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04/04/2019

China Trends #1 - De la peur des loups...à danse avec les loups : le regard rétrospectif de la Chine sur l'OMC

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China Trends #1 - De la peur des loups...à danse avec les loups : le regard rétrospectif de la Chine sur l'OMC
 Pierre Sel
Auteur
Contributeur sur les politiques technologiques et industrielles

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Après 15 années de négociations ardues, la République populaire de Chine (RPC) a rejoint l'Organisation mondiale du commerce (OMC) le 11 décembre 2001. Cette adhésion a marqué une étape importante pour l'intégration de la Chine dans l'économie mondiale. Près de dix-huit ans après cet accord historique, certains commentateurs occidentaux, se remémorant cette décision, posent explicitement la question de savoir si ce n’était pas une erreur.(1) Ce texte examine le discours chinois en la matière et les points saillants des débats en Chine sur les conséquences, pour le pays, de son adhésion à l'OMC.

Un bilan positif

La métaphore chinoise utilisée pour désigner l'admission de la Chine à l'OMC est "l'entrée dans le monde" (入世), ce qui en reflète l'importance stratégique pour sa position internationale. C’est d’ailleurs l'une des décisions historiques de sa politique de "réforme et d'ouverture". Dans une interview datée de 2018, Chen Fengying, chercheuse à l'Institut chinois des relations internationales contemporaines, replace précisément cette adhésion dans le contexte plus large de la "réforme et l'ouverture". Selon elle, les 40 dernières années peuvent être divisées en quatre étapes : de 1978 à 1991, 1991 à 2001, 2001 à 2018 et "après le 19ème Congrès". L'admission à l'OMC apparaît comme un tournant, un "symbole" et marque "le véritable préambule d'un développement économique rapide, un vrai point de départ pour tirer parti (利用) de l'économie mondiale". Dès lors, dit-elle, de nombreuses entreprises ont commencé à "sortir" (走出去), en mondialisant leurs activités par des fusions et des acquisitions, par la coopération et par des investissements greenfield. L'adhésion de la Chine à l'OMC a marqué le début d'une "décennie en or" pour sa croissance et son économie axée sur les exportations. Selon Chen Fengying, le sommet du G20 de 2016 à Hangzhou a marqué la fin de la troisième phase et le début de la "nouvelle ère", au sein de laquelle la Chine devient un "contributeur" (贡献者) du monde, en particulier dans le cadre de l'initiative Belt and Road.

L'adhésion de la Chine à l'OMC a marqué le début d'une "décennie en or" pour sa croissance et son économie axée sur les exportations.

Si l'adhésion à l'OMC est devenue un symbole de l'intégration mondiale de la Chine, elle y a également déclenché, dans les années 1990, de grands débats sur les coûts et les avantages de la mondialisation. La discussion portait aussi sur des secteurs spécifiques, beaucoup se demandant "comment protéger les marchés et l'industrie de la Chine, en particulier l'alimentation et l'agriculture, ou encore l'industrie automobile". Wei Jianjun, PDG de Great Wall Motors, rappelle qu'avant de rejoindre l'OMC, "tout le monde pensait que l'industrie automobile chinoise allait s'effondrer, la pression était vraiment forte, les gens disaient que les loups arriv[ai]ent" (狼来).

Shi Guangsheng, alors ministre du Commerce extérieur et de la Coopération économique et chargé de négocier l'accord, revient dans un entretien daté de 2018 sur la manière dont ces risques étaient évalués. Comment les entreprises chinoises survivraient-elles à l'ouverture des marchés et à la concurrence étrangère ? Le défi auquel le gouvernement devait faire face était particulièrement sérieux. Comment un État qui avait pris l’habitude de "tout contrôler" pouvait-il désormais se recentrer sur "la création d'un environnement économique favorable et utiliser les bonnes mesures pour gérer le marché ? [Aussi], quand les entreprises étrangères viendront en Chine, elles s'attendront à un traitement égal, dès lors comment faire pour protéger les entreprises chinoises ?"

