AccueilExpressions par MontaigneLes enjeux idéologiques des élections de mi-mandat aux États-Unis L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.04/11/2022Les enjeux idéologiques des élections de mi-mandat aux États-Unis États-Unis et amériquesImprimerPARTAGERAuteur Joe Macaron Analyste et consultant en géopolitique C'est un fait presque gravé dans le marbre de la politique américaine : le parti politique dont est issu le président fait généralement piètre figure lors des élections de mi-mandat. Celles de 2022 ne devraient pas faire exception à la règle, et le parti démocrate subira probablement un revers électoral le 8 novembre. Cette analyse porte sur ce que ces élections peuvent nous apprendre sur l'évolution des débats idéologiques en cours et les tendances démographiques qui influencent la politique américaine. Les midterms de novembre sont le premier scrutin depuis la fin de la crise du Covid-19 et depuis les émeutes du 6 janvier 2021 contre le Capitole. Elles se tiennent dans un contexte marqué par l'aggravation de la récession économique américaine et l'invasion de l'Ukraine par la Russie. En Amérique, deux tendances notables continuent de se manifester : une polarisation de l'espace politique allant jusqu'à des incidents de violence physique, et une division sociétale complexe qui ne concerne pas seulement les zones urbaines et les banlieues, mais aussi les questions auxquelles les électeurs accordent la priorité.Le spectre de la violence plane toujours sur ce scrutin, car la méfiance continue de croître entre les partisans des deux principaux partis. Les conservateurs ont tendance à croire que les démocrates représentent "l'État profond", contre lequel ils doivent se rebeller pour sauver la nation, tandis que les libéraux voient dans le trumpisme une menace pour la démocratie et les institutions américaines. L’attaque du 28 octobre, durant laquelle un agresseur s'est introduit au domicile de la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, est le point d’orgue d'une tendance longue de montée de la violence contre les membres du Congrès. Pour citer deux précédents notables : la fusillade de 2011 contre la représentante démocrate Gabby Giffords, ou encore celle de 2017 contre le représentant républicain Steve Scalise. Le nombre de menaces visant des membres du Congrès est passé de 8 613 en 2020 à 9 625 l'année dernière, et la police du Capitole américain a ouvert environ 1 820 dossiers rien qu'au cours des trois premiers mois de 2022. La polarisation touche aussi les grandes institutions, notamment la Cour suprême, devenue l’arène des grandes batailles idéologiques depuis que le Congrès, paralysé, peine à adopter des lois. En juin dernier par exemple, la Cour, dominée par des juges conservateurs, a annulé l'arrêt historique Roe contre Wade qui définissait l'avortement comme un droit constitutionnel depuis près de 50 ans. Le clivage politique actuel est alimenté par plusieurs batailles idéologiques en cours, qui influenceront probablement le résultat des élections de mi-mandat américaines de 2022. La politique américaine contemporaine est de plus en plus dynamique et n'est plus confinée à un ensemble de sujets réduit. Les enjeux qui dominent ce cycle électoral ont évolué depuis janvier dernier. Au début de l'année, l'accent portait sur l'économie, la criminalité et la sécurité aux frontières, des questions qui faisaient le jeu des Républicains. Mais des événements récents (notamment une fusillade au Texas en mai et la décision de la Cour suprême sur l'avortement en juin) ont déplacé l'attention publique vers le débat sur les armes à feu, le changement climatique et l'avortement. Le clivage politique actuel est alimenté par plusieurs batailles idéologiques en cours, qui influenceront probablement le résultat des élections de mi-mandat américaines de 2022. Un sondage récent de NBC News, réalisé par "Public Opinion Strategies", a montré qu'une majorité d'électeurs préférerait que le Congrès soit contrôlé par les Républicains sur les questions d'immigration, de criminalité et d'économie, tandis qu'une majorité d'électeurs préférerait un contrôle démocrate sur les questions liées au changement climatique, au contrôle des armes à feu et à l'avortement. Le changement crucial que l'on observe pour cette élection de mi-mandat réside dans l'absence de compétition entre les deux principaux partis sur des sujets clés, chacun des partis ayant désormais un avantage populaire respectif sur leurs sujets de prédilection. Il n'y a pas de chevauchement sur les sujets contestés, chaque camp met en avant son propre ensemble de récits.Les divisions autour des questions électorales s'accentuent également au sein de chaque parti, ce qui permet aux électeurs républicains et démocrates mécontents de passer d'un parti à l'autre. Les Républicains modérés se sentent aliénés face au trumpisme qui s'amplifie, et ils votent de plus en plus Démocrates. Plus d'un million des électeurs des banlieues qui ont contribué à alimenter les gains du parti démocrate ces dernières années deviennent républicains en raison des vaccins obligatoires Covid-19 et de la position des démocrates sur la lutte contre les crimes violents en se concentrant uniquement sur la justice raciale. En retour, la base de gauche, qui est la force motrice de la base libérale, veut s'attaquer au trumpisme, tandis que les Démocrates centristes veulent rester à l'écart des idées extrêmes afin d’attirer les Républicains modérés, qui ne sont pas seulement contre Trump mais libéraux sur le plan social et pragmatiques sur le plan idéologique. Cet environnement polarisé mobilise les partisans les plus acharnés, mais il aliène un nombre important d'électeurs américains. Une récente enquête du baromètre de l'aliénation politique de Public Agenda a montré que 34 % des Républicains, 29 % des indépendants et 25 % des Démocrates se sentent politiquement aliénés.L'arrêt de la Cour suprême sur l'avortement