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06/06/2023

Comment financer la transition climatique ? - Allemagne, France, Japon, USA

Comment financer la transition climatique ? - Allemagne, France, Japon, USA
 Joseph Dellatte
Auteur
Expert Résident - Climat, énergie et environnement
 Hugues Bernard
Auteur
Chargé de projets - Climat et environnement

"Faire en dix ans ce qu’on a peiné à faire en trente ans" : voilà en une phrase l’ambition du rapport "Les incidences économiques de l’action pour le climat" présenté le 22 mai 2023 à la Première ministre. Ce rapport évalue à 66 milliards d’euros par an les besoins de financement de la transition énergétique en France, dont la moitié devra être trouvée en dehors du verdissement des finances existantes. Pour Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, co-auteurs du rapport, la transition place la France face à un triple défi : notre pays pourra difficilement être à la fois champion du climat, champion du multilatéralisme et champion de la vertu budgétaire. Joseph Dellatte, Resident fellow Climat, Énergie, Environnement et Hugues Bernard, chargé de projets Climat et Environnement à l’Institut Montaigne, livrent quelques réflexions et comparaisons internationales pour débattre des trois leviers de financement avancés par le rapport, à savoir le redéploiement des dépenses "brunes", l’endettement et la hausse des prélèvements obligatoires. 

Le financement de la transition climatique en France

S'il ne fallait retenir qu'un message (toujours le même) : le coût de l'inaction climatique est bien supérieur à celui de l'action. En 2006, le Rapport Stern sur l'économie du changement climatique évaluait déjà un coût de l’inaction allant de 5 % à 20 % du PIB mondial, selon les scénarios, contre 1 % pour celui de l’action. Suivant cette logique, il est contre-productif, voire auto-destructeur, de remettre à plus tard les investissements nécessaires aujourd’hui sous couvert de vertu budgétaire. D’autant plus que le coût économique de la transition s’atténue dans le temps : si les investissements sont particulièrement lourds à horizon 2030 (66 milliards par an selon le rapport), ils deviennent nuls à horizon 2050, une fois que la transition de l'économie est engagée. En revanche, si trop peu d’investissements sont faits à horizon 2030, alors le coût du dérèglement climatique devient considérable. 

Alors pourquoi les agendas climatiques et politiques ne parviennent pas à s’aligner ? Dans la conjoncture actuelle, un agenda politique vert rapporte peu politiquement : il existe un décalage temporel entre les efforts d’investissements d’une part et les bénéfices associés d’autre part. Les décideurs politiques doivent en effet accepter d’investir massivement sans retour direct sur leurs investissements, voire pire en laissant leurs successeurs récolter le fruit de leurs efforts. Autre point d’inertie, l’aspect "bien commun" du climat. C’est un argument souvent utilisé par les partisans de la transition douce : si elle agit seule, les efforts de la France auront un impact très relatif sur la baisse du réchauffement climatique mais significatif sur la dégradation de notre activité économique. C’est vrai. Mais une autre vérité est que si la France n’agit pas, il deviendra impossible de convaincre la communauté internationale, notamment pendant les COPs climat et biodiversité, d’agir plus vite et plus fort. 

Ainsi, le rapport de France Stratégie entend fournir au politique une trajectoire de financement crédible pour que la France atteigne ses objectifs climatiques (i.e. la réduction des émissions d’au moins 40 % en 2030 par rapport à 1990 et la neutralité carbone en 2050). Le rapport estime à 66 milliards d’euros par an à l’horizon 2030 le supplément d’investissement nécessaire à la transition climatique, soit 2,3 points de PIB sur base annuelle. Le rapport prévoit une répartition à parts égales entre les financements publics et privés, soit 33 milliards d'euros. Plus des deux tiers des investissements requis, à peu près 48 milliards, se concentrent sur la réduction des émissions du bâti (bâtiments tertiaires et logement) (Voir Graphique 1). 

À noter que le besoin réel d’investissement risque d’être bien supérieur aux 66 milliards annuels annoncés. Le champ couvert par le rapport se limite aux secteurs qui ont pu être chiffrés : il ne couvre par exemple pas les secteurs des transports aériens et maritimes. Une absence remarquée puisque si les secteurs aériens et maritimes étaient des pays, ils compteraient tous deux parmi les 10 plus émetteurs de la planète. Toutefois, il est difficile d’attribuer avec précision la part des émissions de ces deux secteurs à chaque pays : un vol international rejette du CO2 au-dessus d’un certain nombre de pays. Qui doit en porter la responsabilité ? Le pays de départ, celui d’arrivée, les deux ou ceux survolés par l’avion ? 

