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14/11/2024

[Budget 2025] - Améliorer la rémunération du travail : volonté partagée, action limitée ?

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[Budget 2025] - Améliorer la rémunération du travail : volonté partagée, action limitée ?
 Nicolas Laine
Auteur
Responsable de projets - Publications Études France
 Lisa Thomas-Darbois
Auteur
Directrice des Études France et Experte Résidente

"Il faut que le travail paie plus", tels ont été les mots du Premier ministre, Michel Barnier, lors de sa déclaration de politique générale le 1er octobre dernier. Si la nécessité d'améliorer la rémunération du travail fait consensus au sein de la classe politique, les discussions parlementaires entourant le projet de loi de finances (PLF) peinent à traduire des pistes d’actions potentielles pour répondre à cet enjeu. Pour cause, il ne s’agit pas simplement d’un sujet budgétaire mais bien stratégique pour l’avenir de notre pays que les débats parlementaires peinent aujourd’hui à traduire. La réflexion mérite pourtant de s’inscrire dans le temps long pour relever ce défi politique crucial dans les prochaines années.

Augmenter la rémunération du travail : le coût économique d'un coup politique 

Depuis les élections législatives de juin 2024, les différentes coalitions politiques ont formulé plusieurs propositions pour améliorer la rémunération du travail. Le Nouveau Front populaire (NFP) propose de faire contribuer directement les entreprises en augmentant le SMIC de 14 %, portant son niveau à 1 600 euros net. Les autres formations privilégient une révision des exonérations de cotisations sociales : le Rassemblement National a proposé d’exonérer de cotisations patronales, pendant trois ans, les hausses de 10 % des salaires inférieurs à trois SMIC. Ensemble pour la République, de son côté, a avancé l’idée de porter la prime de partage de la valeur à 10 000 € par an avec possibilité de la mensualiser - ce qui revient là encore à une exonération de cotisations, la prime en étant exemptée jusqu’à trois SMIC.

Ces propositions se heurtent toutefois à la réalité de notre situation budgétaire dégradée, alors que le déficit public devrait atteindre 6,1 % du PIB en 2024. Selon les estimations de l'Institut Montaigne, la réforme proposée par le NFP représenterait un coût annuel de 19 milliards d'euros, avec une charge additionnelle de 10,5 Md€ d’ici 2027 en cas d'indexation sur l'inflation. Si les propositions du Rassemblement National (800 M€ par an) et d'Ensemble (2 Md€ par an) sont moins coûteuses, elles viendraient alourdir une politique d'exonérations dont le coût s’élève déjà à 75 Md€ par an.

Le projet de budget présenté par le gouvernement propose une autre voie pour concilier meilleure rémunération du travail et redressement des comptes publics.

Dans ce contexte, le projet de budget présenté par le gouvernement propose une autre voie pour concilier meilleure rémunération du travail et redressement des comptes publics. L'exécutif rejette l'approche du NFP - la hausse du SMIC au 1er novembre a été limitée à 2 % - mais prend également le contre-pied des initiatives du Rassemblement National et d'Ensemble pour la République. L'article 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), propose non pas d'étendre les exonérations, mais d'en redéfinir le barème sur deux ans tout en effectuant 4 Md€ d’économies. 

À terme, les cotisations seraient alourdies en-deçà de 1,3 SMIC et au-delà de 1,8 SMIC, et s’éteindraient au-delà de 3 SMIC (contre 3,5 SMIC actuellement). Les débats en commission puis en séance publique ont néanmoins révélé l'opposition quasi unanime des députés, qui ont supprimé cet article du PLFSS. Par amendement, ils ont au contraire poursuivi l’élargissement du champ des exonérations de cotisation en réintroduisant la défiscalisation des heures supplémentaires, pour un coût estimé à 3,2 Md€

Le Gouvernement tentera de nouveau de défendre sa vision de la refonte des exonérations des cotisations lors des discussions budgétaires à la Chambre haute, où le projet de loi de financement de la Sécurité sociale sera débattu à partir du 18 novembre. Cette proposition, qui pourrait entraîner la suppression de 15 000 à 40 000 emplois de l'aveu même du gouvernement, pose la question d'un arbitrage difficile : économies budgétaires ou soutien de l'emploi ? Le contexte économique rend aujourd’hui l'équation encore plus complexe après une année marquée par un record de plus de 50 000 procédures collectives - destinées à aider les entreprises en grande difficulté - enregistrées depuis le début de l'année. Plus encore, la diminution des exonérations de charges dont bénéficient certains secteurs industriels en difficulté pourrait enrayer plus durement cette dynamique. C’est notamment le cas de l'industrie automobile aujourd’hui fragilisée par la baisse des ventes, la transition vers l'électrique, des coûts énergétiques élevés et des normes européennes renforcées. L'annonce de la fermeture de deux usines Michelin, entraînant la suppression de 1254 emplois, illustre ce climat économique peu propice à de tels ajustement "paramétriques".

