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25/11/2024

COP29 : entre l’Europe et la Chine, le grand marchandage

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COP29 : entre l’Europe et la Chine, le grand marchandage
 Joseph Dellatte
Auteur
Expert Résident - Climat, énergie et environnement

La COP29 s’est achevée le 22 novembre, au milieu d’un carambolage politique international (G20, élection de Donald Trump) qui a pu lui confisquer la visibilité pourtant requise par l’importance des enjeux. Revendication de certaines capitales à conserver les avantages d’un statut de pays “en développement” (donc non contributeurs aux financements climatiques) en dépit de leur situation économique réelle, place des financements privés, gouvernance et fléchage des fonds, objectifs quantitatifs : les points de divergence sont nombreux et le risque de déraillement de l’Accord de Paris réel. Dans un tel contexte d’urgence, la place de la Chine, pourvoyeuse de technologies bas carbone et premier émetteur mondial, est plus centrale que jamais : à quel prix et à quelles conditions la rendre politiquement acceptable pour l’Europe ? Une analyse de Joseph Dellatte, qui a assisté aux négociations de Bakou. 

Malgré une conférence mal gérée par une présidence partiale et asservie aux intérêts fossiles de son pays, la COP29, à Bakou en Azerbaïdjan, a abouti à un accord qui établit un nouveau cadre collectif quantifié pour la finance climatique ; il s’agissait de l’objectif principal de cette conférence de l’ONU. Dans un cadre géopolitique instable, la relation entre l’Europe et la Chine est désormais centrale pour l’avenir des négociations climatiques. Cette relation pose des questions politiques existentielles pour les Européens qui doivent définir comment aligner lutte contre le changement climatique, agenda économique et sur-dépendance vis-à-vis de Pékin

Le nouvel objectif annuel en matière de finance climatique est désormais de 300 milliards de dollars de financement d’ici 2035. Ce dernier sera mobilisé à travers des fonds publics, via les banques multilatérales de développement, et inclura du capital privé qu’un investissement  public accru doit permettre de débloquer. Cet objectif représente une augmentation par rapport au plafond fixé à 100 milliards de dollars par an lors de l’accord de Copenhague en 2009. 

Pour la première fois, le texte de l’accord “encourage” également la Chine et les autres nations émergentes et très émettrices, les "pays les plus développés parmi les pays en développement" — une formule régulièrement mise en avant par les négociateurs chinois — à apporter leur contribution aux côtés des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon. Toutefois, si ces pays ne sont pas explicitement inclus dans le cadre de financement climatique obligatoire, ils le sont cependant dans le nouveau cadre du financement, via les Banques Multilatérales de développement. Cette nuance marque un changement subtil mais significatif dans le langage de la diplomatie climatique.

Le nouvel objectif annuel en matière de finance climatique est désormais de 300 milliards de dollars de financement d’ici 2035.

Beaucoup d’activistes et de représentants de pays les moins développés affichent leur grande déception sur le chiffre retenu. Ces derniers, s’appuyant sur les données scientifiques quantifiant les besoins, réclamaient en effet plus d’un millier de milliards de dollars d’argent public par an pour le financement climatique ("from billions to trillions").

Beaucoup jugent donc que le résultat de la négociation est loin d’être à la hauteur des enjeux : il se limite à une simple réévaluation, pour tenir compte de l’inflation, de l’objectif de 100 milliards fixé en 2009. De plus, selon la trajectoire actuelle des financements climatiques ("business as usual"), ces derniers auraient atteint 200 milliards de dollars d'ici 2035 sans effort supplémentaire. Ainsi, l'augmentation effective engagée par la COP29 ne représente, en réalité, qu’un surplus de 100 milliards. 

L'accord prévoit également une "feuille de route de Bakou à Belém" visant, de manière non contraignante, à identifier les moyens de mobiliser 1 300 milliards de dollars pour les pays en développement d'ici 2035. Cet objectif reposerait en grande partie sur des "nouvelles formes de financement", dont la mise en œuvre s'annonce particulièrement complexe. Parmi les pistes évoquées figure un accord sur une taxe internationale sur l'aviation ou encore sur la réallocation des subventions aux énergies fossiles vers le financement climatique international. Ces solutions semblent cependant peu réalistes, car les États ont tendance à privilégier l'utilisation domestique des recettes générées par de telles mesures hypothétiques, rendant leur mise en œuvre à l'échelle internationale hautement improbable.

