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13/02/2023

Information et engagement climatique

Entretien avec Laurent Cordonier

Information et engagement climatique
 Laurent Cordonier
Directeur de la recherche de la Fondation Descartes
 Hugues Bernard
Chargé de projets - Climat et environnement

En novembre 2022, la Fondation Descartes publiait une étude intitulée "Information et engagement climatique". Basée sur les réponses de 2 000 Français représentatifs de la population nationale, elle s'intéresse à l'état de l'information sur les enjeux climatiques en France. Son auteur, Laurent Cordonier, directeur de la recherche de la Fondation Descartes, nous livre ses principaux résultats et les enseignements à tirer pour les décideurs publics. Cette discussion a été modérée par Hugues Bernard, chargé de projet Climat et Environnement à l'Institut Montaigne. 

Comment décririez-vous l'état de l'information sur les enjeux climatiques en France ? Est-elle suffisante, de bonne qualité, et répond-elle aux attentes des Français ?

L'étude que nous avons menée avec la Fondation Descartes montre qu'une grande partie des Français considère l'information sur les enjeux climatiques en France insuffisante : près de 42 % des sondés considèrent que les grands médias français ne couvrent pas assez la question du dérèglement climatique. Seule une minorité (18 %) estime que le sujet est trop abordé. 

Deux types de critiques ressortent de notre étude :

  • Une très large majorité des Français estime que le traitement médiatique du climat est insuffisamment orienté vers les solutions, trop peu rigoureux et manque de pédagogie. Il s'agit là de critiques que l'on retrouve de manière assez homogène dans l'ensemble de la population.
  • Un second groupe de critiques faites à l'égard du traitement médiatique du climat est qu'il est trop alarmiste, politisé, militant et moralisateur. Ces critiques sont davantage portées par des personnes politiquement proches de la droite et de l'extrême droite. 

Force est de constater que les médias français sont globalement montés en compétence sur la question du dérèglement climatique.

Il importe de souligner que les médias généralistes constituent le premier canal d’information sur le climat des Français. Même si leur traitement du sujet n'est pas toujours irréprochable, force est de constater que les médias français sont globalement montés en compétence sur la question du dérèglement climatique. Cela se traduit notamment par le fait que les prises de parole climato-sceptiques y sont devenues rares. 

Cette amélioration du traitement de l'information climatique se répercute directement dans l'opinion publique, où les positionnements opposés au consensus scientifique sont de plus en plus minoritaires :

  • seuls 7 % des Français ne croient pas ou peu au dérèglement climatique ; 
  • seuls 6 % croient que ce dérèglement a des origines naturelles et non humaines ; 
  • et environ 6 % estiment que le dérèglement climatique n’aura pas ou peu de conséquences graves sur la nature et les humains. 

Même si le climato-scepticisme recule, une incertitude latente persiste. À contre-courant du consensus scientifique (cf les travaux du GIEC), 41 % des sondés jugent que l'on vit "probablement" (et non "assurément") un réchauffement climatique global, et un tiers des sondés pense toujours que ce réchauffement est aussi bien d'origine humaine que naturelle (alors que le GIEC a établi qu'il était entièrement d’origine humaine).

Vous l'avez dit, le consensus scientifique est indéniable sur la question du changement climatique, et les médias traitent de mieux en mieux le sujet. Comment expliquez-vous cette incertitude persistante chez certains Français ? 

Ce doute persistant - qui s'est également retrouvé lors de la pandémie de Covid-19 - s'explique autant par des facteurs culturels que des facteurs cognitifs. 

Facteurs culturels

Les médias français ont longtemps donné la parole, même de façon minoritaire, à des personnalités publiques influentes perçues comme légitimes - comme Claude Allègre, ancien ministre de l'Éducation - relativisant l'origine anthropique (i.e. humaine) du réchauffement climatique. Ce type de prise de parole, bien qu'invalidée scientifiquement, continue de faire son chemin et d'influencer une partie de l'opinion publique. 

Ce doute persistant [...] s'explique autant par des facteurs culturels que des facteurs cognitifs. 

Facteurs cognitifs

Il existe un certain nombre de facteurs cognitifs qui pourraient expliquer la réticence d'une partie des Français à prendre la mesure de la gravité du réchauffement climatique. 

  1. Les messages sont mieux remémorés que leur source. On se souvient très souvent des messages que l'on rencontre mais plus difficilement de leur source. Dès lors, si l'on tombe sur un message climatosceptique sur un réseau social, par exemple, il est possible que l'on garde à l'esprit le contenu de ce message sans se rappeler qu’on l'a trouvé sur une source peu fiable. De tels messages, auxquels on n'accorde initialement que peu de crédit, peuvent ainsi laisser une empreinte dans notre esprit et faire perdurer un certain doute. 

  2. L'attribution de confiance. Dans notre étude, nous montrons que les scientifiques, dont ceux du GIEC, sont les personnes auxquelles les Français font le plus confiance sur les questions climatiques. Cependant, cette confiance demeure à un niveau global étonnamment faible : seuls 55 % des Français disent avoir entre "plutôt" et "tout à fait" confiance dans les scientifiques du GIEC (un taux de confiance qui reste plus élevé que pour les journalistes - seuls 13 % des Français leur font confiance sur les sujets climatiques). 

  3. L'attrait pour le dissonant. C’est à la fois cognitif et culturel : en France, il semble y avoir une affection particulière pour les "loups solitaires" et les lanceurs d’alertes, ceux qui "osent s'écarter de la doxa". Paradoxalement, nous avons tendance à accorder du crédit à l’individu qui sort du lot avec un message peu fondé plutôt qu'à un consensus scientifique mondial et catégorique. 