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Graphique 1 - Investissements additionnels nets requis pour atteindre l’objectif 2030, par rapport à un scénario tendanciel sans verdissement de l’économie, en milliards d’euros de 2023

Source : Rapport "Les incidences économiques de l’action pour le climat", page 71

Trois leviers de financement : redéploiement des dépenses, dette et prélèvements obligatoires

Pour financer ce "mur d’investissement", le rapport met en avant trois leviers. 

Le premier est un redéploiement des financements publics existants. Cela revient à flécher les dépenses dites "brunes" (i.e. défavorables à l’environnement) vers des dépenses "vertes". Le total des dépenses et dépenses fiscales brunes des administrations publiques serait de l’ordre de 25 milliards d’euros par an. Le potentiel de redéploiement est donc significatif. Il s’agit cependant d’un minorant, puisque certaines dépenses brunes n'apparaissent pas comme telles dans le budget : par exemple, le coût de la non-taxation du kérosène n’en fait pas partie. Ainsi, pour souhaitable qu’il soit, un financement intégral par redéploiement apparaît peu réaliste au regard des 66 milliards d’investissement annuels requis. 

En complément, le rapport envisage une hausse de l’endettement public (le montant exact n’est pas précisé). Avec une situation des finances publiques déjà dégradée en France (un endettement public à 111,6 % du PIB, soit 2 950 milliards d’euros fin 2022 et un déficit de l’ordre de 4,7 %), cette option nous éloigne encore plus des règles budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance, dit critères de Maastricht. À noter également, le niveau élevé des taux d’emprunt sur 10 ans, de l’ordre de 2,8 % aujourd’hui, augmente le service de la dette que devront rembourser les générations futures. Ainsi, un important débat économique s’installe en France sur le recours à la dette pour financer la transition climatique. Pour le gouvernement, dont les ministres Bruno Le Maire et Gabriel Attal ont exprimé leur désaccord avec les propositions du rapport, il n’est pas question d'accroître encore plus l’endettement du pays. Ce serait un signal négatif envoyé aux marchés financiers et à ses partenaires européens, en particulier l’Allemagne, alors même que la France conserve in extremis sa notation AA (attribuée par l’agence S&P) et que la Cour des Comptes épinglait dans son rapport public annuel 2023 la lenteur du redressement des finances publiques. Malgré tout, les auteurs estiment en connaissance de cause qu’il n’existe pas de trajectoire crédible de financement en France qui ne recourt pas à l'endettement public tant l’ampleur des investissements est massif à court terme. 

Pour ce même enjeu de disponibilité des financements, le rapport estime que la France ne peut exclure une hausse des prélèvements obligatoires. L’une des recommandations fortes de ce rapport, largement reprise par la presse, est la mise en place d’un prélèvement forfaitaire exceptionnel et temporaire sur le capital. Ce prélèvement de 5 % ciblerait les 10 % des ménages les plus riches. Pour les auteurs, le caractère temporaire de ce prélèvement permettrait d'éviter d’affecter les comportements, c’est-à-dire que les ménages les plus riches quittent la France. Cette affirmation est, bien entendu, difficilement anticipable... En principe, demander aux ménages les plus aisés un effort supplémentaire pour financer la transition consiste à faire payer les plus pollueurs. En effet, les contributions des ménages au réchauffement climatique sont généralement corrélées au niveau de revenu : à l’échelle mondiale, les 10 % les plus riches sont à l’origine de 48 % des émissions. Dans la pratique, une nouvelle taxe même temporaire augmenterait encore davantage la pression fiscale alors que le taux de prélèvements obligatoires en France atteint déjà 44,7 % du PIB. Également, l’acceptabilité sociale de cette taxe dépend de sa bonne compréhension, or les auteurs ne détaillent pas comment seront employées les recettes fiscales : seront-elles redistribuées aux ménages les plus modestes ? Investies dans l’innovation et l’industrie verte ? Utilisées pour rembourser notre dette ? 

De façon plus générale, la trajectoire de financement proposée par le rapport repose sur un travail de planification porté par le Secrétariat général à la planification écologique, créé en juillet 2022. Si une telle planification publique se justifie par l’ampleur de la tâche (la nécessité d’une approche holistique et d’une coordination entre de nombreux acteurs publics), la transition s’effectuera aussi et surtout par les investissements privés et la mobilisation des acteurs économiques. Tout ne pourra pas être subventionné par la puissance publique. Sur ce point, le rapport ne dit pas grand-chose : comment articuler la planification et les jeux du marché ? 

Comment les autres pays entendent-ils financer leur transition ?