L’Europe isolée

Malgré les tensions et les inévitables dramatisations qui ont marqué les deux semaines de négociations sur les rives de la mer Caspienne, ce compromis était assez prévisible dès les premiers jours de la conférence.

Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, marqué par la nécessité de financer leur propre décarbonation et de répondre aux conséquences de la guerre en Ukraine, les Européens - les principaux fournisseurs de financement climatique dans le monde - se trouvent dans l’impossibilité politique de faire des promesses plus ambitieuses. Leur mandat, limité par les gouvernements, ne leur permettait pas de répondre aux attentes élevées des pays en développement. 

Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche exclut d'emblée les États-Unis, premier pollueur historique, de toute crédibilité dans les négociations climatiques, mais cela s'inscrit dans la continuité pour Washington : le pays s’est illustré comme un partenaire défaillant en matière de financement climatique, faute de consensus au Congrès sur la légitimité même de ce principe.

L’Europe se retrouve plus isolée que jamais dans le processus de l’Accord de Paris. En 2023, elle a mobilisé 28,6 milliards d’euros en financement public climatique, auxquels se sont ajoutés 7,2 milliards d’euros de financement privé. Avec le départ des États-Unis et dans le cadre défini par l’Accord, elle partage donc désormais cette responsabilité financière essentiellement avec le Japon, l’Australie et le Canada, les seuls autres pays développés encore pleinement engagés dans ce financement. Cette marginalisation relative a amené l’Europe à exprimer au sommet de Bakou une frustration grandissante. Elle a constamment souligné sa ferme volonté d’impliquer les grands pollueurs émergents, tels que la Chine et les pays du Golfe dans le financement climatique. Or ces derniers s’opposent à ce principe avec une forte résistance. 
 
La Chine, pour sa part, continue de refuser d’être classée parmi les pays développés dans le cadre de l’Accord de Paris. Cette position, critiquée, y compris par certains pays en développement, est pourtant de plus en plus difficile à justifier pour Pékin, au regard de son statut de premier émetteur mondial et de deuxième pollueur historique en termes d’émissions absolues (un classement qui ne prend pas en compte les émissions par habitant). Néanmoins, le cadre des discussions climatiques ne remet guère en cause le confort des positions sur lesquelles campe la Chine, d’autant plus que se profile un second retrait des États-Unis de l’Accord de Paris : conscients du risque accru de déraillement de l’Accord de Paris, les Européens sont réticents à pousser la Chine dans ses retranchements. L’Accord négocié en 2015 demeurant la seule plateforme mondiale pour discuter de la lutte contre le changement climatique, les questions de financement climatique sont perçues comme secondaires par rapport à l’enjeu central : pousser Pékin à accélérer sa décarbonation

En outre, le retour de Trump oblige les Européens à préserver des plateformes de dialogue avec la Chine et l’arène climatique en est une importante, d’autant plus que les discussions climatiques englobent désormais des questions de gouvernance et d’orientation future de l’économie mondiale, autant de domaines stratégiques où le dialogue sino-européen revêt une importance croissante.

 Le retour de Trump oblige les Européens à préserver des plateformes de dialogue avec la Chine et l’arène climatique en est une importante

Un récit "post-colonial" dont profite la Chine

Les Européens ont réagi à la déception des pays du Sud quant à un objectif final jugé a minima en plaidant pour un recours accru à la finance privée afin de combler le déficit laissé par l’insuffisance des fonds publics.

Ces propositions ont été fermement rejetées par les États du Sud, qui, dans une rhétorique résolument post-coloniale, revendiquent leur droit à recevoir des financements sous forme de transferts directs de fonds publics. Selon eux, ces financements sont essentiels pour les aider à se développer de manière décarbonée, à s’adapter aux effets du changement climatique, et, bien sûr, à réparer les dommages déjà causés.

Cette position s’est accompagnée d’une demande d’objectifs précis pour chaque type de financement, en insistant particulièrement sur les plus difficiles à mobiliser : ceux destinés à l’adaptation et aux pertes et préjudices, domaines où les retours sur investissement sont quasi inexistants. L’Europe et les autres pays "riches" se sont opposés à l’introduction de ces sous-objectifs spécifiques par type de financement (atténuation, adaptation, ou pertes et préjudices), insistant sur son droit à décider librement des projets qu’elle soutient.