Ce contexte défavorable n'écarte pourtant pas la nécessité d'une réforme d'envergure, qui découle du constat de l'inefficacité croissante des politiques d'exonérations de cotisations sociales - devenues la première politique de l'emploi en France après trois décennies d'extensions successives. Un récent rapport de France Stratégie souligne de nouveau que, si ces dispositifs ont initialement contribué à réduire le chômage, leur efficacité est désormais moindre. En effet, le chômage touche désormais des profils plus diversifiés et non exclusivement les moins qualifiés - cible initiale des allègements - tandis que l’extension progressive des exonérations aux salaires plus élevés aurait probablement entraîné des effets d’aubaine sans effet sur les salaires.

Ce contexte défavorable n'écarte pourtant pas la nécessité d'une réforme d'envergure, qui découle du constat de l'inefficacité croissante des politiques d'exonérations de cotisations sociales.

Niveau ou dynamique des salaires ? Le court terme contre le long terme

Dès lors, la poursuite des exonérations de cotisations sociales décidée en première lecture à l'Assemblée - en ajoutant des exemptions d'assiette de cotisations sociales aux 3 042 niches déjà existantes - reflète une politique de courte vue poursuivie depuis trois décennies. Elle échoue à adresser les causes profondes du sentiment selon lequel le travail ne paie plus, particulièrement marqué chez les classes moyennes. Comme le souligne l'Institut Montaigne dans sa note Classes moyennes : l'équilibre perdu ?, ce ressenti ne découle pas tant de la question du niveau de pouvoir d'achat - qui a progressé sur le long terme, hormis pour le logement - mais d'une rupture historique plus subtile : la fin de la promesse d'une progression continue du niveau de vie par le travail. Ainsi, alors qu'en 1968, un Français doublait son revenu disponible en 15 ans, ce délai avait grimpé à 40 ans en 2007 et s'élève aujourd'hui à 84 ans.

Si les exonérations de cotisations contribuent à mieux rémunérer le travail à court terme en augmentant le salaire net, leur architecture actuelle produit également des effets pervers à long terme sur la dynamique salariale - en premier lieu par leurs effets de seuil qui renforcent les trappes à bas salaires. Ainsi, une augmentation de 100 € au niveau du SMIC coûte 483 € à l'employeur, générant des taux marginaux d’imposition apparents pouvant atteindre 80 %. Ce mécanisme touche l'ensemble de l'échelle salariale, avec des conséquences extrêmes : une hausse d'un euro pour un salarié rémunéré à 3 803 € par mois représente un coût additionnel de 230 € pour l'employeur.

Sur un plan plus structurel, l'architecture actuelle est défavorable à la dynamique des salaires en créant une dichotomie marquée du coût du travail. 

Sur un plan plus structurel, l'architecture actuelle est défavorable à la dynamique des salaires en créant une dichotomie marquée du coût du travail. Le taux de cotisation employeur, s'il est ainsi le plus bas de l'OCDE au niveau du salaire minimum (5 %), est le plus élevé au niveau du salaire médian (35 %). Cela encourage une spécialisation de l'économie sur les services peu qualifiés qui, si elle enrichit la croissance en emploi, pèse également sur une productivité du travail qui a déjà reculé de 3 % depuis 2019.

A contrario, l'Allemagne a adopté une structure inverse avec un taux stable puis fortement décroissant, se rapprochant des principes de la taxation optimale puisque les travailleurs les plus qualifiés, et donc les plus mobiles, sont les moins taxés.

Si la poursuite du système actuel ne semble pas souhaitable, les propositions alternatives n'apportent pas davantage de solutions. L'augmentation du SMIC, par exemple, ne répondrait pas au ressenti des salariés dont le pouvoir d'achat s'érode, car ces derniers ne sont pas majoritairement des smicards - le SMIC étant en partie indexé. Au-delà de pertes d'emplois significatives qu'elle pourrait engendrer - en 2000, des économistes estimaient qu'une hausse de 10 % du SMIC serait susceptible de détruire 290 000 emplois - une hausse généralisée du SMIC, en ramenant 22 % de la population active à ce niveau de rémunération, freinerait aussi toute perspective de progression salariale et accentuerait le sentiment de déclassement. Par ailleurs, cette approche ne traite pas la question de la quantité de travail, notamment des temps partiels, principal facteur de pauvreté laborieuse.