La manière dont les autres pays conçoivent le financement de leur transition énergétique a beaucoup à nous apprendre sur les débats qui accompagnent la nôtre. 

États-Unis 

L’Inflation Reduction Act (IRA) américain a fait couler beaucoup d’encre en Europe, faisant émerger des craintes de distorsion de la concurrence et de délocalisation dans des secteurs économiques indispensables à la transition. S’il n’est pas un outil "exhaustif" qui mènera les États-Unis à la neutralité carbone, l’IRA a fourni, pour la première fois par une administration américaine, les moyens de les mettre enfin sur les rails pour atteindre les ambitions de réduction de gaz à effet de serre que le pays s’est fixées pour 2030. L’IRA porte en lui la promesse à la fois d’une réduction du déficit américain (la dette américaine s’établit à 123,4 % du PIB) et celle d’un investissement public de 391 milliards de dollars dans la transition énergétique et le climat, majoritairement par le biais d’exemptions de taxe et de subventions directes. Cet investissement public, selon les estimations, est susceptible de générer jusqu’au triple d’investissement privé (entreprises et particuliers) dans la transition. Contrairement à ce qui est mis en place dans l’Union européenne, ces aides d’État sont utilisées pour la recherche et le développement, mais également pour la production.

En l’absence de tout consensus fédéral sur la fixation d’un prix du carbone ou sur l’hypothèse d’une augmentation de la dette pour financer la transition, l’effort budgétaire de l’IRA - un accord transpartisan entre démocrates et certains républicains - vient principalement de deux canaux. Premièrement, un savant équilibre entre des augmentations de taxes ciblant certaines entreprises - 15 % de taxe minimum pour les entreprises dont les revenus annuels sont supérieurs à 1 milliard de dollars (200 milliards de dollars de revenus potentiels) et 1 % d’accise sur le rachat des actions par les entreprises (74 milliards de dollars de revenus potentiels) - et des diminutions de taxes pour les secteurs de la cleantech. Ensuite, il s’agit decombler le "tax gap" de l’impôt sur le revenu (écart entre taxes dues et taxes perçues), un objectif censé rapporter jusqu’à 124 milliards de dollars et qui revient à lutter plus efficacement contre l’évasion fiscale. 

Au-delà de la transition, l’IRA vise également l’endettement, longtemps facilité par la position dominante du dollar et de l’économie américaine et jusqu'ici promis à une augmentation inexorable. Selon différentes projections, ses défenseurs considèrent que l’IRA va décroitre le déficit américain ) sur le long terme grâce aux effets positifs des investissements publics sur l’économie du pays (jusqu’à 1,9 trillions de dollars) sous la forme d’une ré-industrialisation verte. Il crée donc un lien politique qui permet l’investissement dans la transition dans la mesure où ce dernier diminue le déficit du pays. Les dernières négociations transpartisanes sur la dette américaine nous informent d’ailleurs que ce lien politique dette-climat a de beaux jours devant lui outre-Atlantique. Pour le débat qui nous occupe, l’IRA reflète surtout une réalité très différente d’espace fiscal disponible pour la transition entre les États-Unis et la plupart des pays d’Europe, dont la France : les États-Unis ont certes une dette imposante, comme la France, mais ils présentent une fiscalité plus légère et des dépenses publiques beaucoup moins lourdes (pas d'État-providence), ce qui leur permet une mobilisation plus "facile" des revenus. 

Japon 

Autre pays riche qui doit aujourd’hui trouver les moyens de financer sa transition, le Japon se trouve dans une situation très délicate par rapport aux Européens et aux Américains dans la mesure où le coût de sa décarbonation pourrait s’avérer particulièrement important et économiquement dommageable. L’archipel doit en effet composer avec une équation difficile : population vieillissante et déclinante, ressources renouvelables difficilement mobilisables et grande dépendance économique à l’exportation. Le pays a l’habitude de financer ses politiques par de la dette accompagnée d’une politique monétariste accommodante. Il est en retard dans la transition énergétique dans certains secteurs cruciaux pour son économie (comme l’Acier) et n'est pas parvenu jusqu’à aujourd’hui à faire émerger un consensus politique pour l’établissement d’une tarification du carbone. 

