AccueilExpressions par MontaignePacte migratoire européen : pour une politique d’asile à la hauteur de nos valeursL'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.25/09/2020Pacte migratoire européen : pour une politique d’asile à la hauteur de nos valeurs Asie Moyen-Orient et Afrique RussieImprimerPARTAGERAuteur Thierry Pech Directeur général de Terra Nova Auteur Jean-Paul Tran Thiet Expert Associé - Justice et Affaires Européennes Dans la nuit du 6 au 7 septembre 2020, un incendie ravageait le plus grand camp de réfugiés d’Europe, le camp de la Moria sur l’île de Lesbos, en Grèce, lequel abritait 12 700 personnes, soit quatre fois sa capacité d’accueil maximale. Cette tragédie humanitaire a poussé la présidente de la Commission Ursula von der Leyen à hâter la présentation de son "Pacte pour la migration". Attendu depuis des mois et reporté pour cause de pandémie, ce pacte propose aujourd’hui un nouveau système européen de gouvernance de la migration, avec un nouveau "mécanisme fort de solidarité", permettant une meilleure répartition et prise en charge des réfugiés et demandeurs d’asile au sein de l’Union européenne. L’Europe ambitionne, avec ce nouveau Pacte, de sortir de plusieurs années de débats aussi épidermiques que stériles, conduisant à un traitement inapproprié des demandeurs d’asile sur le sol européen. Ce nouveau pacte propose en particulier l’abolition du règlement de Dublin, un mécanisme qui confie la responsabilité du traitement des demandes d’asile au pays de l’Union par lequel le demandeur d’asile a pénétré sur le sol européen, laissant de fait en première ligne les pays du Sud de l’Europe : l’Italie, la Grèce, l’Espagne et Malte. Mais cinq ans après la crise migratoire de 2015, la question de l'accueil des demandeurs d’asile et des migrants reste un sujet de divisions fort au sein de l’Union. Pour réformer le système de Dublin et surmonter les divisions actuelles, il faut d'abord rappeler que l'examen des demandes d'asile doit rester distinct de la gestion des flux de migrants. L'asile est un droit fondamental garanti par un traité international, la convention de Genève. Il fait l'objet d'un examen individuel sanctionné par un juge et à ce titre, il ne relève pas à proprement parler des politiques migratoires européennes.Un système inefficace et injuste En octobre 2018, l’Institut Montaigne et Terra Nova appelaient à une refonte de la politique européenne de l’asile, après avoir identifié les dysfonctionnements inhérents au règlement de Dublin. Le système de Dublin a en effet montré qu'il était injuste, inefficace et humainement inacceptable. Injuste, car il fait peser sur les pays situés sur les principales routes empruntées par les demandeurs d'asile l'essentiel du poids de l'enregistrement, du premier accueil et de la gestion des demandes.Inefficace, puisque bon nombre de ces pays, déjà peu enclins à fournir les efforts disproportionnés qui leur sont imposés, n'ont guère les moyens matériels et administratifs pour remplir ces missions. L'injustice et l'inefficacité de ce système ont, en outre, précipité des situations humainement inacceptables et des atteintes aux droits humains dont le camp de la Moria en Grèce constituait l’un des exemples les plus flagrants. La suppression de la clause du pays de première entrée inhérente au système de Dublin est une première étape vers la mise en place d’une politique européenne humaine, efficace et plus solidaire. Mais d’autres mesures doivent être mises en place pour mettre la nouvelle politique d’asile à la hauteur de nos valeurs. Il convient notamment de conférer aux entités chargées d'instruire les demandes d'asile le statut d'autorités indépendantes, afin de les soustraire aux pressions politiques.La suppression de la clause du pays de première entrée [...] est une première étape vers la mise en place d’une politique européenne humaine, efficace et plus solidaire.Il importe également d’accorder aux demandeurs le libre choix du pays qui instruira leur demande d'asile, quitte à appliquer, en cas d'afflux particulier vers un État membre, des mécanismes de péréquation conformes au principe de solidarité. Enfin, il est urgent de créer dans les pays qui ont une rive méditerranéenne, des centres européens d'accueil et de traitement permettant d'instruire rapidement et dans des conditions dignes les dossiers des personnes secourues en mer pour pouvoir statuer sans délai. Le sens du compromis Pour faire adopter ce pacte par les États membres, la Commission ne pourra se contenter de brandir les valeurs communes d’accueil, de solidarité et de tolérance dont l’Europe a montré depuis plusieurs années qu’elles restaient subordonnées aux égoïsmes nationaux. Elle devra également ménager les intérêts contradictoires de ses États membres, notamment ceux des pays du Groupe de Visegrad, rejoints sur ce point par l’Autriche et bien décidés à camper sur leurs refus d’accueillir tout nouvel arrivant. Il convient également de renforcer la capacité de l’Union européenne à renvoyer dans leurs pays d’origine les déboutés du droit d'asile.S’il est nécessaire que tous les États de l’Union soient impliqués dans le nouveau mécanisme de solidarité, celui-ci ne se fera pas à travers la mise en place d’un système de répartition par quotas évoqué en vain pendant plusieurs années, mais par d’autres mécanismes et notamment une contribution financière ou logistique des États récalcitrants afin d’assurer une répartition équitable des efforts entre États européens en fonction de leur population, de leur PIB par habitant et de leur taux de chômage.Pour convaincre les États d’Europe centrale et orientale de la possibilité de mettre en place une politique solidaire et maîtrisée, il convient également de renforcer la capacité de l’Union européenne à renvoyer dans leurs pays d’origine les déboutés du droit d'asile, ce qui peut se révéler difficile, dans la mesure où de nombreux États refusent encore de reconnaître et donc de réintégrer leurs propres ressortissants. L’Union européenne doit s’affirmer plus souveraine et moins naïve dans ce domaine : première pourvoyeuse d’aide au développement, elle doit désormais utiliser cette politique pour inciter les États bénéficiaires à réintégrer leurs citoyens déboutés du droit d’asile lorsqu’il s’avère que ceux-ci ne sont éligibles à aucune autre forme d’accès légal à l’immigration. L’abolition du système de Dublin sera une avancée incontestable, mais le succès du nouveau pacte pour les migrations impose de rénover en profondeur la politique d’accueil, de mieux prendre en compte les questions migratoires dans les futurs partenariats internationaux de l’Union. Avec l'aimable autorisation deL'Express (publié le 25/09/2020).Corpyright : Sameer Al-DOUMY / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 21/04/2020 Covid-19 et démographie : à quoi faut-il s’attendre ? Bruno Tertrais 23/01/2020 Les trois Europes migratoires Institut Montaigne et Terra Nova