AccueilExpressions par MontaigneChina Trends #1 - Vers un accord d'investissement avec l'UE : un optimisme surjoué ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.04/04/2019China Trends #1 - Vers un accord d'investissement avec l'UE : un optimisme surjoué ? AsieImprimerPARTAGERAuteur Mathieu Duchâtel Directeur des Études internationales, Expert Résident Cliquer ici pour télécharger la version complèteLe Conseil européen a de nouveau défini comme une priorité la conclusion avec la Chine d'un accord bilatéral d'investissement (ABI), et même "la priorité de l'UE pour approfondir et rééquilibrer ses échanges économiques avec ce pays". Le Livre Blanc chinois de politique envers l’Union européenne, publié fin 2018, accorde également la priorité à la conclusion d'un tel accord, même si du point de vue chinois, l’ABI avec l’UE est pensé comme un tremplin vers un véritable accord de libre-échange.(1)Sept ans après le 15ème sommet UE-Chine et la décision d’initier des négociations, les équipes des deux parties ont conclu leur 19ème cycle de pourparlers en octobre dernier à Bruxelles. Concis, le communiqué conjoint adopté suite à cette négociation fait état d’"un effort pour combler les lacunes sur un certain nombre de questions en suspens". A l’évidence, la tâche reste ardue. Pourtant, l'adoption, en 2019, d’un cadre européen pour le filtrage des investissements directs étrangers et l’adoption de la nouvelle loi chinoise sur les investissements étrangers créent un environnement juridique plus clair en matière d’investissement pour les deux parties.Les difficultés présentes reflètent les "troubles de croissance" des relations UE-Chine.Dans l'ensemble, les commentateurs chinois sont optimistes quant aux perspectives de conclusion d'un accord. Ils font la distinction entre les obstacles à court terme et les perspectives à long terme. Ils font valoir qu'à long terme, c’est la force de l’intérêt commun qui prévaudra dans la création de règles visant à réglementer les relations bilatérales. Selon eux, les difficultés présentes reflètent les "troubles de croissance" (成长中的烦恼) des relations UE-Chine.Selon cette logique, il faut que les deux parties acceptent le fait qu'au-delà la complémentarité de leurs économies, qui n'a pas complètement disparu, "la compétition est de plus en plus importante" (越来越突出).Obstacles et solutionsLes analystes chinois proposent des réponses à la plupart des requêtes formulées par le camp européen. Ils y voient des différences de perception et de compréhension, qu’il s’agirait de surmonter. Les problèmes sont de quatre ordres : l'accès aux marchés, les normes de développement durable, les standards régissant la responsabilité sociale des entreprises et la composition de la liste négative (une liste négative énumère les secteurs pour lesquels un Etat refuse la libéralisation). Ces sources qualifient l’Union Européenne de "défi majeur" posé à la Chine pour converger.Les deux parties peuvent-elles dépasser les obstacles concrets qui n’ont cessé de retarder la conclusion de l'accord ? Wang Haochen, du Département des prévisions économiques du Centre d'information d’État de la Commission nationale du développement et de la réforme, y voit un enjeu de négociation. D'une part, les principaux objectifs de l'UE sont de "réduire au minimum les secteurs figurant sur la liste négative de la Chine". D'autre part, la Chine est confrontée à un "flux incessant de réglementations restrictives adoptées à l'encontre des investissements chinois" (针对我国投资频频出台限制法规) et à des différences qui restent importantes en matière de niveaux de développement. En outre, l'UE et la Chine n’ont pas la même compréhension de ce que signifie le terme de "niveau d’ouverture" (开放程度), même si la source que nous avons analysée ne précise pas l'ampleur de cette divergence.En ce qui concerne la pression exercée par l’UE sur les entreprises d'État et des subventions, Wang Haochen est positif. Les deux parties ont "des conceptions différentes de ce que signifie un environnement de concurrence équitable" (公平竞争环境). Mais la pression extérieure est utile au niveau national pour promouvoir la réforme des entreprises d'État dans le sens d'une "gestion moderne, d'un système de droits de propriété intellectuelle et d'une réduction de l’intervention de l'État dans les affaires des entreprises" (降低政府对企业经营行为的直接干预). Aucune concession spécifique n'est cependant envisagée. Wang Haochen insiste sur la "nécessaire protection des intérêts des entreprises d'État".China faces an "incessant flow of restrictive regulations