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06/11/2024

Budget 2025 - Taxe sucre : repenser la formule

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Budget 2025 - Taxe sucre : repenser la formule
 Hugues Bernard
Auteur
Chargé de projets - Climat et environnement

Dans le cadre des débats liés au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, une dynamique parlementaire notable se dessine autour de la fiscalité nutritionnelle et plus précisément de la taxation du sucre. Ce lundi 4 novembre, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture deux mesures en ce sens : la première renforce une taxe existante sur les boissons sucrées ; la seconde, inédite en France, introduit une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits transformés - et ce malgré l’opposition du gouvernement. L’adoption de ce dernier amendement engage une étape importante vers la responsabilisation de l’ensemble de la chaîne agro-alimentaire. Toutefois, l’efficacité et l’acceptabilité de cette mesure sont compromises par les paramètres retenus : une assiette fiscale large, des seuils de taxation bas et un manque de visibilité donnée aux industriels. Dans son récent rapport "Fracture alimentaire : maux communs, remède collectif", l’Institut Montaigne propose une approche alternative de la fiscalité nutritionnelle susceptible de concilier efficacité et acceptabilité de l’ensemble des parties prenantes : producteurs, industriels, distributeurs et consommateurs.

La fiscalité nutritionnelle est un sujet récurrent dans le paysage politique français. Souvent envisagées pour orienter les comportements alimentaires, ces taxes sont cependant critiquées pour leur efficacité limitée et leur impact régressif en ce qu’elles touchent davantage les ménages aux revenus modestes. En dehors de la fameuse gabelle - taxe sur le sel instaurée au XIIIe siècle et supprimée en 1790 - la France n’applique aujourd’hui qu’une seule mesure de fiscalité nutritionnelle (hors alcool) : la taxe sur les boissons sucrées (article 1613 ter du Code général des impôts) et les boissons édulcorées (article 1613 quater du CGI), introduite en 2012. D’autres pays, tels que le Mexique et la Hongrie, où les taux d’obésité et de maladies liées à l’alimentation sont plus élevés, ont déjà instauré depuis plusieurs années des taxes sur les produits alimentaires hors boissons, assises sur le sucre ou le degré de transformation de l’aliment. Alors que la France fait face à une multiplication des pathologies liées à l’alimentation, en raison notamment de l’expansion de la "malbouffe", la proposition de taxe sur le sucre bénéficie cette année d’un soutien politique renforcé, d’autant plus que l’État cherche des moyens de réaliser des économies.

La France n’applique aujourd’hui qu’une seule mesure de fiscalité nutritionnelle, la taxe sur les boissons sucrées.

Le 25 octobre, à la date limite des dépôts d’amendements sur le PLFSS en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, les députés avaient soumis treize amendements visant à renforcer la fiscalité sur le sucre. L’intérêt parlementaire pour ce sujet est sensiblement plus important cette année que les deux précédentes : seuls trois amendements avaient été déposés sur le PLFSS 2024 et un seul sur le PLFSS 2023.

Si certains avaient été approuvés par le Parlement en séance publique, tous avaient finalement été rejetés dans le texte final du Gouvernement adopté par le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.

Cette fois-ci, le sujet pourrait bien être inscrit dans la version finale du texte financier. Le Parlement vient d’adopter ce lundi 4 novembre deux amendements visant à renforcer la taxation du sucre. Le premier propose de renforcer la taxe sur les boissons sucrées en calquant son barème sur le modèle britannique, qui comprend deux paliers au lieu des seize prévus dans le barème français – une recommandation que nous formulions également dans notre récent rapport Fracture alimentaire : maux communs, remède collectif. [Finalement, le texte retenu par l’Assemblée nationale en seconde délibération prévoit trois paliers selon le paramétrage à retrouver ici]. Le second amendement, plus inédit, défend l’instauration d’une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits transformés. Si cet amendement a été adopté contre l'avis du gouvernement, la ministre de la Santé, Geneviève Darrieussecq, lui avait dans un premier temps exprimé son soutien. Un désaccord avec la ministre de l’Agriculture, opposée à l’accumulation de taxes pesant sur les industriels, l’avait finalement conduite à revenir sur ses premières déclarations pour ne soutenir que la taxation des boissons sucrées, y compris les bières aromatisées.

