AccueilExpressions par MontaigneLe Triangle de Weimar doit être le chef de file de la politique industrielle de l’UEL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.26/04/2024Le Triangle de Weimar doit être le chef de file de la politique industrielle de l’UE Énergie EnvironnementImprimerPARTAGERAuteur Joseph Dellatte Expert Résident - Climat, énergie et environnement Auteur Lukas Hermwille Co-Directeur du département de recherches sur la transition industrielle au sein du Wuppertal Institute Auteur Aleksander Śniegocki Directeur du Reform Institute à Varsovie Dans la course contre la montre de la décarbonation, l’Union européenne doit agir rapidement pour s’engager dans la transition écologique. Il ne s’agit pas seulement de prendre la tête de la compétition mondiale en matière de technologies vertes, mais aussi d’assurer l’avenir de l’économie européenne tout en luttant contre le changement climatique. À l’approche des élections européennes, on ne saurait trop insister sur l’urgence de ce double défi. Avec un nouveau gouvernement polonais favorable à l’UE, le Triangle de Weimar pourrait être l’endroit idéal pour offrir un nouveau souffle en matière de politique industrielle en Europe.La politique industrielle européenne est confrontée à de multiples vents contraires. En raison des élections à venir, le Parlement européen et la Commission sont dans une période d’accalmie - les empêchant de lancer des initiatives majeures. Le Parlement, véritable « canard boiteux » au cours du premier semestre 2024, aura besoin de temps pour s’installer après les élections de juin. De même, la Commission, confrontée à son propre renouvellement en 2024, pourrait donner la priorité à d’autres questions, plutôt qu’à des projets ambitieux en matière de décarbonation.De même, la Commission, confrontée à son propre renouvellement en 2024, pourrait donner la priorité à d’autres questions, plutôt qu’à des projets ambitieux en matière de décarbonation.À partir de juillet, la Hongrie assurera la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Malgré de récentes concessions, l’engagement du gouvernement hongrois en faveur des valeurs démocratiques et de l’action climatique reste préoccupant - ce qui risque de freiner les progrès sur des points essentiels. Enfin, les sondages indiquent une montée inquiétante du soutien aux partis d’extrême droite, dont beaucoup expriment leur scepticisme à l’égard d’initiatives telles que le Pacte vert européen et plus largement des politiques climatiques.Le succès potentiel de ces partis lors des prochaines élections constitue une double menace : non seulement il pourrait ébranler les efforts de l’UE en matière de climat, mais il risque également de faire perdre un temps précieux dans la course au monopole des industries de demain.Une initiative commune pourrait aider l’Allemagne, la France et la Pologne à relever les défis nationauxDans ce contexte difficile, la collaboration de ces trois gouvernements pourrait être une solution. Le Triangle de Weimar – une alliance politique entre la France, l’Allemagne et la Pologne créée en 1991 dans la ville de Weimar – a servi de forum pour faire avancer les questions européennes dans le passé, mais n’a pas joué de rôle majeur récemment. Aujourd’hui, la situation pourrait enfin changer, car ces trois pays sont dirigés par des gouvernements résolument pro-européens pour la première fois depuis près d’une décennie. Et tous sont confrontés à des défis nationaux qu’une initiative à l’échelle de l’Union pourrait aider à contourner.Pour le gouvernement allemand, la marge de manœuvre en politique intérieure est de plus en plus réduite. Les contraintes fiscales ayant été récemment renforcées par un arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale, la coalition "feu tricolore" semble ne plus être en mesure de mener à bien sa politique. Se concentrer sur le niveau européen peut être un moyen efficace de contourner l'impasse à l’échelon national et permettre au chancelier Scholz et à son gouvernement, notamment Robert Habeck, ministre des Affaires économiques et de l'action climatique, de poursuivre leur programme politique.Avec sa politique industrielle ambitieuse et son engagement dans le Pacte vert, Paris apparaît comme un catalyseur crucial pour le progrès au sein du Triangle de Weimar. S'inspirant de sa tradition historique d'implication de l'État dans le développement industriel, la France mène des politiques visant à favoriser la réindustrialisation verte. L'accent mis par le président Emmanuel Macron sur la reconquête de la souveraineté industrielle souligne l'importance de l'autosuffisance dans des secteurs clés.S'inspirant de sa tradition historique d'implication de l'État dans le développement industriel, la France mène des politiques visant à favoriser la