Le financement de la transition est pourtant au cœur de la politique japonaise actuelle. Cette politique adopte une approche sectorielle qui couvre l’essentiel des acteurs de l’économie japonaise. Du point de vue du financement de la transition, le Japon construit le programme "GX league", une alliance qui repose sur deux piliers principaux. Premièrement, sur la dette, avec la mise en place de nouvelles "obligations gouvernementales de transition" visant à fournir 139 milliards d'euros d’argent public entre 2023 et 2030 pour financer la R&D et l’investissement du secteur privé dans la transition. Le gouvernement japonais espère que ces investissements publics généreront jusqu’à 1 050 milliards d’euros pour la transition une fois cumulés à l’investissement privé (un rapport de 1 à 7). Il est prévu que cette nouvelle dette soit remboursée par l’intermédiaire du deuxième pilier de la politique GX, qui combine une surcharge sur l’importation des énergies fossiles à partir de 2028 et l’établissement prudente et graduelle d’une tarification du carbone via un marché carbone générant des revenus à partir de 2033. 

Le Japon envisage donc une fois de plus de recourir à la dette pour financer (une partie de) sa transition. Il prévoit cependant un mécanisme de remboursement de cette dette liée au principe du pollueur-payeur via une tarification du carbone et la taxation du fuel. Néanmoins cette solution est possible car le financement que prévoit le gouvernement japonais reste relativement modeste (139 milliards d’euros sur 10 ans, soit environ 14 milliards d’euros par an) par rapport à l’ampleur de la tâche. Il l’est d’autant plus si on le compare à ce qui est envisagé en France : 33 milliards annuels pour une économie d’environ la moitié du PIB japonais. 

Que doit faire l’Europe ?

Depuis 2005, l’Union européenne a mis en place un marché carbone (EU ETS) qui pose un prix sur les émissions. L’avènement du plan Fit for 55 de la Commission européenne permet désormais à l’ETS européen, débarrassé des quotas gratuits et étendu à plus de secteurs (dont les transports et le bâtiment), de générer d'importants revenus additionnels qui peuvent ainsi être recyclés pour aider la transition énergétique européenne (39 milliards d’euros en 2022). Les revenus du carbone, qu’ils soient européens (EU ETS, ou encore le nouveau mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) qui étend le prix du carbone européen aux biens importés dans plusieurs secteurs) ou nationaux (taxe carbone), sont de précieux atouts pour financer la transition européenne. S’ils sont amenés à croître considérablement dans les années à venir, ils ne sont néanmoins pas suffisants au niveau actuel de prix mis en place en Europe. De plus, il n'existe pas encore de consensus sur quelle institution récupérera certains de ces nouveaux revenus, notamment ceux du MACF. 

En France, la crise des Gilets jaunes a démontré la grande complexité de faire accepter (souvent surrévaluée depuis) la mise en place d’une taxation directe du carbone : il est ainsi politiquement délicat d’envisager de percevoir des revenus de cette façon pour financer la transition de manière suffisante. L’acceptabilité de ces taxes est organiquement liée à la perception de l’utilisation des revenus au bénéfice direct des citoyens. Dans le contexte politique actuel, les revenus du carbone disponibles en France ne suffiront pas à répondre aux défis colossaux d’investissement que nous devons relever. Il en va de même pour la réorientation de la finance dite "brune" vers les investissements verts.

Ailleurs en Europe, l’Allemagne offre un exemple intéressant à observer. Sa dette publique peut difficilement se comparer à celle de la France : en 2023, l’endettement public allemand s’élève à 67,75 % du PIB, contre 111,6 % en France. Néanmoins, fidèle à sa grande tradition d’orthodoxie budgétaire, le gouvernement allemand n’entend pas parier lourdement sur la dette pour financer la transition du pays. La transition énergétique allemande a d’abord été historiquement financée par une surcharge sur le prix de l’électricité destinée à financer l’installation des énergies renouvelables. Depuis 2023, le pays finance ces investissements de transition via la création d’un Fonds pour le Climat et la Transformation (FCT) doté de 177,5 milliards d’euros entre 2023 et 2026 (soit 44,37 milliards d’euros par an, en moyenne). Ce fonds investit dans la transition des secteurs intensifs en énergie et des secteurs du bâtiment et des transports (plus grande partie du fonds). Les crédits budgétaires proviennent essentiellement du budget fédéral allemand, principalement via les revenus du carbone issus de l’ETS européen et des mécanismes de tarification du carbone nationaux allemands, et d’un glissement fiscal depuis les activités les moins polluantes (exemple : baisse de la TVA sur le train) vers les activités plus polluantes.

Cette différence d’approche avec ce que propose le rapport français sur le financement de la transition s’explique en partie par le fait que l’Allemagne tire désormais parti de nouveaux revenus disponibles après la mise en place en 2022 d’un marché carbone national pour le secteur du transport et des bâtiments. Ce dernier fonctionne sur le principe de "l’utilisateur-payeur" et les revenus (6,4 milliards d’euros en 2022) sont directement réorientés vers la population via des systèmes qui financent les investissements dans la transition. Ces systèmes soutiennent notamment l’installation de bornes de recharge pour voitures électriques et la rénovation des bâtiments en vue d’améliorer leur efficacité énergétique. 