Shi Guangsheng explique ce qui, dans la perspective d’une adhésion, pouvait en être, tout bien considéré, perçu comme des avantages. À l'époque, dit-il, les élites politiques ont compris qu’ "intégrer l'OMC était une nécessité pour bâtir l'économie de marché socialiste, pour en élargir les possibilités économiques et l'environnement", et que les avantages l'emportaient donc sur les coûts. Il souligne rétrospectivement les trois principaux avantages de l’adhésion. Premièrement, l'OMC a tout bonnement contribué à la construction de l'économie chinoise. Deuxièmement, "puisque la Chine réunit les conditions d’un développement économique et de la participation à l'économie mondiale, [l'adhésion à l'OMC] nous a ouvert des portes et nous a permis d'utiliser à notre avantage (利用) les ressources, l'information, les capitaux et le marché mondiaux". Enfin, Shi Guangsheng soutient que l'adhésion à l'OMC a permis à la Chine de participer à l'élaboration des règles régissant l'organisation, et de s'assurer "qu'en rédigeant ces règles, nous [pourrions] protéger pleinement nos propres intérêts". Huo Jianguo, vice-président de la China Society for World Trade Organization Studies, partage l’avis de l'ancien ministre et affirme que les faits démontrent bien que l’ensemble des effets positifs [de l'adhésion à l'OMC] a largement dépassé les dommages dont on pouvait s’inquiéter. 

Wang Yu (王钰), professeur à l'Université de commerce de Harbin, offre une perspective plus académique.(2) Selon elle, le principal effet positif réside dans la soudaine hausse des investissements étrangers, qui à leur tour "ont apporté des capitaux considérables, des technologies avancées, mais aussi une pensée moderne et une expérience en matière de gestion". Cette abondance de main-d'œuvre et d'investissements a permis à la Chine de gagner facilement "d’importantes parts de marché".(3) Chen Fengying suggère en outre que "l'essor des investissements étrangers a obligé les entreprises chinoises à se réformer et donc à être plus compétitives". Deuxième conséquence positive selon Wang Yu, il a contribué à la "marchéisation" (市场化) de l'économie chinoise. De plus, la gouvernance économique avait besoin d’être réformée et institutionnalisée (法制化).

Sur ce point, Chen Fengying souligne qu'en un temps limité, la Chine a entrepris le plus grand "nettoyage" juridique et réglementaire possible et "un grand changement dans sa gouvernance, avec de nouvelles méthodes et de conception, telles qu’une [gouvernance] axée sur les personnes", "pour être au service du marché et de l’économie" ou "la marchéisation du management".(4) Troisièmement, l'adhésion à l'OMC a permis "d'optimiser la structure économique", en particulier "le secteur tertiaire de l'industrie, qui se rapproche  [désormais] du poids des industries secondaires", ce qui indique que la Chine se rapproche d'une "structure économique proche des économies occidentales"(5) où le secteur tertiaire est le plus important, suivi du secondaire et du primaire. En d'autres termes, une structure économique où le secteur des services deviendra progressivement dominant. Somme toute, l'adhésion à l'OMC "a contribué à renforcer la position internationale de la Chine" et, selon Wang Yu, la Chine est passée d'un statut de "preneur de règles" à un statut de "faiseur de règles".(6)

L'adhésion à l'OMC "a contribué à renforcer la position internationale de la Chine" et la Chine est passée d'un statut de "preneur de règles" à un statut de "faiseur de règles".

D'autres articles publiés par des journaux locaux offrent des comptes rendus intéressants de l'influence de l'OMC sur le développement économique de la Chine. Par exemple, Changsha Evening News (长沙晚报) publie un article riche en enseignements, intitulé "Comment l'entrée à l'OMC a-t-elle changé nos vies ?". Le journaliste cite d'abord un entrepreneur local, qui explique comment tout le monde est passé de "craindre les loups" à " danser avec eux" (与狼共舞), puis relate comment des enseignes commerciales étrangères comme Walmart, Carrefour et Metro se sont progressivement implantées, apportant de plus grandes quantités de produits à un prix moins élevé.