La Chine profite habilement de ce débat. Elle se positionne à la fois comme porte-parole des pays du Sud sur la question de la finance climatique, principal interlocuteur de l’Europe en l’absence des États-Unis, et fournisseur incontournable de technologies à bas coût, présentées comme des "solutions" globales au défi climatique, y compris pour abaisser le coût financier de la transition. Cette triple posture renforce l’influence stratégique de Pékin dans les négociations climatiques onusiennes.

Officiellement, les Européens réclamaient l’inclusion de la Chine et des pays du Golfe dans le cadre formel de financement climatique obligatoire. Cependant, très tôt dans les négociations, leur stratégie - dictée par la contrainte du retour de Trump - a été d’encourager la Chine à contribuer au financement climatique en dehors du cadre formel réservé aux pays du Nord. Cette approche vise à faire de Pékin un contributeur volontaire, tout en lui permettant de conserver son statut de pays "en développement", essentiel à sa position dans la géopolitique mondiale.

Elle se positionne à la fois comme porte-parole des pays du Sud sur la question de la finance climatique, [...] et fournisseur incontournable de technologies à bas coût, présentées comme des "solutions" globales au défi climatique, y compris pour abaisser le coût financier de la transition.

L’objectif était d’obtenir de la Chine une plus grande transparence sur ses financements actuels, qualifiés de "sud-sud", tout en élargissant la liste des contributeurs au financement climatique. Cette liste resterait toutefois non contraignante et, comme l’insistent fermement les délégués chinois, "différente par nature de celle des pays du Nord". Assez rapidement au cours de la conférence, Pékin a montré des signes d’ouverture envers cette approche. Pour la première fois, la Chine a mis en lumière sa contribution à la finance "sud-sud". Ses diplomates mettent en avant un investissement de 26 milliards de dollars depuis 2016 principalement via l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie (BRI).

Bien que ce montant soit insuffisant à l’échelle du défi, et parfois jugé porter sur des réalisations de faible qualité via des prêts à taux d’intérêt parfois élevés, il a le mérite d’exister. De fait, même modestement, Pékin contribue à l’effort financier global destiné aux pays en développement.

Une avancée sur les marchés carbone

L’adoption à Bakou de règles pour les marchés carbone régis par l’article 6 de l’Accord de Paris marque cependant une avancée positive pour la finance climatique mondiale. Après neuf années de négociations intenses, ces mécanismes offrent désormais un cadre opérationnel pour soutenir des projets de réduction et de suppression des émissions dans le monde entier.

L’article 6.2, qui encadre les collaborations bilatérales, bénéficie maintenant de précisions essentielles, notamment sur des questions techniques comme la révocation des autorisations, les registres et le reporting. Ces clarifications sont susceptibles de renforcer la confiance des acteurs de marché, facilitent l’engagement des investisseurs et ouvrent la voie à un flux accru de financements pour des projets de décarbonation qui ne nécessitent pas automatiquement un apport conséquent d’argent public depuis les pays développés.

De son côté, le Mécanisme de crédits carbone de l’article 6.4 dispose désormais de standards pour les méthodologies et les projets de suppression carbone (carbon removals) - sujet très controversé - ainsi que d’orientations pour la transition des mécanismes existants comme le Mécanisme pour un Développement Propre (MDP). L’intégration progressive des méthodologies et de l’infrastructure des marchés volontaires dans ces mécanismes est susceptible de renforcer leur efficacité et leur portée. Cette convergence entre marchés volontaires et de conformité offre une opportunité réelle de mobiliser des capitaux privés et d’accélérer la transition vers la neutralité carbone.

Cependant, plusieurs problèmes pourraient ternir ce tableau. Malgré les progrès réalisés en matière de transparence, les mesures régissant le commerce décentralisé des émissions dans le cadre de l'article 6.2 révèlent certaines lacunes. Par exemple, l'absence de sanctions claires en cas de non-conformité pourrait encourager certains pays à contourner les règles sans craindre de conséquences. En outre, l'absence de méthodologies harmonisées pour quantifier les crédits carbone compromet l'intégrité des transactions, tandis que les retards dans la publication des informations sur les crédits approuvés limitent une surveillance efficace. Quant à l'article 6.4, la transition des projets controversés issus du MDP vers ce nouveau cadre, sans vérifications rigoureuses, alimente les inquiétudes quant à la qualité des crédits sur ce marché.

