AccueilExpressions par MontaigneQui sont les mineurs non accompagnés en France ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.14/10/2020Qui sont les mineurs non accompagnés en France ?Trois questions à Michaël Cheylan Régulation Action publique Finances et fiscalitéImprimerPARTAGER Michaël Cheylan Contributeur sur les questions africaines À l'occasion du dramatique attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo le 25 septembre dernier, la problématique des mineurs étrangers isolés, dits "mineurs non accompagnés", a refait la une de l'actualité. Michaël Cheylan, notre contributeur sur les questions africaines, répond à nos questions.Quelle est la situation des mineurs non accompagnés en France aujourd'hui ? Si le phénomène n'est pas nouveau, il a crû ces dernières années "de manière spectaculaire" pour reprendre les termes du Sénat1, au point d'être très identifié dans les territoires à la fois par les élus et, désormais, l'opinion. Au 31 décembre 2019, la France prenait en charge, via l’aide sociale à l’enfance (ASE), près de 40 000 "mineurs non accompagnés" (MNA), selon les chiffres de l'Assemblée des départements de France (ADF), et non 16 000 comme certains l'affirment parfois2. En 2012, ils étaient à peine un millier.Et le phénomène continue de prendre de l'ampleur. Sur l'ensemble de l'année 2020, 40 000 personnes étrangères se présentant comme mineures devraient avoir sollicité le statut de MNA. Sur ces 40 000, la moitié environ devrait être intégrée au dispositif de l’ASE, soit directement par les services du département, soit par le juge après un recours introduit par les candidats recalés, ce qui fait un total de 20 000 personnes. Sur l'ensemble de l'année 2020, 40 000 personnes étrangères se présentant comme mineures devraient avoir sollicité le statut de MNA.Une situation qui ne va pas sans crispation en particulier dans les départements qui supportent le coût de prise en charge qui s'élève en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an3. Le coût total pour la collectivité en 2019 s'élevait à deux milliards d'euros (à la charge des départements qui reçoivent une compensation de l'État pour une partie de ces dépenses) contre 50 millions en 2012. Ce chiffre pourrait atteindre 2,5 milliards d'euros en 2020 et, si la dynamique actuelle n'était pas contrariée, trois milliards d'euros en 2021. Encore faut-il y ajouter les coûts indirects (comme la quote-part du coût de fonctionnement des services déconcentrés et décentralisés affectée à cette problématique, la prise en charge de la phase de mise à l'abri et d'évaluation de minorité4, l'insertion sociale, les frais de santé via l'aide médicale d'État, etc.).5Le 25 septembre dernier à l'Assemblée nationale, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a déclaré qu'il se rendrait au Maghreb pour régler le problème des MNA en provenance de cette région du monde qui, assure-t-il, "est l'essentiel des problèmes que nous connaissons". Est-ce le cas ?Tout dépend en réalité de ce que l'on entend par "problèmes". Si l'on se place d'un point de vue sécuritaire, le ministre de l'Intérieur, auquel il faut faire crédit de s'emparer de ce sujet trop longtemps négligé, a raison. En effet, les mineurs, réels ou prétendus tels, venant du Maghreb, qui se concentrent davantage que d'autres dans les grandes agglomérations (Paris, Bordeaux...) et sont souvent la proie de réseaux mafieux ou criminels, sont sur-représentés dans les statistiques de la délinquance des mineurs. On parle ainsi volontiers des "mineurs marocains de la Goutte d'Or" , quartier situé dans le 18e arrondissement de la capitale, ou "des mineurs maghrébins de Bordeaux". Sur les huit premiers mois de 2020, on dénombre déjà l'interpellation de 6 309 mineurs étrangers en région parisienne, soit une augmentation de 42 % par rapport à l'année précédente, qui atteint même 51 % à Paris. À Bordeaux, 44 % des faits de délinquance observés lors du premier trimestre 2020 sont imputables à des MNA selon la Préfecture de Gironde. Le phénomène a atteint une telle ampleur que l'Assemblée nationale a ouvert une mission d'information sur les "Problématiques de sécurité associées à la présence de mineurs non accompagnés".Contrairement à une idée répandue, la problématique des MNA est en réalité très concentrée puisque trois pays à eux seuls (Guinée, Mali et Côte d'Ivoire) génèrent 61 % des flux.En revanche, si l'on se place d'un point de vue quantitatif, on constate, à la lecture des chiffres de 2019 fournis par la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse que les mineurs non accompagnés présents en France6 viennent, dans leur très grande majorité - à hauteur de 63,51 % - avant tout d'Afrique de l'Ouest, et de trois pays en particulier : Guinée Conakry (24,67 %), Mali (23,29 %) et Côte d'Ivoire (13,16 %) (à quoi il faut ajouter, même si c'est plus marginal, 2,39 % venant du Sénégal). Ensuite, et dans une mesure moindre, les mineurs étrangers présents en France viennent de pays d'Asie centrale et du Sud : 4,83 % du Bangladesh, 3,32 % du Pakistan et 2,73 % d'Afghanistan (soit 10,78 % du total). Enfin seulement, ils sont originaires d'Afrique du Nord : 4,11 % d'Algérie, 3,27 % du Maroc et 3,19 % de Tunisie (soit 10,57 % du total).On le voit, contrairement à une idée répandue, la problématique des MNA est en réalité très concentrée puisque trois pays à eux seuls (Guinée, Mali et Côte d'Ivoire) génèrent 61 % des flux et pratiquement 100 % des flux proviennent de trois régions du monde (Afrique de l'Ouest, Afrique du Nord et Asie centrale et du Sud)7.Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, toujours lui, a déclaré le même jour à l'Assemblée nationale qu'il "attend(ait) les propositions des différents groupes politiques" pour que "dans les prochaines lois qui seront discutées et qui seront bientôt inscrites à l'ordre du jour" le gouvernement puisse "mettre fin au moins à la discussion autour de la présomption de (minorité)". Sera-ce suffisant ?Que le ministre de l'Intérieur veuille clarifier la question de la présomption de minorité est une nécessité car la procédure actuelle d'établissement de minorité, qui génère un contentieux abondant, présente des failles telles8, comme l'a dramatiquement rappelé l'actualité la plus récente, que le statut de MNA fait aujourd'hui l'objet d'une fraude importante, très souvent estimée à un taux largement supérieur à 50 %9 et 10. C'est ce qui fait dire au ministre de l'Intérieur, avec franchise et lucidité, que bien souvent, "les majeurs prennent la place des vrais mineurs"11 et 12. Dans le jargon administratif, on parle de "mijeurs" (contraction de "mineurs" et de "majeurs") pour les qualifier.Pour y remédier, c'est à la source, à tous les sens du terme, qu'il faut prendre le problème.Mais le principal problème se situe en amont. Ceux qui briguent le statut de MNA, dans leur écrasante majorité, ne fuient pas les conflits13. Ils sont dans un premier temps à la recherche d'un moyen juridique pour entrer et se maintenir sur le territoire, puis d'une prise en charge financière et sociale, et enfin d'opportunités économiques et d'un éventuel regroupement familial14.Si donc leur nombre a autant progressé ces dernières années, ça n'est pas en raison de l'évolution de la situation sécuritaire, pas plus d'ailleurs que politique, économique, climatique ou autres, dans leurs pays d'origine mais, d'abord, parce que le fait de se déclarer comme mineur permet l'entrée et le maintien sur le territoire français (car même si l'évaluation prouve ensuite le contraire, le nombre d'éloignements - c'est à dire d'expulsion - étant très faible, la très grande majorité de ces personnes restent dans le pays) ; ensuite, car le statut de MNA, très protecteur15, a été au fil du temps, via le bouche à oreille, popularisé auprès des candidats à l'immigration et de leurs familles (tel candidat réussissant son "passage" en Europe en assure la promotion auprès de son entourage resté au pays, suscitant ainsi des vocations) ; également, parce que l'information sur les moyens de rejoindre l'Europe et de s'y maintenir s'est, elle aussi, largement diffusée (grâce notamment à l'usage des réseaux sociaux comme WhatsApp ou Telegram dont l'accès est universel et le coût marginal) ; enfin, en raison du fort développement des filières de passeurs dont le recours est indispensable, sur tout ou partie du trajet, pour rejoindre l'Europe, puis circuler au sein de l'Union européenne. C'est la combinaison de ces différents facteurs qui explique la très forte augmentation ces dernières années du nombre de MNA dans notre pays, au point qu'aujourd'hui le statut, détourné de sa mission originelle, s'est mué en large partie en filière d'immigration clandestine. Pour y remédier, c'est à la source, à tous les sens du terme, qu'il faut prendre le problème16. Le ministre de l'Intérieur l'a bien compris qui est résolu à prendre l'attache des autorités dans les pays de départ pour, d'une part, assurer, dans les meilleures conditions, le retour dans leur pays d'origine de ces mineurs et, d'autre part, travailler avec ces autorités pour prévenir les velléités de départ, via notamment le levier de l'aide publique au développement qu'il faut sans doute renforcer qualitativement et, dans une certaine mesure, quantitativement, au niveau national comme européen17. Le ministre a annoncé