L’élargissement de la taxation du sucre à d’autres produits alimentaires que les boissons était l’une des principales recommandations de notre rapport visant exclusivement des catégories de produits fortement plébiscités par les enfants et à faible valeur nutritionnelle. Cependant, les paramètres retenus par l’Assemblée nationale diffèrent sensiblement de notre proposition et risquent de nuire à l’efficacité et à l’acceptabilité d’une telle mesure.

Dans le détail, l’amendement adopté vise à "instaurer une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits alimentaires transformés destinés à la consommation humaine" pour toutes les catégories de produits. Structurée en deux paliers, elle impose un premier niveau de taxation à 21 € pour les produits contenant entre 5 et 8 kg de sucre par quintal (100 kg) de produits transformés, et un second à 28 € pour ceux dépassant 8 kg de sucre. Inspirés du modèle britannique de taxe sur les sodas, dont la littérature économique a prouvé l’efficacité, ces paliers encouragent les industriels à réduire la teneur en sucres de leurs recettes pour demeurer sous les seuils définis et ainsi minimiser leur charge fiscale.

L’éventualité d’une "taxe sucre" suscite une opposition ferme de la part de l'industrie agroalimentaire française. Par l’intermédiaire de l’ANIA (Association Nationale des Industries Alimentaires), elle défend qu’une telle mesure nuirait autant à l’industrie qu’au consommateur. D’une part, cette fiscalité affecterait la compétitivité des industries agroalimentaires françaises, déjà limitées dans leurs capacités à l’export, et viendrait menacer des dizaines de milliers d'emplois, autant dans les grandes entreprises que chez les petits artisans. D’autre part, une taxe aurait un effet budgétaire négatif pour le consommateur, particulièrement les plus modestes dont la propension à consommer des produits sucrés est proportionnellement plus élevée que celle des ménages plus aisés. En outre, les industriels remettent en cause l’efficacité de la fiscalité comportementale dans les changements de consommation et jugent injuste de leur imputer la responsabilité du redressement des comptes publics.

L’élargissement de la taxation du sucre à d’autres produits alimentaires que les boissons était l’une des principales recommandations de notre rapport visant exclusivement des catégories de produits fortement plébiscités par les enfants et à faible valeur nutritionnelle.

Dans ce contexte, la proposition parlementaire de "taxe sucre" sur les produits agro-alimentaires semble peu susceptible d'être retenue dans le texte final du PLFSS. Dans le rapport que nous publiions il y a deux semaines, "Fracture alimentaire : maux communs, remède collectif" , nous suggérions un modèle alternatif qui permet de concilier enjeux de santé publique, accessibilité de l’alimentation saine et prise en compte des difficultés opérationnelles et économiques des acteurs du monde de l’industrie agro-alimentaire. À l’inverse, la mesure adoptée à la suite des débats parlementaires présente quatre inconvénients majeurs :  

  1. La large assiette fiscale qu’elle retient pose un risque avéré d’inflation alimentaire généralisée ;
  2. Son efficacité est restreinte par des seuils de taxation relativement faibles ;
  3. Le manque de visibilité donnée aux industriels réduit les chances de reformulation ;
  4. L’affectation des recettes fiscales vers la réduction du déficit public diminue l’acceptabilité de la taxe auprès des acteurs économiques et des citoyens.


La large assiette fiscale suggérée par la proposition parlementaire pose un risque avéré d’inflation alimentaire généralisée

Un risque majeur associé à la fiscalité nutritionnelle est l'augmentation des prix des produits taxés, dépendant de la volonté des industriels de transférer intégralement le coût de la taxe au consommateur. Pour la taxe soda par exemple, son coût a été entièrement répercuté au consommateur au bout de cinq ans, entraînant une augmentation de prix d’environ deux centimes par canette de soda.

Dans sa formulation actuelle, l’amendement adopté par l’Assemblée nationale ce lundi 4 novembre présente un risque concret d'inflation alimentaire généralisée en ce que l’assiette fiscale retenue est particulièrement large. La taxe, et donc potentiellement la hausse des prix, s'appliquerait à l’ensemble des produits alimentaires transformés contenant des sucres ajoutés, soit une large gamme de produits allant des carottes râpées aux yaourts aromatisés en passant par les compotes de fruits, incluant de fait des produits aux valeurs nutritionnelles positives.

Un risque majeur associé à la fiscalité nutritionnelle est l'augmentation des prix des produits taxés, dépendant de la volonté des industriels de transférer intégralement le coût de la taxe au consommateur.