Pourtant, Wang Yu identifie au moins trois grands effets négatifs. Premièrement, les tensions commerciales [entre la Chine et d'autres pays] non seulement n'ont pas cessé, mais elles se sont même aggravées. Il soutient que "[à l’origine] seuls quelques pays ont poursuivi la Chine pour des affaires de dumping, mais un nombre croissant de pays a progressivement adopté une posture similaire à l'égard des exportations chinoises, au point que cela est devenu un problème systématique".(7) Seconde affirmation, les écarts de richesse entre les riches et les pauvres se sont creusés. Toutes les régions ne profitent pas de manière égale des avantages de la mondialisation, ce qui contribue à l’augmentation des inégalités de revenus. Enfin, l'auteur affirme simplement mais sans détour que depuis que la Chine a rejoint l'OMC et qu’elle est devenue l'usine du monde, sa situation environnementale et celle de ses ressources naturelles se sont "dégradées".(8)

La contribution de la Chine à l'OMC et au monde

Mais l’on ne saurait être exhaustif sans aborder la question de la conformité et la façon dont elle est présentée dans le discours porté par les médias chinois. En effet, comme le souligne Wang Yu, les frictions commerciales avec les États-Unis et d'autres partenaires ont augmenté. L’échantillon des articles chinois que nous avons analysés montre des similitudes frappantes dans la manière dont la question de la conformité est abordée. En un mot, la Chine a non seulement rempli la plupart de ses engagements, mais elle est aussi devenue un "contributeur" à l'économie mondiale. À titre d’illustration, Li Wei, directeur de l'Institute of America and Oceania Study du ministère du Commerce, affirme que "la Chine a activement mis en pratique les concepts du libre-échange et a entièrement rempli ses engagements, de telle sorte qu'elle a été à l’origine d'importantes opportunités pour le commerce mondial et apporté une contribution importante au monde".

Ce glissement sémantique est important dans la "nouvelle ère" portée par Xi Jinping, à un moment où la Chine veut édicter ses propres règles et s'engager à l’échelle du monde selon ses propres conditions.

Il s’agit du discours habituel sur la mise en œuvre par la Chine des engagements pris dans le cadre de l'OMC. Habituellement, ce récit est étayé par quelques chiffres, comme la baisse des tarifs douaniers de 15 % en 2010 à 9,6 % en 2018. Ou, comme l'a expliqué le directeur adjoint de l’Institute of World Economics and Politics de l'Académie chinoise des sciences sociales Su Qingyi, la RPC a mis en place un bureau de représentation dans la plupart des services spécialisés de l'OMC pour "être au service du commerce" et a travaillé dur pour garantir juridiquement la propriété intellectuelle (服务贸易). Sun Qingyi nous rappelle aussi que la Chine a versé plus de 28 milliards de dollars de droits de propriété intellectuelle à des sociétés étrangères.

Bien sûr, les universitaires s'accordent à dire que certains engagements n'ont pas été respectés. Par exemple, Sun Qingyi reconnaît que dans de nombreux secteurs comme la recherche et le développement, les mines ou les télécommunications, l’ouverture des marchés demeure partielle. Mais selon ces universitaires, ce qui compte, c'est que le travail soit déjà bien avancé, et ce "à temps" pour ce qui est des engagements vis-à-vis de l'OMC. Dans la défense des efforts menés par le pays et de la contribution de la Chine à l'OMC et au monde, il est frappant de constater que les articles utilisent par dizaines les mêmes chiffres (tarifs douaniers, part des importations mondiales) et les mêmes exemples pour faire valoir leur point ; parfois, certains articles vont même jusqu’à n’être qu’une liste de "réalisations".