qu'il se rendra d'abord au Maghreb (au Maroc, puis en Algérie et en Tunisie). En toute logique, il devrait poursuivre avec les trois pays d'Afrique de l'Ouest (Guinée Conakry, Mali et Côte d'Ivoire) qui génèrent à eux seuls, rappelons-le, plus de 60 % des flux. C'est dans ce sens qu'il faut travailler (organiser les retours, dissuader les départs) pour tarir des flux qui relèvent largement aujourd'hui d'une immigration clandestine18. Car il n'y aucune humanité à maintenir à un niveau tel un système qui incite chaque année des jeunes toujours plus nombreux19 à prendre des risques inconsidérés pour parcourir des milliers de kilomètres ; qui contribue à enrichir grassement les filières mafieuses ou criminelles20 ; qui n'incitent guère les dirigeants dans les pays de départ à renforcer leurs politiques de formation et d'emploi en faveur de leur jeunesse, bien au contraire ; et qui, par surcroît, est excessivement coûteux pour les contribuables dans le pays d'accueil, sans compter les autres externalités négatives. On peut résumer la situation actuelle en disant, avec Pascal, qu'en voulant faire l'ange, on fait en réalité la bête. C'est pourquoi changer de paradigme est nécessaire. Que le ministre de l'Intérieur soit déterminé à le faire doit être salué. Pour aider ces jeunes et tous ceux qui voudraient suivre leur exemple, il y a beaucoup mieux à faire dans les pays d'origine via l'aide au développement, l'assistance et la coopération avec un rapport coût / efficacité incomparablement supérieur. C'est là que résiderait réellement "l'honneur de la France", formule aujourd'hui trop souvent dévoyée. Copyright : Denis Charlet / AFP 1 Bien que daté en partie, ce rapport conserve dans une large mesure toute son actualité.2 Sur les 40 000 MNA pris en charge en 2019 sur le territoire français, 16 000 au total ont été confiés à l'ASE par un juge ; le reste (près de 24 000) ont vu leur minorité reconnue directement lors de la première phase d'évaluation par les services du département. D'où la confusion qui parfois donne lieu à une bataille de chiffres entre responsables politiques. 3 Désignés comme unique entité devant assurer la prise en charge des MNA, les départements sont responsables de leur mise à l'abri, de l'évaluation de leur minorité et de leur isolement et, sur décision de justice, de leur prise en charge dans le cadre de la protection des enfants confiés. C'est à eux en effet qu'incombe l’aide sociale à l’enfance (ASE) depuis que la Ddass a été décentralisée. 4 Avant toute décision éventuelle d'accueil, les personnes se présentant comme "MNA" font l’objet d’une mise à l’abri et d’une évaluation permettant d'établir leur minorité et leur situation d’isolement. Cette mission est réalisée par les départements et donne lieu à un financement de l’État. 5 Pour prendre l'exemple du département des Hautes-Alpes, qui a connu un afflux important de migrants ces dernières années en raison de sa proximité avec l'Italie voisine, le coût global pour le département de la prise en charge des MNA est passé de 146 165 euros en 2013 à 6,2 millions d'euros en 2018) 6 À tout le moins, la part des MNA qui sont confiés à l'ASE par un juge, soit 16 000 sur un total de 40 000 en 2019, ce qui représente 40 %. Plusieurs études montrent cependant que les données sont sensiblement les mêmes pour l'effectif global.7 Outre une très forte concentration géographique, on constate également une grande homogénéité dans les profils des MNA. 95 % d'entre eux en particulier sont des garçons.8 Dans la très grande majorité, des cas, le jeune migrant ne présente pas de papiers d'identité, de même il peut refuser de se soumettre à un test osseux. L'agent évaluateur du département tente d'évaluer sa minorité en fonction des informations que le jeune migrant lui transmet. En revanche, si celui-ci présente des papiers d’identité (cas devenu très marginal), le service enfance famille du département sollicite leur authentification par la police aux frontières, qui transmet ensuite les résultats au parquet en charge également de la lutte contre la fraude documentaire. Mais les rapports d’évaluation sont rendus par le département indépendamment du résultat de cette authentification... De fait, l'écrasante majorité des évaluations du département sont réalisées en l’absence de documents d'identité produits par les présumés MNA. De plus, le département considère que les documents d’identité authentifiés peuvent ne pas appartenir au jeune migrant qui les présente, en l’absence de données biométriques sur le document, comme c’est notamment le cas pour les personnes originaires de Guinée. Enfin, des faux papiers peuvent être présentés par de vrais mineurs. 