjanaise de la COP29 est déjà accusée d’utiliser l’événement pour promouvoir son gaz fossile comme une alternative moins carbonée au pétrole ou au charbon.

La présidence azerbaïdjanaise de la COP29 est déjà accusée d’utiliser l’événement pour promouvoir son gaz fossile comme une alternative moins carbonée au pétrole ou au charbon.

Cette stratégie nourrit une fois de plus la liste des critiques envers les COP, dont le choix du pays hôte est fixé par des règles onusiennes héritées de la guerre froide. Négliger ce processus serait pourtant une erreur. Bien qu'il s'apparente de plus en plus à un concours de narration géopolitique entre principaux pollueurs historiques et pays en développement, il demeure l’unique arène où le climat - un défi par nature global - occupe une place centrale et où les gouvernements du monde entier continuent à se parler.

L’agenda de la COP29

Les objectifs de cette COP sont relativement modestes. Celle-ci est surtout conçue comme une conférence de transition avant la COP30 au Brésil fin 2025, où les pays devront renouveler leurs engagements de réduction des émissions dans leurs Contributions Nationalement Déterminées (CND). En conséquence, la COP de Bakou est boudée par la plupart des chefs d’État mondiaux, dont Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen, Xi Jinping, Narendra Modi et Joe Biden. Keir Starmer, nouveau Premier ministre britannique, et Giorgia Meloni, présidente actuelle du G7, sont les seuls, parmi les principaux dirigeants mondiaux, à y figurer.

Les objectifs principaux de ce sommet visent à établir une nouvelle ambition de financement climatique : les réclamations en ce sens se font pressantes, émanant non seulement des pays en développement, mais aussi des grands émergents comme l’Inde, qui appellent à la responsabilité des pollueurs historiques. Les délégués espèrent faire de ce sommet une "COP du financement", dont la priorité sera l’adoption d’un nouvel objectif financier collectif et quantifié (NCQG), qui remplace l’engagement annuel de 100 milliards de dollars fixé en 2009 et atteint pour la première fois en 2022.

Atteindre ce nouvel objectif est crucial pour permettre aux nations vulnérables de financer leur développement bas-carbone et renforcer leur résilience face aux impacts climatiques. Ce besoin est estimé à plusieurs milliers de milliards de dollars, un chiffre qui donne le vertige et que la finance publique ne pourra évidemment pas remplir. Le principal enjeu est donc de créer les conditions pour que la finance privée soit incitée à investir pour le climat. Une tâche très complexe, sachant que les énergies fossiles sont toujours plébiscitées par les principaux acteurs économiques mondiaux - d’autant plus après une élection américaine marquée par le slogan "forer, Baby, forer", et par une campagne républicaine promettant d’extraire un maximum de pétrole et de gaz. Un tel contexte n’incite évidemment pas à la réorientation des flux financiers vers les énergies non carbonées…

La COP29 tentera ainsi, dans la lignée des promesses de Dubaï, de promouvoir des réformes pour mobiliser davantage de financements privés et novateurs, notamment via les banques multilatérales de développement (FMI, Banque Mondiale etc..). L’objectif est de garantir une transition équitable vers une économie bas-carbone pour tous, avec des mécanismes de transparence renforcés pour assurer que les flux financiers répondent réellement aux besoins des pays les plus vulnérables.

Une autre priorité sera la question des "pertes et dommages", pour laquelle le fonds adopté il y a deux ans à Charm el-Cheikh reste à concrétiser et demeure cruellement sous-financé - une situation qui risque de perdurer longtemps, compte tenu de la sensibilité du sujet dans de nombreuses chancelleries des pays du Nord.

Le principal enjeu est donc de créer les conditions pour que la finance privée soit incitée à investir pour le climat.