renforce ces tendances et a donné lieu à une poussée d'inscriptions des femmes sur les listes électorales. Lors de l'élection de mi-mandat de 2018, les femmes des banlieues et celles ayant fait des études supérieures ont alimenté la défaite électorale de Trump, en votant contre ses politiques sur la santé et les armes à feu, ainsi qu'en raison du mouvement #MeToo. Si ce bloc crucial est concerné par la question de l'avortement, les sondages montrent que les électrices se soucient davantage, pour ce cycle électoral, de l'inflation et de la volatilité des prix de l'essence. Cet environnement polarisé mobilise les partisans les plus acharnés, mais il aliène un nombre important d'électeurs américains.Les Républicains peinent à trouver le ton juste sur l'avortement, craignant un retour de bâton de la part des électrices des banlieues qui ont voté démocrate sur des questions sociales pourtant cruciales. Ces dynamiques s'inscrivent dans une tendance démographique d'augmentation de la diversité ethnique des électeurs et de migration depuis les banlieues vers les zones urbaines, qui continue d'avoir un impact sur l'électorat américain. Les zones urbaines, bastion des votes libéraux, continuent d'observer des opportunités économiques et une diversité démographique croissante. Au contraire, dans les zones suburbaines, bastion des votes conservateurs, la population décline et les opportunités économiques périclitent. Les habitants des zones suburbaines, qui ont choisi de partir, s'adaptent aux nouvelles réalités économiques, d'où la diminution de la base conservatrice qui domine désormais les zones suburbaines. Les électeurs blancs représentent aujourd'hui moins de 70 % des électeurs, contre 85 % en 1996, avec une forte poussée des électeurs latinos. Lors de l'élection présidentielle de 2020, les Républicains, sous la direction de Trump, rencontraient des difficultés électorales dans les États rouges traditionnels comme le Texas, l'Arizona et la Géorgie, où le taux d'immigration est élevé. Cependant, ils peuvent être plus efficaces pour prendre des sièges à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat, en raison de ce clivage entre les villes et les banlieues.Dans cet environnement complexe, dominé par de multiples enjeux, tant les Démocrates que les Républicains s'efforcent de définir leurs messages aux électeurs. Si l'accent était mis uniquement sur les performances du président Joe Biden sur l'économie, la défaite des Démocrates serait probablement plus marquée. Cependant, les questions arrivées récemment sur le devant de la scène ont remotivé la base libérale. Les Démocrates y ont vu l'occasion de se focaliser plutôt sur les vulnérabilités idéologiques de leurs adversaires républicains, notamment sur l'avortement et la menace pour la démocratie que représente le trumpisme. Mais leur fuite en avant vers la question de l’avortement reflète un certain déni sur la situation de l'économie américaine. ConclusionLa polarisation de la politique américaine a atteint des sommets sans précédent. Les modérés des deux côtés sont pratiquement inexistants, et les chances de compromis et de bipartisme de plus en plus minces. Trump élimine progressivement tous ses détracteurs et le parti Républicain est devenu son propre parti politique. Les Démocrates sont divisés entre modérés et "gauchistes", une coalition fragile qui pourrait s'effondrer une fois que Biden aura quitté la Maison Blanche. La polarisation de la politique américaine a atteint des sommets sans précédent. Néanmoins, les élections américaines, surtout en période de crise économique, se jouent principalement autour de questions essentielles pour la vie des électeurs. L'économie n'est pas le seul enjeu qui motive le vote et la base de Trump n'est pas l’unique force électorale qui déterminera le résultat des élections de mi-mandat. Comme toutes les élections, la participation est déterminante, et les Républicains, en tant que parti politique d'opposition, semblent avoir l’avantage sur ce point en 2022.Les libéraux étaient plus motivés lors des élections présidentielles de 2020, qu'ils ont perçues comme essentielles pour évincer Trump. Pour les Démocrates, le risque est que l'élection de mi-mandat de 2022 soit perçue comme un référendum sur la présidence de Biden. Les Démocrates ont du mal à convaincre la coalition d'électeurs qui a élu Biden en 2020 de se mobiliser à nouveau cette année. Le revirement des Démocrates après l'arrêt sur l'avortement a rétabli un certain équilibre, mais ne les empêchera probablement pas de perdre la majorité à la Chambre des représentants. Toutefois, la course au Sénat reste ouverte à toutes les possibilités. Si les Républicains prennent le contrôle de la majorité de la Chambre, un président de la Chambre pro-Trump émergera très probablement. Il mettra non seulement fin à toutes les enquêtes sur les attaques du 6 janvier au Capitole, mais perturbera aussi l'agenda législatif de Biden pour les deux dernières années de son premier mandat. La reprise du Congrès par les Républicains ne serait pas liée à la popularité croissante de Trump, mais plutôt à la modeste performance présidentielle de Biden et aux difficultés économiques, dans un marché mondial tumultueux de l'énergie. Une fois que Trump aura rompu son silence et se sera à nouveau adressé au public en tant que candidat à la présidence, s'il choisit de se représenter, les électeurs se souviendront de sa présidence et de son personnage controversé. La reconquête du Congrès par les Républicains est un retour attendu à l’équilibre des pouvoirs entre les branches exécutive et législative. Elle signifierait que la seconde moitié de la présidence de Biden sera embourbée dans une impasse législative et des enjeux idéologiques jusqu’aux prochaines élections présidentielles de 2024. Copyright : WIN MCNAMEE / Getty Images via AFPImprimerPARTAGERcontenus associés 22/06/2022 Biden, la Constitution et la Cour suprême Anne Deysine