La COP30 au Brésil et le début d’une phase de mise en œuvre

Aussi dramatique que cela puisse paraître pour les pays les plus pauvres, le jeu de dupes qui s’est déroulé à Bakou autour de la finance climatique n’avait en réalité qu’une importance politique secondaire pour les grandes puissances - Chine, Europe et États-Unis en tête. Cette désinvolture est illustrée par l’absence quasi généralisée des chefs d’État à Bakou et par le signal minimal envoyé à la conférence depuis le sommet du G20, qui se tenait à Rio au même moment, éclipsant ainsi les enjeux de la COP29.
 
Au-delà de la question de la finance, les discussions en coulisses au niveau politique étaient également animées par les implications du retrait américain à venir et par la préparation de la prochaine COP30 au Brésil. 

Cette conférence, annoncée comme l’une des plus cruciales depuis celle de Paris, marque une étape clé : chaque État devra présenter une nouvelle Contribution Déterminée au niveau National (CDN), renforçant ses engagements pour réduire ses émissions et accélérer sa transition.

La COP30 est également censée inaugurer une phase de "mise en œuvre" des objectifs fixés par l’Accord de Paris, un tournant qui promet de transformer considérablement la dynamique de ces sommets. L’enjeu sera non seulement de formaliser des engagements ambitieux, mais aussi de démontrer des avancées concrètes, qui redéfiniront ainsi le rôle et l’impact de ces conférences multilatérales.

La question revêt une importance accrue en raison du rôle joué à Bakou par l'alliance néfaste entre pays pétroliers, comme l'Arabie saoudite et l'Azerbaïdjan, qui a délibérément compromis la préservation d'un langage ambitieux sur la "transition vers la fin des combustibles fossiles" adopté à Dubaï l'année précédente. Ces dynamiques ont même conduit à l'inclusion, dans l'un des textes finaux de la conférence, d'une référence au gaz naturel en tant que "combustible de transition" qui a scandalisé.

L'alliance néfaste entre pays pétroliers, comme l'Arabie saoudite et l'Azerbaïdjan, qui a délibérément compromis la préservation d'un langage ambitieux sur la "transition vers la fin des combustibles fossiles".

Dans ce contexte, le retrait américain transforme ipso facto les conférences des parties en une vaste scène politique dominée par le face-à-face entre Bruxelles et Pékin, les deux plus grandes économies encore activement engagées dans la multilatéralisme climatique. Cette relation climatique se mêle de plus en plus aux enjeux industriels et commerciaux, qui complexifient les relations entre les deux rives de l’Eurasie.

Climat, commerce, politiques industrielles : l’ère du télescopage

Bien plus qu’au cours du premier mandat de Trump, la scène climatique devient déjà un terrain où commerce et diplomatie économique jouent un rôle de premier plan. La relation économique UE-Chine est centrale à cet égard. La relation UE-Chine peut en théorie jouer un rôle crucial dans la résolution de la crise climatique car elle a le potentiel de stimuler une offre et une demande suffisantes en solutions technologiques pour décarboner le monde. Mais jusqu’où l’Europe est-elle prête à aller pour devenir la cliente de sa propre décarbonation, si le prix pour accélérer la transition mondiale est de maintenir une relation stratégique avec Pékin qui va à l’encontre de ses intérêts industriels ?

Ce questionnement met en lumière les tensions entre les impératifs économiques, la souveraineté industrielle et les objectifs climatiques, plaçant l’Europe face à des choix difficiles dans sa quête d’équilibre entre dépendance technologique et leadership climatique.

À la COP29, plus que jamais, Pékin a clairement affiché sa stratégie d’hégémonie industrielle dans le secteur des technologies propres. Cependant, Pékin semble peiner à comprendre la défiance croissante que suscite cette stratégie, notamment en Occident.

La majorité des délégués chinois considèrent qu’abandonner cette approche serait préjudiciable non seulement à la Chine, mais au monde entier. Ils semblent toutefois sous-estimer les conséquences politiques et économiques qu’elle engendrerait en Europe : désindustrialisation, dépendance stratégique accrue, et perte de savoir-faire, des enjeux qui alimentent un climat de méfiance et de tensions croissantes.