Il s’agit ici de trouver des moyens concrets de compenser, pour les communautés les plus touchées, les dommages causés par les catastrophes dues aux changements climatiques. Les discussions porteront également sur l’adaptation aux changements climatiques et sur les marchés du carbone, via l’Article 6 de l’Accord de Paris, visant à garantir une transparence accrue dans un domaine souvent perçu comme opaque.

Enfin, la COP29 est aussi, en théorie, une opportunité pour les États de renforcer leurs engagements climatiques nationaux, en conformité avec les promesses faites lors des sommets précédents.

Mais ces objectifs sont-ils réalistes dans le contexte actuel ? Soyons honnêtes, la tâche sera ardue. Le retour de Trump à la Maison-Blanche en janvier 2025 pourrait inciter les démocrates à se positionner comme le "parti du climat", mais l’administration Biden, sur le départ, ne dispose plus des moyens politiques pour aller au-delà du discours lors cette COP.

Illusions chinoises

Beaucoup d’activistes climatiques et de protagonistes des COP tournent donc leur regard vers la Chine, espérant naïvement qu’elle assume un rôle de leader aux côtés des Européens. Cependant, il serait erroné de s'illusionner sur ce que Pékin envisage réellement de jouer, comme indiqué dans son dernier Rapport Annuel sur l’Action Climatique.

Incontestable leader dans le déploiement des technologies propres, dont elle contrôle la majorité des chaînes d'approvisionnement, la Chine a intérêt à promouvoir leur adoption, mais elle n’a pas l’intention de s’engager dans une politique de restriction massive de ses émissions à court terme. Concrètement, cela signifie qu’il ne faut s’attendre de la part de Pékin à aucun prix du carbone significatif avant au moins 2030, ni à un refus d’une limitation absolue des émissions avant cette date, ni à une priorité accordée à la sécurité énergétiquevia le charbon tant que cela sera nécessaire à sa croissance économique.

Certains prédisent depuis longtemps le pic des émissions chinoises. Celui-ci devrait arriver dans les prochaines années mais le moment exact reste incertain. Or seul le déclin rapide de ces émissions sera le véritable indicateur de l’engagement de la Chine dans la lutte climatique. Et au-delà des discours, rien n’est sûr dans un contexte de croissance chinoise essoufflée et d’attachement au charbon comme garantie de long terme. De plus, les tensions commerciales croissantes autour des exportations de technologies propres chinoises (batteries, panneaux solaires, véhicules électriques) exacerbent les réticences de nombreux pays, y compris ceux du Sud que la Chine prétend soutenir.

En clair, la Chine veut bien faire du climat tant que ça lui rapporte commercialement. Mais elle doit faire face à un rejet croissant de son approche mercantiliste de la part de nombreux pays du monde, qui y perçoivent un risque de déclassement économique dans le cadre d’une transition énergétique déjà difficile à réaliser.

Tant que la stratégie de croissance chinoise continuera de reposer sur le développement industriel et l'exportation de biens manufacturés vers des marchés tiers, il est probable que la réduction des émissions demeurera lente.

Ainsi, la nouvelle Contribution Nationalement Déterminée chinoise, attendue début 2025, pourrait annoncer un pic des émissions, mais ce dernier reflétera sans doute davantage une stratégie de positionnement géopolitique en matière de climat, face au retrait américain, qu'un réel tournant dans les actions de Pékin. En effet, les mesures concrètes que prendra la Chine resteront étroitement liées au succès de son développement économique. Tant que la stratégie de croissance chinoise continuera de reposer sur le développement industriel et l'exportation de biens manufacturés vers des marchés tiers, il est probable que la réduction des émissions demeurera lente.

Entre la Chine et les États-Unis

Les États-Unis sous Trump et la Chine seront-ils si différents en matière de climat ? Dans la rhétorique, oui. Dans les faits, peut-être pas. Trump devrait réformer l’Inflation Reduction Act - principale politique de décarbonation aux USA - et non pas l’annuler complètement vu la popularité de cette politique auprès de bons nombres d’acteurs économiques, particulièrement dans les États républicains.

