AccueilExpressions par MontaigneQuel avenir pour la relation transatlantique suite au "moment Ukraine" ?L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.07/11/2022Quel avenir pour la relation transatlantique suite au "moment Ukraine" ? Coopérations internationales États-Unis et amériques RussieImprimerPARTAGERAuteur Georgina Wright Directrice adjointe des Études Internationales et Expert Résident Auteur Alexander Cooley Professeur en sciences politiques à l'Université Columbia Midterms : regards transatlantiquesUkraine, Russie : le destin d'un conflitLes élections de mi-mandat aux États-Unis se tiendront le 8 novembre prochain. Le scrutin marquera un tournant décisif pour la suite du mandat du président Biden, avec des répercussions qui dépassent le seul cadre domestique américain. Dans ce contexte, l'Alliance Program de Columbia et le Columbia Global Center de Paris s’associent à l’Institut Montaigne autour d’un cycle inédit de webinars et de publications. Grâce au dialogue franco-américain, nous analysons les grands sujets qui animent cette campagne : l'économie, la relation transatlantique sur fond de guerre en Ukraine et le changement climatique dans le contexte de crise énergétique. Cette semaine, nous examinons l'impact de la guerre en Ukraine sur la relation transatlantique. La guerre en Ukraine a donné un nouveau souffle à l'unité transatlantique, défiant les pronostics d'un Vladimir Poutine qui pariait sur son affaiblissement, voire son anéantissement. Depuis l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, les relations transatlantiques ont effectivement traversé des périodes de turbulence. Le retrait chaotique des États-Unis d'Afghanistan en août 2021, puis l'accord surprise sur le sous-marin nucléaire AUKUS entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, ont suscité d’importantes tensions au sein de l'Alliance. La guerre en Ukraine change désormais la donne. Les États-Unis ont joué un rôle central dans la conduite du soutien de l'Occident à l'Ukraine. Début février, l'administration Biden, en lien avec le gouvernement britannique, publiait des rapports de renseignement avertissant sur l'imminence d'une attaque, et obtenait des engagements de la France et de l'Allemagne en cas d'invasion. L'approche américaine a été collaborative. Les Européens ont eux aussi agi avec unité, rapidité et détermination face à l'agression de la Russie, la Commission européenne maintenant un contact quasi quotidien avec la Maison Blanche au sujet de la coordination des sanctions et du soutien à l'Ukraine. L'"effet Ukraine" sur les relations transatlantiquesL'effort transatlantique pour soutenir l'Ukraine a marqué un moment d'unité. En réaction à l'invasion, les États-Unis et l'Europe ont agi rapidement pour fournir une aide financière, diplomatique et militaire à l'Ukraine. Une coordination transatlantique efficace a également conduit à ce que l'on pourrait qualifier de "moment OTAN" en Europe, au cours duquel des pays comme la Finlande et la Suède sont revenus sur des années de politique et de doctrine militaire, pour rejoindre l'Alliance de l'Atlantique Nord. Les plus petits États membres jouent désormais un rôle plus actif dans l'élaboration de la politique étrangère de l'UE. Malgré sa crise politique interne, le Royaume-Uni montre qu'il joue toujours un rôle de garant de la sécurité européenne. En bref, l'Occident est de retour. Mais pour combien de temps ?Les relations transatlantiques après l'UkraineCette unité récente n'efface pas les tensions profondes qui caractérisent la relation entre les États-Unis et l'Europe ; elle ne réduit pas non plus la polarisation à l'œuvre des deux côtés de l’Atlantique, comme l'illustrent les prochaines élections américaines de mi-mandat.Quel impact auront les élections de mi-mandat sur la politique américaine en Ukraine ?L'attention du public américain pour la politique étrangère est relativement limitée, elle est même quasi inexistante pendant les périodes électorales. Les sujets domestiques ont tendance à prendre le dessus. La guerre en Ukraine ne figure ainsi pas parmi les