réindustrialisation verteCependant, le paysage politique actuel – caractérisé par une représentation minoritaire à l'Assemblée nationale, un raz-de-marée potentiel du Rassemblement national lors des prochaines élections européennes et un resserrement des dépenses publiques – restreint le champ d’action de la France pour faire avancer à elle seule la politique industrielle verte.Pour jouer un rôle constructif, la France et l'Allemagne devront surmonter leurs récentes animosités. Le président polonais pourrait être la personne idéale pour désamorcer les tensions franco-allemandes et construire une coalition. Celle-ci s’appuierait sur la base du dévouement de la France à la réindustrialisation verte, sur la domination de l'Allemagne en matière de politique économique et climatique, et sur les propres prouesses de Tusk dans sa gestion de la politique européenne.Donald Tusk a déjà démontré sa capacité à influencer le débat politique au sein de l'Union européenne, avant même de devenir président du Conseil européen. C'est lui qui a inventé le terme "Union de l'énergie", donnant ainsi une impulsion à une meilleure intégration des considérations de sécurité énergétique dans le cadre politique de l'UE. Ses propositions en 2014 incluaient notamment l'achat commun de gaz pour renforcer la position de l'UE vis-à-vis de la Russie. Cette initiative européenne commune, rejetée à l'époque, a été ravivée au milieu de la crise des combustibles fossiles causée par la guerre de la Russie en Ukraine. Six mois après les élections, le nouveau gouvernement polonais a besoin d'un programme tourné vers l'avenircar le mécontentement des Polonais à l'égard du prédécesseur de Tusk est progressivement remplacé par des questions sur l'avenir de la Pologne et son rôle dans le projet européen. Fournir une vision qui associe les engagements climatiques avec la coopération au niveau de l'UE ainsi que mettre l’accent sur la compétitivité industrielle pourrait composer un premier élément de réponse. Enfin, la Pologne succédera à la Hongrie à la présidence du Conseil de l'Union européenne lors du premier mandat de 2025, ce qui lui offrira une occasion unique de mettre en œuvre les initiatives politiques élaborées au cours de l'année 2024.Une politique industrielle active est essentielle pour le Pacte vert européen et plus largement pour la démocratie européenneNous assistons à une renaissance de la politique industrielle au niveau mondial. L'UE est en concurrence avec les États-Unis et surtout avec la Chine pour dominer les industries vertes émergentes. D'autre part, la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine a provoqué un choc pour l'industrie européenne et a mis en évidence la nécessité d'une politique industrielle comme moyen de garantir la sécurité et la souveraineté.Dans cette nouvelle ère de géopolitique industrielle, l'UE ne peut rester compétitive qu’en s’appuyant sur son unité et sur le marché unique. Cependant, la politique industrielle et les aides d'État risquent de créer un fossé entre les États membres.Dans cette nouvelle ère de géopolitique industrielle, l'UE ne peut rester compétitive qu’en s’appuyant sur son unité et sur le marché unique. Cependant, la politique industrielle et les aides d'État risquent de créer un fossé entre les États membres. Les plus avancés sur le plan économique - et les plus peuplés - pourront accorder des aides d'État généreuses à leurs industries nationales, tandis que les États membres disposant de moins de ressources - et les plus petits - seront dans l’incapacité d’en faire de même.En outre, la politique industrielle est cruciale dans la course mondiale aux technologies vertes, où les schémas d'investissement actuels ne favorisent pas l'UE. Cette tendance doit être inversée pour assurer la transition de la base industrielle actuelle de l'UE et parvenir à un développement vert générateur d’activité économique. Une politique stratégique et des investissements dans les technologies durables sont essentiels pour la compétitivité et la durabilité à long terme de l'Union.Tracer une voie durable, unifiée et inclusive : principes pour une bonne politique industrielle de l'UELe succès de la collaboration du Triangle de Weimar dépend non seulement de leur volonté collective, mais aussi des principes directeurs qui définissent leur approche de la politique industrielle de l'UE. Nous proposons trois principes clés qui devraient leur servir de boussole.En premier lieu, la politique industrielle européenne doit être transformative. Chaque initiative industrielle doit s'aligner sur les objectifs climatiques ambitieux de l'Europe. Cela signifie qu'il faut encourager l'innovation dans les technologies vertes, promouvoir l'efficacité énergétique et garantir une transition juste pour les salariés touchés par le