Pourtant, "la Chine est toujours prise pour cible par certains pays pour ne pas avoir respecté ses engagements, ce qui est injuste". En effet, selon Li Wei, "les mesures antidumping prises par certains pays sont en contradiction avec leurs propres engagements envers l'OMC". C'est d'autant plus intéressant que le pays tente de se positionner comme un "contributeur" (贡献者) à la marche du monde, et pas seulement comme un promoteur (推动者). Ce glissement sémantique est important dans la "nouvelle ère" portée par Xi Jinping, à un moment où la Chine veut édicter ses propres règles et s'engager à l’échelle du monde selon ses propres conditions. La guerre commerciale et la confrontation accrue avec les États-Unis s'inscrivent dans ce récit, alors que la Chine cherche à apparaître comme un champion du libre-échange et du multilatéralisme. Si l'on regarde quelques articles datés de 2011 et publiés pour célébrer les dix ans de "l'entrée dans le monde", le discours, assez similaire, présente toutefois deux différences notables. Tout d'abord, le ton est désormais beaucoup moins affirmé et assuré. Bien sûr, les "pays développés" sont toujours tenus responsables pour des règles qu’ils ont eux-mêmes fixées, mais, et c’est là la seconde différence : l’accent est mis sur la nécessité, pour la Chine, de poursuivre sa réforme. Wang Xinkui, professeur affilié à l'Université de commerce international et d'économie de Shanghai, défend dans un article les efforts menés par la Chine pour remplir ses engagements, mais souligne aussi cette nécessité d’une continuation des réformes et d’une plus grande attention à porter à la durabilité d’un modèle économique basé sur les exportations. Il note également le dangereux isolement de la Chine en cas de différends commerciaux.

En résumé, nul doute que l'adhésion à l'OMC a été une décision historique cruciale, résumée par l'expression "entrer dans le monde" (入世). L'adhésion à l'OMC est en effet présentée comme un tournant, qui a ouvert la voie au rôle de "contributeur" de la Chine dans le monde. Cependant, le discours officiel indique clairement que la période de transition qui a commencé avec l'admission de la Chine à l'OMC est terminée et qu'une "nouvelle ère" a débuté avec Xi Jinping et son initiative Belt and Road, présentée comme une nouvelle étape de l'engagement de la Chine dans l'économie mondiale.

 

Références

(1) Philip Levy, "Was Letting China Into the WTO a Mistake?", Foreign Affairs, 2 April 2018.

(2) Wang Yu, "WTO influence on China – 20 years after joining the organization: assessment and perspective" ( WTO 对中国的影响———入世十二年后的回顾及展望), Harbin University of Commerce, Duiwai Jingmao, Vol. 4 No. 226, 2013 

(3) Ibid, « 许多外资纷纷进入中国,带来了充足的资金和先进的科学技术以及现代化的思想理念和管理经验,与充裕资源相结合, 使中国经济爆发出巨大的能量 » Wang Yu, "WTO influence on China – 20 years after joining the organization: assessment and perspective" ( WTO 对中国的影响———入世十二年后的回顾及展望), Harbin University of Commerce, Duiwai Jingmao, Vol. 4 No. 226, 2013

(4) Ibid, Zhang Huai Shui and Zhao Qiao, "Interview with Chen Fengying, Researcher at the China Institutes of Contemporary International Relations: after joining the WTO, building a new platform for global economic prosperity" (每经专访中国现代国际关系研究院原所长陈凤英:中国入世后为全球经济繁荣搭建新平台), Daily Economic News, 17 August 2018.

(5) Ibid, Wang Yu, (三二一的产业结构) - referring to an economy in which the services sector is the most important, followed by the industrial one and finally agriculture.

(6) Ibid, Wang Yu, « […] 逐渐成为规则的适应者和制定者 »

(7) Wang Yu, "WTO influence on China – 20 years after joining the organization: assessment and perspective" ( WTO 对中国的影响———入世十二年后的回顾及展望), Harbin University of Commerce, Duiwai Jingmao, Vol. 4 No. 226, 2013

(8) Ibid

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