  4. L'autosatisfaction. D'une certaine façon, le refus de croire au dérèglement climatique ou à son origine humaine permet de justifier nos façons de vivre, nos goûts et donc de ne rien changer. C'est une façon de se dédouaner de nos responsabilités, de justifier nos positions, en se convaincant qu’à l’échelle individuelle on ne peut rien faire. 

L'intérêt pour les questions climatiques est-il distribué de façon homogène dans l'ensemble de la population française ? Quels déterminants sociodémographiques, politiques et cognitifs semblent jouer un rôle ? 

D'un point de vue général, l'intérêt pour les questions climatiques est indéniable dans la population française : seuls 13 % des sondés se disent peu ou pas du tout intéressés par l'actualité sur le climat. 

Dans une analyse plus fine, on remarque que certaines caractéristiques socio-démographiques des individus sont associées à un intérêt plus ou moins marqué pour les questions climatiques. Par exemple, les individus plus diplômés semblent être davantage intéressés par le sujet que les moins diplômés. De même, les personnes politiquement proches de la gauche, de l'extrême-gauche, des écologistes ou du centre sont plus intéressées par ces questions.

Certaines caractéristiques socio-démographiques des individus sont associées à un intérêt plus ou moins marqué pour les questions climatiques.

Dans une analyse plus fine, on remarque que certaines caractéristiques socio-démographiques des individus sont associées à un intérêt plus ou moins marqué pour les questions climatiques. Par exemple, les individus plus diplômés semblent être davantage intéressés par le sujet que les moins diplômés. De même, les personnes politiquement proches de la gauche, de l'extrême-gauche, des écologistes ou du centre sont plus intéressées par ces questions. 

Plus largement, on remarque qu'un intérêt pour l'actualité en général va de pair avec un intérêt pour l'actualité climatique en particulier. Par ailleurs, la peur du changement climatique apparaît comme un facteur d'intérêt pour le sujet : les personnes qui craignent davantage le changement climatique s’y intéressent plus que les autres. 
 
Réciproquement, notre étude souligne que les Français les plus modestes ont tendance à moins s'intéresser aux problématiques climatiques. C'est un constat inquiétant pour les décideurs publics tant l'acceptabilité des politiques environnementales - dont les effets seront contraignants pour l'ensemble de la population - dépend de la compréhension partagée des enjeux climatiques.

Au-delà de la prise de conscience climatique, quels sont les principaux facteurs qui influencent le niveau d'acceptation de mesures contraignantes en faveur du climat ? Quels enseignements peuvent en tirer les médias et décideurs publics ?

Notre étude fait ressortir plusieurs facteurs qui influencent significativement le niveau d’acceptation de mesures contraignantes en faveur du climat (instauration de taxes carbone, interdiction des vols courtes distances, intégration d’un coût du carbone dans le prix des biens et services, etc.).

La perception par les Français de leur propre empreinte carbone. Plus les Français pensent être émetteurs de CO2, moins ils sont favorables aux mesures climatiques contraignantes. 

Le comportement informationnel des Français. Les Français intéressés par l’actualité climatique, et qui s’informent fréquemment sur le sujet (tous canaux confondus) sont davantage disposés à adopter des comportements favorables au climat.

La crainte du dérèglement climatique. Plus la crainte du dérèglement climatique est forte, plus les sondés se montrent favorables à accepter des mesures contraignantes. En revanche, si cette peur se transforme en défaitisme, la disposition à adopter des comportements environnementaux vertueux s’amenuise. L’équilibre est difficile à trouver.

La perception de l'efficacité des mesures contraignantes : plus ces mesures sont perçues comme efficaces pour lutter contre le dérèglement climatique, plus elles sont acceptées. Nos analyses font apparaître que ce facteur est le plus fondamental pour l’acceptation des mesures climatiques.

La perception de la justice des mesures contraignantes : plus ces mesures sont perçues comme injustes socialement (c'est-à-dire, comme affectant autant, voire davantage les bas que les hauts revenus) ou comme néfastes pour le niveau de vie des répondants eux-mêmes, moins elles sont acceptées.

Quels enseignements pour les décideurs publics ?

Les résultats de nos analyses des facteurs influençant l'acceptation sociale des mesures climatiques nous permettent d'en tirer des enseignements pour les décideurs.

Les décideurs devraient être attentifs lors de l'élaboration et de la mise en place de mesures climatiques contraignantes au fait que l'acceptation de ces dernières dépend en bonne partie de la manière dont elles seront perçues par les Français sur le plan de leur efficacité et sur celui de leurs impacts négatifs potentiels sur les populations les plus fragiles. 

Il apparaît dès lors nécessaire de prévoir des mécanismes permettant de limiter de tels impacts négatifs, ou de les compenser. La communication publique concernant ces mesures devrait ensuite être centrée sur la démonstration de leur efficacité pour lutter contre le dérèglement climatique et sur l'explication des dispositifs mis en place pour protéger les catégories fragiles et s’assurer que l’effort est équitablement réparti au sein de la population.

La très grande majorité des Français est aujourd'hui consciente de la gravité de la situation climatique et considère que le gouvernement n'en fait pas assez pour lutter contre le dérèglement du climat. La population est donc probablement prête à faire des efforts supplémentaires pour éviter le pire. Encore faut-il que les Français soient convaincus que ces efforts servent à quelque chose et qu'ils ne seront pas insupportables pour les plus fragiles d'entre eux !

 

 

Copyright image : Johannes EISELE / AFP

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