Toujours dans le même registre de télescopage entre commerce, industrie et climat, la Chine a bruyamment manifesté, une fois de plus à Bakou, son opposition au Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) de l’Union européenne, embarquant les BRICS et beaucoup d’autres pays en développement dans un narratif critique et tentant, sans succès, d’inscrire un débat sur le sujet à l’agenda de la conférence.

La diplomatie chinoise feint de ne pas comprendre pourquoi la Chine devrait payer pour exporter vers l’Europe, estimant qu’il est plus économique de réduire les émissions en Chine grâce à son marché carbone basé sur l’intensité, qu’elle prévoit de transformer en un marché carbone absolu pour 2030. Elle renvoie la responsabilité des objectifs de décarbonation à chaque agenda national et considère que les outils d’ajustement aux frontières, comme le MACF, représentent une perte d’argent à la fois pour l’Europe et pour les entreprises chinoises.

Selon les Chinois, la finance joue ici aussi un rôle central, avec le risque d’un effet boule de neige : la multiplication des MACF à travers le monde compliquerait l’accès aux marchés pour les pays du Sud. Ces derniers, soutenus par l’Inde et la Chine, dénoncent ces instruments comme protectionnistes, accusant qu’ils entravent davantage leur développement. Cette dynamique alimente une montée des revendications pour un financement climatique accru, intensifiant les tensions entre le Nord et le Sud.

Une relation sino-européenne en tension avec les intérêts économiques de l’Europe

Il est indéniable que la capacité à fournir massivement des technologies propres à bas coût au monde entier constitue une nécessité pour la transition énergétique mondiale. La plupart des délégués chinois estiment d’ailleurs que cette logique est intrinsèquement liée aux demandes croissantes en matière de finance climat, lesquelles augmenteront inévitablement si le coût de la transition reste élevé.

La capacité à fournir massivement des technologies propres à bas coût au monde entier constitue une nécessité pour la transition énergétique mondiale.

Selon eux, l’Europe aurait donc tout intérêt à faire preuve de rationalité économique et à opter pour un partenariat stratégique avec la Chine. La logique affichée par les délégués chinois repose sur l’idée que chaque région devrait se concentrer sur ce dans quoi elle excelle, en suivant la théorie économique de l’avantage comparatif. Pour les autorités chinoises, l’avantage comparatif de la Chine se trouve dans l’industrialisation à bas-coût et celui-ci doit être utilisé pour le bien de la transition mondiale.

Un narratif qui reflète précisément la vision économique que la pensée occidentale a promue à l’échelle mondiale pendant de nombreuses décennies.
 
En théorie, cette logique est économiquement tout à fait sensée, mais elle se heurte à deux obstacles majeurs : les divergences profondes entre l’agenda de décarbonation de l’Europe et celui du reste du monde - la Chine en tête - et les impératifs politiques des sociétés occidentales. Les populations européennes, en particulier, refusent de perdre des emplois liés à la production de biens industriels tangibles, délocalisés ailleurs pour des raisons de coûts. Paradoxalement, elles ne sont pas non plus prêtes à assumer le surcoût qu’entraînerait une plus grande production locale. Cette contradiction place les décideurs politiques européens face à un dilemme presque insoluble.

De son côté, avec une croissance fortement ralentie et un modèle économique désormais axé sur l’exportation de ses surcapacités industrielles, la Chine cherche à utiliser l’action climatique mondiale comme levier pour soutenir son agenda économique - une stratégie que les délégués chinois assument volontiers en privé.

Elle tente d’ouvrir de nouveaux marchés via les Nouvelles Routes de la Soie, en offrant des financements aux États du Sud pour leur permettre d’acheter des produits chinois, tels que des panneaux photovoltaïques ou des batteries. Si cette stratégie porte parfois ses fruits, elle est entravée par plusieurs défis majeurs : la lenteur du retour sur investissement, la difficulté de trouver des marchés véritablement ouverts à ces technologies, et la faiblesse des marges bénéficiaires. Or, avec des États-Unis déjà largement fermés aux produits chinois - encore plus sous une deuxième administration Trump - le seul grand marché encore réellement accessible et disposant des moyens nécessaires pour acheter ces biens en masse reste celui de l’Europe.