principales préoccupations des électeurs à l'approche du scrutin de novembre. Leurs inquiétudes se focalisent plutôt sur l'inflation, le pouvoir d'achat, les questions sociales et l’état de santé de la démocratie américaine elle-même. S’il s'intéresse à la guerre, le public américain redoute l'escalade potentielle et ses conséquences sur les troupes américaines.Si le conflit aura peu d’incidence sur les intentions de vote des électeurs, les résultats pourraient quant à eux entraîner un changement significatif de la politique américaine vis-à-vis de l'Ukraine. Rappelons qu’au départ le soutien à l'Ukraine suscitait un soutien bipartisan général. Dans un contexte électoral, les enjeux ne sont plus les mêmes, et les Républicains pourraient bien utiliser l'aide à l'Ukraine comme sorte de "monnaie d'échange".Si le conflit aura peu d’incidence sur les intentions de vote des électeurs, les résultats pourraient quant à eux entraîner un changement significatif de la politique américaine vis-à-vis de l'Ukraine.Au sein du parti Républicain, on observe aujourd’hui des tensions significatives entre l'aile interventionniste - qui plaide pour la poursuite des efforts américains en Ukraine - et l’aile "isolationniste" représentant le courant "America First", qui juge déraisonnable de poursuivre de telles interventions hors du sol américain. Cette ambivalence souligne l'absence de vision unifiée au sein de la droite concernant l'Ukraine. D'autres acteurs proches du GOP relayent des arguments de la propagande russe (à l’instar du présentateur de Fox News et allié de Trump, Tucker Carlson) et prônent des positions mettant en question leur soutien aux institutions démocratiques, comme l'affirmation que l'élection de 2020 a été truquée.Si le contrôle de la Chambre des représentants passe aux mains des Républicains (hypothèse probable selon les derniers sondages), la composition des différents comités changera pour inclure une présence renforcée de ces nouveaux élus de droite. Par conséquent, le soutien envers l'Ukraine pourrait devenir un objet instrumentalisé pour des fins politico-politiques. L'actuel chef de la minorité de la Chambre, Kevin McCarthy, a explicitement déclaré que les Américains ne signeraient pas un chèque en blanc pour financer l'effort de guerre en période de récession - et que les Européens devaient intensifier leur soutien. Dans le cadre de négociations budgétaires difficiles, la capacité de Biden à maintenir son soutien pourrait être considérablement entravée. Dans un climat politique polarisé, face à l’augmentation des difficultés économiques domestiques, et à un parti Républicain désuni sur la politique étrangère (et parfois ambigu sur la démocratie), l'engagement de Biden pourrait être menacé.L'Ukraine elle-même pourrait donc devenir une source de discorde dans les prochaines semaines. En valeur absolue, l’Amérique est le premier contributeur d'aide à l'Ukraine. Washington exerce une pression accrue sur l'Europe pour qu'elle assume un rôle de leader plus actif, mais l’équilibre ne semble pas évoluer. Certains membres de l'establishment de la politique étrangère américaine déplorent ce qu'ils considèrent une Europe "qui traîne les pieds". Ils demandent aux pays européens d'aller de l'avant, d'augmenter les dépenses de défense et de faire davantage d'efforts.Il faut préciser ici que la première priorité des États-Unis en matière de sécurité reste la Chine, comme l'atteste la stratégie de sécurité nationale de Joe Biden, publiée en octobre dernier. À l'heure où l'attention de Washington se déplace vers l'Est, les législateurs veulent savoir exactement ce que l'Europe attend des États-Unis, et ce qu'elle est prête à apporter pour répondre à ces attentes. Depuis Washington, l'Europe semble indécise, insuffisamment engagée dans un conflit qui la concerne pourtant de façon prioritaire. La présence accrue des États-Unis en Europe a soulevé un certain nombre de préoccupations chez les Européens.En outre, la présence accrue des États-Unis en Europe a soulevé un certain nombre de préoccupations chez les Européens. Dans certaines sphères politiques françaises notamment, règne le sentiment que la dépendance sécuritaire de l’Europe vis-à-vis des États-Unis est trop importante. La France voit les États-Unis évidemment comme un allié, mais elle refuse que Washington siège à toutes les tables de décision européennes. Alors que l’Europe cherche de nouvelles sources d’énergie, la France souhaite décourager toute dépendance excessive aux États-Unis. Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, a récemment appelé les Européens à "résister à la domination économique américaine". Certains pays européens craignent également de s'enliser dans la rivalité entre les États-Unis et la Chine, tandis que d'autres sont prêts à un compromis si cela signifie qu’ils peuvent continuer à bénéficier du parapluie de sécurité américain.De toute évidence, la Chine pourrait, à plus long terme, devenir une nouvelle source de division transatlantique. Au sein de l'Europe, trouver une approche commune sera un défi. Certains pays, en particulier en Europe de l'Est, adoptent une attitude plus ferme. Le Concept stratégique 2022 de l'OTAN mentionne la Chine pour la première fois dans un effort commun de la part des États-Unis et du Royaume-Uni. Mais alors que certains croient que la Chine devrait être discutée au sein de l'OTAN, certains alliés européens pensent que la discussion devrait plutôt se tenir au sein de l'UE. D'autres en Europe et surtout aux États-Unis croient que l’Europe est naïve à l'égard de la Chine et de son potentiel de perturbation.Politique eurasiatique : de nouveaux espaces pour la stratégie transatlantiqueÉconomies eurasiennesLa guerre en Ukraine a mis en lumière les problèmes auxquels la région eurasiatique est confrontée, et qui nécessite une approche transatlantique coordonnée. Le premier concerne le dilemme économique dans lequel se trouvent les pays membres de l'Union économique eurasienne (UEE). Confrontés à une puissance russe révisionniste déterminée à bouleverser la notion de souveraineté, des États comme la Géorgie ou le Kazakhstan se retrouvent dans une situation particulièrement préoccupante, compte tenu des déclarations récentes de Dmitri Medvedev, qui remet en question leur statut d'État. Les nations eurasiennes se sentent par ailleurs injustement "punies" par les sanctions occidentales, ayant profondément lié leur prospérité économique à Moscou. Enclavés et incapables d'exporter via l'Iran, ils ne peuvent pas non plus bénéficier de dérogations de la part de l'Occident. La plupart des États membres de l'UEE sont contraints à une stratégie de neutralité - piégés entre l'Est et l'Ouest - en s'abstenant lors des votes de l'ONU sur la guerre en Ukraine ou en trouvant tout simplement des raisons de ne pas venir le jour du vote.Répondre à l'exode russeLa réalité de l'exode russe obligerait à un véritable dialogue transatlantique et peut-être même à une politique stratégique vis-à-vis des exilés russes.Il se dégage également une sensation générale de vide en matière de sécurité et de médiation, vide comblé auparavant par la Russie. Les pays post-soviétiques subissent actuellement un afflux de centaines de milliers de Russes. Tirant profit d'un régime de visas destiné à encourager l'immigration d'Asie centrale en Russie, des vagues de Russes l'utilisent maintenant pour fuir le pays. Le flux n'a fait qu'augmenter avec l'introduction de la mobilisation - certaines estimations chiffrent l'exode à 600 000 personnes, des hommes pour la plupart. Cette population se dirige de plus en plus vers des régions plus petites qui ne sont pas entièrement capables d'absorber cet afflux inattendu.Les réponses des gouvernements - tant sur le plan politique que sur celui des politiques publiques - restent à voir.La réalité de l'exode russe obligerait à un véritable dialogue transatlantique et peut-être même à une politique stratégique vis-à-vis des exilés russes. Il y a la question de la négation du visa Schengen de court séjour pour lequel les Russes étaient les plus grands bénéficiaires (30 % de tous les visas de ce type accordés au cours des dix dernières années) et qui voient