Pour atténuer ce risque d’inflation alimentaire généralisée, notre rapport suggère de mieux cibler la taxation du sucre en se limitant à six catégories de produits particulièrement consommés par les enfants. Ce paramétrage permet d’une part de répondre efficacement à la consommation excessive de sucre chez les jeunes, un enjeu crucial de santé publique associé au surpoids, à l’obésité, au diabète de type 2 et aux maladies cardiovasculaires, et d’autre part à réserver la hausse des prix à des catégories de produits alimentaires aux bilans nutritionnels médiocres.

L'efficacité de la taxe retenue par l’Assemblée nationale est restreinte par des seuils de taxation relativement faibles

La proposition retenue par l’Assemblée nationale comprend des taux de taxation relativement faibles, 1,5 à 2 fois inférieurs à ceux du modèle proposé dans notre rapport. Ces taux modérés risquent de réduire l’impact de la taxe sur les comportements des consommateurs, limitant ainsi son efficacité réelle en matière de santé publique.

Les études économiques estiment qu’une taxe nutritionnelle parvient à orienter durablement les choix alimentaires lorsqu’elle atteint environ 20 % du prix de vente. Pour tenir compte de l’enjeu parallèle de préservation du pouvoir d’achat, notre modèle propose une augmentation de prix de 7 %. La proposition parlementaire se limite à 4 %, rendant peu perceptible l’impact de cette taxe dans les prix - environ dix centimes d’euros supplémentaires pour un paquet de biscuits à 2,50€.

Ainsi, la proposition retenue par l’Assemblée nationale infligerait une double peine : elle entraînerait une inflation suffisante pour être ressentie - et probablement mal perçue - par les consommateurs, tout en restant insuffisante pour atteindre les objectifs comportementaux visés, en raison de la faible élasticité-prix des produits concernés. Elle risque de se transformer en une taxe de rendement, dont l’objectif principal est de procurer une source de revenus stable pour les pouvoirs publics et non de traiter les problèmes de santé publique.

Le manque de visibilité donnée aux industriels réduit les chances de reformulation

L'une des critiques formulées lors de l'adoption de la taxe soda en France en 2012 concernait le manque de temps et de visibilité accordés aux industriels pour s'organiser et entamer des efforts de reformulation avant la mise en application effective de la fiscalité. En l’espèce, la taxe avait été votée à la fin de l’année 2012, avec une opérationnalisation dès 2013. À l'inverse, au Royaume-Uni, la taxe soda effective depuis 2018 avait été annoncée dès 2016, permettant ainsi aux industriels de bénéficier de deux années pour entreprendre de coûteux efforts de reformulations.

Cet horizon de temps est crucial pour engager efficacement des reformulations. Or la proposition parlementaire de taxe sur le sucre ne garantit aucune visibilité pour les industriels. À l’inverse, dans notre rapport, nous défendons que la mise en place d'une taxe ne devrait intervenir qu'après la signature d'accords collectifs entre les acteurs du secteur, visant une réduction progressive du sucre sur une période déterminée - sur le modèle de ce qu’a réalisé le secteur de la boulangerie en réduisant le sel dans le pain depuis 2022. La taxe ne s'appliquerait alors qu'aux produits qui, après l'échéance de ces accords, ne respecteraient pas les objectifs fixés.

L’affectation des recettes fiscales vers la réduction du déficit public diminue son acceptabilité auprès des acteurs économiques et des citoyens

Enfin, l’Assemblée nationale propose d’allouer les recettes de cette nouvelle fiscalité - qui par ailleurs ne sont pas chiffrées par les parlementaires- à la réduction du déficit public. Déjà en 2012, la taxe sur les sodas avait été introduite sous couvert de solidarité fiscale. Cependant, des mesures motivées avant tout par des objectifs de santé publique ne devraient pas être détournées pour combler des déficits budgétaires, sous peine de perdre l’adhésion tant des industriels que des consommateurs.

Pour améliorer l'acceptabilité de cette taxe, nous suggérions de réallouer intégralement les recettes fiscales - soit 560 millions d’euros annuellement - aux consommateurs via le financement d’un chèque alimentaire de 30€ par mois pour 4 millions de ménages modestes. Cette approche permettrait à la fois de lutter contre la surconsommation de sucre et de favoriser des habitudes alimentaires plus saines en apportant une compensation budgétaire à une partie des consommateurs.

Des mesures motivées avant tout par des objectifs de santé publique ne devraient pas être détournées pour combler des déficits budgétaires

Mais à date, aucun des amendements prévus au PLFSS 2025 n’envisage la création d’un tel chèque alimentaire.

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