adopted against Chinese investment".Les différences en matière de normes et de standards sont présentées comme faisant partie d'une nécessité historique, amenée à tendre vers une plus grande convergence. Les investissements directs chinois au sein de l’UE sont perçus comme l'un des moyens par lesquels les entreprises chinoises amélioreront leurs propres normes et standards d'exploitation, notamment en ce qui concerne les ressources humaines. Mais Wang fait preuve de nettement moins de souplesse quant aux transferts intangibles de technologie européenne liés à des investissements directs de la Chine. Il décrit ces transferts comme une "situation inévitable" (不可避免的情况), sans évoquer les nouvelles garanties juridiques conçues par la Chine dans son projet de loi sur les investissements étrangers, qui vise à rassurer les investisseurs.Pour conclure les négociations avec l'Union européenne, Wang Haochen formule deux recommandations au gouvernement chinois.Tout d'abord, rester ferme (据理力争) sur l’exigence que l'UE réduise le niveau de contrôle des investissements directs chinois et négocier un accord qui remplace le mécanisme UE et les mécanismes nationaux de filtrage des investissements (权限高于欧盟及成员国颁布的管制条例或法律). Comment un accord international pourrait-il remplacer des règles que l'UE vient d’adopter ? Cela reste ambigu. Avec le risque de paraître une atteinte au principe de réciprocité, puisque la Chine insiste sur la primauté de son système juridique sur le droit international dans de nombreux domaines, des affaires maritimes aux droits de l'homme. Deuxièmement, il préconise une ouverture progressive de l'accès au marché sur la base d'une évaluation minutieuse des risques pour la Chine. Il ne fait aucune recommandation spécifique en dehors des industries automobile et financière qui ont déjà été, au printemps 2018, désignées comme amenées à faire l’objet d’une ouverture progressive. La Chine devrait se concentrer sur "le contrôle stratégique du rythme d'ouverture du marché, strate après strate", et elle devrait maintenir des garanties fortes telles que les restrictions liées à la sécurité nationale (en dépit du le risque de se voir ainsi accusée d'avoir deux poids, deux mesures).L’emporter sur les craintes européennesLa plupart des analyses traduites pour ce texte partent du constat de la faiblesse du poids des investissements bilatéraux dans les relations économiques UE-Chine en comparaison avec leur poids économique à l’échelle mondiale. Deux chiffres sont constamment cités : le stock d'investissements de l'UE en Chine ne représente que 4 % de ses investissements directs à l'étranger, quand les IDE chinois en Europe ne représentent que 2 % du stock étranger à l'intérieur de l'UE.Mais si ces chiffres parlent d’eux-mêmes, la question politique plus large que se pose la Chine porte sur ce qui est perçu comme une "montée du protectionnisme" en Europe. Liu Zuokui, expert des questions européennes à l'Académie chinoise des sciences sociales, dresse une liste sombre de tous les enjeux auxquels sont actuellement confrontés les gouvernements européens et démontre comment ces derniers convergent pour donner naissance à une vague "protectionniste". La conséquence pour la Chine ne prend pas seulement la forme de nouvelles restrictions en matière d'accès au marché ou d'accès aux technologies européennes : la Chine doit également faire face à une Europe qui met désormais davantage l'accent sur "les différences idéologiques et les menaces culturelles" (意识形态的差异以及其他文化的威胁). Cette situation affecte directement l’initiative Belt and Road, dans la mesure où au mécanisme de filtrage auquel la Chine est confrontée, s’ajoutent des mesures de protection commerciale, le refus qui lui est formulé dans la perspective de son obtention du statut d'économie de marché, mais aussi une profonde méfiance (防范) envers les projets d'infrastructure financés par des prêts chinois.En bref, Liu Zuokui entrevoit une concurrence entre l'initiative Belt and Road et les normes et standards européens. À ses yeux, l’Europe va continuer à élargir sa panoplie de mesures de protection. Liu Zuokui prévoit également une augmentation des litiges juridiques en matière de commerce, en particulier une montée des actions antidumping contre la Chine.Le jeu à long terme pour les entreprises chinoises consiste à habituer les entreprises européennes à coopérer avec la Chine afin que les Européens "corrigent leur attitude".Pourtant, selon Liu Zuokui, certains éléments autorisent un brin d’optimisme. Globalement, l'Europe a besoin