9 Le directeur général de l'ADF, Pierre Monzani, estime que 70 % des personnes qui entrent en France en se présentant comme mineurs isolés ne le sont pas. Le député et ex-président du conseil départemental de la Seine-et-Marne, Jean-Louis Thiériot, estime quant à lui que le taux de fraude est encore supérieur puisqu'il l'évalue à "près de 80 %"10 Dans son intéressant rapport d'observations, rendu public en septembre 2020, la chambre régionale des comptes de PACA notait, p. 13 : "Jusqu’en 2016, la majorité des jeunes migrants se présentant au service enfance famille (SEF) du département des Hautes-Alpes détenait des documents d’état civil. À compter de 2017, plus de 90 % n’en possèdent pas. Et parmi les 10 % qui en présentent, il est constaté une augmentation du nombre de personnes qui produisent des documents d'identité sans lien avec le détenteur."11 Intervention du ministre de l'Intérieur à l'Assemblée nationale lors de la session de questions au gouvernement le 29 septembre 2020. 12 Dans une récente interview, le ministre de l'Intérieur, s'est dit favorable au fait de rendre obligatoire, au besoin à travers la loi, la prise d'empreintes. "Certains se font passer pour mineurs alors qu’ils ont entre 20 et 25 ans (...) Il faut en effet renvoyer chez eux ceux qui n’ont rien à faire sur le territoire national. Il faut, à mon avis, rendre obligatoire la prise d’empreintes. Aujourd’hui, une personne contrôlée peut refuser de mettre les siennes dans le fichier dit des étrangers. Autre difficulté, un tiers des départements (qui sont responsables de l’aide sociale à l’enfance) refusent de tenir ces fichiers. Tant qu’ils refuseront de le faire, par idéologie, on aura du mal à avancer. Peut-être faudra-t-il une contrainte par la loi."13 La quasi-totalité des pays d'où viennent les MNA ne sont pas en guerre. C'est le cas notamment de l'Algérie, du Maroc, de la Tunisie, de la Guinée Conakry et de la Côte d'Ivoire. Quant au Mali, si une large partie de son territoire (évaluée à 55 % du total de sa superficie) est sous l'emprise de groupes djihadistes ou de rebelles touaregs, celle-ci, située dans le nord désertique, ne regroupe que 5 % de la population du pays (lire à ce sujet la note de l'OCDE).14 Déjà en 2017, avec un moindre recul, le Sénat relevait dans son rapport que "le phénomène (des MNA) semble plutôt relever de la recherche d’opportunités économiques que de la fuite de conflits armés"15 Outre le fait qu'il assure un niveau élevé de prise en charge (couvrant le logement, la nourriture, les frais d’éducation et de formation...), le statut de MNA assurent à ceux qui en bénéficient une attribution quasi-automatique à leur majorité d'un titre de séjour, sauf menace avérée contre l’ordre public. Ils peuvent alors bénéficier du regroupement familial de droit commun.16 En l'espèce, la variable majeure qui conditionne l'importance des flux n'est en réalité pas tant exogène qu'endogène. Certes, l'existence de voies de passage et de réseaux logistiques permettant de rejoindre l'Europe est indispensable. Mais l'état du droit applicable dans le pays d'accueil (accessibilité du statut, niveau de protection, possibilité à terme d'un regroupement familial, etc.) joue un rôle premier et donc prépondérant.17 Invité sur Europe 1 dans le cadre de l'émission "Le grand rendez-vous" le 4 octobre 2020, le ministre a déclaré : "Ces mineurs ont vocation à retourner dans leur pays, évidemment dans des conditions qui font qu'on peut les encadrer". Et celui-ci d'ajouter : "C'est aux Marocains de s'occuper des mineurs marocains. C'est une évidence. On doit [...] les aider pour qu'ils les éduquent dans des centres appropriés. J'aurai l'occasion d'en parler avec les autorités marocaines". Un propos qui vaut pour l'ensemble des pays d'où sont originaires les MNA.18 Le maintien sur le territoire pour ceux qui s'y trouveraient ne devraient être qu'exceptionnel et dûment objectivé. 19 Souvent poussés par leurs familles sinon par des réseaux criminels. Il faut en effet beaucoup de ressources (financières, relationnelles, etc.) pour entreprendre un tel périple. Ce qui n'est objectivement pas à la portée d'un mineur à proprement parlé "isolé".20 Se fondant sur des sources policières, Jean-Louis Thiériot dans son interview au Figaro estime entre 7 000 et 9 000 euros la "facturation" du passage en Europe d'un majeur et jusqu’à 15 000, soit le double, pour un mineur. Les chiffres varient cependant sensiblement aussi en fonction du pays d'origine des candidats à l'immigration, de la distance à parcourir, etc. ImprimerPARTAGERcontenus associés 27/03/2020 Quand l’Europe fait la différence. 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