Décorréler l'urgence des débats budgétaires à la nécessité d’une refonte structurelle de notre système de cotisations

Répondre aux véritables causes de la faible rémunération du travail est donc indissociable d’une approche structurelle qui privilégie la dynamique salariale. Dans un contexte où le travail est taxé à 56 %, il est difficilement souhaitable qu’une refonte des cotisations aboutisse à une hausse de celles-ci, comme le propose le gouvernement. Des pistes alternatives émergent dans le débat public ne font actuellement pas l’objet de l’examen parlementaire. Comme le rappelle Antoine Foucher dans Pourquoi le travail ne paie plus, les retraités sont aujourd’hui taxés à 16 %, soit près de quatre fois moins que le travail - situation qui ne découle pas de leurs cotisations : verser aux retraités uniquement ce qu’ils ont cotisé nécessiterait de réduire leurs pensions de 30 % à 50 %. Pourtant, les parlementaires s’opposent au décalage de six mois de la revalorisation des pensions, qui a déjà coûté 15 Md€ en début d'année.

Les travailleurs, du fait de la charge fiscale plus forte pesant sur eux, supportent donc l’essentiel du financement de la hausse des dépenses sociales - tant les travailleurs d’aujourd’hui que ceux de demain, qui devront rembourser la dette. Améliorer la rémunération du travail de manière durable ne peut dès lors se résumer à une simple action sur les cotisations, c'est-à-dire sur le volet des recettes de la protection sociale : à terme, réduire la différence entre le salaire perçu par les employés et le coût supporté par l’employeur sans recourir à la dette ni hausser les cotisations nécessitera inévitablement une action sur les dépenses. Or, les principales mesures proposées par le gouvernement - hausse des cotisations et renforcement de la lutte contre la fraude sociale - sont centrées sur la hausse des recettes. Du côté des dépenses, le contenu du PLFSS est aussi mitigé. Les économies envisagées, comme la réduction de la prise en charge des consultations médicales de 30 % à 40 %, risquent de se traduire elles aussi par une hausse des cotisations. Le différentiel sera en effet transféré aux complémentaires santé, entraînant probablement une hausse de leurs tarifs et alourdissant ainsi les cotisations que les entreprises devront verser. Cela représentera une charge supplémentaire estimée à 1,1 Md€ pour l’année prochaine, dont la moitié pourrait être supportée par les entreprises.

Enfin, pour mieux valoriser le travail, le Premier ministre a relancé l'idée de la mise en place d'une allocation sociale unique plafonnée, qui regrouperait l’ensemble des prestations non contributives et augmenterait le différentiel avec les situations d’inactivité. L'Institut Montaigne a chiffré les économies à 6 Md€ par an pour un plafonnement à 70 % du SMIC, tel que le propose la Droite républicaine. 

Pour mieux valoriser le travail, le Premier ministre a relancé l'idée de la mise en place d'une allocation sociale unique plafonnée.

Impact sur les finances publiques : Économie brute comprise entre 1 et 6 Md€ par an en fonction du champ et du niveau de plafonnement 

Degré de fiabilité de l'analyse :moyenne, nécessiterait des précisions sur le champ des prestations visées et une micro-simulation (modélisation appliquée à une base de données individuelles représentatives)

Opérationnalité : au moins 3 ans de mise en oeuvre

"Je vais ouvrir un chantier, qui ne sera pas immédiat, de l’allocation sociale unique de telle sorte qu’au bout de ce travail, ça paie plus de travailler que de ne pas travailler. Il faut aussi débureaucratiser, et parfois augmenter certaines [allocations], je pense [à celles qui concernent les] personnes en situation de handicap" Michel Barnier, 3 octobre, Émission Politique, France 2

Le premier ministre n'a évoqué ni le champ des allocations regroupées ni de plafond en montant total versé, ce qui ne permet pas de chiffrer précisément la mesure. Seules les allocations pour les personnes en situation de handicap seraient exclues. Le groupe LR a proposé en octobre 2024 un plafonnement à 70 % du SMIC d'une allocation sociale unique, dont le champ n’est toutefois pas précisé. 