changement. Il n'est pas possible de maintenir indéfiniment le soutien aux industries à forte consommation d'énergie, mais cela peut toutefois s'avérer nécessaire pendant une période de transition. Permettre l'accès à des prix d'électricité bon marché, par le biais de subventions et d'autres mécanismes, sera nécessaire pour encourager l'électrification à grande échelle des processus industriels. Toutefois, ces subventions devront être directement liées aux investissements dans l'expansion de la production d'électricité à faible teneur en carbone, et progressivement supprimées au fur et à mesure que nous nous rapprochons d'un système d'énergie décarboné.En second lieu, la politique industrielle de l'UE doit renforcer l'unité européenne, la compétitivité et le marché unique. La politique industrielle ne doit pas être un jeu à somme nulle entre les États membres. L'accent doit être mis sur la collaboration, sur l'exploitation des atouts de chaque nation et sur la création de conditions de concurrence équitables au sein du marché unique. Une façon de rendre ce principe opérationnel serait d'utiliser la plateforme "Technologies stratégiques pour l'Europe" comme moyen de compenser les aides d'État versées par les États membres les plus puissants sur le plan fiscal. Pour ce faire, la plateforme aurait besoin de nouveaux fonds importants. Une façon de générer ces fonds serait d'exiger des États membres qu'ils versent une contribution obligatoire à la plateforme pour chaque euro dépensé en aides d'État. Une autre solution consisterait à appliquer un mécanisme similaire à celui du Fonds de relance : lever des fonds conjointement au niveau européen, qui seraient ensuite remboursés au moyen d'instruments futurs (tels que les recettes futures du système communautaire d'échange de quotas d'émission après la fin des allocations gratuites en 2030).Enfin, la politique industrielle de l'UE doit privilégier la collaboration mondiale plutôt que la concurrence. S’il est nécessaire d'entamer une course technologique réaliste contre le changement climatique, celle-ci doit se faire dans un esprit de collaboration où tous les concurrents s'encouragent mutuellement à donner le meilleur d'eux-mêmes. Or, une course dans un esprit de rivalité géopolitique, alimentée par le nationalisme qui peut caractériser une politique industrielle, pourrait en fin de compte être néfaste pour le climat, dans la mesure où elle ne soutiendrait pas l'innovation et le déploiement efficace des technologies, en se concentrant plutôt sur la course insoutenable aux subventions et sur les barrières commerciales.S’il est nécessaire d'entamer une course technologique réaliste contre le changement climatique, celle-ci doit se faire dans un esprit de collaboration où tous les concurrents s'encouragent mutuellement à donner le meilleur d'eux-mêmesLa stratégie industrielle de l'UE doit promouvoir une coopération ouverte et fondée sur des règles avec les partenaires mondiaux. Il s'agit notamment de favoriser un partenariat positif avec les pays en développement, qui inclurait une collaboration gagnant-gagnant en matière de ressources, de transfert de technologies et de partage des connaissances, tout en veillant à ce qu'ils ne soient pas pris dans le feu croisé de la concurrence géopolitique. Le résultat final serait une économie mondiale avec des capacités industrielles décarbonées plus uniformément réparties. Cela renforcerait la sécurité économique de l'Europe, tout en étant plus juste et beaucoup plus réaliste que d'essayer d'atteindre une résilience industrielle totale par l'autosuffisance.Une année perdue pourrait devenir une décennie perdueBien qu'elle ne soit pas sans limites, la collaboration entre la Pologne, la France et l'Allemagne offre une lueur d'espoir cruciale pour la politique industrielle de l'UE au milieu des vents contraires de 2024. Reconnaître son potentiel et relever ses défis de manière efficace pourrait conduire à des progrès significatifs, ouvrant la voie à un avenir européen plus durable et plus prospère. Compte tenu des élections à venir en Allemagne et en France, il pourrait s’agir de la dernière occasion de façonner positivement le paysage industriel européen.Copyright image : Sarah MEYSSONNIER / POOL / AFPLa ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, serre la main à son homologue polonais, Radoslaw Sikorski, en présence de Stéphane Séjourné, le 12 février 2024. Le Triangle de Weimar doit être le chef de file de la politique (5 pages)TéléchargerImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneFévrier 2024Énergie : des atouts à valoriserL'Institut Montaigne met en avant cinq filières énergétiques vitales pour la transition en France, appelant à des décisions politiques éclairées. 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