Le temps d’un grand marchandage est-il venu ?

La Chine devrait plafonner ses émissions dans un avenir relativement proche, mais il est probable qu’elle n’en fasse l’annonce officielle qu’en 2029. Si son pic d’émissions sera bien réel, le déclin qui suivra risque d’être lent, en raison du ralentissement de sa croissance économique et de la réponse qu’elle entraîne(un soutien au charbon). Une réalité qui est difficilement acceptable si l’on veut espérer rester sous les 2 degrés de réchauffement.

Pékin estime qu’elle contribue déjà bien plus que les États-Unis à la lutte contre le changement climatique. La Chine a ainsi du mal à comprendre pourquoi l’Europe ne la considérerait pas comme un partenaire privilégié, tant sur le plan climatique que commercial et industriel.

Pour la Chine, cette relation doit prendre la forme d’un "grand accord commercial," dans lequel, soutenue par la demande européenne, elle aide le monde à se décarboner en fournissant les technologies nécessaires, tout en maîtrisant les chaînes d’approvisionnement associées.

Il est vrai que les conditions d’un tel accord pourraient se matérialiser dans un contexte où les États-Unis se désengageraient totalement de la scène climatique et où les tarifs commerciaux aveugles imposés par l’administration Trump affecteraient lourdement l’Europe aussi bien que la Chine. 

Dans les faits, ce "grand accord" risque d’être politiquement difficile à accepter pour l’Europe. Dans la vision chinoise, l’Europe est avant tout perçue comme un marché d’exportation, s’engageant à être plus vertueuse tout en achetant "ce qu’elle pourra bien vendre" à la Chine. Une telle dynamique irait à l’encontre de l’ambition européenne de préserver son industrie et de regagner en compétitivité.

Si son pic d’émissions sera bien réel, le déclin qui suivra risque d’être lent, en raison du ralentissement de sa croissance économique et de la réponse qu’elle entraîne.

Cette situation place Pékin et Bruxelles face à leurs responsabilités climatiques, commerciales et économiques. En Chine, certains plaident pour la conclusion d’un "grand accord" avec l’Europe, dans lequel cette dernière resterait ouverte aux produits chinois - ou avec moins de barrières commerciales - en échange d’un engagement accru de Pékin à accélérer sa décarbonation : une diminution plus rapide en échange d’un marché européen ouvert.

Un tel accord pourrait inclure plusieurs volets stratégiques : la standardisation des technologies vertes, la transparence des données liées aux émissions, ainsi que des co-investissements dans les pays tiers, renforçant ainsi une coopération mutuellement bénéfique tout en répondant aux enjeux globaux de la transition climatique.

L’Europe ne peut pas se permettre d’être naïve

Il existe une opportunité de coopération entre le découplage complet et la dépendance totale : une voie où l’Europe et la Chine pourraient construire une forme de codépendance dans les chaînes d’approvisionnement. C’est la seule condition pour qu’un tel partenariat puisse atteindre un semblant d’équilibre. Cependant, un tel agenda, bien que facile à formuler théoriquement, s’avère extrêmement complexe à mettre en œuvre. La politique industrielle chinoise, avec son modèle d’ultra-concentration sur le territoire national, rend toute diversification structurellement difficile.

Il est essentiel que l’Europe reste ferme sur ces principes. Sans cela, elle risquerait de n’être qu’une simple cliente dans cette relation, perdant toute pertinence dans l’économie post-carbone émergente - une économie qui, dominée par la Chine, comptera également les États-Unis comme un acteur central, malgré leur désengagement de l’Accord de Paris et leur opportunisme sur les énergies fossiles.

La prochaine COP, qui se tiendra à Belém, au Brésil, sera l’occasion de mesurer ce que signifie réellement "mise en œuvre" dans une arène multilatérale. Une chose est certaine : la relation entre l’Europe et la Chine en sera sans doute l’axe central, avec l’ombre portée de Donald Trump en arrière-plan. Les nouvelles CDN, attendues dès le début de 2025, donneront un premier aperçu de l’ambition de cet effort et des possibilités concrètes de collaboration avec Pékin.

Copyright Alexander NEMENOV / AFP

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