d'investissements étrangers et d'un accès aux marchés en développement. Les entreprises chinoises sont en train d’apprendre à s’adapter à l’environnement européen, à gérer les normes de responsabilité sociale des entreprises et à présenter leurs activités en relation avec les problématiques du chômage en Europe. Ces efforts seront payants à long terme.Il attend également des peuples européens (欧洲民众) qu'ils saisissent mieux les enjeux de l'initiative Belt and Road. Il observe en outre que la mise en œuvre du mécanisme de filtrage des investissements conduira inévitablement l'UE à rechercher un nouvel équilibre entre protection et ouverture. Bref, le tableau est loin d'être entièrement noir. Sur le long terme, les deux parties ont un "intérêt commun à coopérer et non à s'affronter" (合作而非对抗).Wang Haochen conclut sur la manière dont la convergence entre l'initiative Belt and Road et le plan d'investissement européen peut être promue ; il souligne l'importance de la "courbe d’apprentissage" des entreprises chinoises opérant en Europe. Selon lui, on peut comprendre que la concentration des investissements chinois dans les fusions et acquisitions et les prises de participation crée des forces d'opposition en Europe. Pour dissiper ces craintes, il convient d'accroître les investissements conjoints dans les pays tiers et les investissements greenfield, également en collaboration avec les entreprises européennes. Le jeu à long terme pour les entreprises chinoises consiste à habituer les entreprises européennes à coopérer avec la Chine afin que les Européens "corrigent leur attitude" (改善态度).La poursuite des intérêts avant le respect des règlesCet optimisme est difficilement compréhensible si on ne l’inscrit pas dans le cadre plus large de la politique étrangère de la Chine. L'ambassadeur Su Ge, président du Comité national chinois pour la coopération économique dans le Pacifique, revient sur les conclusions de la Conférence centrale de travail sur les affaires étrangères, qui s'est tenue à Beijing en juin 2018. Cette conférence est un moment important de définition des orientations de politique étrangère, ou selon ses propres termes, de "la diplomatie de grande puissance aux caractéristiques chinoises sous la direction de Xi Jinping". La priorité définie en 2018 est de "stabiliser les relations entres grandes puissances" dans le contexte de la guerre commerciale sino-américaine. En conséquence, l'approfondissement des relations de la Chine avec l'UE, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne et l’optimisme des analystes reflètent une intention de créer un meilleur équilibre stratégique dans l’environnement international de la Chine.Or comme l'énonce clairement Sun Yan, du département d'études européennes de l'Académie chinoise des sciences sociales, le principal défi pour les relations UE-Chine est de savoir comment les deux parties vont gérer leur "compétition en matières de normes" (规则之争). Sur cette question, comme beaucoup de commentateurs chinois, Sun Yan place l'opportunisme et le rapport de forces avant les valeurs absolues. "En réalité, dans ce monde, il n'y a pas de justice absolue dans les règles internationales, et aucun système international n'est capable de satisfaire pleinement toutes ses parties prenantes. La meilleure approche est de bien saisir les grands principes directeurs et les tendances des intérêts de toutes les parties prenantes, afin d'établir des règles qui ménagent les intérêts de la majorité des pays". Cette manière d’aborder les règles internationales comme le reflet d'un rapport de force, plutôt que dans une logique de "benchmarking" ou dans une quête de "meilleures pratiques" imprègne toutes les analyses chinoises des négociations sino-européennes en cours sur un possible accord d’investissement bilatéral. Références(1) "Make joint efforts with a positive and pragmatic attitude to reach a win-win bilateral investment treaty, and launch a joint feasibility study on China-EU Free Trade Area at an early date to build a sound institutional framework for upgrading the economic and trade cooperation". "China’s Policy Paper on the European Union", Xinhua, 18 December 2018. http://www.xinhuanet.com/english/2018-12/18/c_137681829.htm ImprimerPARTAGERcontenus associés 04/04/2019 China Trends #1 - Réforme de l’OMC : une Chine réticente François Godement 04/04/2019 China Trends #1 - La Chine et la réforme de l'OMC : qui veut le moins... ve... Viviana Zhu 04/04/2019 China Trends #1 - De la peur des loups...à danse avec les loups : le regard... Pierre Sel