Une question fondamentale demeure : jusqu’à quel point l’Allemagne pourra-t-elle financer sa transition de cette manière ? Cette question se retrouve d’ailleurs déjà dans le débat allemand. Les Verts allemands soutiennent la création d’une dette pour augmenter le portefeuille d’argent public disponible pour la transition. Cette dette pourrait prendre la forme d’un "Sondervermögen" (dette spéciale) ; elle ne serait alors pas comptabilisée comme faisant partie de la dette nationale, à l’image de ce qui a été fait pour augmenter le budget de l’armée allemande à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine. Les libéraux du FDP, autre membre de la coalition gouvernementale allemande et gardien du temple de l’orthodoxie budgétaire, s’y opposent néanmoins, présageant une absence de prise de décision durant cette législature.

En Europe comme ailleurs, l’enjeu perpétuel pour les acteurs publics dans la transition écologique est toujours de parvenir à inciter les acteurs privés à agir plus rapidement au service de la transition. Cela passe inévitablement par une politique d’activation de la dépense privée. Mais combien d’investissement public sera nécessaire pour entraîner suffisamment d’investissement privé ? Un rapport de 1 euro d’argent public pour 1 euro d’argent privé, comme le prévoit le rapport français ? De 1 à 3, comme l’estiment certains analystes de l’Inflation Reduction Act ? Ou jusqu’à 1 à 7, comme l’espère le gouvernement japonais ? Tout dépendra de la réactivité des acteurs, de la facilité d’accès aux aides publiques, et de l’argent disponible…

Dette verte, prélèvement forfaitaire, prix du carbone, ou un peu des trois ?

L’utilisation de la dette pour financer la transition n’est clairement pas à exclure tant nous avons besoin d’augmenter considérablement les investissements dans la transition - ce, dès maintenant. Parier principalement sur une nouvelle hausse de l’endettement public pour financer la transition, comme le propose une fois de plus Jean Pisani-Ferry à l’échelle européenne, reviendrait néanmoins à vouloir collectiviser notre problème et le remettre à plus tard, ou à miser sur la capacité des générations futures à résoudre ce problème plus efficacement que nous… 

La création d’une dette de type "Sondervermögen", sortie de la compatibilité de la dette nationale, pour financer l’investissement dans la transition est une idée séduisante qui pourrait être étudiée à l’échelle européenne ou française. La solution d’une dette verte européenne ne pourra toutefois être considérée comme politiquement sérieuse par les États membres réfractaires sans mécanisme de remboursement. L’exemple des "green bonds" japonais, imparfait, est riche d’enseignements sur la manière dont ces mécanismes peuvent être conçus. Des solutions intermédiaires ou complémentaires existent, comme la tarification progressive des combustibles fossiles pour les consommateurs (plus on consomme, plus on paye, ce qui vise donc principalement les plus nantis), ou la mise en place d’une taxe carbone plus importante avec utilisation des revenus à des fins de financement de la transition (voire pour rembourser la dette verte ?). Une part de ces revenus pourrait ainsi être allouée à des efforts de redistribution sociale directe aux ménages les plus vulnérables, les plus affectés par la hausse des prix. Ces options sont néanmoins plus complexes à mettre en place et, peut-être, politiquement plus difficiles à vendre.

D’un point de vue culturel comme politique, la France aura-t-elle donc plus de facilité à envisager une taxe exceptionnelle ciblant les 10 % les plus aisés de sa population plutôt que de revenir sur une taxe carbone qui viserait les comportements ? La facilité joue en faveur du prélèvement forfaitaire. Le grand désavantage de ce dernier est son caractère aveugle : il ne vise pas les comportements (l'empreinte carbone), mais une catégorie sociale (les plus aisés), se privant ainsi de l’effet bénéfique que le principe du pollueur-payeur a sur les changements d’habitudes. Or, bien entendu, pour que la transition fonctionne, en plus de trouver les moyens nécessaires pour financer les investissements, il est également indispensable de mettre en place tous les instruments disponibles pour changer les comportements de tous. La solution la plus appropriée se trouve donc probablement à l’intersection entre dette verte et mécanisme de remboursement fondé sur les revenus du carbone. Ceci ne pourra cependant fonctionner qu’à condition de trouver le capital politique adéquat pour imposer un prix suffisamment élevé.

 

Copyright image : Damien MEYER / AFP

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