Pour qu'un tel plafonnement ait un effet, il faudrait regrouper plusieurs prestations sociales non contributives. Le champ retenu dans ce chiffrage s'appuie sur celui de la dernière simulation disponible, ajusté en fonction des déclarations du Premier ministre: RSA, prime d’activité, allocations logement, l’allocation de soutien familial, le complément familial, l’allocation de rentrée scolaire et l'allocation de base d'accueil du jeune enfant. Sur ce champ (représentant une surface budgétaire de 46,5 Md€, assiette large sur laquelle aucune réforme récente n'a jamais porté en matière de prestations sociales), un plafond à 70 % du SMIC net (979 €) pourrait générer une économie théorique de l’ordre de 6 Md€. Si le plafond était fixé à 75 % (1049 €), l’économie serait de l’ordre de 5 Md€. Pour un plafond de 100 % du SMIC net, l’économie serait de l’ordre de 1 Md€ (1 399 €).

Faisabilité constitutionnelle : Il n'existe pas de contrainte constitutionnelle propre à cette mesure. Pour être mise en œuvre, elle peut passer par voie législative au travers d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale dans sa partie versement auprès des bénéficiaires.

Faisabilité européenne : la mesure ne serait pas contraire aux règles définies par les traités européens.

Faisabilité politique : mesure peu consensuelle, notamment avec un plafond à 70 % du SMIC, qui ferait beaucoup de perdants.

Faisabilité opérationnelle : Par comparaison avec la dernière réforme d'ampleur d’une prestation sociale, les allocations logement "en temps réel", les délais de mise en oeuvre seraient assez importants (de l'ordre de 3 ans au moins) avec un coût budgétaire de l’accompagnement informatique et humain non négligeable (de l’ordre de 500M€). 

Pour qu'un plafonnement du cumul de prestation sociales ait un effet, il faudrait regrouper de nombreuses prestations sociales non contributives notamment : RSA, prime d’activité, allocations logement (APL, ALF, ALS), l’allocation de soutien familial, le complément familial, l'allocation de rentrée scolaire et l’allocation de base PAJE. Ce champ correspond à celui retenu dans l’étude d’une allocation unique par la CNAF, moins les prestations pour les personnes en situation de handicap, exclues du champ par le Premier ministre, et le minimum vieillesse, non cumulable avec les autres prestations.

Pour déterminer précisément les économies potentielles à attendre d’un plafonnement, il faudrait connaître les montants individuels perçus par les personnes cumulant des prestations sociales au-dessus d’un plafond en % du SMIC. Ce type de données n’existe pas dans les informations publiquement accessibles. 

À défaut, les économies budgétaires brutes à attendre de la mesure peuvent être approchées sous forme d’ordre de grandeur à partir des montants moyens effectivement versés pour des prestations cumulables. 

Une fois les montants moyens calculés en divisant le coût budgétaire par le nombre de bénéficiaires, les montants moyens peuvent être additionnés jusqu'à atteindre le plafond de 70  %, 75  % ou 100  % du SMIC. Le coût budgétaire des prestations dépassant au niveau individuel le plafond du SMIC représente l'économie potentielle dans une situation où tous les bénéficiaires seraient éligibles à l’ensemble des aides du champ. Il faut toutefois réduire cette économie potentielle de la fraction des bénéficiaires ne pouvant pas cumuler certaines aides. Ainsi, 58 % des bénéficiaires du RSA n’ayant pas d’enfant à charge, l’économie attendue d’un non cumul entre le RSA et certaines aides familiales doit donc être réduite aux 42  % de bénéficiaires ayant un enfant à charge.

Sur le champ susmentionné de prestations sociales, dont le coût budgétaire total est aujourd’hui de 46,5 Md€, un plafond à 70 % du SMIC net (979 €) pourrait générer une économie théorique de l'ordre de 6 Md€. Si le plafond était fixé à 75 % du SMIC net (1049 €), l’économie serait de l'ordre de 5 Md€. Pour un plafond de 100 % du SMIC (1398 €), l’économie serait de l’ordre de 1 Md€.

Pour la première année de mise en œuvre de la réforme, le gain serait à minorer des coûts de mise en œuvre, qui pourraient être non négligeables, de l’ordre de 500 M€, par comparaison avec ceux de la réforme des "APL en temps réel".

Difficultés pour le chiffrage, aléas et incertitudes

La mesure annoncée ne comporte ni le champ des prestations concernées ni, de la part du Premier ministre, de taux plafond.

Compte tenu de la complexité de l’articulation entre les différentes prestations sociales, le chiffrage nécessiterait une micro-simulation (modélisation appliquée à une base de données individuelles représentatives), réalisable notamment par la CNAF.