maintenant leurs demandes refusées pour des raisons de sécurité ou d'approbation. S'il est important de faire preuve de solidarité et de soutien envers l'Ukraine, la gestion du thème des exilés russes doit s'inscrire dans une politique plus large, systémique et coordonnée : faut-il organiser le soutien aux exilés ? Si oui, avec quels outils et quelles ressources budgétaires ? Selon quel calendrier et avec quelles incitations ?Qu'en est-il de la Biélorussie ?Le président Loukachenko a un jour tenté d'agir en tant que médiateur vis-à-vis de Moscou et est devenu depuis un cobelligérant à part entière. Il fait l'objet de sanctions internationales mais aussi d'une énorme pression interne pour son soutien à Poutine et à une guerre qui est très impopulaire en Biélorussie. Jusqu'à présent, la politique à l'égard de la Biélorussie a été ad hoc, en fonction des événements sur le terrain. Dans la mesure où Loukachenko est complètement investi politiquement dans la guerre en Ukraine, une nouvelle approche envers son régime et son opposition est nécessaire. Dans quelle mesure la politique doit-elle être énergique pour soutenir un cabinet démocratique d'opposition ? Cette politique doit-elle inclure des liens de sécurité ? Ou l'Occident doit-il tenter d'attirer Loukachenko loin de Moscou ? Dans quelle configuration cette possibilité existerait-elle ou pourrait-elle exister ? Comment la dimension transatlantique peut-elle aborder le problème d'une manière cohérente et unifiée ? L'Amérique regarde vers l'Est. Et l'Europe ?Une majorité d'Européens misent toujours sur la capacité des États-Unis à assurer leur sécurité. Mais l'Europe a également retenu des années Trump que les États-Unis peuvent se montrer plus transactionnels et négliger parfois la concertation avec leurs partenaires européens. L'Europe a appris qu'elle doit être capable de travailler par elle-même. Avec le retour de la guerre en Europe, les Européens ont été confrontés à la dure réalité qu'ils demeurent incapables de répondre aux crises de leurs proches voisins sans le soutien des États-Unis. À mesurer que les divisions internes s'exacerbent dans la politique américaine - et avec la possibilité d'un bouleversement électoral dans les prochains jours - la capacité des États-Unis à prendre des engagements de sécurité avec l'UE pourrait devenir plus contrainte. L'Amérique pourrait se trouver obligée de faire face à plusieurs fronts : la montée de l'antilibéralisme, l'impasse du système politique national et une inflation élevée, le tout sur fond de concurrence stratégique croissante de pays comme la Chine et la Russie. Les Européens devront se mobiliser.Le moment ukrainien dans les relations transatlantiques n'est que cela - un moment. L'engagement des États-Unis sur le théâtre européen ne signifie pas un retour à un leadership américain prépondérant sur le continent, pas plus qu'il ne rétablit les États-Unis dans son rôle de protagoniste incontournable. Au lieu de nous demander comment l'alliance transatlantique peut être maintenue, nous devons également analyser la facilité avec laquelle elle pourrait se détériorer et ce que nous devons faire pour nous assurer que cela ne se produise pas. Plutôt que de rester en mode réactif, les succès remportés dans la recherche d'une unité autour de l'Ukraine devraient être considérés comme une occasion d'examiner attentivement les sources de friction et les nouveaux défis, et d'anticiper une manière de travailler ensemble pour identifier les enjeux et obtenir ensuite des résultats. L'Europe doit transcender la théorie et l'introspection pour s'engager sur le terrain de la volonté et des décisions politiques concrètes. Ce document a été rédigé avec l'aide d'Amy Greene. Copyright : Samuel Corum/ Getty Images via AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 04/11/2022 Les enjeux idéologiques des élections de mi-mandat aux États-Unis Joe Macaron 23/02/2022 Ce que l’Ukraine nous dit de l’avenir de la politique étrangère américaine Maya Kandel 10/10/2022 L'Institut Montaigne éclaire : les élections de mi-mandat aux États-Unis Louise Chetcuti