Le déploiement des technologies propres se poursuivra probablement, porté par les contrats existants, l’initiative des États et l’entreprenariat privé. Sous Trump, ce développement sera néanmoins concomitant à un retour au free-riding dans l’exploitation des énergies fossiles, augmentant les émissions mondiales et envoyant un signal désastreux quant au désinvestissement des énergies fossiles… Cela s’inscrira toutefois dans un contexte de probable excédent de production pétrolière mondiale, avec une consommation qui pourrait finalement se révéler inférieure aux prévisions.

Or, si l’on s’attache à ses résultats, cette stratégie, où s’additionne technologies propres et énergies fossiles, n’est pas très différente de la stratégie chinoise. La Chine déploie aussi massivement les technologies propres tout en maintenant les fossiles, et surtout le pire d’entre eux, le charbon. Les deux géants divergent ainsi nettement de l’Europe, pionnière dans la réduction de ses émissions, qui négocie un objectif de 90 % de baisse d’ici 2040 et adopte un prix du carbone élevé couvrant la plupart des secteurs économiques. Ni Trump, ni Xi Jinping, ne présentent d’ambitions comparables.

Sur le plan du financement climatique, les perspectives venant de Washington sont désespérantes par rapport à sa responsabilité historique. Mais ce terme s’applique aussi à la position de Pékin. La Chine maintient qu’elle est un pays en développement et refuse donc d’être soumise aux mêmes obligations que les pays "riches" dans le nouveau cadre de financement à négocier à Bakou, ce qui l'exonère de financements obligatoires ou même de responsabilité morale. La Chine deviendra pourtant, au rythme actuel, le deuxième émetteur historique d’ici trois ans, derrière les États-Unis, et surpassant l’Europe entière. Elle se rabat sur un financement volontaire "Sud-Sud", essentiellement via sa contribution aux banques multilatérales telle que la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, qui s’élèverait à 4 milliards en 2022 - trois fois moins que la France. Cette position est intenable pour l’Europe, le Japon ou le Canada, qui considèrent Pékin comme un financeur indispensable.

Avec le retrait américain qui se profile, le processus de l’Accord de Paris devra une fois encore compter sur l'engagement diplomatique de la Chine pour préserver sa crédibilité, offrant ainsi à Pékin une occasion stratégique sur le plan géopolitique. La Chine saisira-t-elle cette opportunité en s'engageant, par exemple, à contribuer davantage au financement climatique? Pour l’instant, la réponse semble être négative, ce qui pourrait fragiliser encore plus le processus de Paris.

Le processus de l’Accord de Paris devra une fois encore compter sur l'engagement diplomatique de la Chine pour préserver sa crédibilité, offrant ainsi à Pékin une occasion stratégique sur le plan géopolitique.

La course aux technologies propres au cœur de l’action climatique

La survie de ce processus permettra-t-elle néanmoins de progresser collectivement vers une réduction significative des émissions ? Tout dépendra de la capacité des technologies propres à garantir une sécurité énergétique et une croissance suffisante pour les pays qui s'engagent rapidement dans cette transition.

Il en va donc de notre responsabilité, en tant qu’Européens, de prouver qu’il est possible de concilier prospérité et succès dans la décarbonation. Une responsabilité qui incombe particulièrement à l’Europe et au succès de sa politique de compétitivité et de décarbonation, surtout après la réélection de Donald Trump. Sans cela, l’action multilatérale, déjà en échec pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, risque d’échouer également à nous faire rester sous la barre des 2 °C, avec des conséquences désastreuses pour nos populations et pour notre planète.

Copyright image : Alexander NEMENOV / AFP
Le président de la COP28, Sultan Ahmed Al Jaber, et celui de la COP29, Mukhtar Babayev, lors de la cérémonie d’ouverture de la COP29 de Bakou, le 11 novembre 2024.

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