Historique de la mesure 

La fusion de certaines prestations a été étudiée mais jamais mise en œuvre. Les rapports successifs (Sirugue, 2016, Lenglart 2023), préconisent plutôt une convergence progressive des assiettes et modalités de calcul des prestations sociales, préalable à une éventuelle fusion. C’est aussi la voie suivie par le gouvernement précédent qui s’est engagé dans la voie de la simplification des démarches en expérimentant le pré remplissage des déclarations de ressources pour le RSA et la prime d’activité et en envisageant à terme un versement automatique du RSA et de la prime d’activité.

Parangonnage

En 2012, le Royaume-Uni a fusionné six prestations sociales (Allocation chômage, crédit d'impôt pour retour à l'emploi, crédit d’impôt pour charge de famille, aide au logement, allocation invalidité et prestation de soutien au revenu pour les personnes dispensées de recherche d’emploi) sous la dénomination d’universal credit, tout en ayant un objectif d’économies budgétaires. Le bilan de cette réforme est mitigé. "L'expérience du Universal Credit a montré que la fusion des prestations sociales existantes ne pouvait pas s’accompagner d’économies budgétaires, à court terme tout du moins […] Il reste impossible d'améliorer en même temps le montant de base des prestations, les incitations au retour à l’emploi, et tout en réduisant le coût budgétaire."(Bozio, Parraud, La réforme du Universal Credit au Royaume-Uni, Institut des politiques publiques, juillet 2021)

Mise en œuvre 

Une telle réforme suppose une préparation en amont avec la CNAF (gestionnaire), notamment pour anticiper les évolutions de système d’information, et les conseils départementaux (financeurs du RSA).

La réforme impliquerait des évolutions informatiques, une formation des personnels et une information des bénéficiaires, qui constitueront un coût administratif de mise en place à ne pas négliger. 

Compte tenu des dispositions existantes au niveau législatif, une loi serait nécessaire pour fusionner les prestations existantes.

Compte tenu du nombre élevé de perdants, et de l’ampleur potentielle de la baisse de prestations, une phase de communication, de pédagogie et d’accompagnement serait indispensable pour les personnes concernées. 

La réforme aurait donc au total un coût de mise en œuvre non négligeable, qui viendrait amoindrir au moins la première année le gain budgétaire à en attendre. 

À titre de comparaison, la dernière réforme d’ampleur d’une prestation sociale, qui a conduit à diminuer les montants pour certains bénéficiaires, celle du versement des aides au logement "en temps réel" s’est faite avec un budget total de 555 M€ à la CNAF et avec l'appui d'une mission de cabinet de conseil dont les honoraires ont été de 3,9 M€. La préparation de la réforme a débuté en 2018 pour une mise en œuvre effective en 2021, après avoir été reportée à trois reprises. Les difficultés informatiques ayant justifié les reports ont en partie persisté en 2022, conduisant à un allongement des délais de traitement des dossiers et à une hausse du non-recours aux prestations liée à ces difficultés.

Cette mesure, si elle permettait symboliquement de revaloriser la place du travail, resterait centrée sur les prestations non-contributives. Elle ne saurait toutefois exonérer d’une action plus globale sur les autres prestations financées par des cotisations. En effet, l'acceptabilité de ces cotisations est souvent réduite en raison de leur affectation, qui empêche les salariés de les percevoir comme un "salaire différé". Cette perception est particulièrement marquée lorsque les cotisations servent à financer des prestations non contributives dont les salariés ne bénéficieront probablement jamais. Ainsi, ces cotisations sont plutôt considérées comme des prélèvements obligatoires sans contrepartie personnelle immédiate. 

À terme, et comme le souligne le rapport Bozio-Wasmer, mieux valoriser le travail nécessitera de clarifier ce qu'il permet d'obtenir en distinguant mieux les droits contributifs (retraite, chômage, arrêt maladie), financés par des cotisations sociales, de la protection sociale non contributive (santé, prestations familiales et solidarité), financée par des prélèvements fiscaux. Une réforme aussi ambitieuse nécessite de maîtriser la complexité du sujet et toutes ses composantes. Aujourd'hui politiquement instrumentalisée, la rémunération du travail pose en réalité des interrogations cruciales pour l'avenir de notre pays : quel modèle social souhaite-t-on défendre et comment le financer ? Quel(s) emploi(s) souhaite-t-on soutenir prioritairement ? Pour quels objectifs de croissance ? Nombre d'arbitrages qui appellent à une réflexion stratégique et de long terme. Bien loin donc du temps court politique et polémique qui règne actuellement en maître dans les hémicycles de notre Parlement.

Copyright Image : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
 

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